Délation et mensonge, persécution d’enfants, de Roms et de musulmans : le visage hideux d’une certaine France aujourd’hui

Des dizaines d’enfants, dont certains âgés de moins de dix ans, dénoncés par leur école et emportés par la police pour être interrogés. Un enfant de six ans, fils d’une convertie à l’islam, contraint de jouer le rôle de Kouachi abattant un policier. Les mensonges et les dénégations des adultes autour de ces affaires quand elles sont dévoilées. Le numéro 2 de l’UMP accusant faussement des dizaines d’enfants d’être en retard chaque matin à l’école à cause de la mosquée à laquelle leurs parents les emmèneraient. Un prêtre médiatique accusant sur une grande radio les classes populaires et les immigrés de se reproduire comme des lapins. Cinq enfants, dont deux bébés, enlevés brutalement à leur mère au motif que leur père est soupçonné de vouloir faire le djihad – alors qu’il cherche à s’installer dans son pays d’origine, la Tunisie, avec sa famille. À ces persécutions des musulmans, il faut ajouter celles faites aux Roms, obstinément chassés de leurs bidonvilles et jetés à la rue avec leurs enfants. Affaires emblématiques du maire refusant le permis d’inhumer un bébé rom au cimetière de sa commune, ou encore de l’ancien résistant rom de 89 ans, rescapé des camps de la Seconde guerre mondiale, violenté gratuitement par la police (affaire classée sans suite), de l’absence de représentation des Tziganes lors de la commémoration de la libération d’Auschwitz… Ce n’est pas l’histoire qui repasse les plats, c’est une partie des hommes qui s’obstine dans l’indignité. Et l’indignité commence avec l’indignité du discours. Le racisme et l’islamophobie, serinés à longueur de médias par des Zemmour, Charlie, Houellebecq, Finkielkraut et bien d’autres, ne sont pas des opinions, qui mériteraient respect et liberté d’expression. Ce sont des appels à la persécution, et elle ne manque pas de s’ensuivre, en premier lieu de la part des pouvoirs publics.

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Pendant que la police interroge des enfants…

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J’ai trouvé le signalement de cette page facebook sur celle de Jean-Claude Lefort (dont j’ai repris une adresse à Manuel Valls ici sur mon blog en 2013). D’après les commentaires de ses lecteurs, en réponse à un premier signalement, Facebook a répondu que le contenu de la page (qui est tout entier de cet acabit) « n’était pas contraire à [leurs] standards ». Les signalements se sont multipliés mais la page est toujours toujours visible à cette heure.

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Lire aussi sur le site de l’Union juive française pour la paix l’article de Schlomo Sand dont voici un passage :

« Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».

En 1886, fut publiée à Paris La France juive d’Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre : Soumission, « La France musulmane » de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable « bestseller » de la fin du 19ème siècle ; avant même sa parution en librairie,Soumission était déjà un bestseller ! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d’une large et chaleureuse réception journalistique. Quelle différence y a t’il entre eux ? Houellebecq sait qu’au début du 21ème siècle, il est interdit d’agiter une menace juive, mais qu’il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. »

et aussi, parce qu’il faut ouvrir les yeux sur toutes les responsabilités, celles des auteurs et celles de leurs lecteurs, et notamment parmi eux des pouvoirs publics et des médias qui les soutiennent, par exemple cette réflexion d’Yves Pagès dont voici un extrait :

« … à tout le moins l’équipe rédactionnelle de ce journal manquait de vigilance anti-fasciste (malgré sa culture libertaire d’origine) en ne dénonçant pas unanimement le discours raciste sous-jacent de Soumission. Bref c’est constater que, sur ce point précis – la vulgarisation insidieuse des discours arabophobiques – Charlie hebdo était assez conforme à l’air du temps, alimentant sans garde-fou ni discernement la confusion des esprits. »

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De certains médecins et autres abuseurs

