Petit poème du jour

Moi, petite-fille de Vraie-louve
Que je suis en ma forêt profonde,
Mangeuse de la tête d’Homère,
Retourneuse de sexes et de textes,
Massacreuse de sots,
Langue des langues,
Je suis la joie aux yeux brillants,
Le repaire pour l’amour,
Et la route que je trace.
Ô popoï ! Je tonne sur Saint-Pierre,
Je neige sur les âmes,
Je fonds et je lave
La vallée qui aime mon âme,
Je dis aux rois vous n’êtes pas les rois,
Aux princes mince alors, vous êtes si minces
Que vous disparaissez déjà,
Dieu merci !
Et aux humbles, aux honnêtes,
Vous, vous sauvez le monde.
Je vois les mondes,
Je vois,
Je ris.

Sport ; mosquée ; amour

Je suis allée me renseigner dans une salle de sport et la visiter, pour mieux m’entraîner. Je commencerai sans doute la semaine prochaine. J’y allais, il y a une vingtaine d’années, quand j’étais à Paris. Ensuite j’ai vécu pas mal de périodes à la montagne, là-bas je me dépensais comme on se dépense en montagne, et puis de retour à Paris j’ai été occupée à une espèce de voyage odysséen, et j’ai eu le tort de cesser un moment de faire du sport, ça m’aurait aidée ; je n’en ai jamais fait beaucoup mais quand même un peu de tout, gyms diverses, danse, équitation, aquagym, quoi encore ? Un peu des sports qu’on pratique à la mer, en montagne, etc. En me remettant à l’exercice il y a environ deux ans, j’ai constaté que j’avais pas mal à rattraper, en souplesse, en muscles et en endurance – c’est fait, et je vais continuer.

Je suis sortie sans me souvenir qu’on était vendredi, à la maison je venais de réciter la Fatiha et l’Ikhlas et j’avais envie de faire un tour à la mosquée, juste m’y arrêter quelques instants comme je le fais de temps en temps, mais quand je suis arrivée c’était la sortie de la grande prière, des foules se déversaient de la mosquée, dont l’accès était barré par les cars de police, pour la sécurité des fidèles. Je me suis donc contentée de marcher parmi eux, en continuant mon chemin, et c’était très beau.

On ne se rend pas bien compte de ce qu’il en est en lisant les traductions, et je craignais un peu qu’à partir du chant Treize, dans la deuxième partie du poème, les chants se passant à Ithaque soient moins merveilleux à traduire que ceux du voyage. C’est le contraire. Les rapports humains se sont approfondis, la réflexion du poète aussi, tout est bouleversant. Notamment les vers que je viens de traduire, la première nuit de retrouvailles entre Dévor (Ulysse) et Pénélope, alors qu’il est encore déguisé en mendiant et qu’elle est censée ne pas le reconnaître (mais Homère fait en sorte que l’auditeur puisse en douter). Comment, après tant de temps, ils se préparent l’un à l’autre, avec quelle délicatesse ils se rapprochent, se complimentent mutuellement et aussi se mettent en valeur l’un·e pour l’autre. Souvent je m’arrête sur tel ou tel mot choisi par Homère, quelques syllabes qui, placées là, ouvrent des univers. C’est un bonheur inouï que de traduire ce texte. Moi aussi je suis de retour à la maison.

o popoï, rois et mendiants, société de dévoration

Au début, j’ai fait comme tout le monde, j’ai traduit cette interjection hyper courante dans les dialogues de l’Odyssée, au début d’une prise de parole, par « grands dieux ! ». C’est ce que dit le Bailly, tout en précisant que cette traduction courante repose sur une erreur – sans en proposer d’autre. Mais enfin Zeus s’exclamant « grands dieux », on n’y croit pas trop, pas plus que le Roule-l’œil (Cyclope) et autres brutes humaines, et même Dévor (Ulysse), non, je ne vois pas que ce soit leur genre, pour une raison ou pour une autre. En fait ce qui serait naturel aujourd’hui, ce serait de traduire par « oh putain », ou, pour les personnages plus polis, « oh punaise ». Ne serait-ce qu’à cause du p initial, consonne occlusive de tout bon début d’exclamation. D’abord j’ai changé tous les « grands dieux » en « ô popoï », laissant l’exclamation en grec, puis finalement, comme après tout les Grecs sont des méridionaux, j’ai changé les « popoï » en « peuchère ». J’aime assez entendre Zeus s’exclamer « peuchère », et les autres aussi, ça apporte de la légèreté à toute la comédie et à toute la tragédie. Mais pour ma part, à la maison, dans la vie de tous les jours, j’ai adopté « ô popoï ». Un code sourire entre O et moi.

