« La fille se leva et s’approcha de son hamac »

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Douanier Rousseau, Le Rêve

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« La fille se leva et s’approcha de son hamac. Il posa la main sur son épaule et elle tressaillit ; en même temps, elle l’observait d’un regard hardi et possessif. Laissant courir ses doigts de sa tempe jusqu’à sa petite oreille délicate, il s’émerveilla de la fraîcheur de sa peau moelleuse comme du caoutchouc ; elle paraissait élastique. Elle pouffa et posa sa tête sur sa poitrine, puis mit doucement les doigts sur son bas-ventre, explorant la toison rude.

« Tsindu », marmonna-t-elle d’un ton ravi, en fronçant le nez. Les Niarunas avaient tout le corps pratiquement vierge de poils, qu’ils considéraient comme la preuve indiscutable de mœurs dissolues. Dans la mesure où ils associaient les poils aux guhu’mi, les démons de la forêt, ils avaient d’abord pensé que cette particularité était susceptible d’accentuer son auréole surnaturelle, mais leur ligne de démarcation entre le sacré et le profane était plutôt incertaine. Déjà ils adoptaient un ton plus familier avec Kisu-Mu et le taquinaient, non seulement au sujet des poils de son pubis, mais encore de ses pieds tendres, de sa terrible maladresse à l’arc et aussi de sa répugnance à manger des poux. Dès le début, ils s’étaient montrés bien plus intrigués par le revolver, par son poids et son éclat, qu’ils ne l’avaient jamais été par l’avion ou le parachute, qui dépassaient totalement leur entendement.

Sortant par la porte latérale, il entraîna Pindi parmi les arbres, où il lui fit l’amour. Les enfants accoururent pour profiter du spectacle ; il les chassa, mais quelques-uns revinrent furtivement pour encourager le couple de leurs cris. À moins de les tuer, il n’y avait pas d’autre solution, Pindi refusant de coucher avec lui une fois la nuit tombée. Le jour, Kisu-Mu était inoffensif et pouvait être traité comme un homme, mais la nuit, lorsque rôdaient jaguars et fers-de-lance, chauves-souris vampires et guhu’mi, il était dangereux de dormir avec les esprits. Le crépuscule et la nuit étaient sacrés. Qui pouvait assurer Pindi que Kisu-Mu ne se transformerait pas en Homme-Anacouda, et qu’elle ne donnerait pas naissance à des serpents ?

Ils se séparèrent brusquement et restèrent étendus sur le dos, savourant le soleil sur leur peau nue et la langueur qui leur alourdissait les jambes. Puis Pindi l’accompagna à la rivière, qu’ils appelaient le Tuaremi, et délaissant la pirogue à laquelle ils travaillaient, les autres Niarunas les suivirent. Elle entra dans l’eau en même temps que lui, les enfants s’y précipitèrent à leur tour, et tous se mirent à s’éclabousser. »

Peter Mathiessen, En liberté dans les champs du Seigneur, trad. Maurice Rambaud

« Shamhat défait sa robe et s’en va s’allonger… »

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illustration de Ludmila Zeman

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Et si nous lisions ou relisions, jour après jour pour cet été, quelques scènes d’amour de la littérature du monde ? Commençons avec une pièce très très ancienne et très très sensuelle, ce passage de l’Épopée de Gilgamesh – l’un des plus anciens écrits du monde – où la prêtresse Shamhat va civiliser le sauvage Enkidu en lui apprenant l’amour.

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« Shamhat défait sa robe et s’en va s’allonger
Tout près, humide et nue, les jambes écartées.
Enkidu hume l’air, il observe son corps,
Approche peu à peu Shamhat qui se caresse,
Elle frôle sa cuisse – elle étreint son pénis,
Elle use de son art et lui coupe le souffle,
Déjà il ne voit plus que ses hanches offertes,
Son bassin qui ondule et sa bouche entr’ouverte –
Il lui donne son souffle, écorché de baisers,
Et Shamhat lui apprend ce que c’est qu’une femme.
Lui reste en érection pour six jours et sept nuits,
Et ils refont l’amour, sans répit. »

(traduit par Aurélien Clause depuis la traduction de Stephen Mitchell en anglais du texte sumérien)

Nâzim Hikmet, « Légende des légendes »

L’été, le temps, la vie… Je suis en ville, mais quand je m’étends sur mon lit je m’imagine au bord de l’eau, dans la nature…

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Nous sommes au bord de l’eau,

le platane et moi.

Notre image apparaît dans l’eau,

le platane et moi.

Le reflet de l’eau nous effleure,

le platane et moi.

 
Nous sommes au bord de l’eau,

le platane, moi et puis le chat.

Notre image apparaît dans l’eau :

le platane, moi et puis le chat.

Le reflet de l’eau nous effleure,

le platane, moi, et puis le chat.

 
Nous sommes au bord de l’eau,

le platane, moi, le chat et puis le soleil.

Notre image apparaît dans l’eau,

le platane, moi, le chat et puis le soleil.

Le reflet de l’eau nous effleure,

le platane, moi, le chat et puis le soleil.

 
Nous sommes au bord de l’eau,

le platane, moi, le chat, le soleil, et puis notre vie.

Notre image apparaît dans l’eau :

le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie.

Le reflet de l’eau nous effleure,

le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie.

 
Nous sommes au bord de l’eau,

Le chat s’en ira le premier,

dans l’eau se perdra son image.

Et puis je m’en irai, moi,

dans l’eau se perdra mon image.

Et puis s’en ira le platane ;

dans l’eau se perdra son image.

Et puis l’eau s’en ira,

le soleil restera,

puis à son tour il s’en ira.

 
Nous sommes au bord de l’eau

le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie.

L’eau est fraîche,

le platane est immense,

moi j’écris des vers,

le chat somnole,

nous vivons Dieu merci,

le reflet de l’eau nous effleure,

le platane, moi, le chat, le soleil et puis notre vie.

 
Nâzim Hikmet, Légende des légendes (traduit du turc par Munevver Andac et Guzine Dino)