Vieille école de la gynophobie, de la judéophobie et de l’islamophobie

Chasse aux juifs et chasse aux sorcières (et à leurs « sabbats ») allèrent ensemble sur nos terres chrétiennes comme aujourd’hui chasse aux musulmans et chasse aux femmes voilées. Chaque société patriarcale établit, sur sa religion dominante, un ordre où les hommes sont soumis au Père (aux chefs, eux-mêmes soumis entre eux) et les femmes soumises aux hommes (sinon, leur édifice de domination/soumission menace de s’écrouler) selon un code, vestimentaire et comportemental, particulier. Judaïsme, christianisme et islam sont des systèmes également patriarcaux, chacun avec ses propres codes de soumission, le plus souvent si bien intégrés qu’ils paraissent obéir au bon sens et à une exigence de civilisation à l’intérieur de chaque groupe – mais qui, d’un groupe à l’autre, peuvent apparaître monstrueux, en tout cas insupportables, tout simplement parce qu’ils sont signes de soumission à d’autres qu’à son propre système de soumission. Ce mécanisme est particulièrement aigu pour ce qui concerne la perception des femmes. Pour des religieux, une femme en minijupe est signe d’une sexualité animale, non maîtrisée par l’homme puisqu’elle pose un interdit sur l’exclusivité de son désir. Pour des non-religieux, une femme voilée est signe d’une sexualité animale également, non maîtrisée par l’homme puisqu’elle pose une barrière à son désir. Les femmes sont ainsi les pions à travers lesquels les groupes se jalousent et s’affrontent, et aussi à travers lesquels les hommes expriment leur mécontentement de voir d’autres hommes appartenir à un autre système de soumission que le leur – et tout au fond de devoir reconnaître leur propre soumission à un ordre social dans le miroir que constitue un autre ordre social. Quand M.Blanquer déclare au nom de la liberté des femmes que les femmes feraient mieux de ne pas se voiler, il se comporte exactement comme ceux qui, de l’autre côté, déclarent qu’elles feraient mieux de se voiler. Chacun pose son injonction sur les femmes parce que c’est une façon détournée, lâche pour tout dire, de faire la guerre à un autre mode de pensée que le sien. Il est plus facile à des petits mecs de demander à une femme, dans une assemblée, de retirer son voile, ou, à la maison, de demander à une femme de porter un voile, que de se retrouver face à face pour découdre de leurs frustrations, de leurs désirs toujours contrariés, quoi qu’ils fassent, quant aux femmes qui, même putes ou soumises, ne sauraient de toute façon leur appartenir.

foret-profondeBien entendu je parle ici de certains hommes, ceux de la vieille école. Tous ne sont pas de la même école, quelle que soit leur confession ou leur culture. Et il faut ajouter à ces hommes de la vieille école nombre de femmes de la vieille école, elles aussi soumises à leur culture, quelle qu’elle soit, et à son système. La femme voilée qui a été attaquée verbalement par un homme lors d’une sortie scolaire a quelques minutes après été également attaquée verbalement par une femme. (De même que j’ai été attaquée verbalement, non pour un vêtement mais pour ma littérature, par des hommes et par des femmes, en public ou non). J’ai connu également des agressions islamophobes quand je suis passée à l’islam, et l’université de Cergy-Pontoise où j’ai passé mon doctorat aurait pu me dénoncer avec son formulaire de signalement des musulmans (mais ils n’ont pas pensé aux marques possiblement laissées sur les pieds – pour d’autres, sur le front- par la pratique de la prière). Les femmes tuées tous les deux jours en France par des hommes ne le sont ni pour leur religion ni pour leur culture. Elles sont tuées parce qu’elles sont libres, de toute façon.

Une occasion de rappeler cette note sur mon livre Lilith.

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Le mal

 

Xavier Dupont de Ligonnès, infanticide et féminicide, court toujours, âme damnée parmi les ombres. C’était une bonne famille bien catholique, toute semblable à celles qui défilent sous le drapeau « un papa, une maman »…

Qui prétend assumer ses contradictions s’avoue en fait soumis au mal.

L’Europe continue à assumer ses contradictions avec Daech et avec les Kurdes. Comme l’ont fait depuis plus de cent ans, à coups de doubles jeux et de trahisons, les empires coloniaux avec leurs colonies.

J’ai signé la pétition de Vincent Cespedes contre le fait que l’Éducation nationale recommande l’étude d’Heidegger, philosophe nazi (comme je l’ai expliqué ici et dans ma thèse, ce qui m’a valu un reproche d’un membre du jury comme les autres soumis à l’opinion – à défaut de lecture et de pensée profondes) en classe de terminale.

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paris 13e 6-minCes jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

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Vendus : Yann Moix, face cachée de l’édition et des médias : banalité de l’infection mondaine

 

Dans son dernier livre Yann Moix raconte que son père l’obligea à manger ses excréments en public (d’après Marie-Claire, le magazine féminin qui, gobant tout, s’émerveille de la résilience de l’auteur, auquel elle avait déjà ouvert ses colonnes pour l’y faire vanter sa consommation en série de jeunes Asiatiques – alors qu’il s’était déclaré ailleurs « prédateur sexuel », traitant les femmes de « réceptacles à jouissance, d’orifices à contentement, de cargaisons qu’on pelote »). Eh bien l’y voici, en train de manger sa merde en public, et qui l’y contraint ? La vérité, qui finit toujours par se faire jour, y compris en utilisant ceux-là même qui veulent la cacher. Voilà que toute la merde de Yann Moix s’étale dans l’espace public, comme il ne croyait pas si bien dire, pour une fois (les gens, y compris l’immense majorité de ceux qui publient des livres, ignorent le pouvoir des mots).

