Des deux niveaux de l’idolâtrie

 

L’idolâtrie est un signe d’immaturité ou pire, de régression conduisant à la perversion et au crime. Le premier niveau d’idolâtrie est celui de l’illusion. Adam et Ève se laissent illusionner par le serpent, dont les insinuations jettent un brouillard sur le paysage. Dans la confusion, ils quittent la voie de la vérité, s’engagent sur un mauvais chemin. C’est ce que nous faisons quand nous gobons comme une pomme un discours faux. Or la parole fausse est légion dans le monde, et s’insinue partout.

Ce niveau d’idolâtrie est exprimé dans toutes les Écritures par le fait d’adorer des statues comme si elles étaient des divinités. Or, comme le disent aussi les Écritures, les statues ne parlent pas. Ce mutisme, cette absence du Verbe de Dieu, équivaut à l’absence de Vérité dans le discours du serpent. Seul le Vivant parle, parle Vraiment. Souvent les enfants, en jouant, prennent leurs jouets pour des personnes. Mais c’est pour eux une façon d’explorer et d’apprendre l’univers symbolique. Ainsi en est-il des peuples qui sont dans l’enfance de l’humanité – même si, au fond, comme les enfants avec leurs jouets, ils savent que leurs statues et fétiches ne sont que des représentations du Vivant. Ce comportement devient un danger, un péché, quand il s’enracine et perdure au-delà de l’enfance, dans l’âge de raison. Quand la parole illusionnante est suivie aveuglément au nom de la raison.

Alors vient l’empire des idéologies, fondées sur la mort, le non-vivant, et menant à la mort. Voilà le péché dont le Verbe de Dieu est venu libérer les hommes. Qui voit le Christ, vivant, voit la Vérité. Alors l’idolâtrie tombe d’elle-même, l’idolâtrie des innocents, celle qui les faisait errer, pécher par ignorance. Tous les péchés seront remis, est-il dit, mais pas le péché contre l’Esprit. Nous ne faisons pas assez attention à cette parole. Avant de mourir, Jésus dit : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Ils sont comme des enfants, et c’est aussi pourquoi Jésus fait appel à Sa miséricorde paternelle. Mais à Judas, qu’a-t-il dit ? « Ce que tu fais, fais-le vite ». Comme agit le serpent, subreptice. Et de lui, qu’a-t-il dit ? « Il aurait mieux valu qu’il ne soit jamais né ». C’est que Judas représente la deuxième forme d’idolâtrie, celle qui pèche contre l’Esprit. Celle qui ne pèche pas par ignorance, mais délibérément.

Judas vend Jésus. Son péché n’est pas celui de qui se laisse prendre à l’illusion, de qui prend ses jouets pour des personnes – mais de qui traite les personnes comme des jouets. Le manipulateur, le corrompu. Nous ne sommes plus dans le domaine de l’immaturité, mais dans celui de la régression, son retournement : le crime à caractère pédophile, même s’il s’exerce à l’encontre d’adultes. C’est le péché de tous les abuseurs, de tous les destructeurs d’innocence. C’est le péché auquel on vient par idolâtrie de soi-même, ou du groupe auquel on appartient. C’est le péché de tous les « croyants » ou incroyants qui croient mieux savoir que Dieu ce qu’Il aurait dû faire, qui ne veulent pas admettre qu’il Lui a paru bon d’appeler les hommes et les peuples à travers différentes religions et cultures, et que, comme Il le dit dans le Coran, Il leur dira pourquoi quand l’Heure sera venue. C’est le péché de tous ceux qui, croyant en l’homme plutôt qu’en Dieu, en viennent à croire en l’homme qu’ils se sont fait eux-mêmes, dans un existentialisme qui tend à faire de soi-même un veau d’or, et à considérer les autres, ou ceux qu’on estime n’être pas à son niveau « d’or », non comme des personnes mais comme des moyens de parvenir à ses fins – et si ce n’est pas le cas, comme des choses inutiles ou gênantes, dont on peut se débarrasser d’une façon ou d’une autre.

L’idolâtrie des corrompus trouve en l’idolâtrie des ignorants l’alliée funeste qu’il lui faut pour étendre son empire.

 

Si c’était un aigle


« douli » est le nom chinois du chapeau chinois

 

« Nous les croyions étouffés », dit un journal à propos des Iraniens. Eh bien, c’est qu’ils croyaient mal. Maintenant ils vont espérer mettre l’Iran dans leur poche. Qu’ils veillent donc à ne pas recommencer à croire mal.

