Valéry Écriture Dessin

« Le dessin n’est pas la forme, il est la manière de voir la forme », disait Degas. Propos rapporté par Valéry dans son livre Degas Danse Dessin. Lui-même dessinait beaucoup. « Une grotte émane ses stalactites ; un mollusque émane sa coquille », écrit-il dans L’homme et la coquille. Peut-on ajouter : l’homme émane son tracé ? Voici trois de ses dessins, puis un film dans lequel on voit à maintes reprises d’autres de ses dessins et manuscrits dans ses fameux cahiers.

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Les livres qui changent les vies

Je découvre que l’émission « La Grande Librairie » a posé à 192 auteurs ou lecteurs les questions « Quel livre a changé votre vie ? » et « Qu’est-ce qu’un livre qui change la vie ? » J’ai écouté quelques-unes des réponses, voici mes préférées, dans l’ordre où elles sont arrivées :

Pour en écouter d’autres, c’est ici.

Pour ma part, je répondrais spontanément à cette question : laquelle ?  laquelle de mes vies ?

J’ai aussi fait un choix, ni exhaustif ni fixe, de 100 œuvres ici

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André Breton, son mur, sa maison

La première vidéo présente le mur du fond du studio de Breton au 42, rue Fontaine, tel que reconstitué au Centre Pompidou. La deuxième présente sa maison à Saint-Cirq Lapopie. Dans la troisième, un entretien réalisé chez lui par la télévision canadienne en 1960, on peut voir, notamment dans les plans coupés ajoutés à la fin, à partir de 26′, les murs du studio et notamment le fameux mur orné (j’emploie le même adjectif que pour les grottes), in vivo pour ainsi dire – et c’est très émouvant.

 

Collections Modernes – Andre Breton, Mur de l… par centrepompidou
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Autre dimension

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Cette nuit en rêve, entrée dans ma thèse en couleurs, qui se transformait en maison, belle maison lumineuse entourée d’un jardin très vert, tout en étant textes dans lesquels il était loisible d’aller et venir.

Le rêve n’est ni imaginaire ni rêverie mais expérience et réel.

Avant-hier j’ai eu la fève (une petite chouette en céramique) juste après avoir lu cette phrase de René Char sur Rimbaud, dans Recherche de la base et du sommet : « Il sait la vanité des renaissances, mais plus et mieux que tout, il sait que la Mère des secrets, celle qui empêche les sables mortels de s’épandre sur notre cœur, cette reine persécutée, il faut tenir désespérément son parti. »

Et hier à la bibliothèque j’ai lu ces autres phrases de Char, dans Le Nu perdu, « Dans la pluie giboyeuse » : « Quelques êtres ne sont ni dans la société ni dans une rêverie. Ils appartiennent à un destin isolé, à une espérance inconnue. Leurs actes apparents semblent antérieurs à la première inculpation du temps et à l’insouciance des cieux. Nul ne s’offre à les appointer. L’avenir fond devant leur regard. Ce sont les plus nobles et les plus inquiétants. » Et j’ai songé, ni à quelque grand poète ni à quelque autre « grand homme », mais à la plus humble personne que j’aie jamais rencontrée, une personne qui, de son élocution difficile, me parlait d’étoiles et de pierres, et qui, un jour, dans la montagne, me raconta l’un de ses rêves.

C’est pourquoi, a dit aussi René Char, « Le poète est la partie de l’homme réfractaire aux projets calculés (…) [il] ne meurt pas forcément sur la barricade qu’on lui a choisie. » Et pourquoi aussi il a défini son recueil Fureur et mystère comme « un dire de notre affection ténue pour le nuage et pour l’oiseau. »

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René Char, « Feuillets d’Hypnos » (passages pour notre temps)

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178 « La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j’ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. (…) La femme explique, l’emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. (…) Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore.
Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains. »

Comme René Char le dit ailleurs (« Dans la pluie giboyeuse », in Le Nu perdu) : « Georges de La Tour sait que la brouette des maudits est partout en chemin avec son rusé contenu. » Et de même que le peintre a maîtrisé les ténèbres hitlériennes trois siècles avant qu’elles ne se produisent (Char parle d’expérience, puisque cette reproduction l’accompagna pendant sa Résistance), voici, du poète fait veilleuse, des textes des Feuillets d’Hypnos (1943-1944) qui nous alertent sur ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, trois-quarts de siècle plus tard. Afin que nous puissions Résister aussi, combattre pour la vie.

8 « Des êtres raisonnables perdent jusqu’à la notion de la durée probable de leur vie et de leur équilibre quotidien lorsque l’instinct de conservation s’effondre en eux sous les exigences de l’instinct de propriété. Ils deviennent hostiles aux frissons de l’atmosphère et se soumettent sans retenue aux instances du mensonge et du mal. C’est sous une chute de grêle maléfique que s’effrite leur misérable condition. »

10 « Toute l’autorité, la tactique et l’ingéniosité ne remplacent pas une parcelle de conviction au service de la vérité. Ce lieu commun, je crois l’avoir amélioré. »

14 « Je puis aisément me convaincre, après deux essais concluants, que le voleur qui s’est glissé à notre insu parmi nous est irrécupérable. Souteneur (il s’en vante), d’une méchanceté de vermine, flancheur devant l’ennemi, s’ébrouant dans le compte rendu de l’horreur comme porc dans la fange ; rien à espérer, sinon les ennuis les plus graves, de la part de cet affranchi. Susceptible en outre d’introduire un vilain fluide ici.
Je ferai la chose moi-même. »

28 « Il existe une sorte d’homme toujours en avance sur ses excréments. »

37 « Révolution et contre-révolution se masquent pour à nouveau s’affronter.
Franchise de courte durée ! Au combat des aigles succède le combat des pieuvres. Le génie de l’homme, qui pense avoir découvert les vérités formelles, accommode les vérités qui tuent en vérités qui autorisent à tuer. Parade des grands inspirés à rebours sur le front de l’univers cuirassé et pantelant ! Cependant que les névroses collectives s’accusent dans l’œil des mythes et des symboles, l’homme psychique met la vie au supplice sans qu’il paraisse lui en coûter le moindre remords. La fleur tracée, la fleur hideuse, tourne ses pétales noirs dans la chair folle du soleil. Où êtes-vous source ? Où êtes-vous remède ? Économie vas-tu enfin changer ? »

69 « Je vois l’homme perdu de perversions politiques, confondant action et expiation, nommant conquête son anéantissement. »

172 « Je plains celui qui fait payer à autrui ses propres dettes en les aggravant du prestige de la fausse vacuité. »

187 « L’action qui a un sens pour les vivants n’a de valeur que pour les morts, d’achèvement que dans les consciences qui en héritent et la questionnent. »

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