Le silence des pantoufles et le violon de Didier Lockwood

orientation,*

De nouveau les oiseaux chantent à l’aube, et les pigeons roucoulent. Mon amour et moi, nous nous sommes serrés dans les bras.

J’ai vu plus d’un homme qui se prenait et se faisait passer pour un grand homme, un leader dans son domaine, à la première grosse tempête s’écrouler comme une marionnette mal assemblée. Naître et vivre dans la soie ne prépare pas au courage. Ainsi tombent, un beau jour, les vieux mondes, décomposés par leurs mensonges, leurs privilèges mal acquis.

« La jeunesse africaine est-elle un danger pour l’Europe ? » titre sans honte L’Obs. Le silence des « élites » intellectuelles et médiatiques sur les grandes iniquités du temps, l’accaparement des richesses par une minorité et l’accaparement du pouvoir par les hommes, est le silence des pantoufles, qui toujours pue la mort plus fort encore que le bruit des bottes. On remplirait aujourd’hui avec les élites qui pètent dans la soie des cohortes de cars climatisés pour le voyage d’allégeance au Reich bourgeois de ce temps.

La nuit avant de m’endormir je pense à mes élèves. Je pense aussi aux textes que j’ai lus.

Quand j’allais à la messe, j’étais mal à l’aise surtout au moment du Credo, et j’évitais de prononcer au moins le début « Je crois en Dieu le Père Tout-Puissant », car je n’y croyais absolument pas. Je ne crois en rien, et surtout pas en un dieu anthropomorphe, qui plus est à figure de père tout-puissant. Et je sentais que personne autour de moi n’y croyait, ni les fidèles ni les prêtres. Nous étions dans le mensonge, l’allégeance à une marionnette mal assemblée. Pour entrer dans l’islam, où je me trouvais déjà depuis toujours, il n’y a pas besoin de dire « je crois ». Le Coran dit d’abord « Lis ! » et non « Crois ! », puis à maintes reprises invite le lecteur à réfléchir. La profession de foi islamique n’est pas un credo mais une attestation aussi parfaite qu’une équation : « J’atteste qu’il n’y a de Dieu que Dieu » (d’autant plus juste que la tradition islamique reconnaît une infinité de noms à ce Dieu) « et que Mohammed est son messager » (un fait historique). Aussi loin qu’on approfondisse cette attestation, elle ne demande nullement, pour se tenir, une quelconque croyance. Il ne s’agit que de voir ce qui est, et de chercher à le comprendre, à le connaître. Ce que l’Islam a fait pendant son âge d’or, en lisant et donnant à lire tout ce qui était à sa portée, notamment les Grecs, et en donnant naissance à de grands scientifiques, comme à de grands artistes, intellectuels et artistes ; et à un soin des pauvres, à un humanisme enchanté pendant des siècles de barbarie catholique. Or chaque aube est un nouvel âge d’or, et chaque nuit est suivie d’une aurore.

Didier Lockwood est passé dans l’autre monde, où il continue de faire entendre, avec son violon, les oiseaux qui chantent à l’orient, le matin. La preuve :

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Pot plus ou moins pourri d’actu

Des tas de gens qui avaient une vie sexuelle « à risques » (plusieurs partenaires) se sont fait vacciner contre l’hépatite B, maladie sexuellement transmissible ; malheureusement ce vaccin a déclenché de nombreux cas de sclérose en plaques. Espérons que Tariq Ramadan n’a pas été victime de ce scandale sanitaire. Espérons aussi qu’il a une bonne chambre à l’hôpital, c’est toujours mieux qu’une cellule en prison, surtout quand on est habitué aux hôtels de luxe.

BFMTV nous informe que Johnny Hallyday a écrit six testaments « de son vivant ». Il faudrait peut-être lui en demander un septième, maintenant qu’il est mort. La mort porte conseil, peut-être ?

Catherine Millet continue à regretter dans L’Obs, qui lui ouvre grand ses fesses, de n’avoir pas été violée. Qu’elle passe plutôt une petite annonce sur des sites spécialisés.

