Heureusement il y a les Académiciens

à la Butte aux Cailles, photo Alina Reyes

à la Butte aux Cailles, photo Alina Reyes

L’actualité n’est pas gaie, entre la situation internationale, le crime génocidaire contre les Rohingyas qui se poursuit, le malaise grandissant de l’Europe, et ici en France l’anniversaire de l’assassinat de Rémi Fraisse par la police française, l’addiction de Macron aux insultes aux pauvres – maintenant aux Guyanais sur lesquels il lâche son mépris de père Noël des riches… Mais au moins nous avons des clowns en habit vert pour nous faire rire un peu, un instant. « À l’unanimité de ses membres » flapis, dans la séance d’hier, l’Académie a déclaré solennellement que « la langue française se trouve désormais en péril mortel ». On pourrait croire qu’ils nous rejouent la querelle des Anciens et des Modernes, mais alors avec que des anciens, et qui n’ont d’antique que la carcasse. Laquelle est bel et bien en péril mortel. Allons les ronchons, cessez donc de prendre ce qui vous guette et ne vous loupera pas en effet, votre proche destin, pour celui de la langue française, qui en a vu bien d’autres et vous enterrera tou.te.s.

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Fourest s’égare dans la porcherie

mon "Alpha et Oméga"

mon « Alpha et Oméga »

Toute révolution déclenche sa contre-révolution, y compris au sein des révolutionnaires. Soudain la peur que les choses changent vraiment. Comme dirait l’autre, restons prudents, faisons semblant que ça change, pour que surtout rien ne change. Sans le vieux système qui a permis de réussir, comme on dit, à Caroline Fourest, que devient-elle ? C’est sans doute une question qui la perturbe, au fond, mais qui voit le fond des choses ?

Voilà que cette féministe en vue signe un édito dans Marianne pour dire que « depuis la nuit des temps, les femmes se sentent sales, fragiles et en danger ». Ben mon cochon ! En voilà du rot qui sent sa remontée de Beauvoir, vieille jeune fille rangée qui continue à nuire avec son épouvante du corps des femmes, sa haine plus forte que celle d’un curé du corps des femmes. Les femmes prennent la parole ? Il faut qu’on la leur salisse avec des esthétiques à la « ni putes ni soumises », à la Femen barbouillée, à la Fourest rappelant les femmes à leur prétendu sentiment de saleté « depuis la nuit des temps ». Et bien sûr ça bénéficie de la couverture (pesons le mot) médiatique. Salissons, rabaissons, fragilisons, au prétexte de libérer !

Cesse de dire, comme certains hommes, « les femmes », Fourest. Je ne suis pas de ces femmes dont tu parles, nous sommes très nombreuses à ne pas en être, l’Histoire est pleine de femmes qui ne se sont jamais senties ni sales, ni fragiles, ni en danger (sauf, comme tout le monde, quand il y avait un réel danger). Nous ne sommes pas des poules mouillées, des masos souillées, des poupées en sucre, et nous ne nous sentons pas telles. Je suis libre, debout, propre, sereine, forte, sans peur et sans reproche. Prends-en de la graine, c’est gratuit.

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Révolution

devant le jardin des Plantes, photo Alina Reyes

devant le jardin des Plantes, photo Alina Reyes

Le monde est en train de changer, sous les yeux effarés des vieux singes dominants, c’est-à-dire télévisuels : les Brückner, Enthoven, Finkielkraut, BHL etc., et dans l’inquiétude de quelques-unes de leurs moitiés de l’autre sexe, Deneuve et autres, habituées à courber plus ou moins l’échine leur vie durant devant les mâles détenteurs du pognon et de l’influence, et craignant de découvrir cette face soumise d’elles-mêmes, femmes qui se croyaient libres, au miroir d’une génération décidée à ne plus accepter du tout ce qu’elles ont enduré en silence parce qu’elles étaient femelles. Écriture inclusive, hashtag balancetonporc, pétitions contre la célébration d’artistes violeurs d’enfants ou assassins de femmes… Ces messieurs sont en train de perdre leur domination et leur impunité et cela les terrifie, car que sont-ils, sans cette impunité qui leur a permis de se hisser en marchant sur leurs victimes accumulées ? Si peu de chose, contrairement à ceux qui font leur vie sans chercher à piétiner quiconque. La décolonisation est en route, et qu’ils nous sachent gré de la mener si pacifiquement, sans comme eux verser le sang, avec des mots, avec notre intelligence et notre liberté seulement. Et que les cochons, les singes et autres animaux nous pardonnent l’insulte qui leur est faite en appelant certains hommes de leur nom – mais les animaux s’en moquent, car leur nom n’est leur nom que pour nous. Le monde est en train de changer, il change d’en bas comme toujours, de là où est la vraie puissance, celle de la vérité nue, toujours fière contrairement à ceux qu’elle défroque.

