Ce que veut dire le messager

image Alina Reyes

 

Le mot rasoul, « messager », qui désigne le Prophète, vient d’un verbe qui signifie :

envoyer un messager ;

avoir des cheveux longs et qui descendent en bas ;

marcher doucement.

Et aussi :

avoir du lait en abondance ;

envoyer du lait ou en donner à boire ;

être en correspondance avec ;

laisser aller ;

avoir beaucoup de troupeaux ;

composer une dissertation ;

laisser tomber, couler des larmes ;

agir avec douceur.

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La prière selon Ibn ‘Arabi, puis comment je prie

peinture Alina Reyes

 

Voici deux mois que je suis devenue musulmane. Je vais aujourd’hui témoigner de la façon dont je prie, après ces quelques semaines de pratique. Mais d’abord voici un très beau texte d’Ibn ‘Arabi, extrait de « La Sagesse des prophètes », sur l’oraison :

« L’oraison est un appel secret échangé entre Dieu et l’adorateur ; elle est donc aussi un dhikr. Or, qui invoque Dieu se trouve dans la présence de Dieu, selon la parole divine (hadith qudsi) transmise fidèlement depuis le Prophète : « J’assiste à l’invocation de celui qui M’invoque » (anâ jâlisun ma’a man dhakaranî) ; et celui qui se trouve dans la présence de Celui qu’il invoque, Le contemple, s’il est doué de la vue de l’œil du cœur. C’est là la contemplation (mushâhada) et la vision (ru’ya) ; mais celui qui n’a pas de vue de l’œil du cœur (baçar) ne Le contemple pas. C’est par cette actualité ou absence de vision dans l’oraison que l’adorateur peut juger de son propre degré spirituel. S’il ne Le voit pas, qu’il L’adore donc par la foi « comme s’il Le voyait » : et qu’il se L’imagine en face de lui quand il Lui adresse son appel et qu’il « prête l’ouïe » à ce que Dieu lui répondra. S’il est l’imâm de son propre microcosme et des anges qui prient avec lui – et chacun qui accomplit l’oraison est imâm, sans aucun doute, puisque les anges prient derrière l’adorateur qui prie seul, ainsi que l’atteste la parole prophétique -, il réalise par là même la fonction de l’envoyé divin dans l’oraison, en ce sens qu’il est le représentant de Dieu ; lorsqu’il récite (en se relevant de l’inclinaison) « Dieu entend celui qui Le loue », il annonce à lui-même et à ceux qui prient à sa suite que Dieu l’a entendu ; et les anges et les autres assistants répondent : « Notre Seigneur, à Toi la louange ! » Car c’est Dieu qui dit par la bouche de Son adorateur : « Dieu entend celui qui Le loue. »

Regarde donc à quelle fonction sublime correspond l’oraison et à quel but elle mène. Celui qui n’atteint pas le degré de la vison spirituelle (ar-rû’ya) dans l’oraison ne l’a pas réalisée pleinement et n’y trouve pas encore « la fraîcheur des yeux » ; car il ne voit pas Celui à qui il s’adresse. S’il n’entend pas ce que Dieu lui répond dans l’oraison, il n’est pas de ceux qui « prêtent l’ouïe » ; celui qui n’est pas présent devant son Seigneur lorsqu’il prie, et ne L’entend ni ne Le voit, n’est pas foncièrement en état de prière, et la parole coranique « qui prête l’ouïe et qui est témoin » ne s’applique pas à lui. Ce qui distingue l’oraison de tout autre rite (d’obligation commune), c’est qu’elle exclut, aussi longtemps qu’elle dure, toute autre occupation (rituelle ou profane) ; mais ce qu’il y a de plus grand dans tout ce qu’elle comporte en paroles et en gestes, c’est la mention de Dieu. »

Ibn ‘Arabi cité par Éva de Vitray-Meyerovitch dans La prière en islam, éd Albin Michel, pp 96-98

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J’aime faire les ablutions à l’eau froide, de façon légère et avec peu d’eau ; la fraîcheur réveille la peau et l’esprit avant la prière, et le filet d’eau transporte dans l’économie du désert. Depuis que je me lave les narines  en inspirant l’eau selon la règle, je ne suis plus jamais enrhumée – et c’est bon aussi de sentir l’air traverser le nez comme de purs couloirs entre les montagnes.

