Apollon et Daphné

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feutre et stylo sur une petite reproduction d’Apollon et Daphné par Véronèse

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en me transformant, détruis la beauté qui m’a faite trop séduisante. »

La prière à peine finie, une lourde torpeur saisit ses membres,

sa poitrine délicate s’entoure d’une écorce ténue,

ses cheveux poussent en feuillage, ses bras en branches,

des racines immobiles collent au sol son pied, naguère si agile,

une cime d’arbre lui sert de tête ; ne subsiste que son seul éclat.

Ovide, Métamorphoses

(le passage entier ici, traduit par A.-M. Boxus et J. Poucet)

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Daphné métamorphosée en laurier-rose quand Apollon tente de s’en saisir : ce mythe ne signifie-t-il pas que les véritables lauriers de l’artiste sont dans la nature ? que l’art et la nature sont des formes l’un-e de l’autre, des méta-morphes ? que les véritables lauriers de l’artiste appartiennent à la vie, sont toujours verts, impossibles à s’approprier, à jamais vivants ?

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Le courageux discours d’Andreï Makine à l’Académie française

L'écrivain d'origine russe Andreï Makine lors de son introduction à l'Académie Française, le 15 décembre 2016. © Patrick Kovarik / AFP

L’écrivain d’origine russe Andreï Makine lors de son introduction à l’Académie Française, le 15 décembre 2016. © Patrick Kovarik / AFP

 

M. Andreï Makine, ayant été élu à l’Académie française à la place laissée vacante par la mort de Mme Assia Djebar, y est venu prendre séance le jeudi 15 décembre 2016, et a prononcé le discours suivant : à lire sur le site de l’Académie

Il vaut d’être lu en entier, en voici quelques passages, évoquant au regard de l’histoire, avec panache et courage,  les grands enjeux français et mondiaux de notre époque, dans une autre vision que celle, éhontément et exclusivement atlantiste, de la plupart des médias et de nos politiques :

Évoquant la visite de Pierre le Grand au printemps 1717 à l’Académie française puis à la Sorbonne :

« les deux académiciens eurent l’élégance d’initier Pierre aux secrets de leurs multiples activités. L’un d’eux cita, bien à propos, Cicéron, son dialogue De finibus bonorum et malorum. Les langues anciennes n’étaient pas encore considérées en France comme un archaïsme élitiste et la citation latine sur les fins des biens et des maux, traduite en russe par un interprète, enchanta le tsar : « Un jour, Brutus, où j’avais écouté Antiochus comme j’en avais l’habitude avec Marcus Pison dans le gymnase dit de Ptolémée […], nous décidâmes de nous promener l’après-midi à l’Académie, surtout parce que l’endroit est alors déserté par la foule. Est-ce la nature, dit Pison, ou une sorte d’illusion, […] mais quand nous voyons des lieux où nous savons […] que demeurèrent des hommes glorieux, nous sommes plus émus qu’en entendant le récit de leurs actions ou en lisant leurs ouvrages… »

L’enthousiasme de Pierre le Grand fut si ardent que, visitant la Sorbonne, il s’inclina devant la statue de Richelieu, l’embrassa et prononça ces paroles mémorables que certains esprits sceptiques prétendent apocryphes : « Grand homme, je te donnerais la moitié de mon empire pour apprendre de toi à gouverner l’autre. » »

Au détour de son hommage à Assia Djebar, comme lui native d’une autre langue :

« Bien sûr le dilemme que nous avons vu surgir si puissamment dans l’œuvre d’Assia Djebar – une langue d’origine, perdue, une langue étrangère, conquise – tourmentait aussi ces francophones russes qui, victimes d’une mauvaise conscience linguistique, se mettaient parfois à dénoncer les méfaits de la gallomanie et l’emprise du cogito français sur l’intellection russe. Le dramaturge Fonvizine consacra une comédie à cette influence française corruptrice des âmes candides. Son héros, un peu simplet, clame sans cesse : « Mon corps est né en Russie mais mon âme appartient à Paris ! » Fonvizine compléta cette satire en écrivant ses fameuses Lettres de France où, au lieu de moquer les Russes, lui qui a rencontré Voltaire trois fois, il s’en prend à certaines incohérences de la pensée française : « Que de fois, écrit-il, discutant avec des gens tout à fait remarquables, par exemple, de la liberté, je disais qu’à mon avis, ce droit fondamental de l’homme était en France un droit sacré. Ils me répondaient avec enthousiasme que “le Français est né libre”, que le respect de ce droit fait tout leur bonheur, qu’ils mourraient plutôt que d’en supporter la moindre atteinte. Je les écoutais, puis orientais la discussion sur toutes les entorses que j’avais constatées dans ce domaine et, peu à peu, je leur découvrais le fond de ma pensée – à savoir qu’il serait souhaitable que cette liberté ne fût pas chez eux un vain mot. Croyez-le ou non, mais les mêmes personnes qui s’étaient flattées d’être libres me répondaient aussitôt : “Oh, Monsieur, mais vous avez raison, le Français est écrasé, le Français est esclave !” Ils s’étouffaient d’indignation, et pour peu que l’on ne se tût pas, ils auraient continué des jours entiers à vitupérer le pouvoir et à dire pis que pendre de leur état. » »

et citant de nouveau, un peu après, Fonvizine :

