Je suis musulmane

à Sainte-Sophie, photo Alina Reyes

 

Sainte-Sophie est le lieu où, lors de mon tout premier voyage, à l’âge de dix-sept ans, loin de mon pays et de ma famille, j’ai connu, seule, de façon tout à fait inattendue, immensément puissante, ma première révélation de Dieu. Je l’ai raconté dans Lumière dans le temps, j’ai suffoqué, je me suis cachée derrière un pilier pour pleurer. Sainte-Sophie est une église devenue mosquée. Il est un point où le Voyage doit retourner à sa source, pour pouvoir se dépasser. Le Christ n’est plus là où il fut, il va où il est attendu. Mon Voyage n’était pas terminé, il va se réécrire, aller où nous sommes appelés.

*

Sourate 18, Al-Kahf, La Caverne (1)

hier soir de ma fenêtre, photo Alina Reyes

 

Cette sourate est au centre phonologique du Coran. Même nombre de lettres de part et d’autre. Centrale aussi dans sa signification.

Elle a été presque entièrement révélée à La Mecque et comporte 110 versets. Selon plusieurs hadiths, quiconque en lit le vendredi les dix premiers ou les dix derniers versets (lesquels protègent de l’antichrist), bénéficie d’une lumière jusqu’au vendredi suivant. Et quiconque la lit reçoit une grande lumière au Jour de la Résurrection.

Le Coran est semblable au ciel étoilé. Son ordre est absolument parfait, même s’il nous échappe. Quant à sa contemplation, elle demeure libre. Nous avons déjà contemplé la première sourate, Al-Fatiha, L’Ouvrante ; la sourate 96, Al-Alaq, que nous avons interprété « La Foi » ; et la sourate 114, An-Nas, Les Hommes. Enfin, dans la note précédente nous avons donné à lire, entendre et voir en peinture cette sourate Al-Khaf, telle l’étoile Polaire, que nous allons maintenant commenter un peu. Bien entendu rien ne nous empêchera d’y revenir (notamment lorsque je serai en mesure de le faire à partir du texte arabe), comme rien ne nous empêche de contempler inlassablement telle ou telle étoile, telle ou telle constellation, et le ciel tout entier, visible et invisible.

Dans Relire le Coran, Jacques Berque évoque « la théologie musulmane, selon laquelle l’époque du Coran est justement celle où des miracles matériels, on est passé aux miracles intellectuels, aux miracles rationnels, aux miracles d’induction. »

Le centre du Coran est plus précisément, dit-il ailleurs, le verset 74 de cette sourate. Il s’agit du verset au cours duquel le mystérieux guide de Moïse tue sans raison apparente un jeune homme rencontré en chemin. Voyant cela, j’ai vu le Livre comme un univers de lumière et de vie, jailli du trou noir qu’est le mystère de la mort ; et de par ce mystère tout entier avertissement et promesse pour le Jour de la Résurrection.

La Bible aussi se développe à partir de ce mystère, avec l’expulsion d’Adam et d’Ève hors d’Éden et leur entrée dans le monde mortel, et le premier meurtre humain, celui d’Abel par son frère Caïn. Et le Nouveau Testament, le christianisme tournent entièrement autour de la Croix, à savoir la mort du Christ et sa Résurrection, promise à tous.

Veiller à la source unique, proclamer sa souveraineté et son inviolabilité, montrer à partir d’elle le chemin de la Résurrection, tel me semble être le thème premier de cette dix-huitième sourate. Au terme de la première histoire qu’elle raconte, celle de la caverne où se sont réfugiés des jeunes gens persécutés pour leur foi, est affirmé le fait que Dieu seul sait quel était leur nombre, et quel fut le nombre d’années ou de siècles qu’ils y passèrent. Au terme de la deuxième histoire, celle du jardin terrestre, est affirmé le fait que l’homme, contrairement à ce qu’il peut s’imaginer, en définitive n’est pas maître de son destin ; mais que vient assurément pour chacun le moment de se retrouver devant Dieu. La troisième histoire nous conduit à la toute spirituelle « jonction des deux mers » : c’est là que « le poisson » retourne à sa source, comme Moïse va être conduit à le faire en voyant que le sens caché de l’existence et de la mort est en Dieu et lui appartient.