J’aime prononcer avec soin la prière, plus je le fais plus j’entre profondément dans le paysage des mots. C’est un voyage, chaque fois neuf. Lorsque les dernières rekaas peuvent se dire à voix basse, je les dis seulement intérieurement, c’est encore une autre profondeur, plus intime. Je balance légèrement mon corps en rythme. Lors de l’inclinaison, en disant (en arabe bien sûr) « gloire à mon Seigneur l’immense», je me représente bien l’espace autour de moi comme un cosmos, dans sa dimension surtout horizontale, et je sens ses ondes. Lors de la prosternation, en disant « gloire à mon Seigneur le très haut », je me le représente dans sa verticalité, descendant sur ma tête qui est au plus bas et où le sang afflue, et je sens Sa transcendance. La deuxième prosternation de chaque rekaa, je la prolonge autant que Dieu le veut, dans le dialogue silencieux avec Lui.

En me relevant de l’inclinaison, en disant « Dieu entend celui qui le loue » je sens comme le dit Ibn ‘Arabi que c’est de par Son autorité que je le dis ; et cela me remplit de joie, de foi, d’humilité, et aussi de sa force que je reçois. Puis je tiens particulièrement à dire le répons :  « Notre Seigneur, à Toi la louange ! », parce qu’il faut dire « Rabbana », ce qui me remplit de tendresse en me rappelant qu’un jour au petit matin, j’appelai le Christ tout juste ressuscité « Rabbouni ». J’aime beaucoup aussi le moment où l’on salue le Prophète, cela m’attendrit, me rend très proche de lui, comme s’il était mon frère. Et je suis très touchée aussi chaque fois qu’on en vient à évoquer Abraham, lui dont j’ai appris à être si proche aussi en traduisant sa longue aventure humaine dans la Bible.

Je sens que je souris jusqu’aux oreilles pendant toute la prière, que je demande ou que je m’abandonne – mais demande et abandon y sont toujours intimement mêlés. Dieu est réellement présent, et les anges aussi,  et chacun de mes enfants et de mes proches, et les hommes du monde entier, réellement. Aux salutations finales, d’un côté puis de l’autre et en tournant la tête, je sens que c’est eux tous vraiment que je salue, avec un immense amour et une immense joie. Chaque prière donne une paix divine, et chaque journée de prière, l’une après l’autre, augmente la paix, qui devient comme une forteresse de cristal contre le mal.

Je ne fais pas toujours les cinq prières dans les formes car ma vie en famille dans un petit appartement ne s’y prête pas tous les jours à toute heure, mais je ne manque pas celle de l’aube, et celles que je peux ensuite faire dans la journée je les fais de tout mon cœur. Quelquefois je vais à la mosquée pour la prière de l’après-midi, et j’y vais bien sûr pour la grande prière du vendredi. Et puis je prie aussi autrement, comme je le faisais avant d’être musulmane, comme je le faisais en chrétienne et comme je le faisais avant d’être chrétienne, dans ma relation directe à Dieu. Cela bien sûr ne concerne que moi, c’est mon histoire et mon chemin comme chacun a le sien, le mien est un peu particulier et je ne le donne pas en exemple mais il me semble bon d’en témoigner. Car c’est dire que cela ne serait pas possible si Dieu n’était pas le plus grand, vraiment. Bien plus grand que tous nos petits cadres humains, alhamdulillah.

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Sourate 21, Al-Anbiyaa, Les Prophètes

à Médine, la mosquée du Prophète

 

Pourquoi des prophètes ? Telle est la question à laquelle répond cette sourate. À laquelle elle répond en expliquant comment fonctionne Dieu.

Le jour où les hommes vont devoir rendre compte approche ; or les hommes se moquent des avertissements du Prophète, les mécréants l’accusent d’œuvrer dans l’illusion, disent les premiers versets.

