Suite de mes remarques autour du rapport sur la pédocriminalité dans l’église

Moulins-Beaufort, le chef des évêques français, affirme que le secret de la confession est au-dessus des lois de la République, justifiant ainsi le fait de ne pas signaler à la justice les pédocriminels, ni la confession d’un enfant qui se déclarerait victime d’un pédocriminel, au motif que l’enfant préférerait garder le secret pour ne pas faire de peine à ses parents. Déclaration aussi criminelle qu’hallucinante, faite au lendemain des conclusions monstrueuses, encore que très certainement très minorées, de la commission Sauvé, sur la pédocriminalité dans l’église française. (N’oublions pas, pour maintenant et pour plus tard, la réaction puante de Macron, saluant « le sens des responsabilités » de l’église – alors même qu’elle déclare, et le prouve, ne pas se conformer aux lois de la République, qui obligent à signaler une personne en danger).

Aucune loi, qu’elle se dise de Dieu, de la République ou autre, n’empêcherait une personne humaine de porter secours à un enfant en danger, en faisant ce qu’il faut pour cela. Mais à entendre ce type, Moulins-Beaufort, et tous ceux et celles qui pensent comme lui, il semble que la religion abolit l’humanité en l’homme.

Le même type raconte que Bergoglio, le pape, lui a dit au téléphone, à propos des révélations de cette commission : « C’est la croix ». La croix pour les enfants abusés ? Non, pour eux, pauvre pape et pauvres prélats. Oui, c’est ce qu’ils ont tous en tête et ce qu’ils disent, du clergé jusqu’aux ouailles les plus endoctrinées : avec ces révélations, ils portent leur croix – un motif de gloire de plus pour eux, en fait. Ces complices de crime contre l’humanité osent se prendre pour le Christ portant sa croix.

Que veut Bergoglio pour les victimes de l’entreprise qu’il dirige ? Il en appelle au « miracle de la guérison ». Comme tous les autres, il se donne l’air de tomber des nues, il dit sa « honte ». Lui qui, par exemple, garda jusqu’à récemment au Vatican le cardinal Pell, qu’il avait nommé n°3 du Vatican, malgré son lourd dossier d’accusation pour avoir couvert des prêtres pédocriminels, et malgré les accusations d’abus sur enfants portées sur Pell lui-même – Pell a fini par être condamné par la justice de son pays quand enfin elle a réussi à obtenir qu’il s’y rende. Bergoglio en vérité ne connaît de la honte, comme sa légion de collègues, que celle qu’ils inculquent aux enfants et à leurs autres catéchisés, pour mieux les dominer.

Tout ce que disent ces gens dans cette affaire est obscène, aussi obscène que les déclarations d’Abdeslam au procès des attentats du 13 novembre. Au moins les victimes de ces attentats ont-elles la chance, dans leur terrible malheur, de bénéficier d’un procès, d’un acte de justice des hommes. Il faut penser aussi à tous les êtres humains qui dans le monde ne verront jamais comparaître en justice et être condamnés leurs bourreaux. Dans le monde et ici même, en France, où la justice fonctionne bien pour les victimes que le système veut bien reconnaître comme victimes, mais pas pour les autres. Les victimes du terrorisme islamiste sont politiquement bankables, contrairement à celles de la pédocriminalité catholique. Personnellement je n’étais pas politiquement bankable non plus quand je suis allée en justice pour demander réparation d’un plagiat de mon œuvre, et que, auteure isolée contre un puissant éditeur, c’est moi qui me suis retrouvée condamnée. La justice et la presse marchent de concert, et la presse m’a également condamnée, et elle continue à me condamner en refusant mes tribunes ou mes simples commentaires, dans l’affaire de l’église aussi. M’étant tournée vers l’église comme beaucoup dans un moment de détresse, après ce procès, je n’ai fait que me tourner vers une autre bête qui a essayé de me broyer aussi, et contre laquelle j’ai dû me battre encore. Jamais justice ne me sera rendue dans un tribunal, même si j’y retournais il se retournerait encore contre moi – et la presse avec lui. Et ce n’est pas mon cas personnel qui me soucie le plus, mais celui des millions de femmes et d’hommes qui sont dans le même cas, pour une raison ou une autre. Il y a un enchaînement de la société pour faire tomber d’un rouage tueur à l’autre les personnes que cette même société estime nuire à son fonctionnement inique, du fait même qu’elles incarnent, en en étant victimes, son iniquité. Cela ne se passe pas seulement dans les régimes dictatoriaux, cela se passe aussi au sein des démocraties, plus ou moins selon justement leur degré de démocratie – et la France sur ce point est loin d’être parmi les pays où la démocratie fonctionne le mieux.