Voilà que ses amis d’extrême-droite, pas si anciens puisqu’il les fréquentait encore au moins jusqu’en 2013 voire 2016 (où il est photographié en compagnie de Frédéric Chatillon, ex-membre du GUD, violemment antisémite, proche de Marine Le Pen), préfaçait en 2007 le livre antisémite de Blanrue publié par Soral, etc., ravis de lui faire payer sa duplicité – le cœur facho, le porte-monnaie dans la bien-pensance – ressortent les dossiers. Déballage en ligne et ailleurs (Dieudonné annonce qu’il va raconter à la presse les relations de Moix avec lui et la bande des antisémites mondains), la révélation se poursuit.

En fait personne n’est vraiment étonné : soit les gens savaient, soit ils ne savaient pas mais l’attitude sadique de Yann Moix chroniqueur avait suffi à leur faire comprendre quel genre de personne il était. Le plus grave est que le milieu de l’édition et des médias l’aient soutenu et continuent, à part L’Express qui a sorti les documents sur sa production négationniste, à essayer de minimiser l’affaire. Plus ou moins inconsciemment. Exactement comme l’Église l’a fait face aux affaires de pédophilie. Parce que c’est dans leur culture. L’extrême-droite et l’antisémitisme sont dans la culture des milieux de l’édition et des médias comme la pédophilie est dans celle de l’Église.

Considérons déjà tout simplement le soutien inconditionnel de BHL, Moix et d’autres à Israël : c’est un soutien à un régime d’extrême-droite. Rappelons que BHL rejoignit Sollers et Gluksmann à l’Internationale de la résistance, une officine créée en 1983 et financée par les services secrets américains, utilisée pour de sales besognes politiques en Amérique Latine, soutenant notamment les milices du dictateur d’extrême droite Somoza. Rappelons qu’Antoine Gallimard, héritier d’une maison d’édition qui se sauva en collaborant avec les nazis, veut maintenant rééditer les pamphlets antisémites de Céline. Sachons que Paul-Eric Blanrue, le grand ami antisémite et négationniste de Yann Moix, raconte que ce dernier lui affirma que Sollers, éditeur chez Gallimard, pourrait vouloir publier un portrait élogieux du négationniste Faurisson – comme quoi Moix n’a pas encore appris à connaître ceux à qui il fait allégeance : Sollers est beaucoup trop prudent, pour ne pas dire pleutre, pour exposer lui-même ses inavouables pensées ; il le fait faire par d’autres, dans des livres ou des articles (comme celui où Savigneau dit dans le Monde des Livres, à propos du livre que Zagdanski et moi avons écrit : « prends le fric et tire-toi », formule dans laquelle Zagdanski reconnut une insulte antisémite).

Moix n’est que la face cachée de ce milieu de l’en-même-temps à la Macron, dans lequel Macron ferait d’ailleurs figure d’enfant de chœur. En même temps humaniste et fasciste, ou plus exactement humaniste par façade, salopard dans l’esprit et les actes – qui plus est hypocritement, lâchement. Sa face cachée politique, mais aussi littéraire : ce milieu est aussi celui de la mauvaise littérature, fabriquée et vendue industriellement, comme ses auteurs vendus.

Voir aussi : « Yann Moix : une obsession antisémite qui vient de loin »
Attendons maintenant de voir comment vont se comporter les médias, s’ils vont continuer à promouvoir, via Yann Moix, cette infection mondaine.

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Cyrano de Bergerac, né de sémites (par le Collectif Chapitre Treize)

Au début de cette semaine, la ministre des armées a déclaré vouloir rendre à Alfred Dreyfus « tout l’honneur et toutes les années qu’on lui a ôtés ». Il serait question de l’élever, du grade de capitaine, à celui de général. Voilà qui résonne avec le formidable Cyrano de Bergerac que je viens de voir à Avignon mis en scène et interprété par le Collectif Chapitre Treize (cf note précédente).

 

cyrano

Cyrano y est interprété par un comédien et rappeur du nom de Younès Boucif. Il est aussi beau que le beau Christian, il n’a pas été enlaidi pour le rôle, qu’a-t-il donc d’un Cyrano ? Son nez est un élégant nez de sémite, son visage et son nom sont ceux d’un sémite, arabe en l’occurrence. J’ignore si de la part du metteur en scène, Gaspard Baumhauer, la référence à la figure d’ostracisé qu’est l’Arabe sous nos cieux est volontaire ou non ; de même que j’ignore si Edmond Rostand, dreyfusard, a songé que le nez de son personnage pouvait renvoyer à celui du juif Dreyfus, dont l’affaire avait éclaté trois ans plus tôt, nez juif tel que le fantasment les antisémites. D’un mal-né d’hier à un mal-né d’aujourd’hui, les phénomènes d’ostracisme et d’exclusion ont beau souvent se voir comme le nez au milieu de la figure, on s’obstine à ne pas vouloir les voir. La société qui réhabilite Dreyfus aujourd’hui ostracise et rejette « en même temps » bien d’autres mal-nés, sémites arabes, Noirs et autres racisés, dont les femmes, traitées comme une race à part, surtout si elles sont libres.