Après avoir viré Aude Lancelin pour délit d’opinion gauchiste, L’Obs a viré Matthieu Croissandeau, coupable d’avoir publié une image de Macron entouré de barbelés et titrant « Migrants. Bienvenue au pays des droits de l’homme ». Après avoir viré Mathieu Gallet, le directeur de Radio France, via la commode Nyssen, Macron, toujours par la même voie, souhaite noyer Radio France dans France Télévisions. En marche vers le passé, voici revenir le temps de l’ORTF aux ordres du général – sauf que celui d’aujourd’hui n’a résisté à rien mais entend quand même commander une armée de petits soldats français obligés comme au mauvais vieux temps de faire leur service militaire.

À propos de vieille France, ce sont les méfaits de la France coloniale qu’a rappelés Gérard Depardieu, pas toujours mal inspiré, en appelant à voir ou revoir les films de René Vautier (il dit Jean, mais c’est René). Ça tombe bien, on peut le faire ici même.

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Danser, toujours. Pour une réelle refondation de l’école

cinq derviches tourneurs,*

J’ai évoqué quelques points de l’actualité dans les dernières notes, en parlant de hyènes et du fait que certaines personnes ne savaient pas se tenir. J’y ai repensé ce matin suite à mon cours de danse, pendant lequel j’ai dû marcher en ondulant et tressautant de tout le corps avec un fin, long et léger bâton posé à plat sur la tête – ce qui supposait donc de garder la tête bien droite afin qu’il y reste en équilibre malgré les mouvements et les déplacements du corps. En ces temps de refondation de l’école, il serait bon de songer à apprendre à danser aux enfants. Car spécialement dans notre monde judéochrétien, où le corps et l’esprit ont été séparés dramatiquement, connaître son corps-esprit, savoir se tenir, donne une grande et douce force contre les puissances nihilistes.

J’aurais pu aussi recommencer à chanter (mais il est un peu délicat de demander à intégrer un chœur en cours d’année), me remettre au piano, ou à la peinture ou au dessin, voire au théâtre – je ferai tout cela de nouveau quand cela se présentera. L’art ne doit pas être quelque chose qu’on se contente de consommer, par des visites au musée, en allant au spectacle, en écoutant de la musique, en lisant ou autre. L’art est humain (entre autres), et chaque humain doit pouvoir le pratiquer afin d’être pleinement humain et non pas se contenter d’exister en quelque sorte en parasite de la vie. C’est pourquoi, dans ma discipline, j’ai encouragé mes élèves à écrire, et pour ceux avec qui j’ai eu le temps de le faire un peu, à dessiner aussi. Pratiquer un art (et je comprends dans l’art ce qu’on appelle artisanat aussi bien que toutes sortes de travaux à caractère scientifique qui exigent une création, par exemple au moyen de langages informatiques) c’est sortir de soi, s’élever de soi.

La réforme du lycée et du bac telle qu’elle est présentée ne m’émeut pas beaucoup. C’est beaucoup plus profondément qu’il faudrait changer l’enseignement. Si le bac est dévalué par l’importance que va y prendre le contrôle continu (noté en fonction de niveaux d’exigence différents selon les établissements et – ce qui n’est pas relevé – forcément entaché de tricheries, car dans une salle de classe ordinaire il est impossible d’empêcher les élèves entraînés depuis des années à cet exercice de consulter discrètement leur portable et d’y trouver des réponses en ligne), de toutes façons le bac n’était plus adapté à notre temps. Le bac était déjà peu signifiant, d’où l’idée d’une sélection, sorte de deuxième examen, afin de s’assurer que les élèves qui s’inscrivent à l’université ont des bases suffisantes pour y suivre un parcours qui devra rester exigeant et non pas se conjuguer au rabais comme à l’école, au collège et au lycée, du fait de la baisse générale du niveau. On tourne en rond. En fait cette réforme est un pansement sur une jambe de bois. Ce qu’il faudrait, c’est éviter de couper une jambe à l’école, et cela en s’occupant de sa santé depuis le tout début.

La danse est bonne pour la santé. L’art est bon pour la santé. La danse, l’art, ne sont pas d’aimables activités ; les pédagogies en vogue se plaisent à transformer l’enseignement en aimables activités, l’école en une sorte de centre de loisirs où l’on aborde un peu tout sans rien apprendre. Il faut réintroduire au contraire dans l’enseignement la notion de discipline, à tous les sens du terme. Redonner à chaque discipline sa grandeur et son exigence, qui engage tout l’être, corps et esprit, désir d’apprendre et désir de créer, de recevoir et de donner, de départager et de partager. Accompagner l’humain dans un vrai passage à l’âge adulte, qui ne le coupe pas du génie de l’enfance.

