Voyageur

La sonde Voyager 1 est le premier objet humain à quitter le système solaire. Partie pour des milliards d’années. L’article dans Métro.

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(…)

Que si la source vient à manquer d’une plus haute connaissance,

L’on fasse coucher nue une femme seule sous les combles –

Là même où furent, par milliers, les livres tristes sur leurs claies comme servantes et filles de louage…

Là, qu’il y ait un lit de fer pour une femme nue, toutes baies ouvertes sur la nuit.

Femme très belle et chaste, agréée entre toutes femmes de la Ville

Pour son mutisme et pour sa grâce irréprochable, infusée d’ambre et d’or aux approches de l’aine,

Femme odorante et seule avec la Nuit, comme jadis, sous la tuile de bronze,

Avec la lourde bête noire au front bouclé de fer, pour l’accointement du dieu,

Femme loisible au flair du Ciel et pour lui seul mettant à vif l’intimité vivante de son être…

Là qu’elle soit favorisée du songe favorable, comme flairée du dieu dont nous n’avons mémoire,

Et frappée de mutisme, au matin, qu’elle nous parle par signes et par intelligence du regard.

Et dans les signes du matin, à l’orient du ciel, qu’il y ait aussi un sens et une insinuation…

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Saint-John Perse, Vents

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Lune

Bel ensemble d’articles sur les gâteaux de lune, pour la fête de la lune, dans Chine Informations – même si le Quotidien du Peuple rappelle que le luxe devient moins vendeur. Et voici un beau calendrier lunaire.

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Quand la lune passe à l’ouest

L’ombre des fleurs

S’avance à l’est

 

Fleurs dispersées

Le radeau lui aussi

Est une branche de cerisier

 

Allumant une bougie

À la flamme d’une autre

Soir de printemps

 

Laissant mon ombre

Derrière moi

Je vais au printemps

 

Yosa Buson,  Printemps  (traduit du japonais par Koumiko Muraoka et Fouad El-Etr)

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Le Cerf du Bois Lemoine

Parfois, au milieu du néant de « l’information », un éclair de vie.

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Que la poésie soit liée d’intime aux forêts, que la forêt primaire soit le lieu dévolu à l’excroissance du verbe humain.

Que le verbe naisse du buisson et renaisse du bois.

Que du murmure des arbres procède le cœur des livres

 

Philippe Bordas, L’invention de l’écriture

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Le loucherbème de Marcel Schwob, destiné à n’être pas compris par une certaine classe de gens

marcel schwob

portrait de Marcel Schwob paru dans l’Illustration à sa mort en 1905

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Pourquoi lit-on si peu Marcel Schwob ? Ses contes cruels et ciselés resteront-ils encore longtemps le délice de happy few amateurs des charmes raffinés et décadents du XIXème sicèle finissant, ou écrivains en quête d’inspiration ? Son œuvre savante et singulière ne saura-t-elle pas, à l’instar de celle d’un Borges (qui l’admirait) dépasser le cercle des curieux et toucher un public plus large ?

Issu d’une vieille famille juive, d’apparence assez bonhomme, Schwob fut un homme de passion et d’exception. Mort en 1905 après dix années de maladie à l’âge de 38 ans, il avait aimé d’un amour violent les femmes et les lettres, auxquelles il avait consacré sa vie. Grand érudit, philologue, spécialiste de Villon et de l’argot, admirateur de Stevenson, ami de nombreux écrivains, dont Claudel et Colette, défenseur de Jarry, journaliste, amant passionné d’une petite prostituée, puis de la comédienne Marguerite Moreno qu’il épousa, Schwob laissait une oeuvre qui avait fait l’admiration et l’étonnement de tous ses contemporains.