Contre ces accusations, Dieu via son Prophète rappelle qu’Il a déjà envoyé d’autres prophètes chargés de révélations, et que les injustes et leurs cités ont péri faute de les avoir écoutés. Et Il ajoute : « Nous n’avons pas créé les cieux, la terre et ce qui est entre, par jeu. » (verset 16). Qu’est-ce à dire ? Le mot pour dire jeu peut aussi désigner un . Le mot pour dire créer signifie d’abord donner une mesure. La Création n’est pas aléatoire comme on pourrait le croire, elle est très précisément mesurée. C’est exactement le constat que font aussi les physiciens de notre temps. « S’il y avait d’autres divinités que Dieu dans les cieux et la terre, ces derniers seraient corrompus » (v.22) : s’il y avait d’autres lois que l’unique loi de Dieu, le cosmos ne tiendrait pas. Tout comme sont corrompus ceux qui obéissent à des autorités que des hommes ont fabriquées, plutôt qu’à la loi de Dieu.

S’il n’est qu’une Autorité, qu’une Loi, elle s’exerce dans le monde sensible et aussi dans sa dimension spirituelle. La terre et le ciel dont parlent les Livres sacrés désignent effectivement la terre et le ciel physiques, cosmiques, mais aussi la terre et le ciel intérieurs à l’homme. « Au Jour de la Résurrection, Nous dresserons des balances d’une extrême sensibilité, de manière à ce que nul ne soit lésé, fût-ce du poids d’un grain de sénevé, car tout entrera en compte, et les comptes que Nous établissons sont infaillibles. » (v.47) Indiquer la mesure afin que chacun puisse être en mesure de correspondre à la bonne mesure au moment de la pesée, telle est la mission du prophète. Et il l’accomplit dans la mesure de la langue, la bonne mesure audible dans ses versets rythmés aux sonorités splendides, qui par leur forme même indiquent à l’homme qui les écoute la bonne formule de vie : verdeur, justesse, harmonie.

Le verset précédemment cité : « « Nous n’avons pas créé les cieux, la terre et ce qui est entre, par jeu », pourrait aussi se traduire : « Nous n’avons pas donné mesure au plus haut, au plus bas et à ce qui les différencie, par hasard. » Le mot qui dit « ce qui est entre » peut aussi bien exprimer la distance, la séparation, que la différence, et cela dans l’espace comme dans le temps, et dans l’esprit. Ce qui est entre le ciel et la terre, le haut et le bas, les sépare mais aussi permet de connaître leur valeur. Ce qui est entre, ce sont les prophètes. Et, pouvons-nous dire, les hommes qui sont en chemin, en train d’expérimenter, dans la pente et dans le temps, la valeur du haut et du bas, d’apprendre leur mesure. En poussant encore un peu plus loin les sens des mots qui disent ciel et terre, nous pourrions les traduire : nom et pays. Le nom et le pays sont à la fois reliés et tenus à distance respectueuse par la valeur qui se tient entre. Et nous pouvons dire, en reprenant le verset 22 : « S’il y avait d’autres principes que Dieu entre le nom et le pays, ces derniers seraient corrompus. » Et ce qui est corrompu, en état de corruption, va vers la mort. Le nom et le pays doivent être liés par le juste, ou perdre leur être. Que le pays désigne un pays, ou une âme. Il ne s’agit pas d’un jeu.

« Bien au contraire, Nous lançons contre le faux la vérité qui le subjugue, et le voilà qui disparaît. » (v.18) Tout a une destination, soit vers la paix bienheureuse, soit vers la destruction mortelle. C’est pourquoi le Prophète n’a été « envoyé que comme miséricorde pour l’Univers » (v.107). Qui écoute la révélation qu’il transmet apprend la voie juste, la voie du salut. Encore faut-il savoir écouter. Écouter aussi est un chemin, sur lequel l’homme est appelé à progresser. « Et celle qui a préservé sa fente ! Nous avons soufflé en elle de Notre esprit, faisant d’elle et de son fils un signe pour l’univers. » (v.91) Nous comprenons pourquoi la « fente », premier sens du mot arabe employé ici, signifie aussi un « espace compris entre deux ». Dans la dimension de l’esprit, il s’agit bien de cet espace de la valeur, dont le respect rend seul valide ce qui est.

