Courir : le troisième pied

Aujourd’hui lors de ma sortie longue d’une heure, j’ai couru 7,5 km environ, malgré deux premiers kilomètres ralentis par des problèmes de musique sur mon téléphone, que j’essayais de régler tout en courant, et aussi malgré le vent, et le monde partout sur mon chemin. De retour, je me sens très très bien, et d’autant mieux que ma montre m’annonce mon meilleur « running index » jusqu’ici : 40, ce qui serait déjà « très bon » pour une femme de quarante ans, et estime que dans les conditions d’une course, je pourrais courir le 10 km en 1h07. Voilà qui m’encourage à continuer à m’entraîner pour la course que je veux faire en juin, il se pourrait même que je n’arrive pas parmi les tout derniers, en tout cas je devrais m’en tirer très honorablement par rapport à ma catégorie.

C’était mon troisième entraînement de course de la semaine, après le fractionné lundi et le tempo mercredi. Entretemps j’ai fait d’autres activités, vélo, marche, yoga, et hier je suis allée à la salle faire du rameur, de la corde à sauter, du renforcement musculaire – chaise, kettlebells squats, gainage – et du yoga. Je n’en fais pas trop, je veille à la progressivité, et comme la semaine prochaine sera ma quatrième semaine d’entraînement ce sera une semaine plus reposante, comme recommandé. J’écoute tous les conseils que je trouve et je les adapte, ou non, à ma propre façon d’être et de courir, qui repose sur une conception que j’avais décrite dans l’une de mes toutes premières nouvelles d’apprentie écrivaine, il y a une quarantaine d’années, avec un personnage qui courait un pied chaussé, l’autre nu. Comme court ma tête (ma pensée), courent mes pieds : en s’appuyant sur ma culture (les conseils des coachs) et sur ma nature. La nature, nous l’oublions trop souvent, vient avant la culture, qui n’est qu’une partie de la nature naturante, et qui est puissante, mais moins que la nature. Mes deux pieds sont bien chaussés dans mes Puma, qui protègent mes articulations des sols urbains (pour lesquels on ferre bien les chevaux), mais je cours aussi avec mon troisième pied, aussi invisible que le troisième œil mais aussi puissant, à condition de l’avoir en éveil. Et je peux dire qu’après l’amour physique et l’écriture, la course est mon troisième pied, que je prends avec joie.

*

Journal du jour et de la nuit

Cette nuit avant de m’endormir comme un bébé après une séance de yoga et pranayama (respiration yogique), j’ai vu dans un demi-sommeil un temple grec dont les colonnes étaient des brides (mailles au crochet). J’adore être au lit, quand je ne dors pas mes pensées sont si belles, et quand je dors mes rêves sont si beaux.

Hier je suis allée au Kilo Shop de la rue de la Verrerie, où il y a un rayon sport, chercher un coupe-vent de running, et j’en ai trouvé un que j’ai mis aujourd’hui, il est parfait. Un Adidas de 90 grammes, taille XS, de la même couleur orangé vif que mes chaussures Puma, à l’état neuf, et payé au poids, donc, 4 euros. Depuis le temps que je cherchais dans les magasins de sport et en ligne une veste imperméable que je puisse mettre maintenant qu’il ne fait plus froid ! je n’en trouvais pas à moins de plusieurs dizaines d’euros, un prix que je refuse de mettre. Sur ma lancée, toujours à vélo, je suis allée dans un Sostrene Grene chercher une pelote de coton, j’en ai trouvé une d’un beau rouge, que j’intègre à mon pull en cours de confection. Jusque là je le crochetais avec trois couleurs, la quatrième mousquetaire est très bienvenue. Je compose le pull à mesure, comme un tableau et aussi comme un jeu de Lego, le crochet permet ce genre de construction improvisée et mobile. J’ai longé la Seine et je l’ai traversée, c’était charmant de rouler par ce temps gris, comme aujourd’hui de courir dans le vent.