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#balancetonporc : j’approuve et je participe avec un porc « littéraire »

Très salutaire avalanche de témoignages des femmes. Comme le disent certaines, la honte change de camp. Alors je balance mon porc, moi aussi. Bien entendu chaque femme en a rencontré plusieurs sur son chemin, surtout dans les milieux bourgeois, qui fonctionnent sur l’interdomination des hommes et où les manifestations de domination sur les femmes sont bien souvent une compensation à leur soumission entre hommes, domination et soumission cohabitant toujours. Des porcs qui se sont ainsi révélés porcs sur mon chemin, je choisis d’en mentionner un représentatif d’un milieu dont on parle peu : l’édition, le milieu littéraire. J’ai déjà mentionné cette histoire plusieurs fois ici ou là, mais je ne suis pas sûre d’avoir donné le nom de la personne. Cette fois je vais donc le faire.

Je venais de publier mon premier roman, qui avait obtenu un grand succès. Je suis invitée, entre autres, à une manifestation littéraire sur une semaine à Bourg-en-Bresse. J’y vais, je me retrouve dans un même hôtel avec le rédacteur en chef d’alors du Magazine Littéraire, une jeune journaliste, et le fameux académicien du Goncourt, l’auteur célèbre et célébré Robert Sabatier. Le rédac’chef, sympathique mais très repoussant physiquement, fumant trois paquets de Gitane par jour, vieux, cuit et laid, couche avec la jeune journaliste – et je me demande comment elle fait pour se plier à ce qui à mes yeux ne peut être qu’un échange de sexe contre possibilité de travailler. Robert Sabatier, lui, me propose avec insistance de venir dans sa chambre où il me dira des poèmes. Il a trente-trois ans de plus que moi, sa proposition me fait éclater de rire. Mieux vaut en rire qu’en pleurer, n’est-ce pas, même si finalement je ne trouve pas ça drôle du tout. Maintenant, a posteriori, je me demande si cette invitation n’était pas un traquenard monté tout exprès – c’est même probable. Seulement ça n’a pas marché pour le vieux porc distingué, alors il s’est vengé. Quand, un peu plus tard, je l’ai rencontré, ici ou là, il a refusé de me saluer. Ce qui ne serait pas bien grave si tous ces types ne fonctionnaient pas en réseaux, capables de nuire à la carrière de quelqu’un à qui ils auraient décidé de nuire. J’ai vu ailleurs et dans ma propre expérience ce genre de situation se répéter de façon plus complexe avec d’autres porcs, car il y a dans ce milieu des porcs très aptes et très entraînés à faire régner leur porcherie en toute discrétion. La discrétion, c’est la « qualité » qu’ils préfèrent chez une femme, ne voulant que soient révélés ni leurs viols ou abus physiques ni leurs viols ou abus mentaux – beaucoup, sans doute les pires,  n’ayant pas les moyens physiques d’en commettre d’autres que psychiques. Comme je suis aussi peu discrète que possible -voir mes livres- cela m’a beaucoup nui et c’est seulement inadmissible, d’autant que tout le milieu se protège comme l’église dans la pédophilie.

Mon homme, qui est tout à la fois très viril et très séduisant, et qui ne s’est jamais conduit en porc, approuve complètement ces dénonciations de femmes – il m’en a parlé le premier. Mais je vois que les Inrocks s’enfoncent en voulant paraître antisexistes pour se rattraper de leur dernière couverture fangeuse : commentant une vidéo publicitaire de David Lynch, ils l’interprètent comme le fait que les actrices paient leur désir de célébrité par le danger sexuel auquel elles s’exposent. Vous voyez le truc ? Un acteur est un artiste qui travaille, une actrice a un désir de célébrité. Qui, forcément, se paie. La femme n’est pas artiste, ne travaille pas, n’a pas à pouvoir travailler sans se soucier des porcs. Elle est juste un bel objet que les hommes peuvent, ou non, rendre célèbre. Cherchez bien, vous verrez la même logique à l’œuvre dans bien des cas, dans l’édition comme dans le cinéma, la politique, les médias et ailleurs, partout où les rapports d’intersoumission entre hommes garantissent le silence de tous.

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Antisémitisme et féminicide : aux Inrocks comme à Daesh

En promouvant l’antisémitisme (via Meklat) et le féminicide (via Cantat), les Inrocks et leurs soutiens ne font que perpétuer les abominations commises au nom de concepts religieux – ici la « rédemption », là le « martyr », devenus vocabulaire du nihilisme – et prouver que les journaux sont le plus souvent tenus par des vieux cons qui n’ont d’autre vision que celle d’un vieux monde et de ses valeurs criminelles, qui ont suscité les pires crimes contre l’humanité au siècle dernier avec les fascismes et aujourd’hui sous leur forme actualisée, qu’elle soit d’origine chrétienne ou islamique. Racisme et sexisme sont les faces de la même médaille en merde accrochée au cou des hommes au cerveau plein de merde.