Car en vérité c’est la liberté de celui ou celle qui ne fait pas partie du clan, qui ne s’y soumet pas, c’est la singularité qui est harcelée comme l’est Cyrano à cause de son nez. Et j’ai aimé la colère avec laquelle Younès Boucif a dit la tirade des « Non, merci », version énergique du « I would prefer not to » de Bartleby the scrivener, dans la nouvelle éponyme de Melville, antérieure de quelques décennies à la pièce de Rostand. Face à son Cyrano, Gaspard Baumhauer a choisi de faire incarner le puissant comte de Guiche par un comédien tout aussi charismatique, Sydney Gybely, lui aussi marqué d’une singularité, sa taille modeste et sa beauté. Au fond les deux personnages ne sont-ils pas deux faces d’un même être, d’une puissance différemment exprimée, d’une lutte intérieure entre la possibilité de « la fortune et la gloire » et celle de « Rêver, rire, passer, être seul, être libre » ?

Roxane (Marie Benati), éternelle mineure aux yeux de la société, a vécu dans l’illusion, et Christian (Pierre Szczurowski) s’est un temps laissé entraîner dans l’illusion (mais le comte de Guiche aussi a eu ses illusions, si puissant fût-il) qu’elle préférait à l’amour réalisé, sans doute craint, avant de sauver son honneur en allant mourir au combat. Les quatre personnages peuvent n’en faire qu’un, dans la vie réelle. Le tout est de savoir non pas qui l’emporte, mais ce qui l’emporte, à la fin. Pour ma part, je dirai : la langue (et l’alexandrin retrouve sa vigueur dans la scansion rap fréquemment mise en œuvre dans cette mise en scène) et la tirade des « Non, merci », acte II, scène 8.

 

Le Bret.
Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire
La fortune et la gloire…
Cyrano.
Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce,
Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? Se changer en bouffon
Dans l’espoir vil de voir, aux lèvres d’un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d’un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? Une peau
Qui plus vite, à l’endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?…
Non, merci. D’une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l’autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
S’aller faire nommer pape par les conciles
Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d’en faire d’autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu’aux mazettes ?
Être terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : « Oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François ? »…
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
Préférer faire une visite qu’un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais… chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, – ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,
Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !

 

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Panache !

Antisémitisme : signe d’une maladie sociale prospérant sur l’élitisme

Recrudescence des actes antisémites. Le démon européen millénaire se nourrit des crises, vampirise les temps troublés, les mouvements sociaux, les changements sociétaux, les instabilités politiques, les pics d’injustice structurelle de masse. L’antisémitisme est le très vieux ver dans la pomme du catholicisme et, de par les connivences historiques de ce dernier avec les régimes d’extrême-droite et autres fascismes, le nerf de la guerre des partis et groupuscules des idéologies combinant nationalisme, xénophobie et haine de la démocratie. Deux portraits de Simone Veil ont été récemment souillés d’une croix gammée place d’Italie à Paris ; place du Panthéon, en septembre dernier, quatorze de ses portraits ont été souillés d’une croix chrétienne.

L’antisémitisme est aisément identifiable, parce que revendiqué, à l’extrême-droite et chez beaucoup de musulmans gagnés par le besoin de boucs émissaires ou simplement imprégnés du racisme ordinaire qui a cours entre peuples qui cohabitent ou voisinent depuis longtemps, et se ressemblent tout en voulant se distinguer (racisme qui fonctionne pareillement chez beaucoup de juifs envers les musulmans, sans la même violence en Occident mais avec une violence au moins équivalente en Israël). Mais il est aussi répandu dans toute une société apte à cacher ses passions mauvaises derrière des masques de respectabilité, voire de progressisme et d’antiracisme. On le voit notamment ces jours-ci avec la révélation des méfaits de la ligue du LOL, persécutions sexistes, homophobes, racistes et antisémites de la part de journalistes d’une presse prétendument féministe et antiraciste.

Cette funeste ligue n’est en fait qu’une reproduction de la société dans laquelle nous vivons, et singulièrement du macronisme. L’ex-community manager de Macron en faisait d’ailleurs partie, et s’est empressé d’effacer des centaines de tweets de son compte ce week-end. Les trentenaires de la ligue sont les mêmes que ceux du boys’ club de Macron, ces petits mecs sans expérience chargés de le conseiller et de lui proposer des éléments de langage. Dans la ligue du LOL comme à l’Élysée, il s’agit de manipuler le langage afin de manipuler l’opinion, manipuler les gens jusqu’au harcèlement – faut-il encore rappeler la litanie des insultes et autres mesures de rétorsion de Macron envers les classes populaires qu’il faut empêcher d’accéder au pouvoir, comme il fallait à la ligue des ordures du journalisme empêcher des femmes, entre autres, d’accéder aux postes qu’ils se réservaient. La prétention à l’antiracisme n’est bien souvent que la façade ravalée d’un immeuble pourri – en témoignent notamment les dérapages de Macron sur le kwassa-kwassa ou le Gitan qui ne saurait parler normalement.