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Quelques remarques autour du rapport Sauvé sur la pédocriminalité de l’église française (avec mon témoignage personnel)

Gabriel Matzneff, enfant, a été scolarisé dans deux établissements catholiques – dont l’un où, plus tard, a enseigné Brigitte Macron – est-ce vraiment une autre histoire ? Est-ce là qu’il a appris la pédocriminalité, en commençant par en être victime ? Mais je pense à Arthur Rimbaud, qui lui aussi a subi des abus sexuels dans son établissement religieux, comme je l’ai montré en analysant son poème « Parade ». Lui, de victime, n’est pas devenu pédophile, mais victime de Verlaine, largement son aîné, qui a pu profiter de la fragilité induite en Rimbaud par de précédents abus.

Comme on sait, les victimes d’abus deviennent souvent elles-mêmes abuseuses ou criminelles. Soit elles reproduisent les abus qu’elles ont subis, soit elles commettent d’autres formes d’abus. Ces personnes-là ne sont certainement pas comptabilisées dans le rapport Sauvé, elles ne vont pas témoigner contre elles-mêmes. Et toutes celles qui, comme Rimbaud, ont été abusées mais ne sont pas devenues pour autant abuseuses, mais trop douloureusement marquées pour témoigner directement, n’auront rien dit non plus. Rimbaud l’a dit sous une forme voilée, affirmant « J’ai seul la clé de cette parade sauvage » parce que, comme pour beaucoup, il lui était trop difficile de le dire ouvertement (et il a fallu attendre près de cent cinquante ans pour que quelqu’un (moi) trouve sa clé). Aujourd’hui je sais aussi que ne sont pas compris dans les chiffres déjà énormes de ce rapport tous les hommes que j’ai entendus me dire, sans vouloir s’appesantir, en passant très vite, qu’ils ont dans leur enfance échappé aux manœuvres de séduction, par la parole ou par le geste, de prêtres. Mais je pense à eux, qui restaient douloureusement marqués de cette abjection, même s’ils en avaient réchappé.

Le rapport souligne que le problème reste actuel, qu’il y a toujours de la pédocriminalité dans l’église. Il faut comprendre que si cette institution n’agit pas ou agit si peu contre cette gangrène, c’est qu’elle est partie intégrante de sa culture, et depuis de longs siècles. Ce n’est pas seulement l’abus sexuel qui fait partie de sa culture, c’est l’abus. L’abus sexuel n’est qu’une manifestation parmi d’autres, et en fait marginale malgré son ampleur, de sa culture générale de l’abus. Culture dont j’ai subi moi-même les effets, après m’être intéressée sincèrement à l’église et avoir publié quelques livres et élaboré un projet qui pouvaient beaucoup lui servir à se rénover. Seulement, elle ne voulait pas se rénover, elle voulait seulement en avoir l’air. J’aurais pu lui servir de vitrine pour cela, mais il leur fallait d’abord me soumettre, afin que rien ne change en réalité, et ils ont à cet effet employé tous les moyens que leur hypocrisie séculaire et congénitale sait employer. Pour me soumettre, il leur fallait me détruire, me nier. Ils avaient des rapports avec moi, dans les hauteurs de la hiérarchie, en France et au Vatican, mais il ne fallait pas le dire, il fallait que cela reste sous le manteau, comme dans les cas de pédocriminalité. Par exemple, un évêque avec lequel j’avais dîné à deux reprises, quelques jours après faisait mine, en public, de ne m’avoir jamais vue. Régulièrement on s’arrangeait pour me traiter à bas mot de prostituée, de pécheresse, un hebdomadaire catholique prétendit même que je m’étais moi-même qualifiée de pécheresse. Tout le mal qu’ils faisaient, ils me le faisaient endosser, par maintes manœuvres cachées. La technique était parfaitement rodée et au point, c’est celle dont ils ont fabriqué plusieurs de leurs « saintes » et « saints », en réalité de leurs victimes, en les coupant d’elles-mêmes et de la vie. Je n’étais pas un enfant de chœur et je ne me suis certes pas laissé faire, mais avoir dû se battre contre un système aussi abject – qu’eux considèrent comme normal – constitue déjà une épreuve particulièrement dégoûtante. J’y ai survécu, mais je ne pense pas qu’eux y survivront.