La quatrième histoire est celle d’un peuple primitif, presque sans langue, vivant directement sous l’ardeur du soleil, et menacé par Gog et Magog, qui se voit mis à l’abri par l’édification d’un mur jusqu’au Jour du Jugement. Plus nous avançons dans la sourate, plus le mystère devient profond, insondable et pourtant offert à notre pénétration. Laissons aujourd’hui sa splendeur et son immensité nous renverser, puis nous reviendrons marcher en son domaine, tels les Dormants de la Caverne ou Moïse, son compagnon et leur Guide.

Kahf signifie : grotte, caverne (surtout spacieuse) ; refuge, asile ; chef d’une troupe et chargé de ses affaires ; rapidité de la marche, de la course.

Les jeunes gens se sont réfugiés tout à la fois dans la caverne et dans la rapidité de la marche. Des siècles ont passé quand ils se réveillent comme s’ils n’avaient dormi que quelques heures. Ils ont trouvé refuge aussi dans « le chef de la troupe, chargé de leurs affaires », Dieu. Là où la course du temps est libérée de sa mesure humaine, là où se trouve le salut.

Hûta signifie : poisson (surtout très grand, notamment le poisson de Jonas) ; et c’est aussi la constellation des Poissons. Le grand poisson est donc aussi la spacieuse caverne, et réciproquement. Mais l’histoire ne se passe pas sur terre, comme pour Jonas qui doit aller prêcher Ninive, elle se passe au « ciel » (la constellation), au lieu des miracles intellectuels, des miracles rationnels, des miracles d’induction.

*

à suivre : ici

Al-Kahf

 

Aujourd’hui, vendredi, est le bon jour pour lire la sourate 18, Al-Kahf, La Caverne. J’ai essayé hier d’en traduire quelques versets, mais le dictionnaire n’y suffit pas, il faut que j’étudie la grammaire, ce sera donc pour plus tard. Maintenant je vais écrire un commentaire de ce texte extraordinaire, qu’on peut en attendant lire ICI et écouter .

Les trois images m’ont été inspirées par cette sourate, on peut les voir en grand en cliquant dessus. À tout à l’heure, que la matinée vous soit douce !

*

Sourate 114, An-Nas, « Les hommes »

dans la bibliothèque de la Grande Mosquée de Paris, photo Alina Reyes

 

1 Dis : Je me réfugie en le Seigneur des hommes,

2 Roi des hommes,

3 Dieu des hommes,

4 contre la nuisance du fourbe instigateur, caché derrière les autres,

5 qui souffle le mal dans les cœurs des hommes,

6 qu’il soit d’entre les djinns ou d’entre les hommes.

 

C’est la dernière sourate du Coran, et elle est précédée d’une autre brève sourate en forme d’invocation contre le mal. Comme les autres sourates de la fin du Livre elle fait partie des premières sourates descendues. Je l’ai traduite au plus près, sans pouvoir conserver le magnifique balancement des versets, qui riment tous en arabe. « Caché derrière les autres » (v.4) est le sens premier du mot, je n’ai pas trouvé à le dire autrement, de façon à le faire rimer avec hommes.

Nous avons vu que lors de la première descente, il fut dit d’abord au Prophète : « Lis ». Ici il lui est commandé de dire. C’est une expérience que tout prophète connaît. Nous la trouvons dans l’Ancien Testament bien sûr, et j’ai moi-même connu ce commandement impérieux, qu’on ne peut imaginer si on ne l’a vécu. Il ne s’agit pas de quelque chose comme l’inspiration qui vient au poète, et que je connais aussi bien sûr, mais véritablement de ce verbe dire qui est intimé explicitement et avec une force inouïe, qui vous éjecte littéralement de vous-même. C’est Dieu qui dit à travers vous, vous êtes obligé de le dire. Voilà tout ce qui fait la différence entre une parole poétique et une parole révélée. La parole révélée a une allure poétique aussi, mais elle est beaucoup plus que cela, elle vient d’ailleurs.

En cette sourate, qui est un jaillissement comme toutes les splendides brèves sourates du début de la révélation et de la fin du Livre, Dieu est appelé Seigneur, Roi, Dieu. Il est le repère absolu, et le protecteur. Le verbe qui dit « je me réfugie » signifie d’abord « s’attacher comme la chair à l’os ». Nous retrouvons cette idée d’adhérence exprimée dans les premiers versets descendus.