On ne peut pas compter, pour refonder l’école, sur des humains par trop inaccomplis, comme il y en a tant dans les milieux de pouvoir. Il y faut une réflexion de sages, de personnes qui ont consacré leur vie aux arts et aux sciences et non pas à la politique, à l’argent, au statut social etc. Seuls des humains mieux accompagnés sur le chemin de l’humanité peuvent faire évoluer le monde dans le sens de la vie.

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Ramadan, Cahuzac, et autres hyènes de l’actualité

photo Alina Reyes

photo Alina Reyes

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Tout sonne faux dans l’affaire Ramadan. D’abord lui, tartuffe avéré, manipulateur et piètre intellectuel comme tant d’autres piètres intellectuels médiatiques dont toute l’habileté consiste à se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. Et son entourage, ses défenseurs – soit fourbes, soit, plus souvent, dupes. Mais aussi ses accusateurs, tous plus préoccupés de son influence politique que de ses abus sexuels, lesquels ne leur servent que de prétexte pour tenter de le neutraliser – une méthode lâche, antidémocratique et méprisable pour se débarrasser de quelqu’un dont on ne sait pas combattre les idées et l’influence par la pensée et l’action.

L’actualité ressemble à un combat de hyènes. J’ignore si les hyènes combattent, ces animaux paraissent si lâches – mais les combats de tant de célébrités en tous genres sont tout aussi lâches, ne présentant jamais ni leur vrai visage ni le vrai visage des combattants. Pour en revenir à Ramadan, le voilà maintenant, au bout de quelques jours derrière les barreaux, paraît-il malade et très affaibli. Il aurait dû apprendre à prier avant de se retrouver en difficulté, il s’en sortirait mieux et surtout plus dignement ; son attitude ressemble à celle de Cahuzac se répandant en confidences ignobles au tribunal sur ses désirs de suicide. À quoi comparer les escrocs de la finance ou de l’esprit qui, pris la main dans le sac, essaient de provoquer l’apitoiement sur leur malheureuse personne ? Je ne vois nulle bête qui se conduise de façon aussi méprisable.

Au moment où j’écris cette note, c’est la nuit, il pleut, il fait froid. Macron a reconnu n’avoir pas réussi à mettre à l’abri ceux qui dorment dehors. Encore une phrase trompeuse, honteuse : qu’a-t-il fait, qui n’aurait pas réussi ? Rien n’a été fait. Le portefeuille à la place du cœur sert de pensée à ce gouvernement, à ses soutiens, à ses pareils. Nouvelle fusillade dans une école, en Floride, on déplore de nombreux morts.

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David et Laura, enfants trahis mais vainqueurs

Après l’hommage national, le dommage national. C’est un choc d’apprendre que Johnny Hallyday a déshérité ses enfants naturels. L’élu de la macronie, non content d’être exilé fiscal, était donc aussi un exilé du droit français. Encore une fois, les citoyens français se réveillent sous la coupe morale des États-Unis : fric et spectacle. Le parent indigne a-t-il été victime d’un abus de faiblesse ? Cela ne le dédouanerait pas. Quand il s’agit de ses enfants, on ne se laisse pas manipuler sans y être prêt. On n’exerce pas sur ses enfants une énorme violence sans y trouver quelque satisfaction personnelle, quelque sentiment de vengeance pour quelque chose qu’on n’a pas soi-même réglé mais dont les enfants sont innocents. Comme dans tous les cas de crimes, explication n’est pas excuse.

Politiquement, cette affaire est aussi d’une violence et d’une tristesse sans nom. Syndrome du sacrifice de la génération suivante par la génération précédente. Syndrome du sacrifice de la nature, de l’amour, du vivant, par le fric, le faux, la mort.

Pourtant ce sont eux les vivants, Laura et David. Avec ou sans héritage, ils ont une activité, un talent, ils existent par eux-mêmes. Voilà leur victoire. Longue vie à eux !

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