La mesure du temps dans diverses civilisations

Nous venons de changer d’année. Mais de quelle année ? Et qui, nous ? Comme dirait à peu près Einstein, tout est relatif dans cette histoire. En tout cas, c’est une belle histoire, et qui n’est pas finie.

 

Les calendriers mésopotamiens, par Jean-Jacques Glassner
Présentation : « Les Sumériens et les Babyloniens, aux troisième, second et premier millénaires avant notre ère, ont une perception très différente de la temporalité. Il s’agit, pour les premiers, d’un temps qui se déroule selon un schéma sinusoïdal, selon les seconds, d’un temps qui épouse la forme d’un zigzag. Il se décline en mois, parfois en semaines, comme en Assyrie. Les mois sont généralement subdivisés selon les cycles lunaires. Les journées et les nuits, avec le calcul de la durée respective (variable selon les saisons) des unes et des autres tout au long de l’année, sont subdivisées en six « doubles heures », trois pour la nuit, trois pour le jour (la journée commençant le soir). Avec le développement de l’astronomie mathématique, la subdivision des heures en minutes et secondes se généralise. »
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Le calendrier en Chine, par Marc Kalinowski
Présentation : « Le calendrier a occupé en Chine une place prépondérante. La chronologie chinoise compte parmi les plus anciennes du monde et l’usage de calendriers annuels inscrits sur lamelles de bambou est attesté dès les premiers empires au IIIe siècle avant notre ère. L’importance accordée aux techniques de notation du temps peut être mise en rapport avec la dimension agraire de la civilisation chinoise, et de manière plus décisive avec le rôle dévolu au calendrier dans la légitimation du pouvoir et l’élaboration de liturgies saisonnières régulant les activités politiques et sociales. Les caractéristiques de cette forme de cosmologie calendaire seront présentées sur les plans de la philosophie de la nature, des sciences traditionnelles et des représentations symboliques de l’espace et du temps. »
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Les calendriers mésoaméricains, par Danièle Dehouve
Présentation : « La Mésoamérique, aire culturelle qui comprend la partie méridionale du Mexique et plusieurs pays d’Amérique centrale, a été le siège de la découverte de calendriers sophistiqués, indépendamment de l’Ancien Monde. Ses nombreuses populations (Olmèques, Mixtèques, Zapotèques, Mayas et Aztèques) ont partagé, à partir de 600 avant J.-C., un système complexe fondé sur l’articulation des cycles de plusieurs astres (Soleil, Vénus, Mars…) au moyen d’un cycle « artificiel » de 260 jours. Au fondement de la divination et de la mise en oeuvre des guerres, des rituels et des sacrifices, les calendriers mésoaméricains sont parvenus à des calculs très exacts embrassant des millénaires. »
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Le temps chrétien au Moyen Âge, par Jean-Claude Schmitt
Présentation : « Avant que la globalisation du monde et les technologies modernes n’exigent et ne permettent la mesure universelle d’un temps de plus en plus abstrait des rythmes naturels du soleil, de la lune et des étoiles, chaque civilisation s’est dotée de calendriers appropriés à ses usages pratiques et symboliques du temps : qu’il s’agisse des cycles annuels ou du découpage égal ou inégal des mois ou des heures, la variété des solutions proposées (depuis la Mésopotamie ancienne jusqu’aux débats actuels sur le Temps Atomique International, en passant par les calendriers des civilisations précolombiennes et la détermination de la fête mobile de Pâques pour les chrétiens), n’a d’égal que le raffinement stupéfiant des spéculations élaborées dans chaque culture par les prêtres ou les astronomes.
Un regard historique et comparatif s’impose pour éclairer les énigmes que le temps et sa mesure ne cessent de poser aux hommes et aux sociétés. »
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La mesure du temps de la révolution industrielle à nos jours, par Christian Chardonnet
Présentation : « Pendant des siècles, les indications fournies par un cadran solaire suffisaient pour les besoins des hommes, peu mobiles. Avec l’avènement de l’ère moderne puis industrielle, il a fallu connaître l’heure en tout point d’un pays puis de la planète avec une précision de plus en plus élevée. Les progrès scientifiques dans la mesure des mouvements de la Terre ainsi que les progrès technologiques de l’horlogerie ont permis de répondre à ces nouveaux besoins jusqu’au milieu du XXe siècle. Grâce à la physique quantique, une nouvelle étape a été franchie dans la précision ultime de la mesure du temps avec les horloges atomiques. L’application la plus spectaculaire est le système GPS qui sert à définir un Temps Atomique International (TAI) mais aussi et surtout à la géolocalisation, une application désormais indispensable. Le refroidissement des atomes par laser a enfin permis de pousser l’exactitude des horloges atomiques : l’erreur commise n’excède pas 4 secondes à l’échelle de l’âge de l’Univers (13,7 milliards d’années). »
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Quand nos calendriers révèlent notre vision du monde, émission de Florian Delorme avec Jean Lefort, Caterina Guenzi, Sylvie-Anne Goldberg
Présentation : « Il existe une immense diversité de calendriers et de façons de calculer le temps qui passe : avec la lune, le soleil, les deux… Aucun n’est exact, et il faut toujours des ajustements dans le nombre de mois, de jours choisis. Le calendrier grégorien, calendrier solaire, n’est qu’une légère adaptation du calendrier julien qui date de l’époque de Jules César : 12 mois de 30 ou 31 jours, des années bissextiles, des semaines de 7 jours.
Il s’est imposé comme la mesure du temps universel, de par la domination scientifique de l’Occident mais aussi pour des impératifs commerciaux. Pourtant, il a toujours fait l’objet de critiques et de tentatives de réforme. Pour beaucoup, le calendrier grégorien est lié à l’histoire du christianisme et loin d’être le mode de calcul le plus pratique. De l’Inde au judaïsme, des dizaines d’autres calendriers lui ont survécu et continuent de structurer la vie de communautés dans le monde. Construire un calendrier, c’est croiser problèmes mathématiques et aspects culturels.
Pourquoi le calendrier grégorien reste-t-il malgré tout, au fil des siècles, le « temps-monde » ? »
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À lire également : le calendrier juif ; les musulmans et la mesure du temps
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La petite culotte rouge du jour de l’an

