La vie

 

C’est miraculeux qu’il n’y ait pas eu d’autres morts. Nous regardons les photos, les vidéos, tout notre pays dévasté, ce pays avec lequel nous faisons corps. Est-ce lui qui souffre pour nous, ou nous qui souffrons pour lui ? Tous ces gens que nous connaissons depuis un quart de siècle et que nous aimons, et qui n’ont plus qu’un pays en ruines. Combien de mois faudra-t-il pour rétablir l’accès au village, à tous ces villages ? Les ponts sont écroulés, les routes détruites, parfois il n’en reste même pas la trace. Des maisons, des hôtels aussi paraît-il, sont effondrés. Notre grange, la maison qui fut notre maison, là où elle se trouve, en altitude, n’a rien risqué. (Mais le beau chalet du notaire qui l’a vendue pend misérablement, détruit, dans le vide qui s’est ouvert sous lui). Comment les gens vont-ils reprendre leur vie ? Nous sommes traumatisés, bien sûr. Alors il faut regarder vers les hauteurs. Vers les hauteurs il y a encore de la neige, mais surtout beaucoup de vert. De l’herbe, des troupeaux. Des montagnes debout, splendides, nos montagnes bien-aimées, égales à elles-mêmes. Nos constructions humaines, les eaux déchaînées les ont emportées comme des fétus de paille. Mais puisque c’étaient des constructions humaines, l’humain saura les reconstruire. Et c’est dans les moments de reconstruction que vient l’opportunité de se laisser refaire soi-même par ce qui est arrivé. Voilà le moment, l’heure de connaître si nous nous enfonçons, si nous nous changeons en statues de sel, ou si, même douloureusement, nous renaissons.

À Lourdes aussi, dans les Sanctuaires, ce moment peut être celui de repenser les lieux. Qui sait si le ciel ne désire pas moins de béton et davantage de toile, dans l’esprit d’Abraham et de son pèlerinage que ses enfants doivent poursuivre ? Ne nous retournons pas sur ce qui est détruit, allons vers ce qui nous attend, neuf, et que nous ignorons encore. C’est l’aventure de la vie, et nous l’aimons.

 

Notre paradis de ce jour

aujourd'hui au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

 

Je suis au Jardin des Plantes comme j’étais en mes montagnes, comme j’étais à l’océan, comme je fus et suis toujours et partout, au paradis. Le paradis n’a pas de fin, et il nous est chaque jour donné.

Les hommes ont un ennemi, des ennemis, mais moi je n’en ai pas, je n’en ai jamais eu.

Comment un croyant peut-il revendiquer la loi naturelle ? Il n’est de loi que celle de l’Esprit.

On peut toujours ne pas vouloir croire en quelque chose, si cela est, cela est.

L’amour que nous portons à certains êtres les aide à monter au ciel, en telle ou telle place du ciel. Puis, de là-haut, ils nous aident, sur terre. Par exemple à écrire, comme je l’ai fait tout à l’heure au jardin.

 

Perdre les eaux (actualisé)

route de Barèges

 

Tom, un ami de mes fils, est en ce moment chez son père, à l’abri des inondations. Mais impossible d’avoir des nouvelles de sa mère, notre amie Lu, qui habite à Viey, un petit village au-dessous de Barèges. Personne là-haut ne peut communiquer, les gens n’ont pas de nouvelles les uns des autres et sont inquiets. Ce matin je lis (Lourdes-infos.com) que Viey et Sers sont « totalement coupés du monde, sans aucun secours actuellement ».

