« Douce dame jolie », virelai, puis un chant du « Jugement du roi de Navarre » de Guillaume de Machaut (1300-1377)
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« Mille Regretz », chanson de Josquin des Prés (1440-1521)
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« La Bataille » de Clément Janequin (1485-1558)
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« Belle qui tiens ma vie », pavane de Thoinot Arbeau (1519-1595)
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La Renaissance est en fait l’une des Renaissances du Moyen Âge, le Moyen Âge étant par essence temps de renaissance, contrairement à la mauvaise réputation qui lui est faite. On entend ici un bouquet de chansons sur deux siècles, pur délice trouvant sa source dans l’invention médiévale de la polyphonie.
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écouter aussi : Ronsard (dont les sonnets sont faits pour être chantés) mis en musique par Milhaud et Poulenc (paroles du XVIe siècle et musique du XXe, donc)
Mois : février 2016
Un nouveau Chat dans mon quartier
ce matin à Paris 13e, photos Alina Reyes
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Jean Renart, Le roman de la Rose (Guillaume de Dole), vers 138-215 (ma traduction)
image trouvée sur la notice wikipedia du livre
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C’est le début du roman, le jeune empereur Conrad, avant de devenir amoureux de la belle Liénor, organise des fêtes d’amour dont il prend soin d’exclure les vieux maris et autres jaloux. Plutôt que de traduire en prose comme on le fait habituellement, j’ai choisi le vers libre pour retranscrire un peu du charme fou de ce texte écrit en octosyllabes, et par ailleurs révolutionnaire – j’en reparlerai peut-être.
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Il fait plutôt dresser de grandes tentes,
Des tonnelles et des pavillons,
En été quand il est saison de prendre
Plaisir dans les prés et les bois.
Aussitôt on quitte les villes
Pour s’ébattre en ces forêts profondes.
À trois ou quatre journées de voyage
Il n’y avait comte ni comtesse
Ni châtelaine ni duchesse
Ni dame qu’il n’envoyât chercher,
Ni vavasseur de bon village,
Jusqu’à sept jours de chevauchée.
Pas plus qu’une guigne ne le souciait
La dépense, pourvu que tout fût à leur gré ;
Car il veut que cela soit raconté,
Quand il sera mort, après sa vie.
Ce sont beaux jeux sans vilenie
Qu’il joue avec ses compagnons.
Il étudie les occasions
Afin que chacun se fasse une amie.
Sachez donc qu’il ne manquera point
D’en avoir lui-même une, quoiqu’il fasse,
Le bon, franc, noble et débonnaire roi.
Il savait tous les tours d’amour.
Au matin quand paraît le jour,
Alors les archers venaient
De devant sa tente et criaient :
« Debout, seigneurs, il faut aller au bois ! »
Vous auriez entendu sonner ces cors
Pour éveiller ces chevaliers
Et ces vieux chenus paresseux !
Il faisait donner à chacun un arc :
Jamais on ne vit, depuis le temps du roi Marc,
Un empereur sachant si bien vider
Un pavillon de ses gêneurs.
Il était fort sage et habile :
Aux jaloux et aux envieux
Il faisait apporter cors et épieux
Puis montait avec eux jusqu’au bois,
Afin qu’ils ne rebroussent chemin.
Priant les uns d’aller buissonner
Sus au gibier avec les archers
Et les autres de suivre les premiers
Avec les limiers bons pour les cerfs,
Ils leur assigne tant de divertissements
Qu’ils en sont tout contents.
Une fois qu’il les a bien envoyés
Dans les profondeurs de la forêt,
Au plaisir qui mieux lui plaît
Lui s’en retourne droit arrière
Par une vieille piste forestière,
Avec deux chevaliers riant.
Cependant les bons chevaliers errants
Qui s’étaient fatigués aux armes
Dormaient dessous les charmes
Dans les pavillons en drap de soie.
Jamais, vraiment, et nulle part ailleurs
Je ne verrai de gens en tel bonheur
Ni de dames si étroitement lacées,
Leurs beaux corps en jupons plissés,
Leurs chevelures fauves ondoyantes
Couronnées d’or et de clair rubis.
Et ces comtesses en samit
Et en brocarts impériaux
Ont leur beau corps simple, sans manteau.
Et ces jeunes filles en soie galonnée
Avec leurs coiffures entrelacées
De beaux oiseaux et de fleurettes,
Leurs corps gracieux, leurs menus seins
Les font admirer de je ne sais combien.
Toutes fort bien parées
De gants blancs et de fines ceintures
Elles vont en chantant aux tentes jonchées de verdure
Vers les chevaliers qui attendent,
Qui les bras et les mains leur tendent ;
Et les entraînent sous les couvertures.
Qui livra jamais de tels combats
Sait bien quel bon temps ils eurent.
