Petit poème de la vie d’avant, d’après et de maintenant. Et grand film du jour

Mon vélo est dans la cour
Inutile d’y courir vite, courir vite
Mon vélo ne bouge pas
Mon vélo contre celui de mon homme
et en face de celui d’un de nos fils.
Lourde chaîne, lourds antivols
Ils sont attachés depuis plus d’un mois
et personne pour les monter, les faire voler à travers ville
Joyeusement, comme avant.
Il n’y a plus d’avant
L’avant s’en est allé
Notre-Dame a brûlé
Les manifs ont brûlé
Les cafés ont fermé
Comme les bureaux où on travaillait.
La vie a fermé.
Les gens sont rares sur les trottoirs
On dirait qu’on porte des aimants inversés
On s’écarte en se croisant
On rase cent invisibles murs pour s’éviter
On se tait.
Beaucoup de gens meurent dans la pandémie
et beaucoup travaillent au risque de leur vie.
Je n’ai plus de parents
Pas de regrets.
Mais que mes enfants soient loin ou près
nous sommes enfermés chacun de notre côté.
Cela, ça passera. On se reverra.
Et ils seront toujours ce qu’ils sont pour moi.
Je reverrai les tables où je travaillais.
Je reverrai les rues, les jardins où je marchais.
Je reverrai la vie, mon vélo, en bas, me le dit.
La vie d’avant s’en va, ainsi va la vie.
Et parfois ça pince le cœur, et parfois ça vaut mieux.
La vie après, comme avant, je l’aimerai.
Maintenant j’écris un poème :
la preuve que la vie est toujours belle.

Et voici pour ce jour le fantastique film d’Ariane Mnouchkine sur la vie de Molière.

Journal de déconfinement (2). Voisins et enfants

J'ai pris cette photo le 31 mars 2019 au Jardin des Plantes, où les cerisiers sont sans doute en fleur aussi ces jours-ci

J’ai pris cette photo le 31 mars 2019 au Jardin des Plantes, où les cerisiers sont sans doute en fleur aussi ces jours-ci

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Dans mon immeuble, situé entre la rue Mouffetard et la place d’Italie, entre le Quartier Latin et les grands quartiers de Street Art du XIIIe arrondissement, près du Jardin des Plantes, de la Pitié-Salpêtrière et de la Grande mosquée (comme le savent celles et ceux d’entre vous qui ont vu mes photos ici au fil des ans), les gens ne sont pas riches et tout le monde ou à peu près est resté là. En fait il s’agit de deux immeubles avec une petite cour entre les deux. Côté cour, côté rue, comme on dit à peu près au théâtre. Deux immeubles vieillots, pour ne pas dire vétustes – raison pour laquelle les loyers y sont deux fois moins chers qu’ailleurs à Paris. Depuis un ou deux ans de nouvelles familles sont arrivées, plus jeunes, d’origines plus diverses, avec des enfants. Un bonheur pour moi de voir les poussettes accumulées au bas de l’escalier, de croiser de temps en temps des enfants dans l’escalier (il n’y a pas d’ascenseur).

Maintenant que nous sommes confinés nous ne nous voyons plus (il n’y a pas de balcons) mais j’entends, de l’appartement du dessous, monter la musique africaine que ma jeune voisine écoute et les comptines qu’elle passe à son adorable fillette, les mêmes que je passais à mes enfants quand ils étaient petits. Deux sortes de sons très charmants (d’autant qu’elle veille à ne pas les mettre trop forts) et que j’aime particulièrement entendre quand je fais mon yoga, se superposer à ma propre musique d’accompagnement ou bien seuls, paisibles, joyeux et pleins de vie.

Il y a aussi, au-dessus, la vieille dame de quatre-vingt-dix ans qui monte ses quatre étages vaillamment. Depuis le confinement elle ne sort plus mais O s’est assuré auprès de sa fille qu’elle avait toujours de la visite – elle n’en manque pas. Comme nous avons eu le virus, nous ne sortons, alternativement, que rarement et précautionneusement, n’étant pas sûrs, jusqu’à ces derniers jours du moins, de ne plus risquer d’être contagieux. Mais je continue à entendre aussi la vieille dame – on entend tout dans cet immeuble, comme si les murs étaient en papier – quand elle se lève vers six heures du matin, quand elle allume la lumière (oui, dans le silence j’entends parfaitement l’interrupteur de l’appartement du dessus), quand elle marche sur le parquet… La vieille dame habite ici depuis quasiment toujours, parfois elle raconte (enfin, elle racontait, avant le confinement) la vie d’il y a longtemps dans le même lieu.

Je ne vais pas parler de chacune et chacun de mes voisins mais même si je les connais peu, même si les uns ou les autres sont parfois emmerdants (comme nous pouvons l’être parfois pour eux aussi), je les aime bien, forcément. À vivre comme ça les uns à côté, au-dessus ou au-dessous des autres. Je ne peux pas dire, comme certains, que le confinement renforce les relations de voisinage, puisque chacun plus que jamais reste chez soi, au point qu’on sursaute presque quand on entend un pas dans l’escalier. Ce qui me rappelle le temps où je vivais en ermite dans ma grange et où je filais me cacher les rares fois où j’apercevais la silhouette d’un humain dans la montagne. Sauf que c’était pour préserver ma solitude alors que là l’isolement est imposé, ce qui fait toute la différence – et je suis étonnée que tant de « romantiseurs » du confinement ne la fassent pas, comme s’ils ignoraient dans leur chair la différence entre un choix délibéré et un état contraint, entre la liberté et la servitude, fût-elle consentie comme dans le cas de ce confinement sanitaire.

