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Heureusement, sans l’avoir voulu, j’ai eu accès à cette exposition sans en payer l’entrée. Ces petits dinos rigolos sont ce qu’il y avait de meilleur, avec quelques extraits de vieux films (The Lost World, 1925) et une image de Wim Wenders, pour leur humour et leur poésie. Mais l’exposition en elle-même est un naufrage. Une juxtaposition d’œuvres préhistoriques et d’œuvres modernes copiant le style « préhistorique ». Tous les artistes y perdent. D’abord ceux de la Préhistoire, exposés dans l’ombre, isolés, hors contexte, rabaissés au statut d’objets morts, ne donnant aucune émotion, voire repoussant qui a pu les voir dans les musées archéologiques qui les ont prêtés, là où ils pouvaient se contempler en pleine lumière, en pleine immersion aussi dans leur temps et le nôtre, repoussant qui les connaissait avant comme s’ils avaient honte de se retrouver là et priaient qu’on ne les regarde pas dans cette situation de vulgarisation nihiliste où des commissaires d’exposition les ont placés. Puis les artistes de la modernité, dont les œuvres montrées sont souvent mineures par rapport à leur œuvre, et souvent apparaissent comme de pâles plagiats de l’art du Paléolithique ou du Néolithique.
L’exposition souffre d’un défaut de recherche profonde sur les conséquences de l’invention de la Préhistoire sur l’art moderne, son sujet. Elle n’en voit et n’en montre que l’immédiatement visible, ce qui s’ingénie à s’inspirer directement des formes de l’art préhistorique ou ce qui déclare s’en inspirer. Or la véritable influence opérée par la découverte de la Préhistoire est bien plus profonde. Le sujet est immense, l’exposition ne le voit que par le petit bout de la lorgnette et le rapetisse éhontément, à l’image de cette « caverne », un cube creux dont les parois sont pleines de mains positives blanches toutes pareilles : toute l’affaire ressemble à un attentat sournois (et involontaire, fait de la bêtise) contre la Joconde – qui, elle, avait bel et bien été inspirée à Léonard de Vinci par la caverne, comme je l’ai cité dans ma thèse :
Tiré par mon ardent désir, impatient de voir des formes variées et singulières qu’élabore l’artificieuse nature, je m’enfonce parfois parmi les sombres rochers ; je parviens au seuil d’une grande caverne devant laquelle je reste un moment – sans savoir pourquoi – frappé de stupeur : je plie mes reins en arc, appuie ma main sur le genou et, de la droite, j’abrite mes yeux, en baissant et en serrant les paupières et je me penche d’un côté et d’autre pour voir si je peux discerner quelque chose, mais la grande obscurité qui y règne m’en empêche. Au bout d’un moment, deux sentiments m’envahissent : peur et désir, peur de la grotte obscure et menaçante, désir de voir si elle n’enferme pas quelques merveilles extraordinaires.
Pourquoi les œuvres préhistoriques y sont-elles si peu nombreuses et exposées dans l’ombre, de façon très dévalorisante, comme si elles n’étaient que de vulgaires objets juste utiles à inspirer des artistes occidentaux ? Pourquoi les artistes préhistoriques y sont-ils aussi ignorés que les artistes des arts qu’on disait primitifs, qui furent eux aussi chosifiés en faire-valoir de l’art occidental moderne ou contemporain ? Pourquoi cette exposition ne sait-elle si visiblement pas de quoi elle parle ? Pourquoi n’a-t-elle pas eu au moins un commissaire connaisseur de l’art du Paléolithique ? Pourquoi cet énorme gâchis ?
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