Pour une Notre-Dame à la licorne

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Telle Marie accouchant du verbe de Dieu sous un palmier (dans le Coran), je me suis assise au pied du palmier au fond du jardin, j’ai sorti mon carnet et j’ai écrit cette défense d’une Notre-Dame à la licorne. À côté un groupe de jeunes, un garçon et quelques filles, discutaient en riant avec force références sexuelles. « Ben quoi, elle a envie de te toucher la queue, laisse-toi faire », dit l’une. Etc. Ambiance pas vraiment virginale mais ça ne m’a pas empêché de faire courir mon stylo. Voici le texte, que j’ai proposé à la presse – j’actualiserai la note s’il est accepté, pour le signaler.

 

Cet après-midi au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

Cet après-midi au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Restauration ou reconstruction des toitures brûlées de Notre-Dame ? Dans la mesure où elles ont été entièrement détruites, n’est-ce pas naturellement de reconstruction qu’il faut parler ? Impossible de réparer, de rénover ce qui n’est plus, ni de lui rendre son aspect d’origine, comme on le fait pour des œuvres endommagées – comme vont être restaurés les tableaux qui sans avoir brûlé ont souffert de l’incendie. La restauration au sens de rétablissement ne s’entend que pour des choses abstraites. Reste quand même une controverse entre ceux qui veulent reconstruire « à l’identique » et ceux qui souhaitent reconstruire selon l’esprit et l’art du temps, comme l’ont fait nos prédécesseurs, dont Viollet-le-Duc au XIXe siècle.

Je suis résolument contre une reconstruction « à l’identique ». Il n’y a pas d’identique possible, des chênes d’aujourd’hui ne sont pas des chênes de huit cents ans, etc. L’ « identique » ne serait qu’un plagiat, une falsification comme il s’en fait trop en ce monde. Huit cent cinquante ans d’histoire ne se remplacent pas en cinq ans, ni même en vingt ou en cent ans. Ils ne se remplacent pas. Respecter l’histoire, c’est respecter ce qu’elle produit, constructions et destructions. Vouloir effacer l’événement que fut cet incendie tient du déni. Notre histoire est malmenée par ces deux manies contemporaines que sont d’un côté l’abus commémoratif, de l’autre l’occultation de certains faits. Le désir, dans le deuil, de refaire Notre-Dame à l’identique, rappelle le délire de John Mac Corjeag dans La Boîte en os d’Antoinette Peské, lequel préfère s’acharner à aimer un corps mort plutôt que de tourner la page.

Tourner la page ne signifie pas oublier l’histoire qui s’est dite jusque là. Au contraire c’est lui rendre hommage en la continuant. Sortir de la fixation morbide. Une toiture conçue de façon nouvelle pour Notre-Dame ne sera pas un oubli de l’histoire dont elle est emblématique mais au contraire une façon de se la remémorer tout entière, comme le cairn sur le chemin rappelle tout le chemin, fait et à faire. Choisir des matériaux plus légers et plus sûrs, comme du métal au lieu de bois pour la charpente, du titane au lieu de plomb pour les toits, ainsi que le préconise l’architecte Jean-Michel Wilmotte, serait non seulement une façon d’éviter le sacrifice de 1300 grands chênes pour un poutrage invisible, mais aussi la marque d’une bonne santé de l’esprit, qui doit choisir le meilleur et non le plus apparemment consolateur. Réfléchir à la fois aux meilleures techniques et au meilleur mariage esthétique et spirituel entre un temps et un autre sera, à condition d’éviter d’agir dans la précipitation, un témoignage de notre courage d’humains, un signe de l’acceptation de notre condition mortelle et de notre capacité à la dépasser par l’accomplissement d’une œuvre (en l’occurrence cette reconstruction) qui marque le flux et les accidents du temps et non sa fixité fantasmée – par peur de la mort.

Les croyants ne devraient-ils pas songer que « Dieu donne et Dieu reprend » et que c’est vouloir se mettre à sa place que prétendre rétablir à l’identique ce qui a été détruit avec sa permission ? Quant aux non-croyants, au nom de quel sacré, de quelle croyance secrète, voudraient-ils absolument qu’un bâtiment soit immuable ? Pour ma part, je rêve d’une Notre-Dame à la licorne, une Notre-Dame dont la flèche s’élèverait en spiralant selon la forme d’une corne de licorne, symbolisant ainsi, selon l’esprit médiéval qui présida à la construction de la cathédrale, le verbe de Dieu agissant dans le sein de la Vierge (ce qui parle aux chrétiens, mais aussi aux juifs et aux musulmans, et que les autres traditions comprennent aussi). Le coq qui trônait sur la flèche de Viollet-le-Duc trouverait aisément place ailleurs sur le toit. Des architectes sauraient trouver les matériaux les plus adéquats pour faire de ce signal une beauté. Et nous nous inscririons ainsi dans un mariage très moderne entre la spiritualité médiévale, qui inspire aujourd’hui tant de romans et de jeux vidéos, et notre temps. Plus encore, la licorne étant devenue un symbole mondialement aimé parmi les jeunes générations, Notre-Dame serait ainsi plus que jamais universelle. Audace et fidélité, telles seraient les qualités chevaleresques que brandirait ainsi cette sorte d’oriflamme au cœur de Paris, au cœur d’une chrétienté consumée qui doit se réinventer, au cœur d’une laïcité qui doit pouvoir embrasser toutes les spiritualités, détachées des clergés, des intégrismes et des fixations identitaires.

