Molière et le Panthéon

Bruno Roger-Petit, journaliste sportif que Macron a récompensé de sa flagornerie en faisant de lui son « conseiller mémoire », refuse de faire entrer Molière au Panthéon. C’est donc ce proche de Valeurs Actuelles, qui se fit remarquer il y a un peu plus d’un an en invitant Marion Maréchal-Le Pen à déjeuner, qui est censé décider de ce que doit être la mémoire de la France, en marionnette commode de Macron. Les derniers mois de la macronie sont aussi pénibles que ses premiers temps et que toute sa durée.

Qu’est-ce que le français ?, ai-je demandé le mois dernier à la classe de seconde que je rencontrais pour la première fois. La langue de Molière, me fut-il répondu. Ce n’est pas qu’un cliché, c’est une vérité profonde. Parce que la langue de Molière n’est pas seulement une langue, c’est une langue vivante, le contraire d’une langue de bois, le contraire d’une langue managériale, le contraire d’une novlangue, le contraire d’une langue faussaire, d’une langue ersatz de la vie, le contraire d’une langue politicienne, le contraire d’une langue de bourgeois gentilshommes, le contraire d’une langue de manipulateurs, le contraire d’une langue « littérature » déconnectée du réel, de la vie, du geste, de l’action.

Le Panthéon est le Commandeur, la figure de pierre, de mort, que Molière a toute sa vie affrontée et vaincue, en l’inscrivant jusque dans son nom d’artiste : la meulière est une pierre qui sert à construire mais aussi à moudre, à réduire, comme les moulins de la même origine linguistique que combattait Don Quichotte. La macronie veut faire passer Molière à la trappe comme Dom Juan à la fin de la pièce, mais dans la pièce ce n’est qu’une machinerie de théâtre, en vérité, et en vérité, Molière est toujours vivant, toujours joué, toujours aimé. Au Panthéon, s’il y entre, les pierres trembleront.

Quelqu’un d’autre que Macron fera entrer Molière au Panthéon, et ce sera plus honorable pour le génial Molière.

Mes notes sur Molière sont ici.

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Des VIP chez les pauvres (encore le racisme de classe)

Juliette Binoche, qui n’est pourtant pas la VIP la plus antipathique, déclarant, à propos du film Ouistreham, « il faut être disponible à la différence de l’autre », ou, avec Emmanuel Carrère, « ne pas voir ces gens, c’est ne pas les respecter », fait, avec le même Carrère et trop souvent, Florence Aubenas, du racisme de classe comme M. Jourdain de la prose. « Ces gens », c’est-à-dire les pauvres, sont donc, à leurs yeux, différents du reste de l’humanité. Binoche ne devrait pas s’enfoncer, et enfoncer le film et ses comparses qui le signent, en ajoutant qu’elle sait ce que c’est que de faire le ménage puisque, dans son enfance, sa mère donnait cinquante centimes aux enfants pour qu’ils participent de temps en temps aux tâches, en mettant Vivaldi à fond.

Le racisme de classe est partout répandu, et si commun qu’il passe souvent inaperçu. Tout le monde n’est pas aussi grossièrement raciste envers les pauvres que Macron insultant obsessionnellement (racismes et sexismes sont presque toujours obsessionnels) ceux « qui ne sont rien », « les alcooliques », « les feignants », « les illettrées », ceux qui coûtent « un pognon de dingue », ceux qui n’ont qu’à « traverser la rue », ceux qu’il a « très envie d’emmerder », etc. (Et qu’Emmanuel Carrère, grand soutien de Macron, soit le réalisateur de ce film, est significatif).Le racisme de classe sournois s’invite souvent au cinéma, parfois de façon tout à fait visible, souvent sans qu’on le remarque, comme dans le film Illusions perdues où seule la bourgeoise est belle et « classe », comme s’il n’y avait pas de filles du peuple élégantes et splendides et comme s’il n’y avait pas de bourgeoises épaisses et vulgaires.

Le classisme passe souvent inaperçu, comme tous les racismes (y compris le sexisme, qui est un racisme de genre) jusqu’à ce qu’on les débusque. Ils passent inaperçus parce qu’ils sont la pensée dominante, en vérité une non-pensée, une vision toute faite et rancie du monde. Je le rappelle dans Une chasse spirituelle, jadis les bourgeois parisiens allaient le dimanche, en guise de promenade, voir comme au zoo les pauvres et les pauvresses gardées enfermées à la Pitié-Salpêtrière, de même que Charcot y mit en scène les prétendus « hystériques », femmes et hommes du peuple, devant des parterres de messieurs en redingote. Pour la bonne cause, bien sûr, en pensant certainement que « ne pas voir ces gens, c’est ne pas les respecter ».