Aujourd’hui c’était mon entraînement « tempo run » : 15 mn de jogging d’échauffement, 15 mn à rythme plus soutenu (proche de celui que j’aimerais arriver à tenir sur 10 km), dix minutes de jogging calme au retour. La semaine dernière, pour ma première séance selon ce modèle, je suis partie trop vite dans le tempo run, à la fin j’étais obligée de ralentir beaucoup. Cette semaine, je suis donc partie plus lentement, et j’ai tâché de garder ce rythme jusqu’à la fin, ce que j’ai fait sans peine – sans assez de peine, il me semble. Il me faudra donc la prochaine fois chercher encore la bonne allure, ni trop ni pas assez rapide. Ma montre estime quand même que j’ai progressé, tout n’est donc pas perdu ! D’après tous les conseils que j’écoute et lis en ligne, je me suis fait un programme, pour ce mois-ci, de trois sorties par semaine : une de fractionné, une de tempo, une autre longue. Je compte faire évoluer l’entraînement progressivement, sans changer la formule d’une séance avant d’arriver à la faire au mieux. J’ai bien fait de choisir une première course en juin prochain et pas avant : je dois m’entraîner sérieusement si je ne veux pas arriver dix minutes après les derniers. Sans doute serais-je incapable aujourd’hui de remonter en une dizaine de minutes quelque 200 mètres de dénivelé dans la neige, comme je le faisais il y a quinze ans quand je passais l’hiver seule en montagne, bien au-dessus du village d’où je remontais avec mes courses dans le dos. C’était de la marche, mais quasiment de la course, les godillots s’enfonçant dans la neige ou essayant de s’accrocher sur la glace ! J’arrivais chez moi euphorique. Les cancers (physiques et sociaux) m’ont affaiblie, mais enfin je suis quand même plutôt en grande forme et j’ai un énorme désir de jouir encore dans mon corps, que ce soit en courant, en faisant du vélo, en randonnant ou en toute autre activité physique vive et heureuse. Heureusement O est très sportif, nous pouvons et pourrons faire pas mal de choses ensemble, et nous avons de beaux et bons projets en ce sens.

*

Flow, course, crochet, musique

J’ai choisi la première course à laquelle je veux participer : les dix kilomètres de la course du château de Vincennes, en juin prochain. D’y penser, je suis en joie et je me sens des ailes. Elle est très belle, je crois, et le 10 km est une bonne distance pour les débutant·es.

J’ai associé la musique à la course dans l’état de flow, qui est musical, en vérité, même si on n’écoute pas de musique en courant. Tout le corps est rythme dans la course, et il peut entrer dans la grâce d’un rythme qui devient flux. « Panta rei », « tout flue », selon la parole d’Héraclite qui fait depuis longtemps la devise de ce site.

pièces d’un pull que j’invente à mesure que je le fais ; pour l’instant, il ne paie pas trop de mine, mais il devrait être bien singulier et intéressant, au final

Et involontairement, j’ai associé aussi la musique à la pratique du crochet, en m’apercevant que je comptais mes brides en les appelant dans ma tête des doubles-croches. Les mailles s’enchaînent comme les pas de course, et mon cœur chante.

*

Haruki Murakami, coureur de fond. Et ma deuxième sortie « longue » avec Estas Tonne

cet après-midi pendant mon running

« J’inspirais. Je soufflais. Je n’entendais aucun dérèglement dans le bruit de ma respiration. L’air me pénétrait très calmement puis était expulsé. Mon cœur silencieux se dilatait puis se contractait, encore et encore, à un rythme bien établi. Mes poumons, tels des soufflets de forge, apportaient loyalement de l’oxygène neuf à mon corps. Je pouvais sentir travailler tous ces organes, je pouvais percevoir le moindre son qu’ils émettaient. Tout fonctionnait à la perfection. Les gens, sur le bord du chemin, nous criaient : « Courage, vous y êtes presque ! » Comme l’air limpide, leurs voix me traversaient. J’avais la sensation qu’elles passaient à travers moi jusque de l’autre côté.

J’étais moi, et puis je n’étais pas moi. Voilà ce que je ressentais. C’était un sentiment très paisible, très serein. La conscience n’était pas quelque chose de tellement important. Oui, voilà ce que je pensais. Bien entendu, comme je suis romancier, je sais bien que la conscience est tout à fait nécessaire pour que je puisse accomplir mon travail. Sans conscience, comment écrire une histoire dotée d’un caractère propre ? Et pourtant je ne le ressentais pas ainsi. La conscience n’était pas pas quelque chose de particulièrement important.

Néanmoins, lorsque j’ai franchi la ligne d’arrivée à Tokorocho, j’étais extrêmement heureux. Bien entendu, chaque fois que je termine une course, j’éprouve de la joie, mais cette fois, c’était vraiment autre chose, bien plus fort. J’ai levé en l’air mon poing droit. Il était alors 16 heures 42. Depuis le départ, je courais donc depuis onze heures et quarante-deux minutes. »

Haruki Murakami, racontant une course de cent kilomètres dans son très beau Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (trad. Hélène Morita)

