Autour de la sortie de prison de Michelle Martin (1)

 

« Les mille ans accomplis, le satan sera relâché de sa prison » Apocalypse 20, 7 (début du second combat eschatologique)

 

«  La  cave  de  Marcinelle  n’est  que  le  vestibule  d’un  lieu  de  torture autrement  plus  vaste  et  ce  qui  s’est  passé  là  est  une  petite  émergence  de  toute  une  industrie  souterraine  en  pleine  expansion.  La cave  de  Marcinelle  avait  plus  d’un  niveau.  Les  enfants étaient destinés à l’usage d’un réseau de vidéos pornographiques enfantines. » Cardinal Danneels, lettre aux prêtres en vue des prédications de Noël 1996, quelques mois après l’emprisonnement de Dutroux.

Aujourd’hui la thèse des réseaux est officiellement niée. Comment expliquer pourtant, si Dutroux agissait pour lui seul, non seulement les innombrables irrégularités de l’enquête, mais aussi qu’une vingtaine ou une trentaine de personnes prêtes à témoigner dans cette affaire soient mortes brutalement, alors que Dutroux était en prison ? Comment expliquer les virements d’argent sur ses différents comptes après les enlèvements d’enfants, comment expliquer ses cinq maisons et ses divers placements, lui qui vivait avec sa femme d’une escroquerie aux services sociaux ? Parmi ces morts, le curé confesseur de Michelle Martin, et dont Dutroux, à peine emprisonné, se montra très proche. Que savait l’Église de toute cette atroce criminalité ? (Rappelons que Dutroux et Martin commencèrent à sévir dans les années 80, furent emprisonnés une première fois, puis libérés… et récidivèrent, avec les enlèvements et les meurtres qu’on sait, et d’autres trafics moins connus de filles de l’Est).

Aujourd’hui Michelle Martin est relâchée de sa prison, accueillie dans un couvent où elle a fait déposer ses meubles dès 2001 (ayant donné la maison dont elle héritait de sa mère à ses enfants, afin de ne pouvoir indemniser les victimes – le père de l’une d’elles a porté plainte contre elle, l’accusant d’avoir organisé, avec la complicité des sœurs, son insolvabilité).  Déferlement d’angélisme à propos de la merveilleuse charité de ces sœurs. Mais c’est angélisme des anges de satan. Des bêtes qui font l’ange, à tous les sens du mot bête : soit stupides, soit couvrant le scandale, le crime énormes par une totale duplicité. De toute évidence, depuis le tout début, depuis bien avant leur arrestation et leur procès, les Dutroux-Martin sont protégés à divers niveaux de la société. Et cette libération anticipée de Martin, qui pourrait être suivie de celle de Dutroux (il y compte bien, comme il l’a déclaré), est la suite logique de cette protection qui leur garantit bienveillance et mise à l’abri en échange de leur silence sur le système de leurs acheteurs d’enfants.

Le cardinal Danneels, qui fut le chef de l’Église belge jusqu’en 2010, a une tendance certaine à se mettre les doigts sur la bouche. En tapant son nom sur google images, j’ai trouvé ces treize images de lui la bouche ainsi fermée. La même recherche sur le nom de quelques autres personnes, dont d’autres cardinaux, ne donne qu’une ou deux images semblables, voire pas du tout. Cela signifierait-il qu’il se tait encore plus que les autres ? Je ne l’affirme pas, bien qu’il soit avéré qu’il a occulté délibérément des dizaines de cas de pédophilie de prêtres. Raison pour laquelle son archevêché a été fouillé par la police. Au cours de la perquisition, ont été trouvés des dossiers sur l’affaire Dutroux et sur l’autopsie des deux enfants séquestrées que sa femme dit avoir laissé mourir de faim dans leur réduit pendant que son mari était en prison (nous verrons que cette version est contestée). Sur l’ordinateur du prélat, a été trouvée aussi cette photo sordide d’une fillette nue, accroupie dans la baignoire, le pommeau de la douche aspergeant son maigre corps, ses cheveux collés ébouriffés, son petit visage esquissant un sourire de grande misère. Finalement, il est apparu que la photo venait d’un site tout à fait sérieux, et qu’elle ne se trouvait sur l’ordinateur que parce que ce site avait été visité, ce qui suffit à enregistrer paraît-il les fichiers, de façon provisoire et non délibérée. Une « photo d’art » d’une jeune photographe, que l’on peut toujours voir sur le site en question, avec les commentaires alléchés de quelques visiteurs.

Mais revenons à cette propension à placer sa main sur sa bouche. Elle renvoie aussi à l’infantilité : l’enfant, in-fans, étant celui qui ne parle pas et en même temps se trouve dans la phase de la satisfaction par l’oralité (téter, manger, porter les objets à sa bouche). Je ne cherche pas à me lancer dans une psychanalyse sauvage de cet homme, ce serait d’autant plus stupide qu’un même geste peut être le signe d’un état d’être positif (intériorisation favorisant la pensée, la création, le recueillement) ou négatif (peur, dissimulation, régression). En réalité, les textes et les faits prouvent bien que Godfried Danneels est capable de pensée élevée, mais aussi de très néfaste occultation de la vérité. Je veux seulement essayer de donner un éclairage humain face aux terribles accusations, sérieusement fondées (l’étouffement obstiné des cas de pédophilie qui lui étaient soumis) ou infondées, qui pèsent sur lui.

Quelles sont ces accusations infondées ? Une histoire circule sur internet, si atroce qu’elle fait sérieusement regretter qu’il ne soit pas intervenu pour que son nom cesse d’y être explicitement et horriblement mêlé. Oui, pourquoi ne le fait-il pas ?