Les Etudes sur l’argot français, son premier livre, datent de 1889. Écrites en collaboration avec son ami Georges Guieysse, qui se suicide avant la fin de la rédaction, ces études sont le fruit du goût de Schwob pour les langues, avec ce qu’elles peuvent donner d’aventures et de libertés à qui les fréquente. Notons au passage ses remarques sur l’orthographe dans un article consacré à Stevenson :

L’écrivain qui rompt l’orthographe traditionnelle prouve véritablement sa force créatrice. Or, il faut bien se résigner : on ne peut jamais changer que l’orthographe des phrases et la direction des lignes, écrit-il après avoir noté que tous les écrivains du XVème et du XVIème siècles usaient d’une langue admirable, alors qu’ils écrivaient les mots chacun à leur manière, sans se soucier de leur forme. Aujourd’hui que les mots sont fixés et rigides, vêtus de toutes leurs lettres, corrects et polis, dans leur orthographe immuable, comme des invités de soirée, ils ont perdu leur individualisme de couleur. Les gens s’habillaient d’étoffes différentes : maintenant, les mots, comme les gens sont habillés de noir. On ne les distingue plus beaucoup.

Orthographe, orthodoxie des mots et de la langue, images figées d’un monde ordonné… En s’intéressant à l’argot, Marcel Schwob passe de l’autre côté du miroir :

C’est une langue artificielle, destinée à n’être pas comprise par une certaine classe de gens.

Partant du loucherbème, employé par la corporation des garçons bouchers concurremment avec les classes dangereuses, Schwob étend son étude, fait appel à Villon et à Rabelais et démontre que l’argot, loin d’être une langue spontanée, est régi par ses propres lois et se reproduit par dérivation synonymique.

 

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L’un de ses titres, « La croisade des enfants »,  avec Paolo Uccello

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Le Livre de Monelle est peut-être la plus étrange des œuvres de Marcel Schwob. Inconsolable après la mort de Louise, la petite ouvrière-prostituée avec laquelle il vivait, il se souvient de Thomas de Quincey et de Dostoïevski pour écrire cet hymne à la figure mythique de la prostituée pleine de pitié.

Avant de se perdre dans les mille visages de ses sœurs (la Perverse, la Fidèle, la Sacrifiée…), Monelle parle et ordonne, à la manière de Zarathoustra :

Détruis, détruis, détruis.

D’apparitions en disparitions, seule et démultipliée, Monelle est l’insaisissable, dans un univers peuplé de masques où le réel est perpétuellement en fuite. Il faut se pénétrer longuement du Livre de Monelle pour en goûter tout le mystère. Et se perdre dans ses profondeurs aux reflets nihilistes, si proches des labyrinthes qui fascinent notre époque.

(J’ai publié cet article dans Libération au début des années 1990)

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un site consacré à Marcel Schwob

À cheval avec Paolo Uccello, Marcel Schwob et Antonin Artaud

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Paolo, je tournoie sur tes chevaux de bois, le ciel tourne, la terre fuit,

toutes les perspectives se déploient

Paolo mon enfant, maître de ce jour nouveau-né, mon blanc,

efface les siècles vulgaires entassés de nos temps

toi l’Oiseau pur coursier dur

donne-moi du pain

le cœur si simple du secret

donne-moi à courir

immuable sur tes fils tendus le vertige tranquille

Tu sais bien, Uccello, j’ai besoin d’un oiseau,

qui là s’enfonce et chante

mes cuisses chantent dans tes tableaux et tes courbes

qui contournent le temps

donnent à ma chair ses courbes

Je suis ton rouge, Uccello, je suis l’enfant rouge qui tourne

et bouge ma langue

qu’elle dise ce que nul n’a dit

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à lire aussi

le beau texte de Marcel Schwob

Paolo Uccello, Peintre

et les textes d’Antonin Artaud

Paul Les Oiseaux ou la Place de l’Amour

et

Uccello, le Poil

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Je suis profonde

Qu’elle vienne de Mars, de comètes ou d’astéroïdes, de toutes façons elle vient du ciel, notre vie. Et de bien plus profond encore dans le ciel.

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Je suis le saint, en prière sur la terrasse, – comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine.

Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.

Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant.

Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet, suivant l’allée dont le front touche le ciel.

Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.

Enfance IV des Illuminations d’Arthur Rimbaud

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Poètes du feu de Dieu

Toujours pour fêter autrement la rentrée littéraire, j’ouvre une nouvelle série, « Poètes du feu de Dieu ».

La première citation sera très simple et très brève, la voici :

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Quelqu’un te cueillera, aube, comme se cueille la rose, ou viendras-tu seule, astre étranger qui fend le firmament ?

extrait du poème Dis-moi, aube, d’Issa Makhlouf

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