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Zola photographe
autoportrait
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Zola avec Jeanne Rozerot et leurs enfants, autoportrait
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sa fille Denise
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son fils Jacques
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« Château d’eau et palais de l’électricité » (tirage Jean Dieuzaide)
*Brasserie vue de la Tour Eiffel, 1900
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Zola disait à propos de son temps de préparation de ses romans : « Je fais le travail d’un commissaire de police, qui veut sur un léger indice découvrir un crime mystérieux ».
Écrire n’est-il pas traquer le crime pour en libérer le monde et le rendre à sa pureté ? À rapprocher de la phrase d’un autre écrivain, Michel Tournier, sur Zola photographe :
« Pour lui, la photographie répond à une fonction de célébration »(Le vol du vampire, notes de lecture, Idées Gallimard 1983)
On peut voir beaucoup d’autres photos faites par Zola (et protégées par copyright), ici sur le compte du Château d’eau, galerie de Toulouse qui l’exposa
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Quelques réflexions sur le travail
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Rappeler sans cesse, comme vient encore de le faire Arte avec sa série Trepalium (sic), que le mot travail vient du latin tripalium, désignant un instrument de torture, c’est aussi renforcer toujours le dolorisme chrétien du portage de croix, qui dans un double mouvement dont on comprend l’intérêt politique pour les classes dominantes, provoque le désir de s’en libérer et frappe de la nécessité de s’en accommoder. Double mouvement de désir et de frustration parfaitement semblable à celui qui régit la société de consommation, et en accord avec elle. N’est-ce pas lui, d’ailleurs, qui a créé cette société, qu’il entend faire perdurer, au bénéfice d’un nombre toujours plus réduit d’occupeurs de la place.
Selon la Bible, et selon les chrétiens, l’homme est condamné à souffrir (dans le travail de l’accouchement et dans celui de la terre) pour expier le péché originel. La doctrine du péché originel crée l’aliénation de l’homme et empêche sa libération. La fait désirer, et l’empêche en même temps. Il s’agit pour les classes dominantes de faire perdurer toujours cette double tension contradictoire, en laquelle se trouve la souffrance infligée à l’homme – non par Dieu en vérité, mais par l’homme, par les besoins des hommes qui vivent de l’exploitation des hommes et du pillage des produits de leur travail, libre ou non, et de ceux de la terre.
Ainsi la situation exposée dans la série d’Arte est-elle fausse. D’une part elle tend à dévaloriser et démoraliser les travailleurs, en les considérant comme des esclaves déshumanisés. D’autre part elle présente les pauvres comme des hommes et des femmes sans travail. Or, s’il est vrai que le partage du travail est une question qui se pose dans l’urgence, la question de fond est ailleurs. La pauvreté n’est pas synonyme de chômage. Beaucoup de pauvres travaillent, alors que beaucoup de riches vivent du travail des pauvres. Une aide-soignante en gériatrie, un ouvrier dans le bâtiment, des boulangers ou boulangères travaillant de nuit, accomplissent des travaux beaucoup plus durs que des chefs d’entreprise ou des responsables des médias. Ils sont aussi beaucoup moins payés, matériellement et symboliquement. Alors que nous ne pourrions pas nous passer de leur travail, leur noble travail. Ces personnes, pas plus que nous tous qui travaillons honnêtement, ne sont des esclaves mais des justes. Et ce sont ceux qui, confortablement installés, les dévalorisent et les démoralisent, qui sont en vérité aliénés et assujettis au faux, par amour d’eux-mêmes et vil et bas désir de se sentir en position dominante.
Guy Debord a dit « ne travaillez jamais ». Si on l’avait écouté, il serait mort de faim – une autre forme de suicide. Debord était suicidaire, Debord a fini par se donner la mort. Il n’était pas un « suicidé de la société », pour reprendre l’expression d’Artaud sur Van Gogh, il s’est tué à cause d’une contradiction fondamentale en lui, celle qui consiste à ne pouvoir vivre en accord avec son discours (car si lui pouvait se permettre de ne pas être salarié, il ne pouvait vivre sans le travail des salariés qui œuvrent pour la communauté). Debord contrairement à beaucoup de ses suiveurs n’était pas malhonnête, il était au contraire assez honnête pour ne pas laisser perdurer ce compromis et préférer y perdre la vie, comme pour la même raison Nietzsche préféra y perdre la raison. Ne répétons jamais la parole des penseurs sans l’avoir remise en question.
L’aliénation de l’homme en notre temps est moins celle des travailleurs que celle des faux travailleurs de l’esprit, qui pullulent dans les médias. Ceux-là ne font pas leur travail, ils ne connaissent pas leur métier, ce sont des fainéants de la pensée. Là est la défaite, mais ce n’est pas la nôtre.
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