« Les Italiens ont une délicieuse coutume : offrir à leur douce, pour chaque passage à la nouvelle année, une petite culotte rouge. Joyeux étendard à brandir en ce mois des bonnes résolutions, et jolie façon d’entrer en la matière ! À l’heure du bientôt-tout-virtuel, soyons concrets ! Que peut bien vouloir dire une petite culotte rouge, sinon qu’elle veut être enlevée ? »

Extrait de mon recueil d’articles Politique de l’amour, paru chez Zulma en 2005.

Si vous avez envie d’enlever l’un de mes livres, ebooks c’est ici ; et je peux aussi céder certains de mes anciens titres dont je possède des exemplaires papier (celui-ci, Politique de l’amour, et bien d’autres), en vous les dédicaçant pour le même (petit) prix : contactez-nous.

Joyeuses fêtes !

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Des prépuces et des lettres

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 Genèse 1, 17 (ma traduction, puis mon commentaire)

23. Abraham prit Ismaël son fils, tous les esclaves nés dans sa maison, tous ceux acquis par l’argent, tous les mâles des gens de la maison d’Abraham, et il circoncit la chair de leur prépuce, dans l’os de ce jour, comme le lui avait dit Dieu. 24. Abraham était âgé de quatre-vingt dix-neuf ans quand lui fut circoncise la chair de son prépuce, 25. et Ismaël son fils avait treize ans quand lui fut circoncise la chair de son prépuce. 26. Dans l’os de ce jour furent circoncis Abraham et Ismaël son fils, 27. et tous les hommes de sa maison, esclaves nés dans la maison ou achetés de fils d’étranger, furent circoncis avec lui.

Nous voici dans le vif du sujet. Chair pour chair, sang pour sang, promesse pour promesse. Dieu donne l’immense descendance, il demande la dîme. Tout en prescrivant la circoncision de tous les mâles de la maison dans toutes les générations, il accomplit lui-même la première circoncision, celle de… Saraï. Saraï devient Sarah : voilà son nom, et donc son être dans la logique hébraïque, circoncis d’une lettre. Ce petit iod au bout de son nom, le voici coupé. Sarah est l’unique circoncise, et uniquement par Dieu, et premièrement avant une multitude de mâles dans les générations des générations.

Saraï n’a pas eu d’enfants, Sarah aura un fils. Abram, lui, a gagné une lettre, il devient Abraham, pour correspondre, par une assonnance un peu vague, à son nouveau statut de père d’une multitude. Un au sein de son nom comme un signe de sa perpétuelle grossesse. Sarah est circoncise, Abraham est enceint, c’est l’humour et le monde de Dieu, le monde de la Langue, dont la chair n’est qu’un miroir où l’on voit confusément la Vérité.

