Un songe

Photo Alina Reyes

 

Cette nuit, me trouvant devant Benoît XVI, j’esquissais une révérence, qui aussitôt se changeait en geste de réconfort, mes bras l’accolant, mes mains lui frottant légèrement le dos. Et ce matin, regardant la messe à Arezzo, j’apprends que la Vierge de là-bas se nomme Notre Dame du Réconfort. Lui-même dans son homélie a réconforté les gens, les jeunes, nous tous qui sommes inquiets pour le présent et l’avenir. J’ai songé encore que les anciennes générations, et spécialement celles qui prirent les pouvoirs, ont beaucoup triché, qu’elles trichent encore, et que la tricherie n’est jamais sans conséquences. Les conséquences pèsent maintenant sur les jeunes générations mais du moins reconnaissons qu’elles sont porteuses d’un grand désir de vérité, grâce auquel nous pourrons aller vers le salut.

 

La drachme perdue


Eugène Burnand, La drachme retrouvée

 

Ce qui serait vivant, ce serait que toute l’Europe change sa monnaie pour adopter la drachme, monnaie qui fut inchangée pendant des millénaires.
Si elle pouvait le faire par désir d’être un espace de joie commune, et  par sens du beau, du temps, de la lumière.
« Les cadeaux de Dieu ne sont pas toujours faciles », disait à Christian de Chergé son ami Mohammed, qui concevait le jeûne de Ramadan comme un don du ciel.

 

Symboles, symboles, symboles


Andy Alcala

 

Le soir du 6 mai, voyant sur mon ordinateur la colonne de la Bastille avec sa grappe de gens, j’ai cru voir le radeau de la Méduse. Il ne s’agit pas d’une figure de style ni d’un symbole délibéré – c’est bien ce qui m’est arrivé, en une vision fulgurante et tenace.

Il se dit « président de la jeunesse de France » et il commence par instrumentaliser son propre fils, réduit au rôle du grand benêt écoutant muet papa au téléphone, « ridicule », comme il le dit ensuite, devant la France entière.

« On n’élit pas une famille », avait-il rappelé pendant la campagne. Mais dès ce soir d’élection, son fils était à la télé, à répétition, et le voilà maintenant, ce même fils, interviewé dans Paris Match – en fait toute la presse parle de lui, de Glamour au Monde. Quant à sa compagne, elle est partout aussi, vire du QG tel socialiste indésirable, sermonne les journalistes qui les attendent devant leur domicile (elle qui travaille à Paris Match !), envoie un sms cinglant à qui écrit que ce fiston à iPhone est l’aîné du couple Hollande-Royal, au lieu de dire « ex-couple »… Que serait-ce si l’on avait élu sa petite famille en même temps que lui ? Si toutes ses paroles sont aussi fiables, si son action doit être aussi en contradiction avec son discours… Le radeau n’a pas fini de dériver. Mais tel est le rêve de communication que l’on vend même à ceux qui sont censés porter du sens. Rassurer l’inconscient du bon peuple, ce n’est pas si compliqué. Le plan com étant donc dans cette affaire : au nom du père, du fils et de la marâtre. Singerie quand tu nous tiens… on te lâche.

Au soir de l’élection, devant Notre-Dame de Tulle, tel saint Jean de la Croix qui disait « au soir de notre vie nous serons jugés sur l’amour », il déclarait aussi : « … quand au terme de mon mandat, je regarderai à mon tour ce que j’aurai fait pour mon pays, je ne me poserai que ces seules questions : est-ce que j’ai fait avancer la cause de l’égalité et est-ce que j’ai permis à la nouvelle génération de prendre toute sa place au sein de la République ? » Puis mêlait en une seule phrase une louche d’américanisme, « le rêve français », une autre de ségolénisme, « notre avenir », une autre encore de maoïsme, « la longue marche », et après ce fatras symbolique et verbal osait appeler à « la confiance », pour finalement remercier les vendeurs de soupe qui l’ont campbellisé et qu’il appelle « humanistes ».  Trois jours plus tard il était au Grand Palais à évoquer « la force des symboles » et à promettre de s’engager pour « la culture », en compagnie du décorateur connu pour avoir agrémenté de colonnes tronquées et rayées un autre Palais, le Royal.

 

Mission

Photo Alina Reyes

 

Après avoir consulté beaucoup d’annonces, et répondu à plusieurs, j’ai fini par me passer moi-même une offre d’emploi : « à écrire, ton meilleur roman ». Et j’ai accepté la mission. Le soir, nous avons pu parler projets. À l’aube je me suis levée, j’ai travaillé comme une reine à la fenêtre ouverte, avec les cris des martinets qui annoncent tout haut dans le ciel le printemps. Le désert est en train de se repeupler, l’Ordre se fondera dans la vie.