L’antisémitisme est un racisme, et tout racisme comprend tous les racismes. On ne peut pas être à la fois raciste et antiraciste, antisémite et antiraciste, islamophobe et antiraciste, etc. Le racisme repose sur la croyance aux races. Les racistes pensent qu’ils ne sont pas racistes si leur racisme vise les juifs, ou les musulmans, ou d’autres groupes de telle ou telle confession, telle ou telle culture qu’ils disent ne pas distinguer par leur couleur de peau mais par leur confession ou leur culture. Ce raisonnement primaire ne fait que prouver leur racisme, leur croyance au partage de l’humanité en races selon les apparences physiques. Tout racisme se justifie par de bonnes raisons, en réalité faussées ou entièrement fausses.

Contrairement à ce que croient les racistes et les sexistes, même quand on le veut on ne réduit jamais des humains à leur physique ou à leur sexe. Comme le disait le juif Jésus, les pires fautes que nous commettons sont les fautes contre l’esprit (et il avait entrepris de démolir l’élitisme présent dans sa culture, cette faute contre l’esprit). Le racisme et le sexisme sont des fautes contre l’esprit. Croire que des apparences physiques différentes seraient la marque de races ou d’humanités différentes, c’est nier que l’humanité est une, animée dans ses variations par un même esprit, et que l’humain est le semblable de l’humain. Le racisme, qu’il soit dirigé contre des traits physiques ou contre des traits culturels, crée l’élitisme, qui à son tour démultiplie les formes de racismes, dont les racismes de classe tellement à l’œuvre dans notre société, et exaltés par le macronisme.

De même qu’il existe un alcoolisme mondain, il existe un racisme mondain, dont l’antisémitisme n’est qu’une des formes de la peur de soi et de l’autre, si fréquente en particulier chez ceux et celles qu’animent des pulsions de domination, que ce soit dans les sphères privées (famille…) ou dans les sphères publiques du pouvoir. Comme en témoigne le blogueur Korben, l’une des victimes de la ligue du LOL : « La plupart de ces harceleurs sont calculateurs, manipulateurs, sans aucune empathie pour leurs victimes. Et pourtant leur visage social est joyeux, souriant, humoristique, cultivé, sympathique. Ils occupent quasiment tous de bons postes où ils peuvent dominer et il est impossible de les démasquer tant que l’on n’a pas été une de leur cible. »

L’interdit qu’ont heureusement réussi à imposer les juifs sur l’antisémitisme, dans une civilisation qui les a persécutés pendant des siècles jusqu’à tenter de les exterminer totalement, a rendu cet antisémitisme plus difficilement avouable, souvent même à soi-même ; et beaucoup l’ont remplacé par l’islamophobie, un racisme sur lequel ne pèse pas le même tabou. L’islamophobie est devenu un élément ouvertement rassembleur des Français dits de souche comme l’antisémitisme le fut ouvertement en d’autres temps. Dans La fin de l’intellectuel français ? De Zola à Houellebecq, Shlomo Sand écrit : « Feuilleter les numéros de Charlie, de 2006 à 2015, provoque la stupéfaction. (…) L’islam est bien plus qu’un « détail » dans l’existence hebdomadaire du journal. (…) Dès qu’il s’agit de l’islam, tous les freins sont levés : les musulmans sont toujours répugnants, repoussants et même, la plupart du temps, menaçants et dangereux. Les dessinateurs de Charlie raffolaient particulièrement du postérieur de Mahomet, de ses testicules (…) Il y avait plus que de la laideur dans cette représentation méprisante et irrespectueuse de la croyance d’une minorité religieuse (…) Il est surprenant de voir combien les juifs « sémites » d’hier ressemblent au musulmans « sémites » d’aujourd’hui : même laideur du visage et même nez, long et gros. (…) Cette caricature répugnante… Ce type de dessin n’est pas dirigé contre les intégristes, ni contre les princes saoudiens, et n’a pas non plus pour objet la défense des femmes (…) Il est interdit de prôner la stigmatisation d’un groupe d’humains du fait de son origine, de son genre, de ses orientations sexuelles ou de sa religion. (…) Pourquoi plus de quatre millions de Français ont-ils défilé sous un slogan qui les identifiait à un journal islamophobe et totalement irresponsable ? » Shlomo Sand développe dans le même livre un chapitre sur la promotion médiatique inouïe faite à Houellebecq et à son islamophobie, notamment lors de la publication de son roman Soumission. Constatons que ce sont les mêmes organes de propagande qui ont porté au pouvoir Emmanuel Macron et son racisme social, entre autres. Et comprenons que la recrudescence des actes antisémites est un indicateur, telle une éruption de fièvre, de la maladie bien plus généralisée de tout un corps social.

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Quelques photos et réflexions

En France, une musulmane est empêchée de chanter. Non par quelque fatwa, mais par le décret religieux de la République, qui n’admet qu’une seule façon de penser et de s’habiller. Affaire lamentable de Mennel conduite par la pression à quitter l’émission The Voice. Parce qu’elle porte un turban dans les cheveux, on fouille son compte twitter – sans s’interroger sur les opinions des autres candidats, comme l’a fait remarquer Rokhaya Diallo. Comme sur n’importe quel autre compte twitter, on y déniche une parole trop vite écrite. C’est bien connu, les chanteurs de variété sont de profonds philosophes et d’excellents politologues, ils mènent une vie irréprochable – toutes raisons pour lesquelles on les célèbre – du moment qu’ils ne sont pas musulmans. L’antisémitisme revient au galop en Europe, nous dit-on. Oui, et l’islamophobie est sa forme la plus répandue et la plus consensuelle.

