Art du quotidien et autres « Origines littéraires de la pensée »

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Collage réalisé l’autre nuit. La photo n’est pas très droite et elle a des reflets qui mettent en évidence le scotch, mais c’est une occasion de montrer ma façon de faire, souvent, des collages, comme celui-ci : images récupérées dans des prospectus etc., collées sur un carton également récupéré, parfois reprises aux feutres, crayons, peintures… ou dont les contours sont comme ici simplement surlignés ; l’ensemble est ensuite protégé et solidifié par des bandes de scotch que j’aime bien espacer d’un demi-millimètre. Je pratique de même pour couvrir un agenda à 3 ou 4 euros, qui devient ainsi bien personnel, par exemple celui-ci.

La visite de l’exposition de patchworks américains me donne l’occasion de répéter l’importance de l’art, ou artisanat, pratiqué au quotidien. La société industrielle nous prive la plupart du temps de l’usage de nos mains, de l’intelligence et du savoir de nos mains. Tout s’achète tout fait, il n’y a plus rien à faire par soi-même ; c’est là un énorme facteur de dépression des êtres et des peuples. Car nous y perdons notre humanité. L’art ne doit pas être réservé à une élite. Bien sûr il y a de grands artistes, de grands écrivains, de grands musiciens, et il ne s’agit pas de confondre leur art avec l’art « ordinaire » qui fait partie, ou devrait faire partie, de notre vie de tous les jours. Mais il arrive aussi que cet art humble atteigne des sommets, alors que l’art vendu très cher est parfois une escroquerie artistique. Préoccupons-nous du geste, plutôt. Léonard de Vinci disait que c’était le geste, le plus important (l’une des raisons pour laquelle, souvent, il négligeait de finir ses œuvres, comme est censé le faire un « pro »). Ne déléguons pas l’art, pas plus que la politique, pas plus que notre vie, à des « pros ». Nous sommes tous des « pros », dont la profession est de vivre. Pleinement, humblement, librement.

J’ai complété la liste de mes livres en ajoutant, à la fin, plusieurs ouvrages collectifs (dont les Origines littéraires de la pensée contemporaine). Il en manque encore, que j’ignore ou dont j’ai oublié le titre, comme ce petit ouvrage publié en 2001 en soutien aux femmes forcées de se voiler (mais je ne suis pas pour l’interdiction du voile s’il ne cache pas le visage), auquel j’avais participé avec ce petit poème que j’ai retrouvé en ligne :

Noir, le voile.

Noire, la bouche close.

Noir, l’écran. Entre la mère et le fils, entre l’amante et l’amant, entre le frère et la sour, entre la femme et l’homme. Noir, noir, noir.

Noir, le drap de mort où ils t’emmurent vive.

Noir, le pubis qui a vu naître leurs idées noires.

Noire, la bête que tu es dans leur tête noire de haine.

Noire la tombe où tomba l’humanité.

Noires, leurs mains.

Noir sur noir, ma lettre, mes mots que tu ne peux pas voir, pas dire, et que tu renvoies pourtant, papillons noirs d’avant l’instant où l’on devient aveugle.

Je t’en supplie, garde dans ta chambre noire la lumière qu’ils ont perdue et dont ils auront besoin, un matin.

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Au grandes femmes, les peuples reconnaissants. Journal du jour

quilt (patchwork 2*

En sortant de la salle de la mairie du 5e où j’avais visité l’admirable et émouvante exposition « L’Amérique comme patchwork. Les États-Unis au fil de leur kilt », voyant en face, au fronton du Panthéon, la fameuse inscription « Au grands hommes, la patrie reconnaissante », je l’ai trouvée très datée, malodorante et périmée. Je suis la première à admirer les grands hommes, mais j’admire encore plus les grandes femmes, car elles ont dû, pour accomplir leur œuvre, fournir en plus l’énorme combat que nécessite le dépassement de l’hostilité de la société envers les femmes. La société est hostile aux génies (sauf, au bout d’un moment, plus ou moins longtemps après leur mort), et doublement aux génies féminins, et triplement aux génies féminins issus du peuple ou racisés. Les femmes ont évidemment autant de génie que les hommes, mais il leur est beaucoup plus difficile de le réaliser, à cause du combat qu’elles doivent mener contre les multiples et puissants obstacles sans cesse placés sur leur chemin.