En recevant l’esprit de Dieu, Marie est devenue avec son fils un signe pour l’univers. Les versets aussi s’appellent des signes. Quand l’homme comprendra pleinement les signes qui lui sont envoyés, quand, recevant l’esprit, il aura pleinement entendu le sens des révélations que lui ont faites les prophètes, alors les révélations verront leur accomplissement, et « ce jour-là, Nous plierons le ciel comme on plie le rouleau des livres. Et de même que Nous avons procédé à la première Création, de même Nous la recommencerons. C’est une promesse que Nous Nous sommes faite, et Nous l’accomplirons. » (v.104)

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Participants

hier à Paris, photo Alina Reyes

 

Le nombre de nos dents équivaut sensiblement à celui des lettres de nos alphabets. Sourire c’est tout dire !

Dieu sait ce qui est tissé dans chaque cœur. Ce voile que chaque homme fabrique tout au long de sa vie, c’est celui qui l’enveloppe à l’heure de sa mort. Sa mort d’ici et maintenant, d’à chaque instant de son existence. Et la grande mort qui l’attend, ailleurs et en un autre temps.
Ce voile dans le cœur est la peau qu’il lui faut purifier, pour pouvoir entrer au Jardin bienheureux.

« Il n’est d’autre dieu que Dieu » signifie : il n’est rien d’autre que la Vie.

L’odeur de la mort donne envie de vomir, sauf aux hyènes, aux yeux purulents et au corps subreptice.

« Louange à Dieu » signifie : louange à la Vie, souveraine des mondes, c’est elle seule que nous adorons, elle dont la logique régit tout, elle qui seule donne le salut et fait de l’homme un homme devant Dieu.

 

Que le temps des prophètes ait pris fin selon les juifs au troisième siècle avant notre ère, que Jean-Baptiste soit pour les chrétiens le dernier prophète, que Mohammed soit pour les musulmans le sceau des prophètes, ne signifie pas qu’il n’y a plus de prophètes après eux, grands ou petits. Gandhi par exemple fut un grand prophète. Cela signifie que pour ce qui est du judaïsme la prophétie est achevée au troisième siècle avant Jésus-Christ ; que dans l’événement du christianisme c’est après Jean-Baptiste que tout, en le Messie, est annoncé ; que dans l’islam Mohammed récapitulant dans une autre dimension les prophéties antérieures à lui accomplit l’absolu de la prophétie.

Que Jésus soit le « Fils de l’Homme » selon lui-même, le « Fils de Dieu » selon les chrétiens, le « Sceau de la Sainteté » selon l’islam, ne signifie pas que Dieu ait eu un enfant comme l’homme peut en avoir, mais que son être est l’absolu de l’homme en Dieu. Et c’est pourquoi l’islam comme le christianisme sait qu’il doit revenir à l’accomplissement des temps, pour lesquels le judaïsme aussi attend le Messie. Cet accomplissement des temps où l’Homme sera parvenu à sa maturité.

Aux hommes d’opérer les déplacements nécessaires pour voir Dieu dans les diffractements, les langues de sa Langue. Chacune de ses annonces et de ses manifestations à travers le temps a sa logique et son sens, chacune est liée aux autres et œuvre pour l’accomplissement de l’Homme dans ses diverses dimensions. Participons, c’est magnifique.

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Achoura, sortie de la mort par la mer du Parler

Maryam et le peuple louant Dieu par des chants, des danses et le tambourin, après le passage de la mer du Roseau (Exode chap.15), image Alina Reyes

 

Aujourd’hui je jeûne Achoura, n’ayant pu le faire avant-hier. Mohammed a souhaité célébrer la victoire de Moïse et de son peuple à la traversée de la mer Rouge (mer du Roseau), pour marquer son lien avec le peuple juif et l’universalité de l’islam, dans le temps comme dans l’espace. Je prie pour qu’advienne ce qui doit advenir, que toute l’humanité finisse par constituer ce peuple sauvé des eaux. Et je donne ma traduction bien particulière et mes commentaires (dans Voyage) des passages de la Bible (chapitres 13 et 14 de l’Exode) qui racontent cet événement.

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13

17. Il advint, lorsque Pharaon envoya le peuple, que Dieu ne les conduisit pas sur la route du pays des Philistins, bien qu’elle fût proche. Car Dieu dit : il ne faudrait pas que le peuple change d’avis en voyant se profiler les combats, et retourne en Égypte. 18. Dieu fit faire au peuple un détour par la voie du parler, la mer du Roseau. Et c’est armés que montèrent les fils d’Israël du pays d’Égypte.