« L’ombre de Cahuzac plane sur Villeneuve-sur-Lot », titre un autre journal. Bah, comme dit le proverbe chinois, l’ombre de la pie ne vaut pas celle d’un douli.

Affaire Tapie : tout ce monde qui s’y prend les pieds, ça soulève la poussière et ça fait tousser dans le foyer.

« L’astéroïde qui a frôlé la Terre avait une lune », lit-on ailleurs. Don Quichotte et Sancho Pança, errant à la recherche de leur soleil…

Depardieu trompette qu’il veut sept passeports. Avec sept sceaux, donc, comme dans l’Apocalypse. De par Dieu, voilà un signe !

« De l’école à l’université, avec les poèmes on est tous des débutants » commente un participant du Marché de la Poésie. Foin du marché, enfants, apprenons à marcher.

« Yolande Turquin fait partager son idolâtrie pour les ruminants ». Cela se passe sur la terre natale de Rimbaud. Je reviens bientôt dire ma rumination sur l’idolâtrie.

 

Douceur

tout à l'heure au Jardin des Plantes, où le vent soufflait, portant partout ses senteurs sublimes

 

Renoncer au mal n’est pas être mort, comme certains se l’imaginent confusément. C’est le contraire qui est vrai. La vie n’est pas dans les tourments de l’enfer, qu’on s’y complaise soi-même ou qu’on les fasse subir à autrui. La vie est dans le bonheur, et le bonheur ne vient que dans l’innocence. Nous le savons bien, n’est-ce pas ?

Chrétiens, notre chemin a ses erreurs, mais le Christ n’a pas pris sur lui les péchés des hommes pour que nous recommencions sans cesse à mal agir. Non cela ne lui plaît pas, pas du tout. Qui aurait envie de contempler un local à poubelles ? N’enfermez pas vos crucifix dans le local à poubelles. Dieu aime contempler ses créatures, et il ne peut les contempler que dans leur innocence, et il se réjouit dans leur sainteté, qui sent si bon.

Entrons dans la lumière, elle est si douce.

 

En lisant « Le Sceau des saints », de Michel Chodkiewicz (4)

cet après-midi au Jardin des Plantes qui embaume divinement, photos Alina Reyes

 

Poursuivons notre lecture avec des passages du quatrième chapitre (La réalité muhammadienne) de ce livre (éd tel gallimard) sous-titré Prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn Arabî.

« Lorsqu’on lui demanda : « Quand fus-tu prophète ? », il répondit : « J’étais prophète alors qu’Adam était entre l’eau et la boue », ce qui veut dire : alors qu’Adam n’était pas encore venu à l’existence. (…) D’autres textes d’Ibn Arabî préciseront plus loin la nature et la fonction de cette Réalité muhammadienne primordiale (haqîqa muhammadiyya) dont chaque prophète depuis Adam, le premier d’entre eux, ne représente qu’une réfraction partielle à un moment de l’histoire humaine. Que signifie le mot haqîqa que nous avons traduit par « Réalité » ? Selon le Lisân al-arab, il désigne le sens propre d’une chose par opposition au sens figuré (majazî) ; ou encore le « fond » d’une chose, d’une affaire, sa vraie nature, son essence et donc aussi l’intimité inviolable d’un être, sa hurma. » (p.70)

« … les véritables croyants sont, selon le Coran (2 : 4 ; 2 : 136, etc.), ceux qui croient en ce qui a été révélé à Muhammad et en ce qui a été révélé avant lui. La notion du verus propheta que figure le long pèlerinage de la Lumière muhammadienne à travers les éons est une conséquence logique de cette doctrine fondamentale où les messages prophétiques successifs, manifestations multiples de la Vérité une, sont autant d’étapes conduisant à celui qui apporte la « somme des Paroles » (jawâmi’ al-kalim), parachevant et abrogeant du même coup les Lois antérieures. Mais le Coran n’est pas seulement source doctrinale. Il est aussi la matrice où s’élabore la forme de l’aventure des âmes et des langages qui l’expriment. Le métal brûlant des visions et des symboles en porte ineffaçablement l’empreinte. »  (p.74)