Après l’histoire de la fresque porno – représentant un gang bang, plusieurs hommes sur une femme – dans une salle d’internes, voici maintenant l’histoire des touchers vaginaux faits sur des patientes sous anesthésie générale. Sans leur permission, et qu’elles soient là pour une opération gynécologique ou autre. « Curieusement, pendant mes études, on m’a souvent proposé de faire des examens gynécologiques, mais jamais de faire un examen de la prostate… », dit Martin Winckler, très opposé à cette pratique apparemment courante, « dans le seul intérêt du médecin- qu’il soit “pédagogique” ou purement et simplement pervers ». Eh bien, il n’emploie certainement pas ces mots par hasard. À propos de pervers, j’ai été opérée il y a quelques semaines sous anesthésie générale, et je sais seulement ce que m’a dit l’anesthésiste à mon réveil, alors que j’étais encore incapable de répliquer ni de me souvenir de sa tête : qu’il y avait un risque de mourir pendant la phase de réveil. L’infirmière en était toute gênée, elle m’a dit son désaccord avec son comportement. C’était pure perversité de sa part, car je le précise pour ceux qui auraient à subir une anesthésie générale, les salles de réveil préviennent ce genre de risques, il n’y a pas à s’inquiéter.

Il y a deux ans, j’ai découvert sur internet qu’une petite compagnie de théâtre avait joué un spectacle adapté de mon roman Le Boucher. Je leur ai écrit gentiment pour leur demander de m’informer, s’ils comptaient le refaire. Ils m’ont répondu qu’en fait le spectacle n’était pas adapté de mon livre. Bien. Ce n’était pas correct de leur part, mais je n’ai pas voulu insister, ce n’est qu’une petite compagnie. Avant-hier, je découvre que le spectacle va de nouveau être joué à Paris, et qu’il est toujours annoncé, tant sur les sites de la compagnie, du théâtre, des journaux et des centrales de réservation, comme adapté de mon roman. Je leur écris de nouveau, ils me répondent encore une fois qu’il s’agit d’une erreur, que le spectacle n’est pas une adaptation de mon livre. Je leur fais alors remarquer que dans tous les cas, leur démarche est ambiguë et même malhonnête : soit le spectacle est adapté de mon livre, et ils doivent m’en prévenir (et je n’aurais pas donné mon accord pour un spectacle visiblement contraire à l’esprit de mon livre, d’après ce qu’ils en annoncent), soit il n’est pas adapté de mon livre et ils n’ont pas à annoncer qu’il l’est, sans doute pour faire davantage d’entrées – et avec une actrice coiffée comme je l’étais lors de la parution du livre – sans respecter mes droits, ni humains ni légaux.

J’évoquais dans la note précédente ceux qui confondent sexualité réelle et sexualité virtuelle. Il faudrait préciser : ceux qui abusent d’autrui en s’imaginant avoir son consentement, que ce soit parce que cet autrui est plongé dans une anesthésie ou parce qu’il est bien réveillé mais sans défense aussi, sur internet. C’est tellement plus confortable quand on est à l’abri et entre copains comme cochons. La veulerie de certains est sans fond.