À Luz et à Pierrefitte, deux personnes sont mortes, emportées par les eaux débordantes. À Barèges, la maison au-dessous de l’école où sont allés mes enfants est l’une de celles qui a été emportée. Hier soir les secours ont réussi à rouvrir la route du col du Tourmalet, encore fortement enneigée, afin d’évacuer en convoi 500 personnes de Barèges, qui se trouve dans « une situation extrêmement dangereuse ». Dans le village devenu « quasi-fantôme », sont restées 70 personnes, et les 30 militaires de la caserne, dont des gendarmes arrivés en renfort à pied depuis Luz, pour prêter main-forte aux secours, CRS et pompiers (informations divers articles de La Dépêche). Le village était hier, comme Luz et Cauterets, coupé du monde, sans eau, sans électricité, sans téléphone, communiquant par radio uniquement et ravitaillé par hélicoptère, les routes étant arrachées en maints endroits. Dans La Dépêche du Midi, Christian Vignes raconte :

« Depuis hier matin, les hélicoptères sillonnent inlassablement le ciel des Hautes-Pyrénées, façon «Apocalypse now». Mais là, ce n’est pas du cinéma, même Francis Ford Coppola n’aurait imaginé de telles scènes, tant elles semblaient irréelles. Un de nos photographes, qui a pu survoler la zone de Lourdes et du pays des Gaves pour en ramener des images d’une exceptionnelle violence, est longuement resté sonné par ce qu’il avait vu. Un véritable cauchemar… À Luz, après avoir lui aussi survolé la zone, Michel Pélieu, le président du conseil général, s’est assis à sa descente d’hélicoptère, et a pris sa tête dans ses mains pendant plusieurs minutes. Sonné, lui aussi…

Alors que dire des victimes, qui erraient parfois comme des zombies au milieu de ce spectacle de catastrophe, dans cet environnement pourtant si familier, rendu méconnaissable par cette crue exceptionnelle. Certains, les plus anciens, ravivant sans doute quelques souvenirs douloureux, parlent de «bombardement». D’autres, encore traumatisés de cette «nuit d’horreur», restent sans voix.

Par endroits, la route est soulevée, parfois littéralement partie, comme si elle n’avait jamais existé, comme broyée par une force surnaturelle. Pis, à Cauterets, le gave a créé un nouveau lit de l’autre côté de la route qu’il venait d’emporter, balayant au passage deux maisons et une grange… Un véritable spectacle de fin du monde, plusieurs routes ont été coupées, emportées ou encore submergées… » (l’article entier est ici)

 

Barèges, le camping de "Virage" (son nom dans Voyage)

 

Voici aussi le témoignage de Kitrie (lourdes-info.com), évacuée hier soir : « Bon et bien voilà tout Barèges est entièrement évacué … Plus d habitants hormis le dernier convoi avec des conseillers de Barèges qui a dû faire demi tour juste avant le col ….. Plus de grand chalet en haut de Barèges, plus de moulin, plus de pont, plus de route, plus d hôtel du Tourmalet, plus de parking, plus de route derrière l’Oncet , plus de parking couvert ou presque, plus de camping, plus de maison à Barzun et plus d’ancienne gendarmerie et HLM ou presque … Voitures emportées, caves ensevelie,s plus de route devant chez nous et à Cabadur, plus de pont à Sers et Viey … Plus de virage des dauphines ….. Bref plus rien …. On a plus rien …… On est pas prêts de pouvoir remonter chez nous … Plusieurs mois !!! Et pour retrouver quoi ?…. Plus rien !!!!! Mais une chose est importante aucune perte humaine !!!!!! »

D’ores et déjà, les entreprises sont « soudées et solidaires », rapporte La Dépêche, prêtes à s’unir pour la reconstruction. À Lourdes, dévastée aussi, la solidarité est nécessaire. Pour les Sanctuaires, voir leur page actualisée.

Les photos viennent de cette page, Flooding en France

* jeudi midi : il n’y a plus que 24 habitants à Barèges, où sept maisons sont détruites, et où les secours sont très attendus

 

 

Avant l’orage

Au Jardin des Plantes, j’ai trouvé le nid de la petite poule d’eau.

Les canetons du printemps ont bien grandi. Les deux petites canes qui restent sont toujours avec leur mère, les quatre autres ont été mangés par les corneilles. C’est l’heure de la sieste !

Sous l’arbre j’ai continué à écrire mon roman.

Une belle jardinière est passée, telle une pèlerine.

Avant de repartir, je suis repassée voir le nid, la petite poule y était.

Tout sentait divinement bon, l’air était bon à en manger.

Et maintenant c’est l’orage, qui fait encore monter les bonnes odeurs par la fenêtre ouverte, dans le chant de la pluie.