 

A Night at the Rectory (traduction d’Élise de Warren)

Photo Alina Reyes

 

Traduction en anglais, par Élise de Warren, du petit récit publié en français sous le titre de Séquestrée ?

 

A NIGHT AT THE RECTORY

by Alina Reyes

translated by Élise de Warren

 

Before climbing up the stairs, I had seen a half-empty wine bottle. I wondered if sometimes he drank at night, on his own. I remember the scent of this sad life, of this house. It was so embarrassing. I pitied him. I did not know him. I only slept here, a prisoner in his home.

I climbed up the stairs and locked the door behind me, hoping he would hear the key turning in the lock and that he would understand.

I was hoping he could hear and at the same time that he could not. It was so humiliating, even more so for him than for me. It was humiliating for the neighbors, for the parishioners and for the whole town. In fact, the rectory was just a house like any other in the middle of a residential area. I had never been here before.

At night, it seemed to me I could hear the sound of the sea. It couldn’t be far. If I opened the window, I only saw houses that all looked alike, houses built just a few decades ago. They were narrow, one-story high houses built in order to occupy as little space as possible, just like the people who lived in it.

Maybe the sea was just at the end of the street. Or – granted that I somehow would have managed to leave the house without him noticing – maybe I would have walked endlessly in the maze of the neighborhood, never to find it.

I slept in his bed next to the large-screen television. It was a large comfortable bed with thick pillows and a warm blanket. You would never have imagined this bed belonged to a priest. I know I would not have. Did he like the idea of making me sleep in his bed? In any case, I have to say right away that he did not come up.

We had met six months earlier in Paris. He had come to interview me for a Christian radio station. Indeed, some priests are into journalism as well. He liked to say that he was also a journalist and not only a priest, as if being a journalist was better. But it seemed to me that there was nothing more beautiful in the world than being a priest.

This reminded me of the first priest I had ever met. In spite of my lack of trust in the Church, and because I was in the process of converting, I eventually went to the priest in my parish. Or maybe I should say I asked to see him.

I went to the church, amazed at how bold I was. Nobody was there except for a woman at the reception desk. She made me write my name and contacts on a sheet of paper and told me she would pass on my request.

The week after, because I still had no news, I looked up the parish website on the Internet and sent an e-mail. I went back to the church a few days later. In short, a few weeks had passed before I could get an appointment. I walked around the church and found a second entrance to his office in an adjacent street. He was a big man, with a soft voice and evasive eyes. He told me the reason I waited for so long before meeting him was because it was a period of exams. He proudly explained to me that he was a professor in a Catholic institution of higher studies, of which I can not remember the name. His lectures and his students took a great part of his time.

The priest whose bed I was using was not from the same breed. I mean that he was not an intellectual hailing from the nice districts of Paris. He was just a poor guy who took care of his bonsais in the living-room of his very ordinary rectory. He had heatedly showed me these small horribly tortured trees. I did not say a word, but I could not help but to think they were like an image of the castration he had inflicted on himself.

Still, was it not his fault if I entertained such thoughts? Upon our first encounter in Paris, he looked very dignified dressed in black and serious as could be. He asked me to come and talk to his parishioners about my conversion – this was the reason I was here now. Why did he have to come and pick me up at the station with a borrowed convertible and looking like a play-boy with a blue striped half-opened shirt and sunglasses? And above all, why did he not mention I would be staying at his place? Of course I was a free woman, but that was exactly why this situation did not seem appropriate to me.

When I came down the next morning, he had already left. Soon after a woman rang the door. He had locked it and I had some difficulty opening it. “Were you held hostage?,”  she asked to me with a smile when I finally got to breathe some fresh air. She was a very kind old lady and she took me in her car. We joined  the parishioners and then left for a short pilgrimage that was planned that day. Then the priest took me to the church where I was to speak. He had gone back to his normal and enjoyable self and I felt he was like a little brother I should look after.

 

Blanc, bleu

Photo Alina Reyes

 

Je suis un bateau qui s’éloigne

je marche avec les blancs nuages

et je mange en chemin du blanc

Entre le ciel et l’eau mes jambes

découpent dans le bleu la voile nul-ne-la-voit

La côte derrière moi s’est effacée de l’horizon

j’entends à peine encore la rumeur

sourde des morts qui s’y démènent

Traversant le zénith une mouette un instant

se transforme en corbeau et la mémoire

des cimetières me revient.

Je sais, moi l’exilée, ce qui arrive

à ceux qui se laissent aborder par la ruse

et je prie Dieu qu’il veuille bien

dans la vieille cité reconnaître les siens.

Les miens prennent le soleil sur mon pont.