« Ce sont des villes ! C’est un peuple »

Work in progress, détail de ma peinture en cours (sur bois)

Work in progress, détail de ma peinture en cours (sur bois)


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Screenshot_2020-05-08 gaccio bruno ( GaccioB) TwitterMacron a dit hier aux gens de la culture qu’il fallait « chevaucher le tigre ». Expression signifiant en anglais « s’injecter de l’héroïne » – ce qui fait étrangement écho à l’état halluciné dans lequel il parlait. Chevaucher le tigre est aussi le titre d’un livre du fasciste Julius Evola, qui a employé pour les besoins de son idéologie cette expression chinoise signifiant combattre l’autre avec les armes de l’autre. Macron employant une telle expression me rappelle Yannick Haenel titrant l’un de ses livres Évoluer parmi les avalanches, d’après une formule de Rimbaud. Imaginer Macron chevauchant un tigre ou Haenel évoluant parmi les avalanches… Des petits garçons qui se rêvent grands, c’est charmant quand ils ont cinq ans. À quarante ans passés, se fantasmer encore en héros, serait-ce en s’injectant de l’héroïne, alors que la réalité prouve à chaque instant qu’on n’est même pas un anti-héros, tout au plus un « homme sans qualités », un onaniste incapable d’invention ni d’action réelles (mais capable de se vendre), c’est seulement très triste.

Pour ne pas rester sur cette tristesse, donnons la parole à Rimbaud : « Villes », dit par un homme.

Ce sont des villes ! C’est un peuple pour qui se sont montés ces Alleghanys et ces Libans de rêve ! Des chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles. Les vieux cratères ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent mélodieusement dans les feux. Des fêtes amoureuses sonnent sur les canaux pendus derrière les chalets. La chasse des carillons crie dans les gorges. Des corporations de chanteurs géants accourent dans des vêtements et des oriflammes éclatants comme la lumière des cimes. Sur les plates-formes au milieu des gouffres les Rolands sonnent leur bravoure. Sur les passerelles de l’abîme et les toits des auberges l’ardeur du ciel pavoise les mâts. L’écroulement des apothéoses rejoint les champs des hauteurs où les centauresses séraphiques évoluent parmi les avalanches. Au-dessus du niveau des plus hautes crêtes une mer troublée par la naissance éternelle de Vénus, chargée de flottes orphéoniques et de la rumeur des perles et des conques précieuses, — la mer s’assombrit parfois avec des éclats mortels. Sur les versants des moissons de fleurs grandes comme nos armes et nos coupes, mugissent. Des cortèges de Mabs en robes rousses, opalines, montent des ravines. Là-haut, les pieds dans la cascade et les ronces, les cerfs tètent Diane. Les Bacchantes des banlieues sanglotent et la lune brûle et hurle. Vénus entre dans les cavernes des forgerons et des ermites. Des groupes de beffrois chantent les idées des peuples. Des châteaux bâtis en os sort la musique inconnue. Toutes les légendes évoluent et les élans se ruent dans les bourgs. Le paradis des orages s’effondre. Les sauvages dansent sans cesse la fête de la nuit. Et une heure je suis descendu dans le mouvement d’un boulevard de Bagdad où des compagnies ont chanté la joie du travail nouveau, sous une brise épaisse, circulant sans pouvoir éluder les fabuleux fantômes des monts où l’on a dû se retrouver.
   Quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette région d’où viennent mes sommeils et mes moindres mouvements ?

Arthur Rimbaud, « Villes »

Mauvaises et bonnes comédies du jour

Work in progress, détail de ma nouvelle repeinture en cours

Work in progress, détail de ma nouvelle repeinture en cours

Les théâtres sont fermés, allons au spectacle quand même.

Des stars lancent un appel pour la bonne cause. Leur mode de vie des plus pollueurs ne les empêche pas d’avoir l’impudeur de réclamer des actions pour la planète. Il y a quand même quelque chose d’indigent chez ces riches, c’est leur texte. Huées !