19. Moïse prit avec lui les ossements de Joseph, car ce dernier avait fait jurer, jurer les fils d’Israël, disant : «  Il vous cherche, il viendra vous chercher, Dieu, et vous ferez monter mes ossements d’ici, avec vous. »

20. Ils partirent de Soukkot, « Tentes », et campèrent à Étam, au bout du parler.

21. Le Seigneur marchait devant leur visage, le jour en colonne de nuée pour les conduire sur le chemin, la nuit en colonne de feu pour les éclairer, et marcher jour et nuit. 22. Elle ne se retirait pas, la colonne de nuée, le jour, ni la colonne de feu, la nuit, devant le visage du peuple.

 

Moïse est allé voir Pharaon, a déployé tous les prodiges de Dieu, mais Pharaon s’est extraordinairement entêté, comme font les hommes devant la voie de la raison et de la vie. Malgré tous les fléaux qui ont alors frappé l’Égypte, il a refusé de changer de comportement, comme nous le faisons aujourd’hui malgré tous les fléaux qui frappent notre monde. Après la mort de tous les premiers-nés du pays, Pharaon a finalement accepté que Moïse emmène son peuple. Moïse a reçu les prescriptions pour célébrer la Pâque, et les voici qui partent, six cent mille hommes avec leur famille, leur bétail, et la pâte à pain qui n’a pas eu le temps de lever.

Au verset 18, je traduis le mot midbar par le parler. Ce mot a trois sens : 1) prairie, pâturage ; 2) désert ; 3) action de parler, le parler. Et sa racine, c’est le verbe davar, parler. N’est-il pas intéressant qu’il désigne à la fois un pâturage et un désert ? C’est que la parole de Dieu nourrit, et en même temps envoie au désert.

La « mer Rouge » s’appelle en vérité « mer du Roseau » parce que le roseau parle – tous les contemplatifs le savent, la voix de Dieu passe par lui, et les mystiques soufis écoutent le souffle du Créateur et les soupirs de la créature via le ney, la flûte de roseau. La mer du Roseau est la mer du parler, donc de la Présence qui ouvre à l’extase, à la sortie de soi, tel le bateau ivre de Rimbaud dans le « Poème de la Mer ».

Dieu sait qu’il ne peut envoyer le peuple directement au combat, il reculerait. Il l’arme donc de sa parole, qui dépouille des vieilles habitudes et en même temps donne courage pour partir. Bien entendu le peuple retombera à toute occasion dans son désir de retrouver refuge dans quelque servitude, et pour l’en sortir la parole de Dieu se fera toujours plus précise, dans l’établissement de la Loi et des Commandements.

Pourtant quelle aventure, de marcher ainsi nuit et jour, guidé par Dieu dans la colonne de nuée et la colonne de feu. Que peut-on vivre de mieux ?

 

14

1. Le Seigneur parla à Moïse, lui disant : 2. « Dis aux fils d’Israël de revenir camper à la face de Pi-Hahirot, « Ma Bouche des canaux », entre Migdol, « Tour », et la mer, à la face de Baal Cephon, « Seigneur Défend ». Devant lui vous camperez, au-dessus de la mer. 3. Pharaon dira des fils d’Israël : « Ils sont égarés dans le pays, le parler s’est fermé sur eux. » 4. Je renforcerai le cœur de Pharaon, il les poursuivra, et je serai glorifié en Pharaon et toute son armée : ils sentiront, les Égyptiens, que je suis le Seigneur ! » Ainsi firent-ils.

5. On raconta au roi d’Égypte que le peuple s’était enfui. Alors se retourna le cœur de Pharaon et de ses serviteurs au sujet du peuple. Ils dirent : « Qu’avons-nous fait là, d’envoyer Israël hors de notre service ? » 6. Il attela son char et prit son peuple avec lui. 7. Il prit six cents chars d’élite et tous les chars d’Égypte, avec des officiers sur chacun.

8. Le Seigneur renforça le cœur de Pharaon, roi d’Égypte, et il poursuivit les fils d’Israël. Or les fils d’Israël s’en sortirent la main haute.

