Île Saint-Louis et fils de la Vierge

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« Pour perdre du temps je dérivai jusqu’à l’île Saint-Louis (…) Une façon, entre mille, de combattre le néant, c’est de prendre des photos. C’est une activité à laquelle on devrait habituer les enfants de bonne heure, car elle exige de la discipline, une éducation esthétique, la main ferme, le coup d’œil rapide (…)

En ce moment même (quel mot : en ce moment, quel stupide mensonge) par exemple, je pouvais rester assis sur le parapet, au-dessus du fleuve, à regarder passer les péniches noires et rouges sans avoir envie de les penser photographiquement ; je me laissais aller dans le laisser-aller des choses, je courais immobile avec le temps. Le vent était tombé.

Puis je suivis le quai Bourbon jusqu’à la pointe de l’île où il y a une petite place intime (intime parce que petite et non parce que secrète, elle est grande ouverte sur le fleuve et sur le ciel) qui me plaît sacrément. »

Julio Cortazar, Les fils de la Vierge, in Les armes secrètes, trad. Laure Guille-Bataillon

 

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dessinateur ile saint louisaujourd’hui au bout de l’île Saint-Louis, photos Alina Reyes

(il devait s’agir d’un dessinateur de mangas connu, car il était photographié par une équipe japonaise)

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Une manif et des tags

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Aller chercher des personnes à l’aéroport, ne pas pouvoir approcher de chez soi parce que toutes les rues sont bloquées sur le trajet de la manif, se faire finalement déposer loin, remonter la manif pendant 30 minutes sous 30 degrés dans l’air piquant de quelques fumigènes et résidus de lacrymogènes, avec une poussette, un petit, des valises, faire quelques photos au passage. Dans la bonne humeur. Bienvenue à Paris !

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tag 5aujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes

… après, on est quand même allés au jardin, où les crapauds s’accouplaient bruyamment et où les bassins étaient pleins de chapelets de leurs œufs

celui-ci prenait le soleil tranquille accroché à sa branche

crapaud

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Des tags et des contestataires

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Ce matin, alors que je travaillais très agréablement à la bibliothèque universitaire de la Sorbonne Nouvelle, alias Censier, fac plus ou moins « occupée », une AG a commencé dans la cour. Au micro, une étudiante menait rondement l’affaire, comme si elle avait fait cela depuis des décennies. Et les autres étudiant.e.s qui prirent aussi la parole me ramenèrent en effet des décennies en arrière : en ce jour où, adolescente, j’allai à une réunion du Parti (communiste) local pour écouter les militants puis essayer de les convaincre que l’anarchie, dans le sens où je la concevais, une façon d’autogestion, était une bien meilleure idée à cultiver que leur communisme. Tout en m’occupant de commencer à mettre en ordre les annexes de ma thèse, j’ai entendu, assez amusée, les mêmes discours que ceux des camarades de mon père en ce lointain temps. Il y a des roues qui tournent dans des ornières, mais après tout c’est sans doute aussi une façon pour ces étudiants d’apprendre à faire de la politique, avec tout ce que cela peut comporter de positif mais aussi avec tout le rassis que cela draine.

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Deux heures après le début de leur AG, quand je suis partie, ils étaient toujours une cinquantaine en train de voter à main levée dans la cour, avec ma harangueuse au-dessus d’eux dans l’escalier – cela devait faire au moins une heure qu’ils votaient, pour ceci et pour cela, pour un tas de trucs, et j’ignore combien de temps encore ils y ont passé, je suis partie joyeusement par ce beau soleil d’été, poursuivre mon chemin.

tag,,tags pris en photo hier en allant travailler dans une autre bibliothèque, la bibliothèque Mohammed Arkoun

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Thèse, synthèse. Cerisier rose, cerisier blanc

cerisier du japon*

Hier en fin d’après-midi, juste avant la fermeture de l’élégante bibliothèque des chercheurs du Museum National d’Histoire Naturelle, où je travaillais encore depuis des heures, j’ai fini de rédiger ma thèse. J’avais présenté mon projet ici le 28 septembre 2015. Bien sûr entretemps il a évolué, étant un sujet vivant, mais tout en restant fidèle à son esprit. Ma recherche emprunte à beaucoup de disciplines : la littérature mais aussi l’anthropologie, la paléontologie, l’histoire, et d’autres.

Le résultat ne ressemble à rien de connu et c’est tout à fait normal : la recherche trouve de l’inconnu, ouvre des voies. Mon travail a randonné dans les voies et les sentiers ouverts par beaucoup d’autres chercheurs et auteurs, et il servira à son tour à d’autres aventuriers. Ce qui le rend splendide c’est justement ce cortège somptueux dans lequel il s’inscrit.