Dans la journée d’hier, j’ai découvert plusieurs grandes femmes. D’abord donc, avec cette exposition, les humbles faiseuses de patchwork américaines (là-bas on appelle ça des quilts), qui dans leur art du quotidien ont parfois atteint des sommets de beauté, tout en luttant politiquement : elles se réunissaient entre femmes pour coudre collectivement certains patchworks, en profitaient pour discuter, et parfois utilisaient leur travail pour défendre des causes comme celles des femmes ou des Afro-américains (les photos suivent). Puis, en repartant, devant mon ancien immeuble, rue Saint-Jacques, un portrait de la résistante Berty Albrecht. Et une fois rentrée, dans la lettre de la bibliothèque Buffon, la musicienne et chanteuse zimbabwéenne Stella Chiweshe (les vidéos suivent).

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street art c215 berty albrecht

street art sethhier à Paris 5e, photos Alina Reyes

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Je comprends Léonard de Vinci et Franz Kafka, qui n’ont pas publié de leur vivant. Grâce à quoi ils n’ont pas eu à se plier aux exigences du marché, ils ont pu construire leur œuvre en toute liberté, en lui laissant l’apparent désordre nécessaire, qui est l’ordre de la vie. De toutes façons quand vous faites une œuvre puissante elle n’est jamais comprise de vos contemporains. La compréhension vient peu à peu, avec le temps.

J’ai rêvé que des gens s’attaquaient lâchement, à plusieurs, à O. Je poussais un cri, courais pour le défendre, tout en sachant qu’ils me frapperaient aussi. Je suis sortie délibérément de ce cauchemar malheureusement inspiré par la réalité, je me suis levée, j’ai repris mon collage de la nuit afin de le terminer pour un cadeau que je dois faire aujourd’hui, jour de fête à la maison.

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Et voici la musique, avec Stella Chiweshe et son mbira, « piano à pouces » dont elle continue de jouer à 72 ans, régal des tympans :

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Objets doués d’âme, une écriture

Chez moi il y a beaucoup d’objets récupérés, notamment dans la rue, et d’objets – surtout des tableaux – faits maison. Le tout dans un grand « désordre ordonné », comme me l’a dit hier un jeune homme, une sorte de musée vivant. Certains sont des objets d’art (trouvés gratuits ou achetés à tout petit prix, car on peut collectionner ou collecter des objets d’art sans budget, l’art n’est pas forcément synonyme de prix élevés), d’autres des objets tout simplement, notamment des objets naturels, cailloux, pommes de pins, glands… J’ai moins de moyens que n’en avait André Breton pour constituer son merveilleux musée-atelier-appartement, mais c’est un peu l’esprit. L’essentiel est de donner la vie à ces objets par les relations mentales qu’ils supposent, par le sens qu’ils acquièrent en constituant un espace à vivre, par la pensée et l’amour que leur assemblement figure. En fait, ils constituent une écriture. Et vivre à l’intérieur, c’est le bonheur.

Dans la ville aussi, des écritures animent les murs et les objets, comme ces quelques graffs que j’ai photographiés hier au passage :

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graff 3-min

graff 4-minhier à Paris, photos Alina Reyes

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La vie bonne

J’ai grandi au bord de l’océan, j’aime me promener sous la pluie. Je mets ma capuche comme Forest Whitaker dans Ghost Dog : la Voie du samouraï, de Jim Jarmusch, et j’y vais. Toute sourire à l’intérieur, en ce moment songeant à l’action excellente du kundalini yoga en moi, à mon travail en cours, et contemplant, photographiant, rendant grâce pour la vie douce qui nous est chaque jour gracieusement offerte.