En 1990, le merveilleux André Chouraqui, ancien maire de Jérusalem, disait à Apostrophes : « tous les chemins mènent à La Mecque ». Il en savait quelque chose, lui qui avait magnifiquement traduit la Bible, l’Évangile et le Coran en français. Les chiens aboient, la caravane passe.

Dansé hier – une heure et demie de joie du corps savante. Rêvé cette nuit que par une baie vitrée, à Édimbourg, je contemplais les allées et venues de grands animaux fantastiques et magnifiques sur les toits.

Ce matin, il neige de nouveau.

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immeuble

selfie

rue nuit

neige fenêtreces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

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Antisémitisme, l’éternel retour

J’ignorais que Renaud Camus, Alain Soral, Dieudonné, les ultras de la Lazio de Rome, les pangermanistes autrichiens et autres fachos nationalistes européens, étaient musulmans. Et pourquoi pas Antoine Gallimard, qui voulait rééditer les pamphlets de Céline, ou Françoise Nyssen, qui voulait commémorer Maurras ? Car d’après Antoine Gallimard, « aujourd’hui, l’antisémitisme n’est plus du côté des chrétiens mais des musulmans, et ils ne vont pas lire les textes de Céline. » Cette déclaration parfaitement raciste (pourquoi les musulmans ne liraient-ils pas Céline ?) révèle une fois de plus combien sont proches l’antisémitisme et l’islamophobie. L’antisémitisme, qu’il soit de culture chrétienne ou de culture islamique, est d’abord le signe d’une haine de soi, christianisme et islam ayant pour source le judaïsme. Que bien des gens issus du christianisme et de l’islam aient des raisons de se haïr, cela se comprend aisément quand on sait la pression et les abus que ces religions, comme le judaïsme et sans doute toutes les religions, peuvent exercer sur les êtres humains. La tartufferie de Gallimard et de Nyssen est, comme la haine, une tradition bien chrétienne aussi, bien de toutes les religions aussi. Une saloperie, très répandue sous le masque de l’honorabilité.

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Merah, antisémitisme, sexisme, etc.

craie*

Antisémitisme, racisme, sexisme, se tiennent par les pattes dans un même panier de crabes.

C’est toute la famille Merah (j’avais écrit par lapsus Perah – lapsus aisément décodable : père, patriarcat), à commencer par père et mère, qui est coupable, moralement sinon pénalement, des meurtres commis par Mohamed Merah ; et qui est coupable aussi de la mort de Mohamed Merah, leur fils et frère. C’est aussi, plus largement, le fond patriarcal de l’islam que trop de musulmans refusent de combattre, par respect de la tradition alors que le prophète de l’islam a pris tous les risques pour combattre la tradition, et notamment la tradition patriarcale, qui prône ou autorise la brutalisation des enfants et des femmes. Cet islam n’est pas l’islam, mais l’esprit des tribus qui a repris le dessus. C’est cet esprit qui se retourne contre les juifs, puis contre tous ceux qui ne font pas partie de la tribu. Ces gens-là sont retournés à la mentalité préislamique, celle où l’on discriminait à mort les filles, où les hommes avaient tout pouvoir de violence et de mort sur leurs proches et où les peuples s’entrepillaient et s’entretuaient pour des questions de richesses et de territoires. Comme ce fut le cas aussi en Europe et partout ailleurs dans le monde, comme c’est toujours le cas à une autre échelle, à une échelle qui a donné les grandes guerres mondiales du vingtième siècle et leurs atrocités, à une échelle qui continue à semer la mort dans le monde de façon souvent plus détournée mais tout aussi meurtrière.

Le journal Le Monde dénonce l’antisémitisme des banlieues. Il existe. J’ai moi-même entendu une vieille Arabe, au sortir de la mosquée, me dire qu’il ne fallait pas dire « salam » mais bien « salam aleykoum » pour ne pas risquer le rapprochement avec le « shalom » juif (bien entendu c’est ridicule, les deux langues, comme les deux peuples, sont sœurs, et la formule de salutation juive entière, « shalom aleichem » se prononce également presque comme le « salam aleykoum » arabe). J’ai vu la seule jeune femme de la maison qui ne se voilait pas (et vivait à l’extérieur), en visite dans sa famille, traitée par ses frères comme un objet avec lequel rigoler brutalement. Cet antisémitisme doublé de sexisme (car le sexisme est à la base de tous les racismes) existe, mais il n’est pas répandu partout. Dans mes classes en banlieue, dont les élèves sont d’origines très diverses, je n’ai jamais observé le moindre sursaut dénégateur chaque fois que j’ai évoqué les camps de concentration nazis ou plus généralement l’antisémitisme – ou le racisme, ou le sexisme. Que Plantu dans un dessin en une du même journal accuse les profs de ne plus parler de la Shoah en classe montre seulement que le racisme se nourrit d’ignorance. Et que le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, sont aussi ancrés chez beaucoup de journalistes et d’intellectuels prétendument éclairés. « La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) soulignait en mars la persistance des « vieux préjugés antisémites liant les juifs au pouvoir et à l’argent », écrit Le Monde. Certes, et en voici un exemple personnellement vécu : lorsque Stéphane Zagdanski et moi avons publié notre livre La Vérité nue, Josyane Savigneau, alors rédactrice en chef du Monde des Livres (et aujourd’hui opposée aux féministes qui dénoncent les viols de Polanski), écrivit dans ce vénérable journal du soir que Zagdanski et moi avions pratiqué le « prends l’argent et tire-toi », en un doublé d’antisémitisme et de sexisme très bien supporté par tout le monde puisqu’il ne venait pas de banlieue mais des beaux quartiers.