Et désormais je n’écrirai plus ma traduction ni mon roman ni rien d’important sur mon ordinateur, puisque les voleurs, les violeurs de verbe, y entrent de force, sales morpions qui n’ont de vie qu’à mater celle des autres, d’œuvre qu’à piller celle d’autrui. Certes ce n’est pas nouveau, mais je pensais qu’avec le temps ils s’étaient guéris de cette obsession paranoïaque. Le pire est que tant de gens croient pouvoir faire plier quelqu’un à force d’abus et d’obstacles, de mensonges et de manipulations, de pillages et de destructions, de harcèlement et de rétorsions, etc. Ils ne savent décidément pas du tout ce qu’est la liberté. Peuchère, quels petits mortels. Ceux qu’Homère appelle les kakoi, ceux qui font kaka, les choses mauvaises ou basses.

Je me suis remise à courir ce matin. À jeun, et après quinze jours d’interruption, ce fut un peu dur, mais enfin c’est reparti et c’est bon. Mon tatouage cicatrise à merveille, mon sein est un bon nid pour la chouette d’Athéna, elle y est heureuse comme je suis heureuse de sa présence (et je la fais voler aussi, en bougeant, en écrivant… elle vit avec les mouvements de mon corps, ma respiration…). Homère raconte mon nom, Alina Reyes, le nom de la nouvelle de Cortazar, où je l’ai trouvé, avec, comme le personnage de Cortazar, Dévor* en voyage transformé en mendiant, mais pas vraiment finalement puisqu’il y a une suite et qu’il redevient roi. Es la reina y, comme dit Cortazar : l’être flue.

*Pour celles et ceux qui n’ont pas lu ma note précédente, où je l’explique : Dévor, c’est le nom d’Ulysse dans ma traduction. Ma traduction qui doit parler à la société de dévorations en tous genres que l’humanité est devenue, et l’aider à s’en sortir.

Petit poème du matin

Le merle chante dans la cour.

La lumière plonge, dore les murs.

Des ouvriers travaillent sur un toit.

Bruit lointain, rythmé, des marteaux tambourinant le zinc.

Vibrations colorées dans mon corps du rêve merveilleux absolument, toujours vivant, de la nuit précédente.

Aujourd’hui je commence à traduire le chant Dix-sept

« Dès que paraît, née du matin, Aurore aux doigts de roses »

Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Présente !

Lumière sur la Seine, cet après-midi en rentrant à pied de chez les tatoueuses et tatoueurs, photo Alina Reyes

Lumière sur la Seine, cet après-midi en rentrant à pied de chez les tatoueuses et tatoueurs, photo Alina Reyes

Au fond c’est assez amusant qu’on se demande communément, depuis longtemps, pourquoi Homère qualifie le porcher de divin, sans se le demander, en fait. Je veux dire, sans le demander à Homère, qui le dit pourtant très clairement. Les pistes de compréhension de l’Odyssée données par Homère sont grosses comme des pistes d’atterrissage de gros avions, mais il semble que tous les passagers aient leur bandeau de sommeil sur les yeux et ne voient que ce qui rumine dans leur caverne de tête. Il est pas mal question de pilotes dans l’Odyssée, des pilotes de « vaisseaux traverseurs de mers », de mers « aux larges voies », aussi larges que les voies du ciel du texte. Pilote en grec ancien se dit cybernète, comme aujourd’hui dans l’espace dérivé du même nom. Mesdames, messieurs et autres, j’ai l’honneur d’être votre cybernète et je vous ferai faire, dans l’esprit d’Homère, un vrai grand beau voyage.

Ça y est, j’ai une magnifique chouette d’Athéna encrée sur le sein, qui n’attend plus que sa mise en couleur, un peu plus tard, par ma talentueuse tatoueuse ; j’en reparle (et sans doute montre) bientôt.