En rentrant cet après-midi de ma deuxième sortie longue, j’ai eu le désir de rouvrir ce livre. Haruki Murakami court depuis ses trente-deux ans. Il en a aujourd’hui 73, j’ignore s’il court encore, mais je sais qu’il a déclaré à un journal qu’il aimait beaucoup marcher. Peut-être est-il passé de la course à la marche. Moi qui ai toujours aimé marcher je suis en train de passer à la course. Collégienne ou lycéenne, j’étais première ou dans les premières au 400 mètres, puis j’ai arrêté de courir, notamment parce que cela me faisait mal à la tête, à cause de la pilule je crois. En me remettant à courir si tard, je n’ai aucune chance de parvenir à courir comme si j’avais continué à courir jeune, mais j’ai quand même toutes les chances de progresser, et tout le bonheur de progresser en effet. Cette fois j’ai couru une heure, et j’aurais pu courir encore un bon moment, mais je suis les conseils et j’y vais progressivement, afin de ne pas maltraiter mon corps. Je n’ai eu mal nulle part, c’était magnifiquement agréable, à ce petit rythme d’endurance fondamentale qui m’a fait courir sur 7 km, la plus longue distance que j’aie parcourue en courant constamment, sauf les quelques pauses aux feux rouges et pour prendre rapidement quelques photos en chemin, ou deux ou trois gorgées d’eau. Dans mon casque à conduction osseuse, qui laisse libres les tympans et n’empêche donc pas d’entendre les bruits environnants, j’écoutais la musique méditative d’Estas Tonne, qui m’aidait à garder un rythme lent, facile à tenir longtemps. J’ai longé la Seine rive gauche, je suis passée rive droite et j’ai couru aussi sur les bords du port de l’Arsenal, j’ai repris le pont et j’ai traversé le jardin des Plantes. La lumière était changeante, avec des éclats somptueux par moments. Quand on court, on lévite. Pour ainsi dire, je marchais sur les eaux.

Au repos mais encore éveillée, ma fréquence cardiaque est descendue ces derniers jours jusqu’à 50 battements par minute.

*

*

Coaching et auto-coaching

Ma montre cardio, qui ignore les bienfaits des soirées festives et des nuits d’amour, la pauvre, trouvait ce matin que ma nuit ne m’avait pas permis de récupérer suffisamment pour que je puisse faire de l’exercice aujourd’hui. Ayant couru hier, je suis simplement allée à la salle faire vingt-cinq minutes de rameur à rythme modéré, puis du saut à la corde, quelques exercices de gainage et de renforcement musculaire des jambes, une centaine de squats simples, dont quelques-uns avec une kettelbels de 6 kg, et vingt-cinq minutes de yoga pour finir. Rien de trop fatigant, j’écoute quand même les conseils de ma coach au poignet, et aussi ceux du « meilleur coach du monde », Jack Daniels, dont j’ai reçu le précieux livre en cadeau hier pour mon anniversaire. J’ai inauguré un autre de mes cadeaux, le casque à conduction osseuse, en écoutant du rap français pendant toute ma séance de rameur. Et là, de retour à la maison, j’écoute un autre de mes cadeaux, le CD de la B.O. du film Himalaya, l’enfance d’un chef, merveilleuse musique d’un film qui nous a laissé, en famille, un merveilleux souvenir d’enfance.

Ne laissez pas les mauvais coachs ni les faux coachs en tous genres entraver votre génie, qui est unique, votre joie, qui est innée, ni déformer les savoirs que vous avez acquis, ni s’immiscer de force où ils sont indésirés. Leur monde est laid, mais c’est leur monde. Faites toute chose belle en votre monde, afin que toujours l’emportent les mondes de beauté.

*

*

Ma première vraie séance de fractionné

Au début, comme la plupart de ceux qui se mettent à courir, j’ai fait du « fractionné » en faisant quelques pas de marche quand je n’en pouvais plus puis me remettant à courir, etc. Ça c’était l’année dernière, quand je courais un peu au hasard, de temps en temps, vingt à trente minutes tout au plus, sans plan ni régularité. Maintenant j’ai appris à courir en endurance fondamentale, et donc à courir lentement mais longtemps et sans interruption. Et j’ai aussi appris qu’il ne faut pas non plus se limiter à ce rythme de jogging, mais aussi faire des séances de fractionné bien calculées, afin de progresser. Il s’agit de s’échauffer en courant doucement quinze ou vingt minutes, puis d’alterner courses rapides et temps de repos sur un certain temps, avant de repartir en courant doucement pour finir la séance. On peut faire des séries de 30 secondes de course suivies de 30 secondes de trot ou de marche, ou basées sur d’autres temps, ou sur des distances.

