Aujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes
Aujourd’hui à Paris, photos Alina Reyes
À force de peinture et d’eau sur les doigts, ils ont la peau sèche et abîmée comme lorsque j’étais à la grange, à transporter du bois, faire du feu et casser la glace. Ce sont des doigts, des mains qui traversent les apparences, comme ceux et celles des hommes préhistoriques dans les grottes. Et pour cela touchent la matière et travaillent avec elle, corps à corps. Ce sont des doigts, des mains, un corps de noces. Un corps de pensée et d’action, fussent-elles souterraines comme un homme en prison, un corps, fût-il occulté, puissant, agissant sur et dans le monde par la grâce de Cela qui œuvre en lui. La plus belle phrase que j’ai trouvée ce matin sur Nelson Mandela est une phrase de Bono : « Il incarnait le compromis sans jamais se compromettre ». C’est pourquoi il avait un si beau sourire.
C’est Joachim qui m’a annoncé la mort de Nelson Mandela. Aussitôt je lui ai raconté que ce matin en me réveillant j’ai songé : aujourd’hui, anniversaire de naissance de mon père, mort le 28 février dernier, une figure paternelle pour le monde va mourir. J’ai le cœur battant en agitant les palmes sur le chemin de Nelson Mandela vers le ciel. N’était-il pas le dernier ? Que nous vienne la relève, si elle n’est déjà là, cachée.
http://youtu.be/4CmhS7mRJYc
« Ce que Dieu écrivit sur ton front, arrivera », dit Ferdinand Cheval dans ce merveilleux film (26′) sur son œuvre extraordinaire. Boulanger puis facteur, ne savait-il pas ce que c’était, que de faire arriver les écrits ? Né à Charmes, près de Romans, mort à Hauterives. Cela parle. Comme il est demandé à Dieu dans la Bible, selon ma traduction dans Voyage : « Qu’est-ce que l’homme, pour que tu le penses ? »
Cette période où je peins avec un grand bonheur me rappelle le temps de ma jeunesse où je m’entraînais à écrire de petites nouvelles, quelques mois avant d’écrire mon premier roman. Puissè-je évoluer dans la peinture aussi heureusement que dans l’écriture !
Je me rappelle le père de J-Y, peintre amateur. Ses paysages bretons, humbles et touchants. Nous avions une de ses petites toiles, avec une maison. C’est peut-être pour cela que je rêve beaucoup ces nuits dernières de paysages semblables à ceux de la Grande-Bretagne. C’est très émouvant d’avoir une vraie peinture à la maison. C’est vivant. Maintenant je n’ai plus que les miennes, c’est mieux d’avoir celle de quelqu’un d’autre. J’en achèterai quand je pourrai, moi aussi.
Maintenant je m’en vais acheter des plaques de bois, j’ai envie de peindre sur bois, deux de mes préférées jusqu’à présent, Paolo je tournoie sur tes chevaux de bois, grâce à Uccello, et À la maison, avec son côté sauvage ou chamanique, sont sur bois.
Comme j’ai rêvé la nuit dernière d’un château et de mes soeurs du Carmel (voir note précédente), voici le Chant de la carmélite errante, que j’écrivis chez elles et qui est le premier des Chants de Voyage, Manifeste du nouveau monde.
*
Je suis la carmélite errante,
Mon canasson c’est Rossinante,
Dieu mon aimé, mon seul bonheur,
Monte l’ânesse de mon cœur.
Qu’importe la maison, ma fête
C’est la parole des prophètes,
Des pauvres hères, des rempailleurs
De Loi, des fous, des orpailleurs
Du ciel, des crieurs dans les sables,
Des justes et des dresseurs de tables
Qui servent au désert d’autels,
Garnis de sauterelles au miel.
Va ma jument, va mon ânesse,
Allez montures, trottez en liesse !
Je suis enclose dans ma foi,
Et l’homme et moi nous faisons trois.
Je suis du Christ la sainte amante,
De l’humain passant l’innocente
Aux mains pleines d’amour, qui vient
Joyeusement boire son vin,
Livrer tout son pain en partage,
Ouvrir toute son âme sage
Et d’une seule flamme, monter
En chœur où Dieu se fait toucher.
.
Je suis la carmélite errante,
La reine aux nu-pieds de mendiante,
La rose au jardin sans pourquoi,
La combattante de la foi.
Je suis la route qui se déroule,
Le jus de la vigne qu’on foule.
Armée de psaumes je pourfends
La mort, le mal, les méchants.
À chaque instant je me fais belle,
Je sais que je suis éternelle
Face au Seigneur, mon seul miroir.
Je prie du matin jusqu’au soir.
Forte de joie, douce et vaillante,
Toute silence, souriante,
J’abats chaque jour des dragons
Et je me passe d’étalons.
Que dites-vous de la nouvelle ?
Une femme libre vous appelle.
Elle te parle corps à corps,
Elle t’éveille quand tu dors
Devant la crèche abandonnée,
Quand gémit l’âme arraisonnée,
Quand sonne l’heure de la fin,
Quand tu halètes après demain.
.
Je suis la carmélite errante,
Mes lèvres chantent, accueillantes,
Ma bouche est rouge de baisers
Donnés, reçus du Bien-Aimé.
L’aurore vient à la chapelle
Où je vais, impatiente, telle
La tente ouverte en mes poumons
Où me presse l’Esprit, pardon
Qui souffle sur la terre, langue
Qui croise dans la mer, où tangue,
Frères, le mystique vaisseau
De notre destinée. Assauts
D’amour ! Je demande justice,
Me saisis à mains nues du vice
Et le consume entièrement
Au feu de mon regard ardent.
Je suis en route, traversée
De nuit sur la longue travée
Du sang de notre amour. Je suis
Pour vous servir l’eau et le puits,
Et la poulie qui joue, l’enfance
Retrouvée dans la pure errance
Obéissante, ô tendre paix
Du cœur, Réel révélé vrai.
Cette nuit j’ai fait un rêve splendide, dans lequel je courais autour d’un château et à travers le château, dans un paysage très vert assez semblable aux montagnes d’Écosse. Je courais, je courais aussi adorablement que si j’avais des ailes, et il y avait dans le paysage, ici et là, mes sœurs du Carmel, mais vêtues autrement, et c’est en partie pour elles – pour tout le monde aussi – que je courais.
J’ai ouvert une page où j’ai commencé à mettre un choix de mes photos, à partir du début, c’est-à-dire de quand j’ai eu mon petit appareil photo, en 2008. Un jour j’ai fait faire un livre par Apple pour voir ce que ces images pouvaient donner une fois imprimées, c’est pas mal du tout pour un si modeste appareil. Sur internet cela dépend des ordinateurs, certains comme mon précédent affadissent terriblement les couleurs.
J’ai plusieurs idées pour ma prochaine peinture, je crois que j’ai choisi. En fait c’est comme dans l’écriture, il suffit de s’y mettre pour que « cela » fasse son propre chemin, que « cela » aille où « cela » veut aller, vers le prévu et l’imprévu. Parfois presque d’un coup, d’autres fois à condition d’avoir la patience de poursuivre malgré tous les obstacles qui se présentent et les moments où tout semble avoir dérivé dans une impasse. Je suis un bateau ivre qui navigue à merveille sur les chemins de l’unique vie, sans jamais perdre de vue l’étoile.