Macron histrionne en ligne devant les gens de la culture, le bras de chemise en goguette et le cerveau avec, autre chose que le coronavirus lui étant probablement passé par le nez. Doubles huées !

Le traducteur et auteur Claro fait savoir qu’il refuse d’être sélectionné pour le prix Renaudot. Bravo ! Si tous les auteurs en faisaient autant, et pour tous les prix dits littéraires, ils feraient plus pour la littérature qu’ils n’ont probablement jamais fait jusqu’ici.

Vincent Lindon a eu envie de faire un acte citoyen, le voilà : un beau texte qui peut se résumer à ce constat sur le pouvoir en place : « Une seule stratégie : mentir », et à une réclamation : la taxe Jean Valjean. Double bravo !

Le jeûne facilité

J'ai fini aujourd'hui cette peinture, intitulée "Oreille de lièvre" (acrylique sur toile 40x50 cm)

J’ai fini aujourd’hui cette peinture, intitulée « Oreille de lièvre » (acrylique sur toile 40×50 cm)


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Je ne ferai pas ici une note sur les vertus du jeûne, de plus en plus étudiées et reconnues – on trouve maints articles sur le sujet en ligne. Je veux juste témoigner de la façon dont on peut le rendre très accessible.

Je jeûne quotidiennement entre douze et quinze heures, parfois seize. Le plus facilement du monde, puisque sept à huit de ces heures sont occupées à dormir. J’ai jeûné une fois pendant tout un Ramadan, en été donc par des journées longues et chaudes. Je n’en ai pas souffert parce que je n’avais alors rien d’autre à faire que me promener et travailler à mon rythme la maison. Mais c’était fatigant. Et Ramadan est une célébration spéciale, qui ne dure qu’un mois.

Mon compagnon jeûne souvent plusieurs fois par semaine au travail. Bien que son travail soit très fatigant, commence très tôt le matin, finisse tard le soir et comprenne une part assez conséquente d’exercice physique, ne rien manger de la journée ne le fatigue pas, c’est au contraire une façon de se détoxifier qu’il recherche naturellement. Chaque personne étant différente, pour ma part je ressens de la fatigue quand je jeûne dans la journée. J’ai donc choisi de jeûner la nuit.

Il suffit de dîner tôt le soir et de prendre son petit déjeuner au minimum douze heures après, sans rien prendre entre-temps (seules l’eau ou les boissons à l’eau, thé, tisane, café… sans sucre ni calories, n’entament pas l’efficacité du jeûne). On peut aussi sauter son petit déjeuner. Les effets bénéfiques de ce jeûne sont les mêmes que ceux d’un jeûne effectué en journée mais il est beaucoup plus facile à suivre. Pour ma part, comme je suis à la maison, je le fais durer le plus souvent au moins quatorze heures : je me couche plusieurs heures après le dîner, puis une fois réveillée je prends un peu mon temps, puis je fais ma séance de yoga quotidienne (en moyenne 45 à 50 minutes), avant de prendre mon petit déjeuner. Faire de l’exercice pendant la fin du jeûne est particulièrement bénéfique pour le renouvellement de l’organisme. Mieux vaut ensuite limiter la journée à trois repas (petit déjeuner, déjeuner, dîner), voire deux, et, sans se gaver de n’importe quoi bien sûr, manger selon ses goûts et ses choix.

Depuis que je suis ce rythme de vie, je me sens bien plus légère et tonique. Il n’est pas indispensable de pratiquer ce jeûne tous les jours, on peut commencer en le faisant deux fois par semaine par exemple, c’est bénéfique aussi. Mais quand on a goûté à cette pratique, on a juste envie de la garder, tant elle fait de bien.