« Une autre notion, complémentaire de celle de haqîqa muhammadiyya, doit être mentionnée ici : c’est celle d’  « Homme Parfait » (insân kâmil). « C’est par lui que Dieu regarde Ses créatures et leur dispense Sa Miséricorde ; car il est l’Homme adventice et pourtant sans commencement, éphémère et pourtant éternel à jamais. Il est aussi la Parole qui sépare et unit. C’est en vertu de son existence que le monde subsiste. Il est au monde ce que le chaton d’un sceau est à ce sceau : c’est-à-dire le lieu où l’empreinte est gravée, le signe par lequel le roi scelle ses trésors. Il a été nommé khalîfa [lieutenant, vicaire, substitut] en raison de cela : car c’est par lui que Dieu préserve Sa création, de même que le sceau préserve les trésors. Aussi longtemps que le sceau du roi demeure intact, nul n’oserait ouvrir les trésors sans sa permission. L’Homme a donc été chargé de garder le royaume et le monde sera préservé aussi longtemps qu’y subsistera l’Homme Parfait. » Le terme d’insân kâmil s’applique proprement à l’homme en tant qu’il est en acte ce en vue de quoi il a été créé, c’est-à-dire en tant qu’il réalise effectivement son théomorphisme originel : car Dieu a créé Adam « selon sa forme ». Comme tel, il est le « confluent des deux mers » (majma’ al-bahrayn, expression empruntée au verset 18 : 60), celui en qui se réunissent donc les réalités supérieures et inférieures, l’intermédiaire ou « isthme » barzakh) entre le haqq et le khalq, Dieu et la création. Il est aussi « frère du Coran », « pilier du ciel », « Parole totalisatrice » (…) le kamâl, la perfection de l’insân kâmil, ne doit pas s’entendre en un sens « moral » (qui correspondrait en somme à l’  « héroïcité des vertus ») mais signifie ici « achèvement » ou « accomplissement ». (pp 78-79)

 

Dialogue du salut. En lisant « L’Islam et l’Occident », de Michel Lelong


Jardin des Plantes, photo Alina Reyes

 

« Quand on parle de la religion musulmane, en Occident, on pense trop exclusivement à tel ou tel de ses porte-parole dont parlent nos journaux et nos télévisions, mais on oublie que l’islam c’est d’abord et surtout ces centaines de millions d’hommes et de femmes, jeunes et adultes, intellectuels, ouvriers et paysans, pour lesquels le message coranique constitue le fondement des valeurs éthiques, la lumière de leur vie, et la source de l’espérance au-delà de la mort. (…) au-delà de la politique, la communauté musulmane d’est aussi et d’abord des hommes et des femmes qui croient et qui prient, en s’efforçant de vivre les valeurs dont parle le Coran : équité, patience et miséricorde. »

Michel Lelong, L’Islam et l’Occident, éd. Albin Michel

Le P. Lelong cite aussi ces paroles du général de Gaulle (rapportées dans Le Monde en 1972) :

« Voyez-vous, il y a de l’autre côté de la Méditerranée, les pays en voie de développement, et il y a aussi chez eux une civilisation, une culture, un humanisme, un sens des rapports humains que nous avons tendance à perdre dans nos sociétés industrialisées et qu’un jour nous serons probablement très contents de retrouver chez eux. Eux et nous, chacun à notre rythme, avec nos possibilités et notre génie, nous avançons vers la société industrielle. Mais si nous voulons, autour de la Méditerranée, accoucheuses de grandes civilisations, construire une civilisation industrielle qui ne passe pas par le modèle américain et dans lequel l’homme serait une fin et non un moyen, alors il faut que nos cultures s’ouvrent très largement l’une à l’autre. »

Ce livre publié en 1982 reste tout à fait pertinent aujourd’hui, avec ses rappels historiques et ses analyses sur les trois religions abrahamiques et leurs relations. Le père Lelong, artisan de toujours du dialogue inter-religieux, ayant vécu vingt ans en terres d’islam possède aussi une connaissance approfondie des hommes et des croyants de ces religions, de leurs rapports qui ne sont pas aussi simples qu’on ne les présente en Occident. Il sait montrer les atouts des uns et des autres, et aussi leurs manquements, de chaque côté de la Méditerranée. Sans oublier de rappeler la grande richesse et la grande diversité de l’islam, notamment asiatique et africain.