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vigne vierge-minCet après-midi à Paris 13e, photos Alina Reyes

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Dédale

oiseau blanc

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Le tapuscrit de travail pour mon DEA que j’ai retrouvé hier s’accompagnait d’une dizaine de pages manuscrites, notes de lecture et réflexions pour la recherche. C’était il y a trente ans, et mon écriture est toujours la même, on dirait que ces notes ont été prises hier. Il y a là un beau départ de feu. Une note sur le labyrinthe par exemple retient mon attention. Il semble qu’elle soit tirée d’une notice du Dictionnaire des mythes littéraires (livre resté avec presque toute ma bibliothèque dans la montagne). La voici :

Antiquité = l’un et le multiple

Moyen Âge = l’horizontalité et la verticalité

Renaissance = l’extérieur et l’intérieur

Époque classique = la réalité et l’apparence

Époque moderne = le fini et l’infini

traversé et annulé par le fil

danse rituelle

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Je remarque combien fidèle est l’esprit au développement de sa pensée. Je résumais ainsi mon projet de thèse dans mon tapuscrit :

« Un fil poétique et philosophique vers une définition de l’identité, qui prend successivement une valeur morale, mythique, et métaphysique. »

Et je constate que c’est ce qu’a réalisé ma thèse, reprise près de trente ans plus tard avec un autre intitulé. J’ai aujourd’hui élargi le corpus à de nombreux auteurs, mais le seul fait que Schwob et Borges fussent deux des trois auteurs envisagés à l’époque eût nécessairement fait entrer la bibliothèque universelle dans ma thèse, dont le plan eût évidemment évolué aussi, tout en conservant cette structure annoncée en deux grandes parties, cette structure en miroir qui est aussi celle de ma thèse d’aujourd’hui et qui est une façon de donner pouvoir, dans le labyrinthe et au-delà, d’entrer, d’aller et venir, de sortir librement, grâce à la métaphysique de la création, grâce aussi à ce fil qui existe dans ma thèse actuelle entre ses nombreux éléments, ses nombreux détours, ses hypothèses et ses fictions, non pas grosse ficelle artificielle comme on en fait dans la littérature industrielle mais fil d’or ténu, requérant l’attention de celle et de celui qui fait le travail de lire, qui accomplit ainsi le travail de l’aventure en soi, comme disait Sarane Alexandrian. Et il ne s’agit pas d’une introspection, d’une affaire psychologique même si la psychologie en est, mais bien d’une aventure métaphysique, poétique, philosophique, l’aventure la plus haute qui soit, l’aventure qui détruit l’effroi mortel devant l’être qui mène l’homme à sa perte. Je suis follement amoureuse de la littérature, qui donne la vie éternelle.

Ayant rêvé hier que j’étais un oiseau blanc, c’est cette fois cet ancien dessin que, dans la continuité des jours précédents (et tout en écoutant Roger Caillois sur l’INA, où il vaut d’être abonné) j’ai repris, en superposant à la gouache originelle des couches de feutre, de crayons de couleur, d’acrylique, de stylo, qui lui donnent un caractère de costume d’Arlequin, aux multiples et divers tissus cousus. Et cette nuit j’ai rêvé que, sous ma forme humaine, je me déplaçais dans les airs, très naturellement.

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Figure et cœur

figure*

Dans la continuité du travail d’hier, deux nouvelles œuvres, réalisées à partir d’œuvres anciennes. J’ai d’abord repris ce visage végétal que j’avais peint sur bois en y collant du sable, des coquillages, de petits pétales, pour augmenter sa royauté et son écoute (intérieure).

Puis un vieux dessin sur papier de fleurs-étoiles-moulins à vent à la gouache, dont j’ai redessiné les contours  et recouvert le fond, initialement peint de façon compliquée, qui rendait l’ensemble moins lisible, avec des feutres – de couleur, doré et argenté . J’aime bien le mélange peinture-encre, elles se donnent du relief l’une à l’autre.

 

coeur*

Poème en bois, coquillages, plumes, peinture

Je l’appelle poème parce qu’on peut le regarder sous plein de faces et y voir librement. J’ai utilisé les coquillages dont je parlais hier et un bout de bois mort que j’avais peint il y a longtemps.

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poème 1Le duvet aussi, je l’ai ramassé sur la plage

poème 2

poème 3J’ai laissé le sable au fond de la coquille en cours de fossilisation, j’ai verni par-dessus

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poème 4

poème 5

poème 6J’ai utilisé l’ocre rouge en pensant à nos ancêtres préhistoriques

poème 7

poème 8

poème 9

poème 10Posé ainsi, on dirait un saxophone, j’adore

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poème 11

poème 12

poème 13Langue, œil, oreille, et les trous des coquilles comme de multiples narines, et les corps ventousés cachés comme toucher

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