Aujourd’hui les transports sont plus rapides, on peut bien se déplacer, pour le spectacle, jusqu’à Ouistreham, et en faire un spectacle. Histoire d’entretenir son statut de VIP, et de pouvoir continuer à faire entretenir sa maison par « ces gens », avec leur « différence » qui les assigne à nettoyer votre merde. Oui, c’est ça, votre fascisme, que vous ne voyez pas, pauvres prosateurs. Vous voyez, nous aussi, qui ne sommes rien, nous vous regardons, et nous vous voyons.

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Macron, la REM, la merde

« Jupiter » a « très envie de les emmerder », une grosse envie de chier, donc, sur une partie de ses concitoyens, qu’il déclare d’ailleurs déchus de leur citoyenneté. La vérité sur eux-mêmes sort de la bouche des adultes restés au stade anal, centrés sur leur impérieux ego et la puissance de leur caca. Poupée, anale nationale est au pouvoir sous le masque de Macron, comme elle le fut sous celui de Trump, comme elle l’est sous le masque de Zemmour et de bien d’autres, dans la lignée du père Le Pen et de ses petites phrases en forme de grosses merdes. Le racisme de Macron est une racisme de classe, dirigé contre le peuple, les gens humbles, « ceux qui ne sont rien », qu’il n’a cessé, depuis cinq ans, d’insulter, de stigmatiser, de violenter symboliquement et à l’occasion de mutiler physiquement. Son quinquennat restera comme une des choses les plus lamentables qui soient arrivées à la France.

On peut déplorer le mouvement antivax, et je le déplore grandement. Mais de quel esprit tordu faut-il être pourvu pour songer un instant à vouloir « emmerder » des gens pour les soumettre ? Le management par le harcèlement n’est pas de la politique mais une perversion indécrottable, c’est le cas de le dire, comme Macron le prouve en réitérant son mépris quelques jours après un mea culpa public. Sado et maso, un anneau sur chacune de ses mains. Soit il ne maîtrise pas du tout sa parole, soit sa sortie est volontaire, et d’un sadisme – et d’une bêtise – encore plus graves.

Le problème sanitaire n’est pas seulement celui du covid, c’est aussi celui de la santé mentale déplorable de trop de réputés premiers de cordée. Mauvaise santé qui a pour corollaire et reflet le complotisme de réputés derniers de cordée, rendus paranos à force de ne pouvoir faire confiance aux cinglés qui gouvernent. Après le petit Macron, le petit Attal reprend pour sa com le verbe emmerder de son maître. Voilà où nous en sommes : la REM est donc le nom en verlan de la merde ? Triste spectacle en tout cas que celui des lécheurs de chaussures de luxe merdeuses s’affairant à répandre leur salive pour entretenir un brillant bien dégoûtant.

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Macron, Pécresse et les autres

Je n’oublie pas les insultes et les violences physiques infligées au peuple de France par Emmanuel Macron. Je n’oublie pas son en-même-temps tricheur, hypocrite, calculateur, fourbe, fuyant, je n’oublie pas son caractère de traître, révélé bien avant son élection par une sale histoire avec des journalistes du Monde, je n’oublie pas ses attaques contre la liberté des journalistes, ses velléités fascisantes de domination jupitérienne, l’étroitesse de sa vision de la France comme start-up nation, je n’oublie pas sa fausseté, révélée dès sa campagne avec figurants téléguidés, je n’oublie pas son incompétence, sa puérile croyance en sa séduction face à des hommes comme Trump, son allégeance aux États-Unis affichée par une peinture jusque dans son bureau présidentiel, je n’oublie pas sa main posée affectueusement sur le bras de MBS, je n’oublie pas les divisions qu’il a creusées dans la société, tant par incapacité à fédérer que par calcul politicien, je n’oublie pas l’inculture politique crasse de son camp et ses députés aux ordres.