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Infamie

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Cette nuit j’ai eu du mal à m’endormir, à cause de ce que j’avais lu et entendu avant de me coucher. Entendu l’abbé de La Morandais, ce prêtre mondain qui écume les plateaux télé depuis une éternité, réduire les immigrés à des animaux, selon le raisonnement suivant : le premier organe sexuel de l’homme est le cerveau, contrairement aux animaux, qui l’ont plus bas. Or dans les milieux populaires, sans éducation, on « baisouille comme des lapins ». Les immigrés, précisait-il quelques minutes plus tard, baisent comme des lapins, d’où la nativité importante en France, mais comme on ne fait pas de statistiques ethniques on ne prend pas assez garde à la nature de cette croissance démographique, c’est un problème dont l’Europe devrait se soucier davantage. Voilà, c’était dit sur Europe 1, à combien de centaines de milliers ou de millions de gens ? * Et ce que j’ai lu, c’est l’histoire suivante : un jeune type entre dans une boulangerie, grille la file d’attente pour se faire servir. S’ensuit un accrochage verbal avec l’un des clients. Une fois le type parti avec son pain, et le client lui aussi servi, ce dernier va raconter à des CRS en poste devant la synagogue d’en face que le jeune type a dit des choses interdites, du style apologie du terrorisme. Quelques jours plus tard, la police retrouve le type dénoncé, il prend dix mois de prison ferme. Quoique les clients de la boulangerie nient les propos incriminés, parlant d’une simple dispute. Racisme le plus infect étalé sans état d’âme, délation et diffamation, assister chaque jour à cela dans son pays, c’est extrêmement triste. J’ai pensé à Maus, d’Art Spiegelman.

* Les paroles exactes de l’abbé de La Morandais : «La démographie européenne est menacée. On n’a pas le droit de demander quelle est la part des immigrés dans le taux de natalité français. Sujet tabou ! Et pourtant c’est une vraie question parce qu’eux ils se reproduisent comme des lapins.»

Sadisme et ténèbres

Charlie, national hebdo, « ne prend pas les musulmans pour des imbéciles », dit maintenant Luz. C’est assez pitoyable, mais c’est sans doute plus vrai qu’il ne l’imagine, et si c’est le signe qu’ils renoncent à se nourrir de leur racisme, tant mieux. Je n’ai pas lu de meilleure analyse de ce qu’ils furent ces dernières années que celle de Norman Finkelstein, qui compare les caricatures de musulmans par Charlie à celles des juifs dans les années 30 par un journal antisémite allemand, évoque la situation des musulmans et dit : « Ce n’est rien d’autre que du sadisme. Il y a une très grande différence entre la satire et le sadisme. Charlie Hebdo, c’est du sadisme. Ce n’est pas de la satire. ». Oui, c’est tout à fait ça : de la bêtise et du sadisme, l’un allant avec l’autre, l’un essayant de compenser l’autre, sans jamais y parvenir, d’où le cercle vicieux, l’obsession.

Le sadisme vient de la bêtise, qui vient elle-même du ressentiment. L’imbécile est meurtri par le secret sentiment que d’autres sont plus intelligents, plus vivants que lui, ce pourquoi il lui faut les faire souffrir. C’est aussi en partie ce qui se passe entre l’Europe et la Grèce. L’Europe doit presque tout aux Grecs, au bond prodigieux qu’ils firent faire à l’humanité dans l’Antiquité et dont la pensée continue de fructifier. Voir ce pays se retrouver dans l’ombre pendant des siècles, puis le gaver d’argent comme on gâterait un enfant avant de le gifler, voilà le jeu sadique auquel s’est livrée la Troïka avec les Grecs.

La jalousie entre les civilisations du monde et le plaisir qu’elles ont à voir ou s’imaginer l’autre tomber sont les premières têtes de l’énorme Bêtise qui menace l’humanité. Cela vaut à l’échelle des continents, des pays, voire des régions, et aussi des communautés et des individus. La honte secrète de soi est le moteur du sexisme et de tous les racismes. Quant aux Grecs, leur lumière a traversé le temps à même leur langue, prête à éclairer de nouveau. Olivier Drot retweete une information selon laquelle le poète Adonis entamerait une grève de la faim pour les soutenir face à l’Europe. Barack Obama lui aussi appelle à relâcher la pression sur la Grèce. J’ai commencé à lire Le continent des ténèbres – Une histoire de l’Europe au XXe siècle, par Mark Mazower. Les ténèbres sont toujours là, attention.

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Fiction or not fiction, that is the question

Toute fiction s’inspire du réel. De situations, de personnes, d’expériences, de faits réels. Le mot fiction vient du verbe latin fingo, qui signifie façonner, pétrir. On pétrit quelque chose, et non pas rien, comme pourrait dire Parménide. La même racine a donné les mots figure et ses dérivés, ainsi que feindre. En anglais elle a donné aussi faint (faible, vague).

