aujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes
Mois : décembre 2013
Ayin
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S’ils n’avaient pas crucifié le Christ, le monde serait en bien meilleur état. Jérusalem serait libre. Le crucifier est une faute plus grave que de manger le fruit interdit, plus grave que de tuer Abel. Les hommes n’ont cessé de s’enfoncer dans la faute. Jésus a vu qu’étant donné l’état dans lequel ils étaient, il lui fallait s’élever comme le serpent d’airain de Moïse dans le désert, afin de leur ouvrir les yeux. Les hommes ont continué à avancer dans l’histoire les yeux délibérément grand fermés. À ce moment ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, mais ensuite ils ont cru le savoir et ils l’ont fait sciemment. Seulement leur science est fausse. Ils verront bien, comme l’annonce l’Écriture.
Vu en rêve
J’ai vu deux fois le Bouddha en rêve. La première fois, il y a très longtemps, au fond d’une forêt profonde, au fond d’un temple en ruine que je découvrais en marchant avec une petite fille mongolienne que j’aimais d’amour d’or. La deuxième fois, il n’y a pas très longtemps, je l’ai vu avec Dieu. J’ai vu en rêve, un jour, Homère. Puis il me donnait sa tête à manger. Elle était d’une matière inconnue, de vives couleurs, assez semblable à manger à des spaghetti. J’ai vu le Christ, j’étais dans un sommeil mais les yeux ouverts, il se tenait tout près de moi, en habit pourpre de gloire et portant une épée. Adolescente puis plus tard, de façon très récurrente je marchais en rêve en apesanteur, à plusieurs mètres au-dessus de la terre. Chaque fois, toute la journée suivante, j’étais sûre de l’avoir vraiment fait, de savoir le faire naturellement. Cela se produit encore parfois. J’ai vu Kafka en rêve, attablé avec quelqu’un, mais je ne me souviens plus de ce qui se passait, le rêve est raconté dans Ma vie douce, j’ai donné le livre à l’avocat lors du procès et maintenant je ne l’ai plus. J’ai vu Rimbaud, il a dormi chez moi. Cette nuit en rêve j’ai marché à l’aube, jambes et pieds nus, par des allées de terre rouge vers notre maison passagère, un bungalow dans les roseaux. Des hommes mauvais m’ont suivie, mais quand ils ont frappé à ma porte sans clé, j’ai ouvert, j’ai refermé, et ils sont partis.
Signes
L’histoire de l’interprète en langue des signes qui fit des gestes sans signification, à la cérémonie en l’honneur de Nelson Mandela, est décidément très parlante. Cet homme, interprète médiocre et inexpérimenté, dit avoir été pris par l’émotion au point d’en perdre tous ses moyens. Je le crois volontiers, la même chose m’est arrivée un jour où je devais jouer du piano en public. Mais ce n’est pas tout : il dit avoir entendu des voix. Entendons : pas celle d’Obama, mais des voix de l’autre monde. C’est intéressant, pour un traducteur en langue des sourds. Qui sait si ces voix ne l’ont pas troublé pour nous faire signe, à nous, sourds ou non, que les paroles entendues, ou non, étaient faussées ? Signe que les paroles de trop d’hommes sont faussées, ces temps derniers ? Je suis qui je suis, personne n’y changera rien. Chaque homme est unique, ainsi l’a voulu l’Unique, et qui L’écoute n’obéit qu’à Lui.
Il neige à Jérusalem.
Mohammed à la grotte de Hira
acrylique sur papier coton 20,5×31 cm
Il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver à cette simplicité. Hier en peignant un fond vert sur blanc, j’ai écrit trois fois le nom de Dieu en arabe. Je savais qu’à la fin il serait invisible, mais je voulais qu’il y soit, invisible. Puis j’ai peint de nombreuses couches les unes sur les autres, aucune ne me satisfaisant. Finalement je me suis arrêtée sur ce caractère bien matériel, un peu rugueux et âpre, pur comme la montagne, dû à l’épaisseur des couches, mêlé à la simplicité spirituelle de la représentation.
Ousmane Sow, lutteur debout
*
Les Parisiens, permanents ou de passage, se souviennent de son impressionnante exposition sur le pont des Arts, en 1999. La nouvelle date d’avant-hier mais je l’apprends ce matin : Ousmane Sow est entré à l’Académie des Beaux-Arts à Paris. Dany Laferrière à l’Académie française, Ousmane Sow à l’Académie des Beaux-Arts, voici du grand air neuf. Ousmane Sow a sculpté Nelson Mandela, et il y a quelque chose de Mandela en lui. En ce qu’il réconcilie l’art avec le figuratif – même s’il n’est pas le seul, je pense en particulier au travail également impressionnant de Ron Mueck. Et puis pour certaines de ses œuvres comme ce Lutteur debout, il s’est inspiré du travail photographique de la grande Leni Riefenstahl, artiste ostracisée jusqu’à sa mort récente pour avoir flirté avec le régime nazi. Quand on voit le succès de Martin Heidegger chez ceux-là même qui repoussent avec dégoût Leni Riefenstahl… Or celle-ci n’était pas une idéologue, mais une artiste. Politiquement elle a fait fausse route comme tant d’autres, mais à une femme libre, l’erreur est fatale, la société en profite aussitôt pour déverser sa haine et son désir de meurtre par l’exclusion, comme avec les tondues de la Libération. Ousmane Sow, lui, n’a pas fait la grimace sur les magnifiques photos de Leni Riefenstahl, la blonde qui aimait les Africains. Il l’a incluse dans son monde, pour notre plus grand bonheur.