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Progresser

street art en face de la librairie à Paris 5e, cette semaine, photo Alina Reyes

street art en face de la librairie à Paris 5e, cette semaine, photo Alina Reyes

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Encore un dimanche passé à corriger des copies, mais quel bonheur de constater, aux résultats, à quel point nous travaillons bien. La progression de tel ou tel peut me donner, de joie, les larmes aux yeux (et la démission passagère de tel ou tel autre m’attrister), mais ce qui touche aussi c’est la dynamique générale, les résultats obtenus par l’ensemble, spécialement en atelier.

Vendredi m’a été remise une fiche sur certaine élève qui aurait des difficultés particulières pour s’exprimer à l’écrit, soi-disant atteinte de dys- divers et variés, et qui demanderait donc un « plan d’accompagnement personnalisé ». Foutaise de la médicalisation à outrance du moindre problème de tel ou tel élève envoyé se faire dépister, et qu’il faudrait ensuite traiter spécialement (tout en s’occupant de classes de 35 ou 36 élèves aux niveaux très disparates). Cette élève est l’une de celles qui obtiennent les meilleurs résultats dans mon cours. Il faut croire que mon cours lui est donc tout à fait adapté, en conséquence je ne vois pas pourquoi je devrais la traiter autrement que les autres. Les élèves connaissent le truc, l’un d’eux est venu me dire après la classe vendredi que s’il bavardait, c’est parce qu’il ne pouvait pas s’en empêcher, qu’il en était désolé mais que c’était malgré lui, sous-entendu un genre de handicap. Je lui ai répondu eh bien fais effort et tu y arriveras, il n’y a pas de déterminisme.

Un truc pire que la médicalisation de la pédagogie, c’est la culpabilisation (comme la pratique Macron pour tout le pays en insultant ses concitoyens). D’une part les profs sont implicitement culpabilisés des dysfonctionnements et des faiblesses de l’institution. D’autre part, ce qui est pire, on apprend aux profs à culpabiliser les élèves. Une formatrice de l’Espé nous a raconté la semaine dernière, toute fière, comment, un jour où elle avait écrit un titre au tableau avec une grosse faute, et l’y avait laissée une heure entière, étant prise d’un doute à la pause entre les deux heures de cours elle avait vérifié et constaté son erreur. Qu’a-t-elle alors fait ? Au lieu de corriger devant les élèves en s’excusant (cela peut arriver à tout le monde d’avoir un doute sur l’orthographe), elle les a culpabilisés en leur disant : c’est resté là une heure et vous ne l’avez même pas remarqué – comme si elle l’avait fait exprès pour les prendre en défaut. Dans mon lycée, ma tutrice m’a conseillé aussi d’interpeller le bavard depuis ma place afin de lui faire honte devant toute la classe plutôt que d’aller vers lui comme je le fais souvent. Autre exemple, le plus terrible : sur un site de pédagogie officielle, réservé aux profs, une prof présentée comme excellente pour sa gestion de classe explique tranquillement comment elle s’y prend pour obtenir le silence : quand quelqu’un bavarde ou s’agite, sans que les élèves s’en rendent compte elle s’arrange pour les mettre de son côté contre le bavard, afin qu’il se sente culpabilisé (c’est son mot) par tout le groupe. Voilà les méthodes ignobles qu’on nous donne en exemple. Comment veut-on éduquer ainsi des gens à la citoyenneté, au respect de l’autre ? C’est du microfascisme, mais tellement répété cela finit par faire énorme.

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Angot et Moix dans un sous-marin qui n’en finit pas de couler

hier à Paris 13e, photo Alina Reyes

hier à Paris 13e, photo Alina Reyes

Angot et Moix s’enferrent dans leur discours, au motif de dénoncer le discours et de promouvoir la parole. Ils n’ont aucune parole, que du discours, et du piètre, du trafiqué, du mensonger. Ils agressent une combattante, eux qui sont vendus. Quand Angot dira-t-elle qu’il ne faut pas dire une combattante mais un combattant, elle qui récuse le mot écrivaine, qui se place comme Moix du côté du plus fort, toujours du côté du plus fort, là où il y a de la position assurée, de l’argent, de la sécurité, quand diront-ils tous deux que les combattantes et les combattants doivent se taire, leur laisser la parole à eux qui n’ont pas de parole, eux qui ne s’expriment que grâce à leur soumission à l’éternelle police ?

Ils se comportent en meurtriers qui ont un meurtre sur la conscience, celui de la littérature. La littérature qu’ils ont trahie les hante, l’enfer est dans leur tête, mais la littérature est ailleurs, toujours vivante, bel et bien.

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