« Juifs et musulmans ont un sens de l’obéissance à la Volonté de Dieu, de la communauté, de l’hospitalité et de la fraternité, on pourrait dire aussi un sens du corps, de la nourriture et de la terre, que nous avons tort de méconnaître et qui peuvent être un remède à nos propres insuffisances ou excès. »

Inciter à la rencontre et à la paix par et pour la connaissance réciproque, tel est l’objectif de ce livre qui devrait être lu de nouveau aujourd’hui. Pour développer encore ce que le cardinal Duval, archevêque d’Alger, appelait  le « dialogue du salut », grâce auquel, dans une « atmosphère de respect et d’amitié », les hommes « peuvent s’aider les uns les autres à répondre aux desseins de Dieu et à lutter contre le péché, c’est-à-dire tout ce qui, dans les manifestations de la vie tant individuelle que collective, est un obstacle au plan de Dieu. »

M. Lelong cite aussi Mohamed Talbi, lequel se référant au Coran qui « accepte et respecte la diversité » appelle l’islam à « défendre le droit à la différence », et écrit à propos des religions : « Leurs empires réciproques, aux limites si longtemps figées, s’écroulent de l’intérieur et de l’extérieur ; le mouvement a remplacé l’immobilité ; les frontières bougent ; quelque chose de nouveau est en gestation ; et dans le plan de Dieu, cela ne peut pas être, en définitive, un mal. (…) Enfin, et de toute façon, l’homme qui est habité par la foi sait que la vie terrestre n’est pas éternelle. Après cette mutation suprême qu’est la mort, sous une forme supérieure, la vie continuera pour l’individu ; elle continuera aussi, après la disparition de notre support terrrestre, pour l’espèce entière dans la plénitude de la vision du visage de Dieu. Cela, en principe, devrait suffire pour nous inspirer modération, sagesse et une confiance infinie en Dieu et en l’homme. »

Il peut paraître que depuis plus de trente ans que ces paroles ont été écrites, la situation n’a pourtant pas évolué, sinon vers le pire. Mais plus de trente ans sont beaucoup (l’âge du Christ) et peu dans le temps de Dieu, et les puissantes ressources spirituelles et humaines dont témoigne cet ouvrage humble et clair permettent de dépasser les apparences et de rendre plus vivante que jamais l’espérance, pour, comme le conclut Michel Lelong, « la liberté spirituelle de l’homme et la paix entre les peuples ».

 

Son regard

Un musulman français m’a dit un jour que beaucoup de jeunes se tournaient vers l’islam parce que l’islam leur apportait un cadre moral et un apaisement de leur vie, sans pour autant les culpabiliser en leur parlant sans cesse de leurs péchés. Beaucoup d’anciens catholiques m’ont dit s’être coupés du catholicisme à cause de cette insistance du clergé à parler aux fidèles de leurs péchés. Ces personnes qui rejetaient cette forme d’abus et avaient quitté l’Église, souvent en gardant beaucoup d’amertume à son égard, étaient-elles pour autant plus pécheresses que celles qui continuent à aller à la messe tous les dimanches, répéter en chœur qu’elles ont péché en parole, en pensée, par action et par omission ? Pas du tout. Les musulmans sont-ils plus pécheurs que les catholiques ? Pas du tout. Les laïcs sont-ils plus pécheurs que le clergé ? Pas du tout. Les athées sont-ils plus pécheurs que les croyants ? Pas du tout. J’ai passé au moins quatre décennies à ne connaître quasiment que des athées (non par ostracisme, simplement parce que les croyants ou les pratiquants sont rares) et c’est quand je me suis tournée vers des catholiques que j’ai expérimenté, de beaucoup d’entre eux, à quel point l’homme peut être fourbe et mauvais envers son prochain. Comme s’ils avaient un besoin irrépressible d’être méchants pour ensuite se délecter de penser que de toute façon le Christ est là, sur sa croix, pour endosser le mal qu’ils font. Proposer la confession c’est bien, la réclamer ce n’est pas bien. Jésus demandait-il aux gens de confesser leurs péchés ? Pas du tout. Il dénonçait le mal et le chassait, mais il ne demandait à personne de dire ses péchés – et surtout pas aux enfants, ce qui constitue un sérieux abus. Il débusquait le mal, et sans autre formalité il guérissait les hommes qui se présentaient à lui. Demanda-t-il à Zachée ou à la femme adultère de confesser leurs péchés ? Pas du tout. Il donne la voie à suivre, celle de l’humilité, de la sincérité, de la fidélité, il dénonce les mauvaises voies et les mauvaises actions, mais sans chercher à faire plier l’échine des gens. En les redressant au contraire de sa parole incisive et en les laissant debout, la conscience éveillée, face à Dieu – libre à eux de soutenir Son regard.

Alors, pour ceux qui s’y abandonnaient, venait l’émerveillement, la grâce.