Aujourd’hui je ne me servirai pas de ma carte d’électeur. Car j’ai déjà voté : voilà mon Europe et quelques-uns de ses élus. Voilà un vote sensé, utile, élevé, contrairement à celui auquel nous sommes appelés aujourd’hui. Voilà une élection qui demande du travail, de l’engagement, de la réflexion, contrairement à celle à laquelle nous sommes appelés aujourd’hui pour cautionner bureaucraties et lobbies. Il m’a fallu lire et traduire pour fonder, grâce à nos prédécesseurs lecteurs et traducteurs, cette élection qui a ensuite fondé ma thèse de doctorat. Voilà une élection qui a donné un résultat important pour continuer à faire vivre l’Europe et les Européens dans le long terme, à travers les siècles passés et à venir, et non pour en détruire l’esprit, comme le fait cette Europe politique factice – cette classe morte.
Hier soir au théâtre La Jonquière à Paris, sur le plateau avant la représentation de Love & Money de l’anglais Dennis Kelly par la compagnie (T)rêves, photo Alina Reyes
Avant l’exposition Paris romantique 1815-1848 qui ouvrira mercredi prochain, 22 mai, le musée avait confié aux comédiens du Conservatoire de Paris 8e la Galerie Sud et le jardin pour une déambulation théâtrale sur le thème : « À l’époque romantique, sur le boulevard du Temple appelé aussi Boulevard du Crime se trouvent les théâtres populaires vers lesquels se presse une foule bigarrée. Retrouvez cette atmosphère bouillonnante en suivant les comédiens à travers le décor du boulevard reconstitué. »
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Samedi jaune oblige, les transports en commun s’arrêtant largement avant, j’ai marché une bonne partie du trajet pour rejoindre le Petit Palais, et c’était déjà très romantique.
Le public était nombreux et ravi par les performances des joyeux comédiens
Il y eut même de la danse
Enfin, beaucoup de vie, y compris devant La Vallée des larmes de Gustave Doré
L’ai-je bien descendu ?
Les grisettes sont fort vivantes et joyeuses aussi, sous le regard de Sarah Bernhardt peinte par Georges Clairin
Différents auteurs romantiques sont joués ou évoqués, comme ici Hugo avec ses Derniers jours d’un condamné à mort
Un coup d’œil sur le Grand Palais par la baie vitrée, et le spectacle continue, jusqu’à la fin de la belle soirée
Mes danseurs et danseuses préférées, mon danseur préféré (en gros plan puis sur les épaules de son partenaire) sont jeunes, sont la vie qui a la vie devant soi, sont les vivants, les vivantes qui feront et vivront le monde qui vient, avec le courage qu’il faudra, avec la joie, le cœur et l’intelligence que j’ai aimés chez mes élèves comme Nadia Vadori doit les aimer chez les sien·ne·s. Nous, les générations précédentes, qui avons joui d’un monde encore vivable, devons tout donner pour les aider à sauver ce même monde que l’espèce humaine a abîmé, abîme. C’est vers elles, c’est vers eux que je me tourne.
Ce n’est pas moi qui y suis allée et qui ai fait les photos, c’est Sydney. Dans une belle lumière. Il y avait beaucoup de monde, de l’Hôtel de Ville à République, et il a photographié deux belles œuvres de street art au passage. Voici donc son léger reportage en quelques images.
Un arrangement assez fascinant de ce morceau dont j’ai déjà posté d’autres interprétations ici. Teen spirit for ever ! Soyons heureux si nous ne faisons pas les choses comme les font les gens qui appartiennent au monde. Nous ne lui appartenons pas, ni à qui ou quoi que ce soit d’autre. Nous sommes en vie, nous sommes libre, ça chante, ça crie, ça déchire, ça danse !
Finalement je n’avais pas perdu mon travail, hier. Je l’ai retrouvé. Et j’ai continué. C’est une symphonie.
de Love & Money de Dennis Kelly, mise en scène par Thibaut Lescanne avec Marlène Génissel, Sydney Gybely, Raphaëlle Simon, Baptiste Philippe, Inès Latorre, Chloé Riols, Roman Touminet
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C’est une pièce à prendre in yer face, selon le nom de ce mouvement théâtral anglais né dans les années 90. Dans ta gueule. Théâtre coup de poing, théâtre de l’inconfort qui ne déplairait sans doute ni à Rimbaud, qui n’aimait pas le comfort, ni à Artaud qui voulait un théâtre de la cruauté. Dennis Kelly, jeune dramaturge très reconnu en Grande-Bretagne, a construit sa pièce façon puzzle, c’est le texte lui-même, pour commencer, qui a pris un poing dans la gueule et se retrouve éclaté, projeté sur la scène avec ses bouts d’humanité crevée par la société du fric, crevarde, criminelle, cinglée, déconnectée dans l’hyperconnexion, en train d’éclater comme l’une de ces étoiles dont il est question à la fin… pour donner naissance à quoi ? Eh bien, peut-être à des pièces comme celle-là, des mises en scènes comme celle-là, des artistes en scène pleins de jeunesse, de talent, de justesse et de gratuité, parcourus de moments de grâce, dans des lieux comme celui-là, où un autre monde se réinvente et se vit. Telle que je l’ai vue hier soir, la pièce, dans cette mise en scène et avec cette troupe, pourrait être aussi bien jouée dans un théâtre classique, peut-être le sera-t-elle, mais c’était un choix délibéré de la monter là, dans ce lieu alternatif, et quoi qu’il en soit par la suite, cet acte inaugural est génial, car il témoigne de la fin d’un monde en train d’advenir en même temps que des convulsions d’une nouvelle naissance.