Nous évoquerons cette histoire la prochaine fois, son contexte, et nous partirons de là dans une exploration humaine tout à fait inédite.

 

La fosse de Babel

photo Alina Reyes

 

Guy Debord avait excellemment prophétisé la société du spectacle. Ajoutons qu’elle a son corollaire, qui se développe en même temps qu’elle : la société de l’occulte. Les deux n’en font qu’une. Société de fausse transcendance, creusant sa « fosse de Babel » comme le prophétisa plus synthétiquement encore, et splendidement, Franz Kafka. Où est le spectacle, là est la fosse. Nous pouvons prophétiser la chute de cette société, sa désintégration par aspiration dans la fosse, aussi sûrement que le Christ vint abolir le monde païen en sa décadence et mit au rencart ses quantités de divinités et son système devenus dépourvus de sens, coquilles creuses, goulues, dévorant la vie à sa racine. Dieu, ou la vie si vous préférez, finit toujours pas avoir le dessus. Dieu finit par venir rendre la vie à l’homme. Notre monde meurt, mais c’est parce que nous sommes au bord de la résurrection.

Je reviens bientôt avec un texte suscité, entre autres, par la sortie de prison de Michelle Martin.

 

Le feu du temps, jugement dernier

Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

Saint Augustin, La Cité de Dieu, livre XX, 24-25-30 (éd Pléiade)

« Au psaume XLIX également, on estime que c’est du jugement ultime de Dieu qu’il est dit : « Dieu viendra manifestement, lui notre Dieu, et il ne se taira pas ; devant lui, un feu brûlera et autour de lui une forte tempête. Il appellera d’en haut le ciel et la terre pour discerner son peuple. Rassemblez-lui ses justes, qui mettent son alliance au-dessus des sacrifices. » Nous comprenons qu’il s’agit ici du Seigneur Jésus-Christ, dont nous espérons qu’il viendra du ciel juger les vivants et les morts. (…) Et quand il est dit : « il appellera en haut le ciel », comme saints et justes peuvent à bon droit être appelés « le ciel », cela correspond certainement aux mots de l’Apôtre : « Nous serons emportés avec eux dans les nuées à la rencontre du Christ, dans l’air. » (…) Le discours s’adresse ensuite aux anges : « rassemblez-lui ses justes » ; c’est certainement par le ministère des anges que pareille œuvre doit s’accomplir. Si nous demandons alors quels juges les anges vont lui rassembler, il répond : « ceux qui mettent son alliance au-dessus des sacrifices. »

(…)

Le prophète Malachie, en qui on a vu aussi un ange (…) annonce ainsi le Jugement ultime : « Voici qu’il vient, dit le Seigneur tout-puissant, et qui tiendra au jour de son entrée ? Et qui pourra supporter de le regarder ? Car il s’avance comme le feu du fondeur et comme l’herbe des foulons ; et il s’assiéra pour fondre et purifier, comme on fait pour l’or et pour l’argent ; et il purifiera les fils de Lévi, et il les fondra comme l’or et l’argent. Et ils offriront au Seigneur des victimes selon la justice, et le sacrifice de Juda et de Jérusalem sera agréable au Seigneur comme aux anciens jours et aux années d’autrefois. Et je m’approcherai de vous dans le jugement et je serai un témoin empressé contre les magiciens et les adultères, contre ceux qui font en mon nom des serments mensongers, qui frustrent l’ouvrier de son salaire, abusent de leur pouvoir pour opprimer la veuve, battent les orphelins, dénient la justice à l’étranger, et qui ne me craignent pas, moi, dit le Seigneur tout-puissant ; car je suis le Seigneur votre Dieu, et je ne varie pas. »

De ces paroles, il semble ressortir avec suffisamment d’évidence que, dans ce jugement, il y aura, pour certains, des peines purificatrices. (…) Isaïe dit également quelque chose d’approchant : « Le Seigneur lavera les souillures des fils et des filles de Sion, il lavera le sang qui est au milieu d’eux par un esprit de justice et un esprit de feu. »

(…)

A été donné en lui l’Esprit-Saint, qui a été figuré, au témoignage de l’Évangile, sous l’image de la colombe ; il a apporté le jugement aux nations, car il a annoncé qu’adviendrait ce qui était caché aux nations ; dans sa douceur, il n’a pas crié, il n’a pourtant cessé de proclamer la vérité ; mais sa voix n’a pas été entendue au-dehors et elle ne l’est pas, car il n’est pas obéi de ceux qui sont dehors, coupés de son corps. (…) Il a certes apporté un jugement dans la vérité en leur annonçant qu’un temps viendrait où ils devraient être punis, s’ils persistaient dans leur méchanceté. Son visage a resplendi sur la montagne, et sa gloire dans l’univers, et il n’a été ni brisé ni écrasé car, ni en lui ni dans son Église, il n’a cédé à ses persécuteurs au point de cesser d’être. Aussi ne s’est-il pas produit et ne se produira-t-il pas ce que ses ennemis ont dit ou disent : « Quand mourra-t-il et quand son nom périra-t-il ? »

« Jusqu’à ce qu’il publie le jugement sur la terre » : voilà révélé le secret que nous cherchions ; il s’agit en effet du dernier jugement qu’il prononcera sur terre quand il viendra lui-même du ciel, lui dont nous voyons que s’est accompli ce qui est dit ici en dernier : « Et les nations espéreront en son nom. » »

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