Valérie Pécresse est une femme intelligente et sérieuse. Ratissant trop à droite à mon goût, et certes sans grande envergure, mais je n’ai jamais trouvé un ou une candidate parfaite à mon goût pour qui voter. Si la gauche écolo ne trouve pas moyen de présenter un ou une seule candidate, c’est pour Pécresse que je voterai. Ce sera un vote en forme de refus de l’extrême-droite et de refus du macronisme, mais sans compromission inacceptable, car je la pense plus raisonnable que certains pans de son programme surtout destinés à séduire l’électorat. Mieux vaut que ce soit elle qui emporte les voix de cet électorat, plutôt que des figures d’extrême-droite ou que Macron, enfermé dans son faux-semblant impuissant. Si la gauche, comme le macronisme, est incapable d’avancer une réponse possible aux près de 40 % de gens qui lorgnent vers l’extrême-droite (Le Pen, Zemmour, Ciotti…), il faut pourtant apporter une solution à cette dérive. Reculer devant cet obstacle serait faire un pas en arrière dans un gouffre qu’on ne voit pas. Je suis prête à voter – sans illusions et sans joie – pour la personne qui sera la mieux placée pour éviter le vieux fascisme d’extrême-droite et le néofascisme dystopique de la macronie. Que les autres se réveillent et agissent, s’ils n’en veulent pas non plus, ni ne veulent de la droite.
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Misérables et bienheureux

La campagne de Macron, c’était des salles pleines de public coaché par téléphone pour faire le show ; et ça annonçait bien le faux de son quinquennat-spectacle. Si Zemmour était élu, ce qui n’arrivera pas, son entrée en campagne par un clip pillard augurerait une présidence semblable à celle de tant de dictateurs pilleurs de leur pays.

Que sont les virilistes enflés comme des allumettes consumées, les immigrés ou fils d’immigrés anti-immigrés, les basanés anti-non-blancs, les non-chrétiens anti-non-chrétiens, sinon des hommes hantés par la détestation de ce qu’ils sont ?

Beigbeder, Tesson, Houellebecq, sortent un livre de piliers de bar réacs, dit la journaliste de L’Obs, pour chanter le catholicisme. Quand catholique rime avec alcoolique, le catholicisme a du mal à bander. Je pense surtout à la fin d’Illusions perdues, où Rubempré (personnage dans lequel Zemmour, autre chantre du catholicisme, a déclaré se reconnaître), vend son âme à un curé maléfique. (Cela dans le roman, non dans le film qui inverse complètement le sens du roman de Balzac avec une fin grossièrement christique – mais ces sortes de trahison font partie du même misérable esprit du temps).

Sur une place tranquille, un homme à bonnet de rasta et à accent d’ailleurs m’interpelle à distance respectueuse pour me dire que mon bonnet est beau et qu’il me va très bien. Je lui renvoie le compliment, il s’incline légèrement, la main sur le cœur, je fais de même, chacun poursuit son chemin, sourire aux lèvres. He made my day. Être heureux de soi, être heureux d’autrui.
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Joséphine, Eric, la pantoufle Ac’, le lycée Montaigne

Aujourd’hui Joséphine Baker entre au Panthéon et Eric Zemmour se déclare candidat à l’élection présidentielle. Une résistante, un pétainiste. Une artiste, un agitateur médiatique. Une femme pleine d’amour, un homme plein de haine. Une grande femme, un petit homme. La supériorité de Joséphine Baker est évidemment éclatante, à tous les points de vue. À ne pas perdre de vue d’ici l’élection, justement. Avant d’entrer au Panthéon, elle était déjà ici.

Encore une place à prendre à l’Académie française, je ne sais quel immortel ayant encore passé l’arme à gauche (façon de parler). Lèche-pantoufles, à vos langues ! Il faut faire sa cour à ces si mortel·le·s pantouflard.e.s pour pouvoir participer au dictionnaire le plus mort de tous les temps, pour être du cercle des flics de la langue.

Il semble que j’aie de bonnes chances de trouver un poste d’enseignante contractuelle et je m’en réjouis. Alors que je complète mon dossier pour le rectorat, je lis qu’un élève de quinze ans a frappé sa prof de maths à coups de poing au lycée Montaigne. Je me rappelle que l’un de mes fils, qui était dans ce lycée il y a quelques années, y a subi une clé d’étranglement d’un agent de la BAC pesant 30 à 40 kg de plus que lui, alors qu’il tentait de secourir une lycéenne qu’un autre baqueux tirait au sol par les cheveux pour dégager l’entrée du lycée en grève (grève sans violences, autres que policières). Ceci n’explique ni n’excuse cela, ceci et cela, comme le succès de l’extrême-droite dans les intentions de vote, sont des révélateurs de la violence qui règne en France.