« « Il faut rendre justice à ce pays : il est passé maître dans l’art du beau discours. Ici, on réfléchit peu, d’ailleurs on n’en a pas le temps, parce qu’on parle beaucoup et trop vite. Et comme ouvrir la bouche sans rien dire serait ridicule, les Français disent machinalement des mots, se souciant peu de savoir s’ils veulent dire quelque chose. De plus, chacun tient en réserve toute une série de phrases apprises par cœur – à vrai dire très générales et très creuses – et qui lui permettent de faire bonne figure en toute circonstance. » Reconnaissons-le, ce jugement reste actuel si l’on pense au langage politique et médiatique d’aujourd’hui. »

Retournant à Assia Djebar et toujours mettant en perspective le passé, l’histoire, et le présent :

« Soixante-quinze mille morts en une seule journée dans la bataille de la Moskova, en 1812, un carnage pas si éloigné, dans le temps, de la conquête algérienne. Oui, quarante-cinq mille morts russes, trente mille morts du côté français. Mais aussi la guerre de Crimée, dévastatrice et promotrice de nouvelles armes, et jadis comme naguère, l’Europe prête à s’allier avec un sultan ou – c’est un secret de Polichinelle – à armer un khalifat, au lieu de s’entendre avec la Russie. Et le débarquement d’un corps expéditionnaire français en 1918 au pire moment du désastre révolutionnaire russe. Et la Guerre froide où nos arsenaux nucléaires respectifs visaient Paris et Moscou. Et l’horrible tragédie ukrainienne aujourd’hui. Combien de cimetières, pour reprendre l’expression d’Assia Djebar, les Russes auraient pu associer à la langue française ! Or, il n’en est rien ! En parlant cette langue nous pensons à l’amitié de Flaubert et de Tourgueniev et non pas à Malakoff et Alma, à la visite de Balzac à Kiev et non pas à la guerre fratricide orchestrée, dans cette ville, par les stratèges criminels de l’OTAN et leurs inconscients supplétifs européens. Les quelques rares Russes présents à la réception de Marc Lambron lui ont été infiniment reconnaissants d’avoir évoqué un fait d’armes de plus ou plus ignoré dans cette nouvelle Europe amnésique. Marc Lambron a parlé de l’escadrille Normandie-Niémen, de ses magnifiques héros français tombés sous le ciel russe en se battant contre les nazis. Oui, ce sont ces cimetières-là, cette terre où dorment les pilotes légendaires, oui, cette mémoire-là que les Russes préfèrent associer à la francité.

Comme tous les livres engagés, les romans d’Assia Djebar éveillent une large gamme d’échos dans notre époque. Ces livres parlent des massacres des années cinquante et soixante, mais le lecteur ne peut s’empêcher de penser au drame qui s’est joué en Algérie, tout au long des années quatre-vingt-dix. Nous partageons la peine des Algériens d’il y a soixante ans mais notre mémoire refuse d’ignorer le destin cruel des harkis et le bannissement des pieds-noirs. Et même les mots les plus courants de la langue arabe, les mots innocents (le dictionnaire n’est jamais coupable, seul l’usage peut le devenir), oui, l’exclamation qu’on entend dans la bouche des personnages romanesques d’Assia Djebar, ce presque machinal Allahou akbar, prononcé par les fidèles avec espoir et ferveur, se trouve détourné, à présent, par une minorité agressive – j’insiste, une minorité ! – et sonne à nos oreilles avec un retentissement désormais profondément douloureux, évoquant des villes frappées par la terreur qui n’a épargné ni les petits écoliers toulousains ni le vieux prêtre de Saint-Étienne-du-Rouvray.

Il serait injuste de priver du droit de réponse celle qui ne peut plus nous rejoindre et nous parler. À la longue liste des villes et des victimes, la romancière algérienne aurait sans doute eu le courage d’opposer sa liste à elle en évoquant le demi-million d’enfants irakiens massacrés, la monstrueuse destruction de la Libye, la catastrophe syrienne, le pilonnage barbare du Yémen. Qui aurait, aujourd’hui, l’impudence de contester le martyre de tant de peuples, musulmans ou non, sacrifiés sur l’autel du nouvel ordre mondial globalitaire ?