Pour cette première fois, j’avais programmé sur ma montre deux séries de trois fractionnés de une minute/une minute (elle vibre à mon poignet chaque fois que la fin de la minute arrive), soit douze minutes au total. Pour l’instant je n’ai pas couru avec plus de précision que « vite ». Je ferai plus précis au fil du temps, et surtout quand j’aurai fait mon test d’effort, qui me permettra de faire les bons calculs. Mais c’est un début, et c’est bon de s’entraîner à courir vite (même si la vitesse en question reste évidemment toute relative). Entre le temps d’échauffement, les deux séries de fractionné, la petite pause entre deux séries, et les dix minutes de retour, au total quarante minutes, j’ai couru cinq kilomètres, ce qui améliore mon temps sans que je l’aie voulu. Mais en fait il m’est impossible de savoir avec précision quelle distance je cours, car le gps de mon téléphone, quand je le consulte après coup, m’indique des parcours dont plusieurs portions sont omises ou comptées à vol d’oiseau, me faisant magiquement passer à travers des immeubles voire des blocs d’immeubles entiers ; ceci sur les deux applis sur lesquelles je le lance, et qui me donnent chacune des trajets différents dans leurs détails. Je rétablis donc la distance réelle à peu près, mais il peut y manquer encore plusieurs dizaines de mètres, voire plusieurs centaines de mètres si ma sortie est plus longue.

On ne peut donc pas se fier aux runnings qu’on fait en ville pour connaître ses véritables temps, et c’est notamment pourquoi je désire participer à des courses. Je commencerai probablement par une ou plusieurs courses de 5 km, mais je ne veux pas en faire avant de m’être entraînée un peu correctement ; je serai de toutes façons parmi les derniers, et j’accepte pour moi l’excuse de l’âge, mais pas celle de la fainéantise. Vivement la prochaine séance !

*

Ma première sortie longue en running

Toujours pour respecter le principe de progressivité, je l’avais programmée sur ma montre à 50 minutes, je me suis donc arrêtée au bout de cinquante minutes. Mais je n’étais pas fatiguée et j’aurais pu continuer un bon moment en endurance fondamentale. J’ai fait environ 5,6 km – je dis environ car même le gps de mon téléphone compte certaines portions du parcours à vol d’oiseau, quand il perd le signal ; mais peu importe, je ne suis pas en course, je travaille l’endurance. J’aurai aussi une sortie en fractionné chaque semaine, où là, je vais tâcher de travailler ma vitesse.

J’ai fait un détour pour éviter la manif qui arrivait, j’ai pris des escaliers, en montée, en descente, couru sur bitume, sur pavés le long de la Seine, sur terre au jardin des Plantes. La semaine prochaine je programmerai une sortie un peu plus longue, et ainsi de suite. De temps à autre j’ai couru plus vite sur une courte distance, puis pris le temps de boire quelques gorgées en faisant quelques pas de marche, et trois fois j’ai pris quelques secondes de pause pour faire des photos par cette belle lumière le long de la Seine. Tout cela est compris dans mon temps total. Puisque la séance est longue, autant s’autoriser quelques plaisirs annexes. Pour la première fois j’avais emporté un peu d’eau dans ma mini-gourde, calée dans ma banane. Avec les beaux jours qui vont arriver et mes sorties rallonger, ce sera indispensable.

Je n’écoute pas de musique ni rien, mais je vais avoir un casque à conduction osseuse pour mes 66 ans, dans quelques jours, et je l’essaierai pour écouter de la musique ou des podcasts en courant. L’intérêt de ces casques est qu’ils n’entrent pas dans l’oreille et n’empêchent pas d’entendre les bruits extérieurs. Je suis très contente de mes chaussures, je n’ai plus du tout mal au métatarse comme quand je courais avec mes sneakers, et je n’ai eu mal nulle part ailleurs non plus, elles sont extrêmement confortables (des Puma Deviate Nitro, qu’on trouve en ligne soldées pas cher). Courir est un sport qui ne coûte rien, à part une paire de chaussures convenables, et si on veut plus de précision dans l’entraînement, une montre cardio, qui motive bien aussi. Au lieu de se contenter de regarder le temps passer, de passer avec le temps ou de chercher le temps passé, courir c’est dépasser le temps. Et c’est aussi bondir. Année du Tigre, année du Puma pour moi :-)

J’ai appris que le terme running englobait non seulement la course à pied sous toutes ses formes, mais aussi la randonnée et la marche rapide. En ce sens, même si je n’avais pas couru depuis le lycée, avant de m’y remettre il y a peu, j’ai pratiqué le running, sous ses formes marchées, chaque fois que j’habitais en montagne et y faisais des randonnées ou marchais longuement dans la neige entre mon ermitage et le village ou autre, et lors de quelques treks avec tente en montagne jadis, et plus récemment du trek de dix jours et cent kilomètres sur le causse Méjean. J’ai très envie de refaire des treks, sac au dos, O et moi en avons en projet. Ce qu’on vit en courant et en marchant, c’est une liberté, un sentiment d’être vivant, sans pareils. Tous ceux et celles qui courent ou marchent savent, je pense, ce qu’est le divin.

*