Le courage de la vérité, comme dit Foucault

Le PEN américain, dont le nom résonne pour le coup désagréablement, attribue un prix à Charlie Hebdo. Six écrivains anglo-saxons protestent et se désolidarisent de l’association. Ils ne veulent pas être associés à l’  « admiration » et au « respect » que le prix implique pour un journal raciste. Tel autre écrivain, emblème de la pensée correcte, les traite aussitôt de pussies, de femmelettes – racisme et sexisme ne viennent-ils pas du même fond pourri de l’homme ? Comme si on avait primé Je suis partout, avec ses caricatures de juifs qui nous menaient droit où on sait. Eh bien, il y a encore quelques écrivains résistants et je ne suis pas seule. Il est vrai qu’il y faut du courage, et que cela coûte. Difficile par exemple de trouver un éditeur également courageux pour La grande illusion, Figures de la fascisation en cours, où l’affaire Charlie notamment n’est pas traitée du point de vue politiquement correct. Mais vous pouvez lire le livre en ligne gratuitement, il est ici.

« Solidarité » de classe et d’intérêt

L’épicerie Hyper Cacher de Vincennes va rouvrir ses portes. Je n’ai entendu dire nulle part qu’elle avait bénéficié de quelque solidarité nationale. Pas plus que l’imprimerie de Danmartin, qui malgré la campagne de dons organisée par les commerçants de sa ville n’a pas encore les moyens de se relancer, les destructions, notamment de machines très chères, ayant été importantes pendant l’assaut. Comment se fait-il que la solidarité n’ait été organisée, par les politiques et les médias, que pour Charlie Hebdo, qui a engrangé des millions ? Pourquoi les gens de Charlie Hebdo ne songent-ils pas à faire bénéficier les autres victimes des attentats de janvier de l’énorme manne (en dons et en produits des ventes) qui a été dirigée vers eux ? Le faux règne dans cette histoire. D’évidence, des épiciers et des imprimeurs ne valent pas des journalistes politiquement rentables. Le peuple trime ou chôme, les faiseurs d’opinion règnent sans partage, c’est le cas de le dire. Du moins n’auront-il pas ma voix.

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Pendant que la police interroge des enfants…

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J’ai trouvé le signalement de cette page facebook sur celle de Jean-Claude Lefort (dont j’ai repris une adresse à Manuel Valls ici sur mon blog en 2013). D’après les commentaires de ses lecteurs, en réponse à un premier signalement, Facebook a répondu que le contenu de la page (qui est tout entier de cet acabit) « n’était pas contraire à [leurs] standards ». Les signalements se sont multipliés mais la page est toujours toujours visible à cette heure.

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Lire aussi sur le site de l’Union juive française pour la paix l’article de Schlomo Sand dont voici un passage :

« Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».

En 1886, fut publiée à Paris La France juive d’Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre : Soumission, « La France musulmane » de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable « bestseller » de la fin du 19ème siècle ; avant même sa parution en librairie,Soumission était déjà un bestseller ! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d’une large et chaleureuse réception journalistique. Quelle différence y a t’il entre eux ? Houellebecq sait qu’au début du 21ème siècle, il est interdit d’agiter une menace juive, mais qu’il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. »

et aussi, parce qu’il faut ouvrir les yeux sur toutes les responsabilités, celles des auteurs et celles de leurs lecteurs, et notamment parmi eux des pouvoirs publics et des médias qui les soutiennent, par exemple cette réflexion d’Yves Pagès dont voici un extrait :

« … à tout le moins l’équipe rédactionnelle de ce journal manquait de vigilance anti-fasciste (malgré sa culture libertaire d’origine) en ne dénonçant pas unanimement le discours raciste sous-jacent de Soumission. Bref c’est constater que, sur ce point précis – la vulgarisation insidieuse des discours arabophobiques – Charlie hebdo était assez conforme à l’air du temps, alimentant sans garde-fou ni discernement la confusion des esprits. »

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Sadisme et ténèbres

Charlie, national hebdo, « ne prend pas les musulmans pour des imbéciles », dit maintenant Luz. C’est assez pitoyable, mais c’est sans doute plus vrai qu’il ne l’imagine, et si c’est le signe qu’ils renoncent à se nourrir de leur racisme, tant mieux. Je n’ai pas lu de meilleure analyse de ce qu’ils furent ces dernières années que celle de Norman Finkelstein, qui compare les caricatures de musulmans par Charlie à celles des juifs dans les années 30 par un journal antisémite allemand, évoque la situation des musulmans et dit : « Ce n’est rien d’autre que du sadisme. Il y a une très grande différence entre la satire et le sadisme. Charlie Hebdo, c’est du sadisme. Ce n’est pas de la satire. ». Oui, c’est tout à fait ça : de la bêtise et du sadisme, l’un allant avec l’autre, l’un essayant de compenser l’autre, sans jamais y parvenir, d’où le cercle vicieux, l’obsession.

Le sadisme vient de la bêtise, qui vient elle-même du ressentiment. L’imbécile est meurtri par le secret sentiment que d’autres sont plus intelligents, plus vivants que lui, ce pourquoi il lui faut les faire souffrir. C’est aussi en partie ce qui se passe entre l’Europe et la Grèce. L’Europe doit presque tout aux Grecs, au bond prodigieux qu’ils firent faire à l’humanité dans l’Antiquité et dont la pensée continue de fructifier. Voir ce pays se retrouver dans l’ombre pendant des siècles, puis le gaver d’argent comme on gâterait un enfant avant de le gifler, voilà le jeu sadique auquel s’est livrée la Troïka avec les Grecs.