C’était hier soir au Clos Sauvage d’Aubervilliers, où se déroule sur le week-end le festival pluridisciplinaire (T)RÊVES. Vous pouvez encore y aller, et la pièce se rejoue cet après-midi à 16 heures.
Des images du lieu, à l’extérieur et à l’intérieur :
l’atelier de réparation de vélos
sur place, on échange fringues, livres et autres objets, plutôt que d’acheter
hier soir au Clos Sauvage d’Aubervilliers, photos Alina Reyes
L’eau y coule dedans comme dehors. Très beau lieu dans une très belle nature, site désormais ouvert aux visiteurs et aux artistes, cet ancien moulin de Saint-Arnoult en Yvelines fut leur maison de campagne, de repos et de travail, avec les 30 000 livres de leur bibliothèque, toujours là et disponible pour les chercheurs. La présence d’Elsa Triolet et de Louis Aragon y est maintenue vivante, tant par les souvenirs et objets d’art qui furent leurs que par ceux qui témoignent de la continuité de la création jusqu’à nos jours.
Hier après-midi, faisant fi de la canicule, O s’y est rendu, toujours à VTT et par les chemins buissonniers depuis Paris, pour y présenter Madame Terre – qui y a été très bien comprise et reçue, merci – et accomplir le rite que les lecteurs de ce blog connaissent bien depuis l’année dernière. Avant de donner les photos qu’il a prises en chemin et sur place, voici deux vidéos – la première sur un mode poétique, la seconde reportage pour la télévision – présentant la maison : un enchantement. Puis, après les photos, nous écoutons et voyons les deux auteurs parler de littérature, notamment Triolet sur Tchekhov et Aragon sur Stendhal. Enfin, musique ! Aragon qui aimait qu’on change ses poèmes en chanson adore certainement cette interprétation de « Gazel du fond de la nuit » par Gnawa Diffusion, rejoignant le Ghazal, l’art raffiné de la poésie courtoise arabe – et le texte du poème.
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une ferme en chemin
un vestige du chemin de Compostelle
le chemin se poursuit par les sentiers en forêt du noble chevalier errant
puis c’est l’arrivée à destination
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Je suis rentré dans la maison comme un voleur Déjà tu partageais le lourd repos des fleurs au fond de la nuit
J’ai retiré mes vêtements tombés à terre J’ai dit pour un moment à mon cœur de se taire au fond de la nuit
Je ne me voyais plus j’avais perdu mon âge Nu dans ce monde noir sans regard sans image au fond de la nuit
Dépouillé de moi-même allégé de mes jours N’ayant plus souvenir que de toi mon amour au fond de la nuit
Mon secret frémissant qu’aveuglement je touche Mémoire de mes mains mémoire de ma bouche au fond de la nuit
Long parfum retrouvé de cette vie ensemble Et comme aux premiers temps qu’à respirer je tremble au fond de la nuit
Te voilà ma jacinthe entre mes bras captive Qui bouges doucement dans le lit quand j’arrive au fond de la nuit
Comme si tu faisais dans ton rêve ma place Dans ce paysage où Dieu sait ce qui se passe au fond de la nuit
Ou c’est par passe-droit qu’à tes côtés je veille Et j’ai peur de tomber de toi dans le sommeil au fond de la nuit
Comme la preuve d’être embrumant le miroir Si fragile bonheur qu’à peine on peut y croire au fond de la nuit
J’ai peur de ton silence et pourtant tu respires Contre moi je te tiens imaginaire empire au fond de la nuit
Je suis auprès de toi le guetteur qui se trouble A chaque pas qu’il fait de l’écho qui le double au fond de la nuit
Je suis auprès de toi le guetteur sur les murs Qui souffre d’une feuille et se meurt d’un murmure au fond de la nuit
Je vis pour cette plainte à l’heure ou tu reposes Je vis pour cette crainte en moi de toute chose au fond de la nuit
Va dire ô mon gazel à ceux du jour futur Qu’ici le nom d’Elsa seul est ma signature au fond de la nuit !