Être en Dieu est le refuge contre le mal. En arabe la préposition n’est pas contre mais de, comme nous disons « se protéger du mal » ; elle marque mieux la séparation. Nous l’avons vu aussi dans la Genèse (Voyage), Dieu sépare ce qui doit être séparé. De quoi Dieu sépare-t-il le croyant ? Du mal, de la nuisance du fourbe, qu’il vienne de parmi les djinns ou de parmi les hommes. Le mal peut venir des hommes mais Dieu est leur Seigneur, Roi et Dieu, et il a le dernier mot. Le mal peut entrer dans les hommes, mais pas en Dieu. Qui demeure en Lui en est à l’abri. C’est l’ultime sourate du fantastique déploiement qu’est le Coran, sa conclusion. À travers le Livre nous avons appris (nous allons apprendre) à entrer dans la demeure de Dieu, Souverain des univers comme il est dit dans la première sourate, et nous saurons que nous y sommes non seulement protégés du mal des hommes, mais aussi, comme il est ici répété cinq fois en six brefs versets, que nous y sommes des hommes.

*

à suivre

Sourate 96, Al-Alaq, « La foi »

à la Grande Mosquée de Paris, photo Alina Reyes

 

Munie de mon beau dictionnaire, je me risque à une traduction-interprétation des cinq premiers versets descendus, révélés au Prophète dans la grotte de Hirâ.

 

1 Lis ! Au nom de ton Seigneur qui composa,

2 composa l’homme d’une foi.

3 Lis ! Ton Seigneur est le Généreux,

4 qui fendit à la lèvre l’homme par le calame,

5 à l’homme enseigna ce qu’il ne savait pas.

 

Iqra !  Lis ! est le premier mot du Coran descendu, mot apparenté au nom de ce Livre, qui signifie lecture, récitation. Mouhammad ne sait pas lire quand lui est faite cette injonction. Mais ce n’est pas une écriture d’homme qu’il lui est demandé de lire. Lire pour lui va être écouter et dire, retranscrire la parole qui lui descend du ciel. Une parole enchantée, enchantante et à dire comme un chant, le chant qu’elle est. Beaucoup d’assonances en a dans ces cinq premiers versets révélés. Qui ouvrent la lèvre du Prophète afin qu’il parle. La même image se trouve à l’intérieur de l’hébreu, dans l’Ancien Testament, où la langue signifie d’abord la lèvre. Et la prière des Heures chrétienne commence par ces mots : « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange ».

Le verbe habituellement traduit par créer dit d’abord : donner une mesure à, composer. Je reprends ce premier sens : Dieu crée en donnant la mesure (du et au monde, de et à l’homme), mesure mathématique et musicale à la fois, composition physique et poétique.

Le mot alaq, qui signifie adhérence ou caillot de sang, je l’interprète par le mot foi parce que, comme je l’ai dit souvent, la foi, c’est adhérer au réel – et le réel, c’est le spirituel. Ce mot alaq donne des variantes de sens à partir du sens d’accrocher. Il peut signifier grumeau de sang (et évoquer une goutte de sperme), et exprimer aussi l’attachement amoureux. En quelque sorte il est possible de comprendre en ce verset que Dieu a créé l’homme par un acte d’amour, un acte par lequel l’homme est destiné à adhérer à Lui, un acte de foi. Je suis consciente qu’il est audacieux de dire que Dieu a fait un acte de foi, mais ce que nous pouvons du moins comprendre c’est que l’homme est homme parce qu’il vient d’une adhérence, parce qu’il devient homme par la foi.

Le même verbe signifiant enseigner est repris aux versets 4 et 5. La première fois, je le traduis par son sens premier : « marquer, distinguer par une marque, par un signe quelconque », et de là « faire à quelqu’un une fissure à la lèvre supérieure ». L’homme est en quelque sorte signé par Dieu, à la manière dont un peintre signe son œuvre. Ainsi Dieu, après nous avoir créé d’une adhérence, après nous avoir scellés à lui, fend le sceau et par cette fissure, sa signature, commence à se révéler.

*

à suivre