Notre arbre

Photo Alina Reyes

 

Le temps était venu où son visage
subissait dans des salles obscures
les dernières injures. Des hommes
applaudissaient. D’autres jetaient
sa dépouille ligotée à l’étal des vitrines.
Il faisait rutiler ses saletés, le monde.
Le monde mourait de grande bouffe
acquise à même ses égouts. Et la parole
était jour après jour défigurée
par des faussaires aux yeux en manque.

 

Pur désir du pur amour, ne hurlais-tu
en moi de douleur pour notre arbre,
l’enfance de notre âme insultée,
la vérité laissée à ses froids tortionnaires ?
Elles chuintaient, les fourches des serpents,
et la mort essayait d’attraper les petits.

 
Pur désir, pur amour, notre arbre relevé,

du ciel tu penches doucement ton visage,

que sa bonté, que sa beauté paraissent

à qui daigne lever la tête et l’incliner très bas

en te voyant si bas descendre, ô notre grâce,

afin que nous puissions monter, fleuris de blanc,

nouveau-nés par le sang et par l’eau

versés de ton coeur dans le nôtre,

au trône de tes bras ouverts.

 

Que disent les roseaux ?

Photo Alina Reyes

 

Le ciel est descendu au milieu des roseaux

où depuis la genèse la brise murmure sa parole

le ciel a songé entre les eaux et sa pensée

creusait doucement la berceuse

et le berceau de ce qui lui venait

dans la musique de la langue

en train de créer sur son ordre la lumière et la vie,

ses ailes,

à bord desquelles nous montons.

 

La postérité spirituelle de Joachim de Flore, par Henri de Lubac. 10) Donner lieu au fruit

Miniature du XVe siècle : BNF

 

« Il n’est pas question ici, bien entendu, de tenter une incursion dans les profondeurs de la philosophie hégélienne. » (p.361)
« La longue introduction aux Leçons sur la philosophie de l’histoire est une sorte d’hymne au soleil de l’esprit : contrairement à celui du soleil cosmique, son mouvement « n’est pas une répétition de soi-même… ; l’aspect changeant que l’esprit se donne dans des figures toujours nouvelles est essentiellement progrès ». » (p.362)
Et Lubac cite encore Hegel :
« … C’est l’esprit qui conduit à la vérité, il connaît toute chose et pénètre même les profondeurs de la Divinité… L’évolution de l’esprit qui pense, dont le point de départ a été cette révélation de l’Être divin (dans l’Écriture sainte), doit s’élever enfin jusqu’à saisir par la pensée aussi, ce qui fut proposé d’abord à l’esprit qui sent et représente. Il doit être temps enfin de comprendre aussi cette riche production de la raison créatrice : l’histoire universelle. » (pp367-368)

« Après deux siècles bientôt écoulés, la philosophie de Hegel n’a pas cessé d’exercer sa fascination, ni d’inspirer une pluralité foisonnante d’interprétations, de déductions, de transformations et de critiques. « Certes, Hegel a cherché à ne dire qu’une seule chose, à être cohérent, univoque, mais ce qu’il dit est en fait fort complexe… Sans doute tient-il beaucoup au fait historique ; avouons cependant que l’accent est tellement mis sur le savoir de Dieu que la Trinité immanente semble parfois s’estomper derrière le savoir vécu, la théorie de la Trinité et le Christ lui-même derrière la christologie » [M. Régnier]  » (p.375)

« La relation de Schelling à Joachim de Flore est plus explicite et plus proche de celle de Hegel (…). En 1800, dans le Système de l’Idéalisme transcendental, il donne une première ébauche de ce qu’est pour lui « la loi de l’histoire » qui doit aboutir au « règne de la liberté » : c’est celle d’une révélation de la divinité qui se fait en trois temps, aux limites indécises : le temps de la force aveugle où domine le hasard, le temps de la nature qui découvre et impose sa loi, le temps de la Providence qui est aussi pour l’homme celui de la liberté ; quand commencera ce troisième temps, « on ne saurait le dire ; mais on peut affirmer que, le jour où il aura commencé, aura aussi commencé le règne de Dieu ». (p.378)

Selon Schelling, montre Lubac, « l’Église de Jean [sera] « la seconde, la nouvelle Jérusalem », que le Voyant de l’Apocalypse a contemplée descendant du ciel. Elle rassemblera tous les chrétiens aujourd’hui séparés, elle accueillera dans son sein les Juifs et les païens ; elle subsistera en elle-même, sans contrainte et sans limite, sans autorité extérieure de quelque sorte que ce soit ; chacun s’y adjoindra librement ; ce sera la seule religion vraiment publique, la religion de la race humaine, possédant en elle le plus éminent savoir. » (p.390)