J’ai aussi présenté ici, au fur et à mesure, mes actions poélitiques « ma thèse en couleurs »  et « Madame Terre » , travaux d’accompagnement de ma recherche. Il me reste encore à finir d’établir les notes, la bibliographie, les annexes, un index. Cela prendra pas mal de temps, mais l’essentiel est que le texte en lui-même soit écrit, la pensée accomplie.

 

cerisier en fleur*

J’ai travaillé dans plusieurs bibliothèques différentes depuis deux ans et demi. Je rends grâce au réseau de bibliothèques. Celles où l’on peut emprunter des livres, ou bien en consulter, et celles où l’on peut aussi s’asseoir au calme pour lire et écrire, des heures ou des journées durant. Toutes ne sont malheureusement pas suffisamment équipées en prises pour les ordinateurs – je pense par exemple à l’importante bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris.

Ce sont les vacances, je vais m’occuper avec joie de recevoir mes plus jeunes descendants, prendre avec eux un grand bol de printemps. Puis je retrouverai avec autant de joie mon travail, dont le grand roman auquel j’ai commencé à penser à Édimbourg cet hiver.

cerisier rose, cerisier blancle 16 avril 2018 au Jardin des Plantes à Paris, photos Alina Reyes

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Souverains artistes

à Paris 5e, dans l'école où je danse, photo Alina Reyes

à Paris 5e, dans l’école où je danse, photo Alina Reyes

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À la maison, il y a un jeune comédien et un jeune musicien. Le musicien ces derniers jours joue peu, s’étant foulé le poignet ; quand sa musique n’habite pas la maison, je chante ce qu’il joue. Le comédien a joué ce week-end, des spectateurs après la pièce lui ont dit qu’il les avait fait pleurer. Les artistes nous font un royaume où vivre tous les jours la joie, où nous libérer toujours de nouveau.

Notre société consomme l’art comme le reste. L’art n’est pas à consommer, il est à vivre. Au Musée de l’Homme, on présente de l’art, mais on appelle le musée « de l’Homme », parce que l’art qui y est présenté n’est pas comme dans notre société un objet de consommation, mais un phénomène humain indissolublement lié à la vie des femmes et des hommes. Le principe de notre monde, où l’art va se voir dans les musées, où la musique s’écoute presque uniquement sous forme enregistrée, où la lecture obéit aux diktats du marché, est un principe déshumanisant.

Je décide une nouvelle Constitution, dans laquelle le droit à l’art vivant est l’un des tout premiers droits de l’Humain. Prenons-le ! Nul besoin de barricades pour changer la vie, il est à portée de mains et fait de chacun de nous une reine, un roi, entouré de foules de rois et de reines depuis le fond des âges jusqu’à leur accomplissement.

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j’ai photographié le tableau mis en vignette sur un mur dans une rue à Paris 5e

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Planteurs de signes dans les bois

L’un s’appelle Joachim Martin, l’autre Liam Emmery.

Le premier, menuisier, a écrit sous forme condensée, en 72 phrases, tout un roman vrai, à la fin du XIXe siècle, sous les lattes des planchers qu’il posait, sachant qu’ils resteraient en place environ un siècle, et que son témoignage ne serait donc lu que cent ans plus tard, au moins. C’est ce qui s’est passé, ainsi que le raconte l’historien qui a découvert cette archive pour le moins singulière, Jacques-Olivier Boudon, professeur à Sorbonne Université, dans cette conférence passionnante donnée à l’École des chartes.

Le second est un garde-forestier irlandais, qui a réalisé dans la forêt de Donegal « un exploit d’ingénieur horticole » en plantant des essences d’arbres qui, en poussant, allaient dessiner une croix celtique au milieu des bois, visible seulement en automne et du ciel. Il est mort avant que son œuvre ne soit visible et découverte par hasard en survolant la zone.

Deux immenses poètes.

 


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Through the looking-glass (dix-huit autoportraits)

 

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J’ai fait ces dix-huit autoportraits au cours des dix dernières années. Plusieurs quand j’étais ermite à la montagne, ou dans des hôtels. Avec des miroirs, des vitres, des ombres, une affiche ancienne donnée par une libraire. Ils ne sont pas donnés dans l’ordre chronologique, mais au hasard de l’ordre dans lequel ils se sont présentés.

© Alina Reyes

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Je suis un arbre tout en bourgeons qui avance à longs pas dans le temps, les étoiles. Après ma thèse, le grand roman qui germe en moi s’écrira, se déploiera. Je touche tout l’univers avec mes branches, mes doigts, mes racines ; ma sève crie de joie avec les pierres.

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