La jalousie entre les civilisations du monde et le plaisir qu’elles ont à voir ou s’imaginer l’autre tomber sont les premières têtes de l’énorme Bêtise qui menace l’humanité. Cela vaut à l’échelle des continents, des pays, voire des régions, et aussi des communautés et des individus. La honte secrète de soi est le moteur du sexisme et de tous les racismes. Quant aux Grecs, leur lumière a traversé le temps à même leur langue, prête à éclairer de nouveau. Olivier Drot retweete une information selon laquelle le poète Adonis entamerait une grève de la faim pour les soutenir face à l’Europe. Barack Obama lui aussi appelle à relâcher la pression sur la Grèce. J’ai commencé à lire Le continent des ténèbres – Une histoire de l’Europe au XXe siècle, par Mark Mazower. Les ténèbres sont toujours là, attention.

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Fiction or not fiction, that is the question

Toute fiction s’inspire du réel. De situations, de personnes, d’expériences, de faits réels. Le mot fiction vient du verbe latin fingo, qui signifie façonner, pétrir. On pétrit quelque chose, et non pas rien, comme pourrait dire Parménide. La même racine a donné les mots figure et ses dérivés, ainsi que feindre. En anglais elle a donné aussi faint (faible, vague).

L’homme a besoin de fictions comme supports à sa pensée. Les mythologies, les cosmogonies, les religions reposent sur des fictions. Figures et concepts sont étroitement alliés dans la formation de la philosophie et de la pensée. Les mathématiques elles-mêmes sont nées de figurations géométriques, elles-mêmes nées de l’observation de la nature, phusis (physique).

À oublier que la pensée naît du réel via la fiction, on tombe dans de faux processus et de faux procès. Le véritable serviteur, celui qui façonne le réel au service de la pensée, donc de l’élévation de l’humanité, qui ne peut se survivre qu’en s’élevant, en croissant (tel est aussi le sens du mot phusis, de même racine que les mots phos (lumière), phèmi (dire), et un autre phos (être humain)), s’élève, comme le dit Kafka, « d’un bond hors du rang des meurtriers ». Et cependant il est poursuivi comme un meurtrier (Le Procès). Le jugement des hommes, contraire à celui de la Vérité, les condamne, parce que les hommes ne veulent pas voir révélé le mal qu’ils font dans l’obscurité. « Et le Jugement, le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne lui soient reprochées », dit l’évangile de Jean.

Une autre inversion de ceux qui font le mal consiste à faire passer de la fiction pour la vérité. Ici nous sommes dans le système idolâtrique. Une figure du faux est présentée comme vraie et vivante. Un film sorti l’année dernière faisait ainsi passer une photographe inventée de toutes pièces pour une personne ayant vraiment existé, dont on exposa et vendit même les photos fabriquées. Vulgaire escroquerie au service de Mammon, comme on dit dans la Bible, à savoir de l’argent et du mal. Les exemples de telles escroqueries à l’art fourmillent, qui non seulement sont destinées à remplir les poches de faux artistes et de leurs producteurs et autres distributeurs, galeristes, éditeurs etc, mais aussi à établir le règne de la confusion dans l’esprit du public, afin que la vérité lui devienne indiscernable du mensonge, et que le cercle vicieux puisse continuer à tourner, l’argent à rentrer et la vérité à être occultée. Ainsi a-t-on vu de faux témoignages de partouzeuses ou de déportés dans les camps de la mort faire des succès mondiaux. Car ceux qui sont, par manque de vérité en eux, impuissants à créer des fictions qui élèvent l’être à la vérité, fabriquent des fictions qui feintent la vérité : ce n’est que parce qu’ils les font passer pour récit de vécus réels qu’ils parviennent à susciter l’intérêt du public. Leur fabrication ne tient que par la croyance au faux qu’elles exigent. Il ne s’agit pas d’art, mais de contrefaçon, tout à la fois contrefaçon de la vie et de l’art.

Le lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo, un écrivain racontait sur sa page facebook les réactions accablantes d’une classe de banlieue dans laquelle il avait été invité à parler de théâtre. Les clichés effrayants sur les jeunes de banlieue, arabes et noirs, y éclataient si bien que les médias (dont Alain Finkielkraut) s’empressèrent de reprendre son récit. Quand la vérité fut dite par le professeur et les élèves, à savoir que les choses ne s’étaient pas du tout passées comme il l’avait prétendu, le mal était fait et personne ne se soucia de le corriger. J’avais déjà lu sur la page de cet auteur de courts récits, écrits d’une plume allègre à la première personne, comme des témoignages de choses vécues. Il était clair qu’il s’agissait en fait de fictions, et tant qu’elles ne mettaient en scène que des historiettes d’amour, peu importait que les lecteurs soient dupes ou non. Mais présenter comme le réel brut des reconstitutions fantasmatiques du réel ressort de la tromperie et participe à semer dans le monde la confusion des esprits. Soyons attentifs, auteurs comme lecteurs.

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