« Interprété dans tous les sens, livré aux passions de l’époque, le mythe schellingien n’en a pas moins exercé, plus en profondeur, une action stimulante. La seule chose que nous ayons à retenir, et que les prochains chapitres confirmeront, c’est que, dans les milieux les plus hautement intellectuels comme dans d’autres plus modestes de fait sinon d’intention, au cours du dix-neuvième et du vingtième siècles, le joachimisme, en se transformant, poursuit sa carrière et continue de fructifier. » (p.393)

*

Ainsi arrivons-nous à la fin du premier tome de cet ouvrage d’Henri de Lubac. Acheminons-nous maintenant vers la Pentecôte avec le deuxième tome, de Saint-Simon à nos jours, qui nous fera voyager par bien des personnalités… pour n’en citer que quelques-unes, Fourier, Michelet, Marx, Hitler, Dostoïevski…

Et surtout avec la pensée que la vision première de Joachim, qui continue à vivre, errer et fructifier depuis plus de huit siècles, ne peut que contenir une vérité, une prescience et un pressentiment d’une vérité à venir, encore à dégager de sa gangue mais appelée par l’histoire à voir le jour, comme l’est la figure de l’ange cherchée par le sculpteur dans le bloc de marbre.

Si l’utopie doit avoir lieu, ce lieu ne peut qu’être « céleste ». Or le travail du christianisme, son travail invisible à travers l’histoire, qui est aussi plus ou moins confusément celui de toutes les religions, est de rendre toujours plus proche de l’homme le royaume des Cieux. À la différence près qu’ils n’aboliront pas les religions mais les réconcilieront et participeront à exhausser leur essence, les Pèlerins d’Amour seront en quelque sorte l’Église de Jean entr’aperçue par Schelling. Non pas une église de pierre ni de territoire ni d’institution, mais une église qui, tout en oeuvrant en bonne intelligence ou communion avec les peuples et les institutions, aura pour lieu la vie même qui s’y vivra, unissant tous les hommes par des liens souples et libres, maintenus dans un Ordre lumineux parce qu’il ne sera qu’obéissance à Dieu. (voir Voyage). À suivre ! Avec mon coeur donné.

 

Où vont les fleurs ?

Photo Alina Reyes

 

Elles furent promesses de la sève qui montait de la terre dans les tiges virides

Elles furent royaumes de bourdons vibrionnants d’amour,

reposoirs et nectars de papillons portant de place en place

l’heureuse nouvelle de leur métamorphose

Elles furent parure, parfum et soleil des jardins et des tables

Elles jouèrent avec les nuages du ciel, s’ouvrirent à chaque aurore,

soupirantes, exposées au toucher du rayon de lumière.

Elles furent respirées, humées, contemplées,

cueillies parfois, offertes seules ou par bouquets,

messagères d’amour ou de reconnaissance.

Elles sentirent des paumes et des doigts contre leur corps si délicat

Elles rendirent sans compter leur parfum, leur âme.

Et puis, toujours buvant les eaux qui montent et les eaux qui descendent,

s’étant tout entières données, elles ont encore abandonné

à la splendeur leur ultime beauté, les murailles plus douces

que la peau de leurs fragiles citadelles, pétales

qui les vêtaient mieux que le roi Salomon et peut-être,

en tombant, allaient apporter au monde

un fruit encore jamais vu ni goûté, délicieux, nourrissant

et permis.

 

Déploiement. Et le Verbe se fait chair

 

L’Incarnation commence avec la pénétration de l’être par l’Esprit. Dans un corps humain est engendré le Verbe, un nouvel être humain en lequel l’Esprit et la chair sont parfaitement unis : l’éternité entre dans le temps.

La Résurrection est la suite du chemin de l’Esprit dans le corps pur, relevé par gratitude, amour, fidélité, de sa mortalité dans l’immortalité de Dieu.

En vérité, pour nous, la Résurrection précède l’Incarnation. C’est seulement parce que le Christ est ressuscité que nous pouvons, en l’accueillant, engendrer de lui les nouveaux hommes, les saints, qui à leur tour seront aptes à accueillir en eux l’oeuvre de la Résurrection, afin de l’étendre de plus en plus parmi les hommes, et de la déployer ainsi dans le monde en le fécondant aussi de sainteté.