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La terrible splendeur du guerrier : Iliade, XI, 15-46 (ma traduction)

Après avoir évoqué l’horreur et la bestialité de la guerre dans la nuit du chant X, Homère peint au début du chant suivant, avant le départ au combat, la splendeur du chef de guerre en armes, figurant à la fois les forces terribles que vont devoir affronter les guerriers et la vertu étincelante dont ils vont devoir faire preuve. À lire, à mon sens, comme l’image du courage dont nous devons aussi faire preuve dans la vie.
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L’Atride lance le cri de guerre, ordonne aux Argiens
De se cuirasser d’armes ; lui-même se revêt d’airain
Étincelant. Sur ses jambes d’abord il met ses guêtres,
Belles, où des couvre-chevilles en argent s’ajustent ;
En deuxième il plonge sa poitrine dans son armure,
Don d’hospitalité que lui fit jadis Cinyrès.
Il avait appris de Chypre la grande nouvelle :
Les Achéens s’apprêtaient à embarquer pour Troie ;
Pour lui faire plaisir, il donna son armure au roi.
Cette cuirasse comporte dix bandes de cyan
Noir, douze d’or et vingt d’étain ; des serpents de cyan
S’étirent en montant en direction de son cou,
Trois de chaque côté, tels les arcs-en-ciel que le Cronide
Fixe sur une nuée, pour faire aux humains mortels signe.
Autour de son épaule il jette son épée, dont les clous
D’or scintillent, tandis que le fourreau qui l’entoure
Est d’argent, et ajusté à un baudrier d’or.
Il prend le bouclier mille fois ouvragé qui le couvre
Tout entier, beau, avec dix cercles d’airain sur le bord,
Et sur la surface vingt nombrils d’étain, tout blancs,
À part celui du centre, qui est de sombre cyan.
En couronne, la Gorgone aux yeux lugubres l’entoure,
Avec son regard terrible, ainsi que Terreur et Déroute.
Le baudrier qui s’y attache est en argent ; s’y déroule
Un serpent de cyan, pourvu de trois têtes qui s’enroulent
En tous sens, à partir d’un unique cou générées.
Sur sa tête il met un casque à quatre plaques, et deux cimiers,
À crins de cheval, dont le panache, au sommet, oscille
Terriblement. Il prend enfin, fortes et pointues, deux piques
Couronnées d’airain qui étincelle au loin, jusqu’au fond
Du ciel ; d’un coup de tonnerre, Athéna et Héra font
Honneur au roi de Mycènes, la ville aux mille ors.

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Calasso, les désespéreurs et le mal-être

J’ai trouvé sur le site de la FNAC cette merveilleuse critique du dernier livre de Roberto Calasso, en voici la capture d’écran :

Puis j’ai lu les vingt premières pages du livre en ligne. L’innommable actuel est en quelque sorte le nom donné par Calasso au diable, dont Internet ferait partie, mais tant pis, je l’utilise volontiers – utiliser le diable contre lui-même est une façon de réduire sa nuisance. Dans ces vingt premières pages, le terrorisme islamique, comme il dit, est le grand souci de l’auteur. J’ignore s’il parle ensuite des autres maux du monde actuel, mais peu importe, il est bien en droit de se concentrer sur celui-ci et sur Internet, qu’il y associe. Ce que je sais, c’est que je n’achèterai pas son livre. Parce que l’un des maux que je rejette en ce monde, il le pratique : la désespérance de l’humain.

Plus précisément, Calasso comme tant d’autres intellectuels vivant très confortablement en ce monde, bourgeois ayant bénéficié et continuant à bénéficier, pour ceux qui sont encore vivants (Calasso est mort), de tous les avantages du monde d’hier et du monde actuel, des privilégiés à tous égards, ne manquant de rien, menant une vie aisée, à l’abri de tout besoin matériel, couverts de reconnaissance voire d’honneurs, plus précisément donc, Calasso s’emploie à désespérer tous les Neuilly et tous les Saint-Germain-des-Prés du monde. Tandis que d’autres de ses confrères, notamment universitaires, tout aussi bon bourgeois jouissant sans entraves du monde actuel, s’emploient à désespérer les amphis, laissant désormais aux populistes le soin de désespérer les ex-Billancourt et leurs ex-patrons.

Tous ces propres-sur-eux, dotés de capacités intellectuelles qu’ils ont pu faire fructifier grâce à ce monde qu’ils s’emploient tant à critiquer, et à seulement critiquer, essaient sans doute de se racheter de leurs privilèges en se faisant les hérauts du désastre et de la mort. Mais le désastre qu’ils entendent dénoncer, ils y participent en salissant le monde de leur regard. Ne dépeindre que les faces sombres du monde, sans jamais montrer aussi sa beauté, ses lumières, c’est faire le même jeu que les populistes qui s’emploient à désespérer aussi les populations, voire que les aveugles terroristes. Il y a un fossé entre les activistes, les intellectuels ou les simples citoyens qui combattent le mal pied à pied, au quotidien et en faisant preuve de volonté de vivre et d’amour de la vie, et ceux qui ne font que ressasser, brillamment ou pas, leur haine. Sans beauté et sans amour, le discours, tout discours, n’est qu’une nuisance de plus – et de taille.