Notre capacité à garder le cap

Work in progress, détail de ma nouvelle peinture en cours

Work in progress, détail de ma nouvelle peinture en cours


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Aujourd’hui les martinets sont revenus dans le ciel de Paris. De ma fenêtre, j’ai vu des palombes transporter de longues brindilles dans leur bec. Saison des nids. La nature suit son cours. La culture aussi, puisqu’elle en fait partie. Comme j’écoute de la musique douce (de méditation) tout en en peignant, fenêtre ouverte, un merle se pose en face sur une antenne et chante de concert, en virtuose.

Mes bibliothèques me manquent, celles où j’allais travailler. Je ne travaille pas bien à la maison. J’ai besoin de me dépayser pour écrire, il en a toujours été ainsi.
De temps en temps je passe la tête par la fenêtre, pour prendre l’air et un peu de vitamine D. Je n’ai pas envie de me promener dans une ville où presque tout est fermé et où il faut faire attention à ne pas dépasser un petit kilomètre de chez soi. Toujours par la fenêtre, je regarde mon vélo, en bas dans la cour, au moins bientôt je pourrai en faire.

Le confinement est dur pour les citadins qui n’ont ni nature ni même balcon pour s’aérer. Si on s’y était pris plus tôt et plus intelligemment nous serions sortis d’affaire plus vite et avec moins de morts et de dégâts. Le confinement est sûrement encore plus dur pour les jeunes, si pleins de vitalité, et qui doivent le supporter alors qu’eux ne sont quasiment pas menacés par le virus. Et les conditions de travail pour ceux qui doivent continuer à travailler sont encore plus dures que le confinement. Une période traumatisante pour le pays, d’autant que les décisions politiques continuent d’être chaotiques et souvent incohérentes. Il est aisé de déprimer et de prophétiser comme Houellebecq que le monde d’après sera encore pire, mais rien n’est joué, en fait. Nous ne sommes pas emportés par un destin aveugle, nous gardons notre libre arbitre et notre capacité d’agir. C’est en les exerçant que nous faisons l’histoire, au lieu de la subir. Même dans les temps de contraintes et de menaces, notre capacité à garder notre esprit souple et vivant peut nous sortir d’affaire. Comme dans les livres d’aventures et les contes pour enfants, oui.

L’unité de l’être dans la Bhagavad-Gita, hymne révélé de l’hindouisme

J'ai terminé ma peinture (acrylique sur toile 40x50 cm), et je l'ai intitulée "Oreille interne". Puis j'en ai commencé une autre

J’ai terminé ma peinture (acrylique sur toile 40×50 cm), et je l’ai intitulée « Oreille interne ». Puis j’en ai commencé une autre


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« La connaissance grâce à laquelle on ne voit qu’un être unique, indivisible et impérissable en tous les êtres, aussi distincts soient-ils les uns des autres, sache qu’elle est pure et clairvoyante. » (20)

« Les humains touchent au but suprême lorsque, par leurs actes, ils honorent celui qui engendre les vivants et qui sous-tend le monde. » (46)

« Car le Seigneur, ô Arjuna, présent au cœur de tous les êtres, les anime par sa puissance, comme s’ils étaient mus par un mécanisme. » (61)

« Prends refuge en lui seul, ô descendant des Bharata, de tout ton être.
Par sa grâce, tu éprouveras la grâce infinie du séjour éternel. » (62)

Ces versets du Chant XVIII de la Bhagavad-Gita comptent parmi ceux qui indiquent que l’hindouisme est loin d’être le polythéisme qu’on croit trop souvent, faute de l’avoir étudié avec intelligence, et surtout, de l’avoir pratiqué d’une façon ou d’une autre. Ce texte fonde ma pratique du yoga, tout autant que ma pratique du yoga me conduit à l’intelligence de ce texte.
Le savoir sans la pratique est un faux savoir. Ou, pour le dire de façon imagée : le savoir sans la pratique est une charrue sans bœufs. Quelle sorte de savoir peut avoir celui ou celle qui regarde une charrue sans avoir jamais vu ni senti labourer la terre ? La même sorte que celui ou celle qui prend des vessies pour des lanternes. Où peut aller celui ou celle qui prend place dans une voiture à cheval sans cheval ni chevaux, ou attelée à un cheval mort ? Pas plus loin que l’intelligence sans la pratique, le moteur pour apprendre à savoir et pouvoir s’en servir.
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Pour d’autres extraits de ce texte splendide, ci-dessous mot-clé Bhagavad-Gita
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Politique de la charité