L’homme a besoin de fictions comme supports à sa pensée. Les mythologies, les cosmogonies, les religions reposent sur des fictions. Figures et concepts sont étroitement alliés dans la formation de la philosophie et de la pensée. Les mathématiques elles-mêmes sont nées de figurations géométriques, elles-mêmes nées de l’observation de la nature, phusis (physique).

À oublier que la pensée naît du réel via la fiction, on tombe dans de faux processus et de faux procès. Le véritable serviteur, celui qui façonne le réel au service de la pensée, donc de l’élévation de l’humanité, qui ne peut se survivre qu’en s’élevant, en croissant (tel est aussi le sens du mot phusis, de même racine que les mots phos (lumière), phèmi (dire), et un autre phos (être humain)), s’élève, comme le dit Kafka, « d’un bond hors du rang des meurtriers ». Et cependant il est poursuivi comme un meurtrier (Le Procès). Le jugement des hommes, contraire à celui de la Vérité, les condamne, parce que les hommes ne veulent pas voir révélé le mal qu’ils font dans l’obscurité. « Et le Jugement, le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne lui soient reprochées », dit l’évangile de Jean.

Une autre inversion de ceux qui font le mal consiste à faire passer de la fiction pour la vérité. Ici nous sommes dans le système idolâtrique. Une figure du faux est présentée comme vraie et vivante. Un film sorti l’année dernière faisait ainsi passer une photographe inventée de toutes pièces pour une personne ayant vraiment existé, dont on exposa et vendit même les photos fabriquées. Vulgaire escroquerie au service de Mammon, comme on dit dans la Bible, à savoir de l’argent et du mal. Les exemples de telles escroqueries à l’art fourmillent, qui non seulement sont destinées à remplir les poches de faux artistes et de leurs producteurs et autres distributeurs, galeristes, éditeurs etc, mais aussi à établir le règne de la confusion dans l’esprit du public, afin que la vérité lui devienne indiscernable du mensonge, et que le cercle vicieux puisse continuer à tourner, l’argent à rentrer et la vérité à être occultée. Ainsi a-t-on vu de faux témoignages de partouzeuses ou de déportés dans les camps de la mort faire des succès mondiaux. Car ceux qui sont, par manque de vérité en eux, impuissants à créer des fictions qui élèvent l’être à la vérité, fabriquent des fictions qui feintent la vérité : ce n’est que parce qu’ils les font passer pour récit de vécus réels qu’ils parviennent à susciter l’intérêt du public. Leur fabrication ne tient que par la croyance au faux qu’elles exigent. Il ne s’agit pas d’art, mais de contrefaçon, tout à la fois contrefaçon de la vie et de l’art.

Le lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo, un écrivain racontait sur sa page facebook les réactions accablantes d’une classe de banlieue dans laquelle il avait été invité à parler de théâtre. Les clichés effrayants sur les jeunes de banlieue, arabes et noirs, y éclataient si bien que les médias (dont Alain Finkielkraut) s’empressèrent de reprendre son récit. Quand la vérité fut dite par le professeur et les élèves, à savoir que les choses ne s’étaient pas du tout passées comme il l’avait prétendu, le mal était fait et personne ne se soucia de le corriger. J’avais déjà lu sur la page de cet auteur de courts récits, écrits d’une plume allègre à la première personne, comme des témoignages de choses vécues. Il était clair qu’il s’agissait en fait de fictions, et tant qu’elles ne mettaient en scène que des historiettes d’amour, peu importait que les lecteurs soient dupes ou non. Mais présenter comme le réel brut des reconstitutions fantasmatiques du réel ressort de la tromperie et participe à semer dans le monde la confusion des esprits. Soyons attentifs, auteurs comme lecteurs.

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