Car c’est bien aussi un désir de repli identitaire qui se manifeste dans le désir de reconstruction à l’identique. Comme si nous manquions à ce point d’être que nous risquerions de le perdre en évoluant. À quelques centaines de mètres de Notre-Dame, au Musée du Moyen Âge, la Dame à la licorne, malheureusement confinée dans l’ombre, comme certains croient qu’il sied à la femme de l’être, expose en six tapisseries le désir de la dame qui, dans une féminité émancipée, tend un miroir à la licorne puis saisit sa corne, réalisant la paix et l’harmonie dans l’entente bien pensée avec l’Autre, que cet autre soit autre sexe, autre culture, autre espèce ou autre architecture.

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Reflets, balade et Notre-Dame à la licorne

paris 6e 2-minEn allant assister à un cours à l’EHESS, j’ai photographié des reflets ondoyants d’immeubles dans des immeubles, boulevard Raspail

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paris 6e 4-minDevant l’EHESS, j’ai voulu photographier les inscriptions au sol, mon ombre y était aussi

paris 6e 5-minAprès le cours (pas terrible), en partant, j’ai vu Frédéric Lordon assis dans la cour en train de parler joyeusement avec quelqu’un

J’ai continué à me balader

paris 6e 6-minEt je suis allée au Luxembourg

paris 6e 7-min(au fond, la coupole de l’Observatoire)

paris 6e 8-minJ’ai contemplé un moment les bateaux, et les enfants jouant avec les bateaux filant sur l’eau avec leurs fidèles reflets dansants

paris 6e 9-minJ’ai lu au soleil puis j’ai repris mon chemin et j’ai photographié quelques œuvres au passage

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paris 6e 12-minaujourd’hui à Paris 6e, photos Alina Reyes

De retour à la maison, j’ai vu qu’il y allait avoir un concours international d’architecture pour reconstruire la flèche de Notre-Dame, et j’ai eu instantanément une idée géniale : une corne de licorne ! Oui, c’est ça, la Vierge est associée à la licorne au Moyen Âge, d’ailleurs la Dame à la licorne est tout près de Notre-Dame, au musée de Cluny. (Mais alors il faudrait mettre ailleurs le vieux coq retrouvé avec ses vieilles reliques). Une flèche en forme de corne de licorne, voilà qui aurait du sens, voilà qui ferait un parfait mariage de médiévisme et de modernité, tout le monde adore les licornes aujourd’hui, dans le monde entier !

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Notre-Dame, Sainte-Sophie, la Bibliothèque

cet après-midi à la bibliothèque des chercheurs du Museum, photo Alina Reyes

cet après-midi à la bibliothèque des chercheurs du Museum, photo Alina Reyes

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Les mêmes qui déplorent que Notre-Dame était devenue une usine à touristes déplorent qu’Erdogan songe à rendre à Sainte-Sophie, qui n’est plus qu’une usine à touristes, sa fonction de mosquée. Bon en fait, c’est surtout ça qu’on aime, à Sainte-Sophie comme à Notre-Dame : qu’elles soient devenues des lieux à admirer, où se promener et où se recueillir en paix sans pression des clergés et des intégristes.

Ce que je retiens de l’incendie de la cathédrale, construite par Victor Hugo, artisan du roman, autant que par des artisans du bâtiment, c’est qu’il aurait pu être évité si on n’avait pas fait d’économies sur la sécurité anti-incendie. L’État n’assume pas ses responsabilités, et une fois que c’est brûlé, il n’assume toujours pas, il appelle aux dons. En France ça continue, on prend le pire de chaque système, l’étatique intrusif et le libéral, mais on n’a presque plus rien du mieux. Espérons au moins qu’ils ne vont pas refaire une charpente en bois, il y a d’autres matériaux aujourd’hui.

Le mieux pour moi c’est d’aller chaque après-midi à la Bibliothèque, d’enlever mon pull et mes chaussures, et de travailler dans la paix et le recueillement à mes constructions, pas pour retenir le passé mais pour faire vivre le présent et sa suite.

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Rire & rerire

Éclaté de rire en rêve cette nuit. Ça m’a réveillée et j’ai continué à rire, rire, rire.