Dès leur création, j’ai détesté les Restos du cœur. Je déteste la charité. J’ai grandi dans une famille très pauvre et une fois adulte j’ai été très pauvre, longtemps, à être démunie de tout, à ne manger que des pâtes ou du riz. J’ai connu d’autres gens dans le même cas. Nous ne risquions pas de faire du gras. Ils ne se plaignaient pas, moi non plus. Je ne serais jamais allée aux Restos du cœur ni à un truc de ce genre. On a enlevé leur dignité aux pauvres. Beaucoup se surnourrissent de cochonneries. Dans cette société de consommation, il n’y a pas d’autre but que de consommer, pour les pauvres comme pour ceux qui ont de l’argent. Ce qui est à portée de consommation des pauvres, c’est la nourriture, la mauvaise nourriture qui fait les corps en surpoids et paralyse les esprits. Et la maladie de l’obésité s’étend, elle touche de plus en plus de monde dans toutes les classes, elle tue elle aussi, par l’addiction dont elle est le signe, notre capacité à nous tenir debout.

Depuis le confinement, les files d’attente s’allongent de plus en plus aux distributions de nourriture. Il s’y trouve des gens qui ont véritablement faim, des sans-abri privés des revenus de la manche depuis que les rues sont désertées, et des travailleurs privés de travail. Leur distribuer de la nourriture est utile, mais n’en reste pas moins révoltant. Ce monde est indigne. La solidarité y est devenue, par force, de la charité. Une manifestation éclatante de l’injustice sociale. Et de sa pérennisation. Si je me souviens bien, les Restos du cœur devaient être provisoires. Ils ont instauré un système. Même effet pervers que celui d’une certaine aide humanitaire, quand elle n’est pas coopération avec les gens à qui elle s’adresse. La charité, c’est le non-partage. Il y a l’indigent, et il y a le citoyen. Le citoyen agit, l’indigent est dépendant. La bonne idée d’Emmaüs, c’était de refuser ce système ; c’était un progrès certain, même s’il n’est pas allé assez loin. Et ce qui se développe maintenant et depuis les Restos du cœur, continue, pour la bonne cause, à entériner l’exclusion, participe même à l’augmenter.

On parle de solidarité, et sans doute un esprit de solidarité anime-t-il la plupart de ceux qui organisent ces distributions, mais le système, lui, est celui de la charité. Mon sens de la dignité est blessé devant ce spectacle répugnant. Qui est devenu une politique. L’hôpital se fout de la charité mais il lui a fallu la subir, il lui a fallu accepter des dons de sacs poubelles transformés en blouses et de casques de plongée pour se protéger d’un virus. Comme on parle de culture du viol, on peut parler de culture de la charité, et de politique de la charité. La Commission européenne elle-même envisage de lancer un crowdfunding pour faire face à la crise économique due au coronavirus. L’Europe faisant la manche. La boucle est bouclée.
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L’arène Littérature


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Le coronavirus a mis fin aussi aux cours du Collège de France, dont j’ai souvent parlé ici. Cette fin de cours par défaut d’Antoine Compagnon, sur les fins de la littérature, ne manque pas d’élégance. Quant à la fin de la littérature, elle se trouve en ce moment sur les étals des libraires et chez les éditeurs qui attendent la fin du confinement pour vendre leurs auteurs, des Tchitchikov – des trafiquants – plutôt que des Homère – des poètes. La reine est morte, vive la reine !
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Matin : yoga. Après-midi : peinture. Un détail du tableau en cours, bientôt fini :

oreille 2-min