C’est ainsi que le serpent se mord la queue. Les élites de culture chrétienne ont transféré leur antisémitisme, désormais très mal considéré, de façon limpidement freudienne, dans l’islamophobie. Leur sexisme demeure, toute l’organisation de la société le clame, mais non dit, comme leur antisémitisme qui va souvent jusqu’à se déguiser en philosémitisme. La haine circule des élites blanches aux populations des banlieues, et réciproquement. Tant qu’on ne soignera pas l’ensemble, les abcès continueront à crever, libérant par moments le pus et le sang mêlés de notre société.

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joconde et peléhier soir à Paris 5e, photos Alina Reyes

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Le symptôme Mehdi Meklat


 
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Ainsi donc Mehdi Meklat a déversé des tombereaux de merde sur twitter pendant des années, et ne les a jamais regrettés puisqu’avant de se faire pincer, il y a quelques jours, et de supprimer à la hâte quelque 50 000 tweets, il les y a gardés comme témoins de sa pensée hideuse. Tel un flic ultra-brutal surpris en train de torturer un citoyen au coin d’un mur ou un curé dénoncé par les enfants qu’il a violés, il s’est donc vite rajusté pour essayer de garder bonne figure et bonne place au sein de la société, et il a mêlé explications foireuses, apitoiements sur soi et arrogance secrète de qui se croit tout permis et se voit bientôt « pardonné » pour des actes qui après tout lui paraissent assez naturels.

Et de même que la police et l’église cherchent avant tout à préserver leur institution respective, de même les médias qui avaient porté ce sadique qu’ils avaient décidé bankable ont aussitôt… gardé le silence, puis, quand il leur est devenu trop difficile de continuer à se taire, ont déployé maint tour de passe-passe afin de faire apparaître la chose pour ainsi dire comme une aventure littéraire, faisant référence à des personnages de roman, relativisant les faits en les comparant avec d’autres sans commune mesure et présentant un jeune homme joueur et inconscient des risques qu’il prenait – pour un peu, le présentant comme la victime des réseaux sociaux scandalisés par ses incitations aux crimes racistes, antisémites, sexistes, homophobes, par meurtre, viol, violences. Le garçon n’était-il pas sympathique devant les caméras ? Ah, si on avait pu s’en tenir là, au lieu d’aller lui chercher des noises, tout ceci pour faire monter le Front National. Voilà où en est la presse de gauche.

Mise à part cette ignominie, je me demande : mais pourquoi donc se sont-ils entichés de ces deux jeunes hommes, Mehdi Meklat et son compère Badroudine Saïd Abdallah, dit Badrou, au point de les inviter et de les faire travailler partout, dans tous les médias et même dans l’édition et à la fondation Cartier ? Ont-ils vraiment quelque chose de si spécial ? Après avoir lu quelques-uns de leurs textes et visionné quelques-unes de leurs vidéos, ma réponse est clairement : non. J’ai aussi trouvé et lu en ligne quelques pages de leurs deux romans : néant. Il faut dire que c’est l’éditeur, Le Seuil, qui leur en a passé commande – et leur a donné les moyens d’aller écrire le premier à Istanbul, le deuxième à Los Angeles. Ce qui est juste hallucinant. Ce qui veut dire que ces deux jeunes hommes ont été récupérés comme des produits. Le produit « banlieusard des cités » (comme il existe pour les entrepreneurs à qui l’on passe commande d’abris pour les migrants, le produit « migrant »). L’être humain, en même temps que l’art et la littérature, transformé en produit. Voilà où en est la culture.

Dès lors il ne faut pas s’étonner qu’une rage antisémite, raciste, homophobe, misogyne, puisse être chiée par le produit et que ceux qui vivent du produit s’empressent tant bien que mal d’essuyer les dégâts et d’assurer que ce n’est rien. Rien qu’un dommage collatéral de la guerre contre la vérité menée à tout moment par ce que nous appelons la civilisation.
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« Joyce Carol Oates, Russell Banks et 143 autres écrivains protestent contre le prix de la liberté d’expression pour Charlie Hebdo »

Par David Walsh

2 mai 2015

Le nombre des auteurs opposés à la décision prise par le PEN américain de décerner un prix de la Liberté d’expression au magazine satirique et anti-musulman français Charlie Hebdo, dont les bureaux à Paris ont été attaqués par des terroristes en janvier, se monte maintenant à 145.

Parmi les plus éminents des signataires se trouvent les romanciers Joyce Carol Oates et Russell Banks, l’écrivain dominicain-américain et lauréat du prix Pulitzer Junot Díaz, les dramaturges Eve Ensler et Craig Lucas, le scénariste et acteur Wallace Shawn, l’auteur de nouvelles Deborah Eisenberg, l’acteur, dramaturge et monologuiste Eric Bogosian, le poète serbe-américain Charles Simic, l’écrivain nigérian Chris Abani, l’écrivain de fiction Nell Freudenberger, l’écrivain et professeur de fiction Janet Burroway, l’historien et journaliste Russell Shorto, et l’auteur de nouvelles Lorrie Moore.