Ce qui me rapproche de mes voisins, dans cette situation inédite, c’est quelque chose d’invisible. Le sentiment de notre commune condition humaine. Ce sentiment qu’ils éprouvent aussi, je le sais, même s’ils ne le disent pas non plus. Ce sentiment que nous éprouvons tous, et qui s’avère plus profond quand il s’exerce de façon sensible, envers des personnes proches, et pas seulement nos proches mais les personnes que le hasard, disons, a placées dans le lieu où nous sommes aussi, que nous les appréciions ou non. C’est beau d’avoir de grands idéaux de communauté humaine, de se sentir proche de tout être humain où qu’il soit sur la planète, mais c’est assez facile ; justement, l’éloignement rend la chose facile. Moins facile est de supporter au quotidien les gens en chair et en os plutôt qu’en idéal. Nous sommes des animaux solitaires autant que sociaux, avec des variations selon les individus, les uns ayant besoin de davantage de socialisation, d’autres de davantage de solitude. Et le confinement nous rend la fréquentation d’autrui et la séparation d’autrui plus difficiles parce que non choisies, ni même imposées par une noble cause comme par exemple la lutte pour la liberté, mais seulement pour éviter, souvent dans la peur, la propagation d’une maladie.

De temps en temps, un petit enfant descend dans la cour et y tourne en rond sur son tout petit vélo sans pédales. Tout joyeux, comme le sont malgré tout les enfants. Heureusement, moi non plus je n’ai pas perdu ma joie enfantine, et nous sommes un certain nombre d’adultes dans ce cas – les adultes graves ne nous voient pas mais notre joie chasse le mal, jour après jour, instant après instant.

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Les hommes (avec Manu Dibango et un frère de Bilal)

 

Je vois sur Internet des stars en tous genres que le coronavirus rend vaches folles – dont il révèle en fait le chaos ordinairement caché derrière leur façade lissée, et l’inanité profonde. Il y a aussi, et ce sont souvent les mêmes, celles et ceux qui profitent de la crise pour faire leur promotion, de façon plus ou moins obscène, plus ou moins habile. Il y a enfin celles et ceux qui font sincèrement de leur mieux pour partager, donner de leur présence. Et je salue celle de Manu Dibango, emporté par le virus et malgré son départ si présent, si humain, si réellement génial.

 

 

J’ai téléchargé quelques-uns des ebooks gratuits proposés par la Fnac. Notamment l’Utopie de Thomas More, la Bible et le Coran. Le Coran ayant été, de façon amusante, pourvu du nom d’auteur Allah, se trouve être le premier livre sur ma liseuse, où ils sont classés par ordre alphabétique d’auteurs. Cette nuit, avant d’entamer l’Utopie, j’ai relu la première et la dernière sourate, L’Ouvrante et Les hommes. De même que l’Odyssée commence par les mots « Dis-moi l’homme », de même que Pilate dans les évangiles présente Jésus au peuple par les mots « Voici l’homme », l’humain est la matière du Coran, dans sa faiblesse face au mal mais aussi dans son possible dépassement (en dansant, par exemple) de l’  « humain, trop humain » (je fais sans cesse référence à ce mot de Nietzsche car il est si vrai).
Screenshot_2020-03-25 Google ActualitésJe trouve émouvante cette image (je ne l’ai pas trouvée en plus grand format) de cet homme en Afrique appelant aux précautions contre l’épidémie ; on dirait Bilal faisant l’adhan.

Nous sommes tout à fait remis du passage du coronavirus chez nous et en cette troisième semaine de confinement pour nous une paix royale règne à la maison, malgré la dure privation de sortie. Je songe aux cerisiers du Jardin des Plantes, que pour la première fois lorsque je suis à Paris je ne verrai pas en fleur. Et je n’oublie pas qu’il y a bien plus grand drame dans le monde.

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Bonheur

"Bonheur", mon nouveau dessin

« Bonheur », mon nouveau dessin

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La nuit est ronde comme une orange.
Vertes, ses feuilles étincellent.

 

Dans ses feuilles étincelantes jaillit le jour.
Sèves.

 

Mes doigts qui tracez,
mes pieds qui martelez,
et vous mon cœur, mon cerveau, mon sang,
faites advenir le printemps !

 

Vous mes neurones, mes narines, mes nerfs.
Vous mes trois yeux, vous mes dix bras.
Vous mes mille et une joies, vous mes milliards d’années
riant dans l’univers à ma gorge déployée.
Vous mes rimes cryptées, mes mesures secrètes,
vous mes orteils, toi ma tête,
vous mes chevilles, toi ma lymphe,
vous mes eaux, mes feux, mes chairs, mes airs,
qui n’êtes ni moi ni autre,
moi l’autre, là même,
bonheur.

 

Le jour naît vert de mon sang chlorophile
ma caverne enphyllée tisse
poèmes nervurés autour des fleurs,
des fruits.

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