Ce matin je me rappelle de cet autre éclat de rire en rêve, il y a près de quarante ans, qui m’avait réveillée aussi après avoir rêvé que j’étais une grande baleine blanche contre laquelle de tout petits chasseurs n’avaient rien pu faire, comme je l’ai raconté plus tard dans mon livre Ma vie douce.

Admirons la puissance de l’esprit.

Les jeunes filles qui viennent à la maison me disent qu’elles aiment mes ongles multicolores. J’ai songé cette nuit qu’avoir rendu ainsi hommage à Laura Dern dans Twin Peaks The Return, c’était saluer Lula dans mon film préféré du même David Lynch, Wild at Heart, qui représentait pour moi, avec son Sailor, O et moi, dans notre épopée amoureuse – comprenant un road trip aux États-Unis. On the road again.

 

chrysler,-minsur la route aux États-Unis dans notre Chrysler décapotable, 1990, photo O

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Aux arbres citoyens

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Castaner fait adhérent d’honneur de Génération identitaire. Houellebecq bientôt décoré de la légion d’honneur par Macron, en présence de Finkielkraut. Il faut ajouter au chef-d’œuvre d’Orwell : « DÉSHONNEUR EST HONNEUR ». Ils sont déjà légion dans cette catégorie où se rassemblent ceux qui ont à compenser leur manque de génie. (Déprime totale à l’Élysée, nous annonçait-on il y a quelques jours. D’où la prime au miroir houellebecquien ?)

Qu’est-ce que le génie ? Le génie de la vie, tel qu’il peut se contempler par exemple dans le bel élan d’un arbre, dans son exubérance, son élégance, son amour de la lumière, du ciel et de la terre.

Tous les enfants sont des génies, avant que des adultes déshonorés ne s’emploient à détruire en eux le génie qu’ils leur jalousent. Restons toujours les plus intelligents, les plus vivants. Non pas enfants des hommes, mais enfants de la grâce.

 

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arbres 4-minCes jours-ci au jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Parade

La situation de Julian Assange est comparable à celle des Palestiniens. Des forces de mort essaient de détruire ceux et celles qui incarnent des vérités. Elles perdront, elles perdent toujours – après avoir trop souvent fait beaucoup de mal.

Sale journée hier pour la liberté de la presse et pour l’honneur de la « France, terre d’asile ». Nul n’est à l’abri des lois mais personne ne doit être abandonné au risque de torture et de mort. Assange a déjà subi la torture du confinement pendant sept ans, qui l’a terriblement affaibli : les images de sa sortie sont une honte pour l’humanité. Les forces de mort n’existent que par leurs légionnaires, leurs soutiens cupides, intéressés, peureux, avides de sécurité face aux exigences de la justice.  Toute la misère de l’humanité est dans sa volonté de puissance.

Benoît XVI dit dans une interview que la pédophilie dans l’église vient de mai 68. Rimbaud en a été victime, pourtant, comme je l’ai montré. Il dit que l’église ne doit pas être faite par les hommes, mais par Dieu. Mais le fait est qu’elle a toujours été faite par les hommes, et spécialement les humains de sexe masculin. Elle a toujours été faite comme une volonté de puissance des uns sur les autres et son corollaire, la volonté de soumission des uns aux autres. Elle est faite à l’image du monde, non à celle de Dieu.

Mais la nature est plus forte que la volonté de puissance des hommes. À laquelle il faut opposer la puissance réelle de l’amour. Balade en amoureux hier au jardin, toutes ces fleurs, sexes sous le ciel, c’est très érotique.

 

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printemps 2-min

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printemps 6-minHier au jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Chiyo-Ni, haïkus et couleurs jusqu’au bout des ongles

main,-min

En hommage à Laura Dern dans Twin Peaks The Return, (je viens de réactualiser la note sur la série), j’ai verni mes ongles de plusieurs couleurs. Et voici, en hommage à la couleur, de splendides haïkus de Chiyo-Ni, une poétesse japonaise du XVIIIe siècle qui fut aussi bonzesse.

 

La rivière aussi
sous la pluie de printemps
paraît verte

Pluie de printemps !
Si elle pouvait arroser
toutes choses de couleur

Les nuages violets
étaient à mes yeux
pareils aux iris

Déjà tout en feuilles
à quoi pensent-ils ces arbres ?
Naissance de Bouddha

L’eau claire
n’a ni envers

ni endroit

chiyo ni

J’ai picoré ces haïkus dans le recueil bilingue CHIYO-NI Une femme éprise de poésie, haïkus traduits et présentés par Grace Keiko et Monique Leroux Serres, illustrations de Clara Payot, éd Pippa, 2017

J’ai emprunté le livre en bibliothèque mais je vais l’acheter car c’est une pure merveille ; j’en reparlerai peut-être.