Peter Carey, Teju Cole, Rachel Kushner, Michael Ondaatje, Francine Prose et Taiye Selasi, prévus pour être chefs de table, avaient déjà annoncé qu’ils se dissociaient du dîner de gala du PEN le 5 mai prochain.

Dans leur lettre de protestation, après avoir condamné l’attaque de Charlie Hebdo comme «révoltante et tragique », les 145 soutiennent que la décision de décerner le prix de « la liberté d’expression courageuse » au magazine français ainsi que les critères utilisés par le PEN pour établir ce choix ne sont «ni clairs ni indiscutables. » Les protestataires continuent en soulignant qu’«il y a une différence essentielle entre le fait de soutenir fermement l’expression qui viole l’acceptable, et celui de récompenser avec enthousiasme une telle expression. »

Les 145 membres du PEN affirment que des éléments de « puissance et de prestige » sont présents dans la production de tout type de travail, y compris la satire. « Les inégalités entre la personne qui tient la plume et le sujet fixé sur le papier par ce stylo ne peuvent pas, et ne doivent pas, être ignorés. »

Ils continuent: «Pour une partie de la population française qui est déjà marginalisée, assiégée et victime, une population façonnée par l’héritage de diverses entreprises coloniales de la France, et qui comprend un grand pourcentage de musulmans pieux, les caricatures de Charlie Hebdo sur le Prophète doivent être considérées comme destinées à provoquer davantage d’humiliation et de souffrance « .

La lettre et la campagne d’opposition prennent un degré d’indépendance de pensée et de courage. L’attaque contre les bureaux de Charlie Hebdo a été le signal d’un vaste flot de commentaires hypocrites et égoïstes en Amérique du Nord et dans les médias européens. On nous a dit à plusieurs reprises que l’attaque terroriste islamiste à Paris représentait une menace fondamentale pour la liberté d’expression et les principes d’une société démocratique, droits et principes chers aux gouvernements occidentaux, et qu’elle a démontré, une fois de plus, que les musulmans fanatiques haïssaient nos « libertés ».

Ce déversement de camelote par les gouvernements et les institutions politiques dans le processus de déchiquetage des droits démocratiques, s’accompagna à travers l’Europe d’une accélération des efforts pour mettre en œuvre des mesures d’État policier. Les actions répressives proposées ou prises en France, au Royaume-Uni, en Italie, en Allemagne et ailleurs ont été préparées longtemps avant l‘attaque du 7 janvier, qui a simplement servi de prétexte. En outre, l’affaire Charlie Hebdo est inévitablement devenue une partie de l’argument général en faveur de l’intervention impérialiste au Moyen-Orient, destinée à « extirper » la menace terroriste.

La décision du PEN de récompenser Charlie Hebdo doit être vue dans ce contexte politique, dans le cadre de l’effort pour légitimer la bigoterie anti-musulmane et l’appui du public pour la « guerre contre le terrorisme. »

La biographie politique de Suzanne Nossel, directrice exécutive du PEN et ancienne fonctionnaire du Département d’État des États-Unis, éclaire le genre d’opération que ce doit être. Nossel est sur le dossier partisan de « combiner à la fois la puissance dure, la force militaire, la coercition avec ce qu’on a appelé la puissance douce ; la diplomatie, l’appel de la culture américaine, ses habitants, les liens économiques. » Elle prône de « choisir judicieusement entre un large éventail de différents outils », à savoir entre bombes et propagande. Le prix Charlie Hebdo est une instance de cette dernière.

Les 145 membres du PEN ont jeté des bâtons dans les roues de cette entreprise, ce qui a provoqué des cris d’indignation dans les cercles riches de l’ex-gauche et des ex-libéraux. L’action des écrivains protestataires mérite d’être félicitée et, de plus, a une certaine signification objective. Il y a un certain temps qu’un corps d’artistes ou d’intellectuels n’avait pris position sur une telle question.

La situation politique est en train de se briser. Certaines personnes prennent position ; d’autres, y compris les personnes qui prenaient une posture de «gauchistes» depuis des décennies, sont révélées pour ce qu’elles sont, un peu plus porte-parole de l’établissement et de l’appareil d’État. Une polarisation politique et morale se déroule devant nos yeux.

La défense de la récompense à Charlie Hebdo par Katha Pollitt, chroniqueuse à The Nation, est significative, sinon particulièrement choquante. Pollitt, comme tout autre apologiste de la publication française, choisit d’ignorer le contexte politique, la montée du racisme anti-musulman et la légitimation du Front national néo-fasciste en France, la «guerre contre le terrorisme» sans fin et les interventions impérialistes au Moyen-Orient.