Je continue à lire Almudena Grandes, toujours aussi magnifique.
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Almudena Grandes, una reina (note actualisée)

J’actualise cette note à mesure de ma lecture d’Almudena Grandes… et du constat de l’indigence de la presse française à son propos.

29-11-21
Je me suis remise à lire Le cœur glacé au milieu de la nuit, captivée par la puissance de la langue d’Almudena Grandes. Dans la journée les pages évoquant la journée de fête des républicains espagnols de Paris à l’annonce de la mort de Franco m’avaient déjà sidérée. Dans la nuit un autre épisode, celui de la visite du grand-père et de sa petite-fille à une famille riche, m’a aussi abasourdie. Il y a très longtemps que je n’ai pas lu quelque chose d’aussi puissant. Je suis à la fête, d’avoir enfin trouvé une auteure contemporaine que je puisse lire, qui vaille à ce point d’être lue. Nous sommes très loin en France d’avoir quiconque d’aussi puissant, oubliez les stars, oubliez tous les prix Goncourt et autres de ces nombreuses dernières années. Et même dans la littérature étrangère : on a encensé Toni Morrisson ? Je l’ai lue, c’est une bonne auteure, mais vraiment pas extraordinaire, visiblement inspirée de Faulkner mais pas à sa hauteur. Almudena Grandes, elle, a une voix unique. On sent ça tout de suite, quand on connaît intimement la littérature. La différence entre ce qui est talentueux et ce qui est exceptionnel.

L’Espagne est en deuil de sa grande écrivaine, toute la presse lui rend hommage, tous les médias, à la télé on interroge les gens dans la rue sur elle, ils témoignent, comme auraient témoigné les Français à la mort de Victor Hugo. Mais en France personne n’en parle. Un article dans le Huff Post, quelques autres rapides évocations ici et là mais en ce lundi matin 11 heures où j’écris, deux jours après l’annonce de sa mort, rien dans les grands médias culturels de référence, Le Monde, Le Figaro, L’Obs, Libération, etc. – tous ne parlent que de la mort d’un styliste de LVMH. Les milliardaires aux commandes de la presse française ? Le fait est que la presse française ne s’intéresse pas à une grande auteure engagée dans des combats de gauche, historienne de formation, qui a beaucoup travaillé sur les suites de la guerre civile espagnole. Si elle était américaine, oui, sûrement, là, ce serait mode, comme LVMH, ce serait bankable. Pourtant on ne peut même pas dire qu’Almudena Grandes soit un génie inconnu, elle a vendu des millions de livres. Et ne serait-ce que pour évoquer l’émotion provoquée par sa mort chez nos voisins espagnols, les journalistes devraient se fendre d’un article, tout simplement pour faire leur travail, qui est d’informer. L’Europe, ça leur dit quelque chose ? Ou ils ne voient que leur petit hexagone, et son grand mentor yankee ?
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28-11-21
« regardez ce ciel, comme la sierra est nette, on voit jusqu’à Navacerrada, quelle belle matinée, cet air réveillerait un mort, on a une de ces chances… Almudena Grandes, Le cœur glacé

Je me rends compte, en apprenant qu’elle est morte hier, que je n’ai jamais lu Almudena Grandes. J’ai toujours eu l’impression de connaître cette importante auteure espagnole parce que, née quatre ans après moi, elle a publié un an après moi son premier roman, un premier roman érotique comme mon premier roman, qui avait eu un grand succès, comme le mien. J’étais en Espagne pour faire la promotion de mon premier roman quand on parlait du sien, qui venait de sortir. Puis dans ses romans et textes suivants, elle s’est intéressée à l’histoire et à la politique de son pays, notamment aux années d’après la guerre civile. Quoique nos façons d’écrire soient très différentes l’une de l’autre, j’ai l’impression que vient de partir l’un de mes doubles – ces doubles inscrits dans mon nom d’auteur, emprunté à une nouvelle d’un autre hispanophone, Cortazar.

Voici donc un autre de mes doubles passé de l’autre côté, d’où il va m’enseigner. Je viens d’emprunter l’un de ses livres, et je vais donc la lire pour la première fois. J’en reparlerai. Merci à toi, Almudena, dont le prénom signifie en arabe la citadelle.
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… et j’ai signé pour une primaire populaire qui puisse éviter une répétition en forme de chantage Macron/extrême-droite au second tour