Sans doute beaucoup d’humains dont la vie est trop aisée, ou bien trop inconsistante, éprouvent-ils le besoin de se torturer pour se sentir exister. Ne perdons pas de vue leur motif, ni le fait que se torturer c’est aussi torturer autrui, et ne nous laissons pas avoir par leur mal-être.

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Révéler

À cinq heures ce matin, quand O s’est levé pour partir travailler, je lui ai dit : j’étais en train de rêver que je dansais dans la montagne. Je lui ai raconté, et il m’a dit : moi aussi je rêvais qu’on était à la montagne, et il m’a raconté. Mon homme merveilleux, beau, joyeux, intelligent, un génie de la vie qui la rend enchanteresse, extrêmement généreux, aimant, plein de courage, excellent amoureux et excellent compagnon pour moi, excellent père pour nos enfants, avec lequel j’ai la chance et le bonheur de vivre depuis plus de trente ans – malgré les épreuves, l’amour nous a réunis, à jamais. C’est grâce à lui que j’ai eu ce que j’ai eu de meilleur dans ma vie, après mes enfants : ma grange, ma maison à la montagne. C’est lui qui l’a trouvée, et il n’y avait qu’avec lui que j’ai pu vivre ce que nous avons vécu là-haut. Et nous continuerons longtemps à vivre notre vie enchantée, où que ce soit. Le reste est vain.

Nous avons perdu notre grange après que Sollers m’eut fait dire qu’il allait me ruiner. Ce qu’il a fait, puisqu’il en avait le pouvoir, à la manière dont Benalla avait le pouvoir, avec son brassard de flic, de tabasser des gens. Après avoir publié plus de trente livres en vingt ans, après avoir été courtisée par tous les éditeurs, soudain tous se sont rétractés quand je leur envoyais un manuscrit, et la cabale dure depuis une douzaine d’années – Francesca Gee n’a pas tort de dire, à Télérama il me semble, que le milieu littéraire fonctionne comme une mafia. Mais cela dépasse les combines éditoriales, il y a aussi toute une connivence avec la politique, de même que Mimi Marchand et Benalla ne sont pas seulement ce qu’ils sont mais, tels un double du couple Macron, des machineurs et complices de politiques ineptes. Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo et de France Inter, est allé soutenir Valeurs Actuelles au procès intenté par Danièle Obono, qu’elle a gagné. Que je sois des quelques personnes qui, en France, ont dénoncé le racisme de Charlie Hebdo, bien avant les attentats, a été utilisé pour renforcer la cabale contre moi – et accessoirement me faire envoyer travailler dans l’ancien lycée de Charb, à quatre heures par jour de transports en commun de chez moi, ce qui n’a pas tardé à ruiner ma santé, après avoir ruiné mes finances, mes moyens d’existence. Cependant un peu partout dans le monde, le racisme de Charlie Hebdo a été dénoncé par nombre d’intellectuels, et non des moindres, dans des tribunes, pétitions et autres moyens d’expression. L’élite (aussi fausse que Benalla est faux flic) française en place est puante, mais en bonne mafia elle règne, si infects voire immondes soient ses moyens. Et en faisant du mal, elle finit par retourner le mal contre elle-même, comme dans le cas de Charlie Hebdo : si, au lieu de se hérisser pour défendre l’indéfendable publié par ce journal, elle avait accepté que la justice fasse son travail, comme elle vient de le faire pour Valeurs Actuelles, elle n’aurait pas encouragé des ordures terroristes à vouloir faire justice elles-mêmes. Pas de justice, pas de paix, voilà le slogan le plus exact qui soit.

En traduisant le chant X de l’Iiade, particulièrement sombre et violent – cadavres partout, hommes qui pour agir se couvrent de peaux de bêtes, décapitation froide, je me dis encore une fois que les horreurs de la guerre ne datent pas d’hier (près de trois mille ans ont passé depuis ce texte). Mais ce qu’elles ont gagné en horreur, c’est de se moderniser pour être moins visibles. Ce fut le cas avec les camps de concentration, c’est le cas aujourd’hui avec la puissance de l’information, qui a tout autant pouvoir d’occulter que de révéler. L’une des façons d’occulter les faits criminels est de les masquer par la « révélation » de faits sensationnels, en réalité creux et vains. C’est un jeu auquel je ne joue pas. Je suis écrivaine, j’ai une responsabilité, celle de démasquer le monde et ses mondains, et je fais de mon mieux pour l’assumer, par tous les moyens qui me sont possibles – dont ce journal, dont mes écrits, et dont la traduction d’Homère.

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