Elle affirme benoîtement que Charlie Hebdo « est un petit magazine satirique dirigé par de vieillissants gauchistes des sixties » et qu’il « ne se moque pas des musulmans. » En fait, comme un point de vue dans le WSWS l’a noté en janvier, « Charlie Hebdo a facilité la montée d’une forme de politisation du sentiment anti-musulman qui a une ressemblance troublante avec l’antisémitisme politisé qui a émergé comme un mouvement de masse en France dans les années 1890. Dans son utilisation de caricatures grossières et vulgaires qui véhiculent une image sinistre et stéréotypée des musulmans, Charlie Hebdo rappelle les publications racistes bon marché qui ont joué un rôle important dans la promotion de l’agitation antisémite qui a balayé la France lors de la célèbre affaire Dreyfus ».

Pollitt, comme un certain nombre d’autres irrités par la protestation des 145 écrivains (l’ex-libéral, pro-guerre Nick Cohen en Grande-Bretagne, par exemple), s’identifie avec ces «vieillissants gauchistes des sixties» qui ont viré brusquement à droite et qui considèrent la population musulmane pauvre en France et la classe ouvrière dans son ensemble avec mépris. Ce sont des « oiseaux d’une plume ».

Elle suggère que la « gauche » est « désespérément confuse au sujet de l’islam: la moitié du temps nous nous rappelons les uns les autres que les fondamentalistes violents comme ceux qui ont commis les meurtres Charlie Hebdo sont une infime fraction de 1,6 milliard de musulmans dans le monde, qui sont ordinaires, des personnes non-violentes de bonne volonté, et l’autre moitié du temps, nous en parlons comme si les meurtriers étaient là pour redresser des torts réels et compréhensibles, même si la cible est mal choisie. Qu’en est-il ? « 

Il est significatif que Pollitt raille ici, tant la possibilité que la majorité des musulmans pourrait être « des personnes non-violentes ordinaires de bonne volonté » et qu’il pourrait y avoir de «réels torts» à redresser. En fait, le terrorisme est une faillite politique et une réponse réactionnaire à de «vrais torts », la longue histoire de l’oppression coloniale au Moyen-Orient et le pillage impitoyable toujours en cours de la région par les grandes puissances, ainsi que l’hostilité et la brutalité de l’institution politique française, de droite comme de «gauche», envers la population immigrée.

Si le terrorisme, en fait, n’est pas une réponse à de «vrais torts», alors qu’est-ce  que c’est ? Il doit y avoir une certaine qualité de «terroriste» inhérente à la population musulmane ou à l’islam comme religion. Est-ce ce que croit Pollitt? Elle devrait nous en dire plus. Ses références démagogiques aux « fondamentalistes violents» et aux «assassins» font écho à la langue de la presse de droite caniveau.

Les socialistes combattent l’influence de la religion sur les masses populaires par la dénonciation de, et l’opposition à, la misère sociale qui génère le retard idéologique, et non par des attaques cyniques et méprisantes « satiriques » sur ceux qui ont des croyances religieuses. Pollitt parle en tant que représentante de la petite bourgeoise américaine auto-satisfaite, bien indifférente aux conditions et aux sentiments des opprimés.

Pour être franc, Charlie Hebdo était une provocation raciste et crasseuse. Son émergence comme feuille anti-musulmane a quelque chose de commun avec l’apparition des pro-guerre, des films pro-CIA tels que ceux de Kathryn Bigelow The Hurt Locker et Dark Zero Trente, Fury de David Ayer, Sniper de Clint Eastwood et autres. Les éléments les plus corrompus salignent dans la défense de la guerre coloniale et de la violence impérialiste.

La défense de Charlie Hebdo par Pollitt est méprisable.

Sa cécité et son hypocrisie sont presque accablantes. La ligne rédactionnelle de Charlie Hebdo, commente-t-elle à moment donné, « en effet, est blasphématoire. N’est-ce pas une chose honorable pour la gauche ? « Et plus tard, elle fait valoir :  » N’avons-nous pas besoin d’écrits et d‘illustrations qui repoussent les limites de l’acceptable ? « 

Pourtant c’est la même chroniqueuse qui s’est jointe à la campagne pour salir et discréditer Julian Assange en 2010, face à de fausses allégations d’agression sexuelle visant à arrêter les révélations de WikiLeaks sur l’entreprise criminelle impérialiste des États-Unis.

Face à quelqu’un dont l’activité était véritablement « blasphématoire » et « honorable » et véritablement « repoussait la limite de ce qui est acceptable », et par conséquent était exposé à des persécutions par le gouvernement américain et ses alliés, par des forces de renseignement et de police innombrables, par les plus puissants médias, Pollitt se tint du côté des persécuteurs. Où était son zèle pour la « liberté d’expression », alors ?

Sur la base des allégations d’agression sexuelle montées de toutes pièces contre Assange par les autorités suédoises, Pollitt a écrit que «quand on en vient au viol, la gauche ne comprend toujours pas. » Incroyablement, la chroniqueuse de Nation a suggéré que le fondateur de WikiLeaks appartenait à la catégorie des «célébrités de renommée mondiale » qui tentent de rester impunies pour leurs crimes. Son hostilité à Assange a éclaté sur la page.

L’instinct de classe est infaillible. L’ex-de-gauche Pollitt a participé à la campagne contre Assange, qui a légitimement gagné l’inimitié des élites mondiales dominantes. D’autre part, elle soutient Charlie Hebdo, qui se moque des pauvres et des sans-pouvoir. Telle est la logique de son évolution et celle de toute une catégorie sociale.

J’ai traduit ce texte de l’écrivain David Walsh lu ce matin sur le World Socialist Web Site