Dieu est pédagogue, il instruit les hommes progressivement. La circoncision sera comme un moyen mnémotechnique, inscrit dans leur chair, aux fins dernières de leur chair : qu’ils n’oublient pas qu’ils sont liés à Lui, à sa Parole. Et que la vie qu’ils donnent par la chair, en vérité vient de Lui. Peut-être aussi a-t-il constaté, Dieu, qu’il était nécessaire de rendre plus conscient l’usage de leur corps et du corps d’autrui que faisaient les hommes, comme Abram et Saraï. Ces derniers n’ont-ils pas, quelques années plus tôt, usé des charmes de Saraï pour la faire entrer au gynécée de Pharaon et profiter ainsi de ses largesses ? (Ils vont refaire le coup avec un autre roi, Abimélek, quelques temps après la circoncision : ne pas prendre à la lettre leur âge canonique). N’ont-ils pas utilisé l’une de leurs esclaves comme mère porteuse, pour pallier la stérilité de Saraï ? N’est-il pas nécessaire de faire comprendre aux êtres humains que leur corps n’est pas une chose à leur disposition, mais appartient à Dieu ? La circoncision n’était-elle pas un moyen de le rappeler aux hommes comme aux femmes ?

La circoncision est une défloration de l’être opérée par Dieu. En Dieu, les ouvertures du corps correspondent, la bouche est œil et oreille et réciproquement (cf l’Épître aux Hébreux et Agar au puits). Incirconcis, l’homme est bouché, au propre comme au figuré : un cœur incirconcis est en hébreu une intelligence bornée. Le prépuce est comme une paupière sur l’œil, le couper c’est pratiquer un geste d’éveil.

Ainsi coupés, les hommes paradoxalement conserveraient mieux leur intégrité, et éviteraient d’être « coupés » de leur peuple (cf v.14). Du point de vue du rapport entre les sexes, le fait que les hommes soient déflorés « par » et pour Dieu retire aux femmes de leur éventuelle prétention sur le corps des hommes, voire un brin de fantaisie. Voilà aussi, peut-être, la petite chose qui est retirée à Sarah avec la dernière lettre de son nom. Moyennant quoi, on peut passer aux choses sérieuses : la procréation.

Sérieuses, vraiment ? Oui, si le sérieux est dans la grâce. Abraham rit, comme Sarah le fera aussi à la même annonce, et le prénom prévu par Dieu pour leur fils porte la marque de ces rires : Isaac, c’est « Ari ». Leurs rires sont la réaction de qui n’ose y croire et pourtant en exulte déjà. Ces rires sont l’entaille de joie que fait la parole de Dieu dans la chair de la raison. Ce sont rires de délivrance et de libération.

Circoncire le iod du nom de la femme d’Abraham, ce iod qui disait « ma », est un signe de son non-assujettissement à l’homme. Elle n’est plus « Ma princesse », elle est « Princesse ». Sarah n’est plus sienne à la façon dont Ève l’était d’Adam, os de ses os et chair de sa chair, elle est qui elle est en Dieu – grâce à quoi elle devient féconde. Son fils sera non celui de la chair, mais celui de la promesse (cf Galates 4, 22-23 : Il est écrit en effet qu’Abraham eut deux fils, un de la servante, un de la femme libre. Mais celui de la servante était né en descendant de la chair, et celui de la femme libre via la promesse). Abraham et Sarah ne sont plus assujettis l’un à l’autre, mais à Dieu. Le iod perdu, de valeur 10, est remplacé par deux de valeur 5, un dans le nom d’Abraham, l’autre dans celui de Sarah : rien n’est perdu, tout est redistribué.

Ce est la marque de Dieu dans leur nom, petite lettre donnée en partage de même que les hommes vont donner une petite part de chair comme alliance avec Dieu, et avec les autres hommes institués par ce signe peuple de Dieu, à la fois dans l’espace (de leurs pérégrinations) et dans le temps (de leur descendance).

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Extrait de mon livre Voyage

Voir aussi, extrait du même livre : Une lecture de la sourate Al-Kahf, La Caverne

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Cumbia Sobre el Mar, Bal sur la mer (traduction des paroles)


(Une cumbia ou cumbiamba est un bal populaire de Colombie)

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Un jour je suis resté dormir là sur la plage

Et là j’ai rêvé que du ciel descendait

Un essaim d’étoiles et la lune argentée

Les vagues de la mer éclaboussées de sa lumière

Sur la mer je vis, je vis une cumbiamba

Qui au son des tambours tournoyait sur l’eau

Les couples d’étoiles en attendant portaient

Un carrousel de couleurs comme d’une cumbiamba.

Et soudain a surgi une reine attendue

C’était Marta, la reine, que mon esprit rêvait

À ses pieds je vis la lune, la bouillie des étoiles,

Et les palmiers chantaient une hymne de fête

Ayy amor…

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(ma traduction, de l’espagnol, du texte du mystérieux Rafael Mejia, dont on peut lire l’histoire et entendre ici la version originale de sa chanson)