Assia Djebar ne pouvait ne pas noter cette résonance soudaine que suscitaient ses œuvres. Ainsi, dans son discours de réception à l’Académie, se référait-elle à… Tertullien qui, d’après elle, n’avait rien à envier, en matière de misogynie, aux fanatiques d’aujourd’hui. Que peut-on répondre à cet argument ? Juste rappeler peut-être que nous vivons au vingt et unième siècle, dans un pays laïc, et que presque deux millénaires nous séparent de Tertullien et de sa bigote misogynie. Est-ce suffisant pour que certains pays réexaminent la place de la femme dans la cité et dans nos cités ? Et que les grandes puissances cessent de jouer avec le feu, en livrant des armes aux intégristes, en les poussant dans la stratégie du chaos, au Moyen-Orient ? »

(…)

Si l’on me demandait maintenant de définir la vision que les Russes ont de la francité et de la langue française, je ne pourrais que répéter cela : dans la littérature de ce pays, ils ont toujours admiré la fidélité des meilleurs écrivains français à ce but prométhéen. Ils vénéraient ces écrivains et ces penseurs qui, pour défendre leur vérité, affrontaient l’exil, le tribunal, l’ostracisme exercé par les bien-pensants, la censure officielle ou celle, plus sournoise, qui ne dit pas son nom et qui étouffe votre voix en silence.

Cette haute conception de la parole littéraire est toujours vivante sur la terre de France. Malgré l’abrutissement programmé des populations, malgré la pléthore des divertissements virtuels, malgré l’arrivée des gouvernants qui revendiquent, avec une arrogance éhontée, leur inculture. « Je ne lis pas de romans », se félicitait l’un d’eux, en oubliant que le bibliothécaire de Napoléon déposait chaque jour sur le bureau de l’Empereur une demi-douzaine de nouveautés littéraires que celui-ci trouvait le loisir de parcourir. Entre Trafalgar et Austerlitz, pour ainsi dire. Ces arrogants incultes oublient la force de la plume du général de Gaulle, son art qui aurait mérité un Nobel de littérature à la suite de Winston Churchill. Ils oublient, ces ignorants au pouvoir, qu’autrefois les présidents français non seulement lisaient les romans mais savaient en écrire. Ils oublient que l’un de ces présidents fut l’auteur d’une excellente Anthologie de la poésie française. Ils ne savent pas, car Edmonde Charles-Roux n’a pas eu l’occasion de leur raconter l’épisode, qu’en novembre 1995 le président François Mitterrand appelait la présidente du jury Goncourt et d’une voix affaiblie par la maladie lui confiait : « Edmonde, cette année, vous avez fait un très bon choix… » Par le pur hasard de publication, cette année-là le Goncourt couronnait un écrivain d’origine russe, mais ça aurait pu être un autre jeune romancier que le Président aurait lu et commenté en parlant avec son amie et la grande femme de lettres qu’était Edmonde Charles-Roux. »

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J’ai eu la chance de me trouver un jour devant les chutes du Niagara avec Assia Djebar -je me souviens qu’elle espérait le Nobel pour Adonis – et une autre fois de me trouver quelques jours à Prague invitée en même temps qu’Andreï Makine – et il m’avait raconté le temps où, jeune immigré en France, il s’était construit, pour y vivre, une cabane dans la forêt landaise : une force d’âme.

Andreï Makine a été accueilli sous la coupole par « un plaidoyer pro-russe inattendu » de Dominique Fernandez.

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Le manuscrit de Voynich

Dans ma série peintures et dessins d’écrivains, quelques pages caractéristiques de cet énigmatique manuscrit du XVe siècle, toujours pas déchiffré : dessins de plantes étranges, de formes géométriques semblant renvoyer à des cartes célestes, écriture inconnue,  catalogue de plantes, et dessins de femmes nues au bain dans des dispositifs singuliers. Suit un entretien avec deux spécialistes de ce manuscrit conservé à l’université de Yale et qui sera d’ici un an imprimé à l’identique par l’éditeur espagnol Siloe, à 898 exemplaires  qui coûteront sept à huit mille euros pièce, et donc devraient être acquis notamment plutôt par des bibliothèques.

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Le manuscrit peut être vu en entier, avec possibilité de zoomer les pages pour ceux qui voudraient s’essayer au déchiffrage, ici. Et , des textes autour du manuscrit, y compris une hypothèse d’une origine extra-terrestre !

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Littérature pour bonnes dents

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Imaginons Gérard de Nerval pour Aurélia, André Breton pour Nadja, Julio Cortazar pour Marelle, recevant des éditeurs des lettres leur expliquant qu’ils ne peuvent publier leur livre car il ne correspond pas au « marché ». Pour prendre un exemple plus humble et de cette semaine, c’est ce qui m’est arrivé pour mon dernier roman, disons pas ordinaire, comme tous mes précédents livres. S’ils n’ont pas tous la franchise de le dire, c’est bien ça : les éditeurs ne veulent plus que ce que veut le marché, goule édentée : des hamburgers de fast-food trafiqués et recuits, ou bien de bons vieux pot-au-feu bien bouillis. Moi je sers des entrecôtes à point, saignantes, goûteuses et odorantes, passées au feu autour duquel se tiennent paisibles des affamés auxquels, en pleine nature, j’en fais voir de toutes les couleurs sous le ciel étoilé.

Hier fin de soirée « fortune cookies » achetés l’après-midi au supermarché chinois, avec des messages tombant étonnamment pour chaque personne présente. Cette nuit, nuit blanche, nuit d’écriture. À l’aube j’ai regardé l’étoile du matin se déplacer vers l’est.

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