Nouvelles de mon marathon de traduction

Je fais des rêves fantastiques ; hier j’effectuai un long et extraordinaire ballet dans les airs, et cette nuit un messager m’annonça un prix faramineux, de façon positive. Depuis trois semaines je souffrais d’une tendinite à l’avant-bras gauche ; comme la douleur s’était éveillée vingt minutes après ma vaccination, je pensais qu’il s’agissait d’un effet secondaire ; comme cela commençait à durer beaucoup, j’ai pensé que je fatiguais peut-être trop mon bras au yoga, avec toutes ces postures sur les bras, le gainage etc. Je me suis limitée pendant quelques jours à un yoga d’étirements (yin yoga) ou d’exercices de respiration (pranayama), mais ça n’a rien changé. Et finalement j’ai compris : c’est la manipulation répétitive, des heures et des jours durant, de mon énorme dictionnaire de grec, avec la main gauche (la droite écrivant) qui m’a créé ce dico elbow, si je puis dire, sans doute révélé au moment de la légère inflammation supplémentaire produite par la vaccination. Mon vieux dictionnaire tombe d’ailleurs lui-même en miettes à force de servir, je vais devoir le réparer encore. Mais depuis hier soir je me sers du même dictionnaire, le Bailly, mis en ligne par un groupe qui s’est nommé Hugo Chavez, et que je remercie pour cet énorme travail. Bon en fait c’est moins pratique que le dico papier, mais au moins ça me permet de continuer.

Tout de même, à ce stade de mon travail, je ressens une fatigue mentale certaine. De septembre 2020 à fin janvier 2021 (avec une interruption en décembre), j’ai traduit les quatre premiers chants – ce qui constituait déjà un bon rythme, d’autant que je ne suis pas helléniste et que j’ai dû travailler au départ avec mon faible bagage de grec du collège et du lycée. Mais de février à aujourd’hui où je suis en train de terminer le chant XV, j’ai donc traduit, en trois mois et demi, onze chants de plus. Je pourrais finir au début de l’été, mais la fatigue m’oblige à ralentir ces jours derniers. On verra. Ce sur quoi je ne transige pas, c’est sur la qualité de mon travail. Je prendrai le temps qu’il faudra pour rendre de mon mieux hommage à Homère et à son texte, à ses vers que je traduis en vers libres mais avec une contrainte dans le nombre de pieds, contrainte très utile pour ne pas s’autoriser les facilités de la prose et trouver des formulations proprement poétiques. L’harmonie sonore de la langue d’Homère s’accompagne de heurts linguistiques, j’essaie de m’approcher au mieux de son esprit. Je travaille toujours avec un œil sur les traductions de mes prédécesseurs, et je continue à noter leur sexisme accablant. Dernier exemple en date : pourquoi, lorsque Homère qualifie une femme de féminine, Leconte de Lisle traduit-il « luxurieuse », Jaccottet « faible», Bérard « pauvre », etc. ? Moi, femme, malgré la fatigue, je me sens en très grande forme. À suivre.

Courir et traduire

Je suis bien fatiguée en ce moment – c’est l’un des effets du médicament que je dois prendre pendant encore deux ans et demi, mais aussi de la masse de traduction que j’ai produite ces derniers mois, des milliers de vers (la fatigue me contraint à ralentir un peu en ce moment mais je continue quand même à avancer dans toute cette splendeur de l’Odyssée, j’aurai fini le chant XV d’ici lundi ou mardi je pense). Peut-être aussi parce que je fais pas mal de sport, en particulier mes trois running par semaine, pas bien longs dans l’absolu (environ trois kilomètres) mais bien intenses pour mes capacités de petite débutante (à tous les sens du terme) de 65 ans. J’adore ça et j’y suis allée ce samedi matin malgré ma grosse fatigue et la pluie et le vent, et j’ai fait un de mes meilleurs temps quoique j’ai enlevé ma veste contre la pluie avec l’arrêt de la pluie puis l’ai remise à la reprise de la pluie, tout en marchant et sans arrêter l’appli avant de me remettre à courir. Je dois trouver mon rythme, je cherche encore, au collège ce qui me convenait parfaitement c’était le 400 mètres ; au sprint sur 60 mètres j’étais assez bonne si je me souviens bien mais trop petite par rapport à la plupart des autres filles pour faire les meilleurs temps ; mais au 400 mètres, où il fallait combiner la vitesse avec un peu d’endurance, là j’étais dans les toutes premières. Quand il fera un peu meilleur je prendrai mon vélo et j’essaierai d’aller courir dans un stade, pour voir. Même pour le footing ça doit être agréable.

Je suis vraiment bien musclée maintenant, c’est bon de se sentir ainsi. Et je ne le fais pas exprès, mais cela m’aide à traduire Homère, parce que c’est très physique, son poème. La chose énorme que j’y vois, et que j’y manifeste dans ma traduction (il y a du changement par rapport aux premiers chants que j’ai mis en ligne ici), puisque je la vois manifeste dans le texte grec, n’a jamais été vue, je pense – sinon cela se saurait. La joie de la découverte est intense. Je cours, en grec, se dit théo, un homonyme du nom théos, dieu.