9. Les Égyptiens les poursuivirent et les atteignirent alors qu’ils campaient au-dessus de la mer – tous les chevaux, les chars de Pharaon, ses cavaliers et son armée, devant Pi Hahirot et à la face de Baal Cephon. 10. Pharaon fit approcher, et les fils d’Israël levèrent leurs yeux : voici, l’Égypte marchait derrière eux ! Ils eurent très peur, les fils d’Israël, et ils crièrent vers le Seigneur. 11. Ils dirent à Moïse : « Est-ce parce qu’il n’y a plus nul tombeau en Égypte que tu nous a pris pour mourir dans le parler ? Que nous as-tu fait en nous faisant sortir d’Égypte ? 12. N’est-ce pas là la parole que nous te parlions en Égypte,  disant : Laisse-nous servir les Égyptiens, car il est bon pour nous de servir les Égyptiens, plutôt que de mourir dans le parler. »

13. Moïse dit au peuple : « N’ayez pas peur ! tenez-vous ! et vous verrez le salut que le Seigneur fera pour vous aujourd’hui : les Égyptiens que vous voyez aujourd’hui, vous ne les verrez plus jamais, de toute l’éternité ! 14. C’est le Seigneur qui combattra pour vous. Et vous, vous vous tairez. »

15. Le Seigneur dit à Moïse : « Pourquoi cries-tu vers moi ? Dis aux fils d’Israël de partir. 16. Toi, lève ton bâton, étends ta main sur la mer et fends-la, que les fils d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec. 17. Et moi, me voici : je vais renforcer le cœur des Égyptiens, ils entreront derrière eux, et je ferai sentir mon poids dans Pharaon et toute son armée, dans ses chars et dans ses cavaliers. 18. Ils vont sentir, les Égyptiens, que je suis le Seigneur, quand je vais me glorifier en Pharaon, ses chars et ses cavaliers ! »

19. L’Ange de Dieu, qui marchait au visage du camp d’Israël, partit et passa derrière eux. Et partit de devant leur visage la colonne de nuée, pour se tenir derrière eux. 20. Elle vint entre le camp des Égyptiens et le camp d’Israël. Ce fut la nuée et la ténèbre, et elle illumina la nuit. Et celui-ci ne s’approcha pas de celui-ci de toute la nuit.

21. Moïse étendit sa main sur la mer. Et le Seigneur fit aller la mer dans un puissant souffle d’en avant, toute la nuit. Il mit la mer à sec et fendit les eaux.

22. Les fils d’Israël entrèrent au milieu de la mer à pied sec, les eaux via eux formant rempart à droite et à gauche.

23. Les Égyptiens les poursuivirent, et entrèrent derrière eux tout cheval de Pharaon, son char et ses cavaliers, dans le milieu de la mer.

24. Et il advint, dans la veille du matin, que le Seigneur, en s’avançant dans la colonne de feu et de nuée, regarda vers le camp des Égyptiens, et confondit le camp des Égyptiens. 25. Il enraya la roue de ses chars, rendant leur conduite lourde. Les Égyptiens dirent : « Fuyons de la face d’Israël, car c’est le Seigneur qui combat pour eux contre les Égyptiens ! »

26. Le Seigneur dit à Moïse : « Étends ta main sur la mer, que retournent les eaux sur les Égyptiens, sur leurs chars et sur leurs cavaliers ! »

27. Moïse étendit sa main sur la mer, et revint la mer, aux tournants du matin, via son impétuosité. Les Égyptiens s’enfuirent à sa rencontre, et le Seigneur secoua les Égyptiens au milieu de la mer. 28. Retournèrent les eaux, couvrant les chars et les cavaliers via toute l’armée de Pharaon, qui était entrée derrière eux dans la mer. Il n’en resta pas un seul.

29. Les fils d’Israël marchèrent à pied sec au milieu de la mer, les eaux via eux formant rempart à droite et à gauche. 30. Le Seigneur en ce jour sauva Israël de la main des Égyptiens, et Israël vit les Égyptiens morts sur la langue de la mer. 31. Israël vit la grande main que le Seigneur avait déployée contre les Égyptiens, et le peuple craignit le Seigneur, et ils eurent foi en le Seigneur, et en Moïse son serviteur.

 

C’est un grand récit d’accouchement spirituel et de consécration. Dieu accouche son peuple, et ce faisant le consacre peuple de Dieu, comme il l’avait promis à Abraham. La consécration s’opère dans la séparation que Dieu réalise entre « celui-ci » et « celui-ci » (v.20), entre le camp de la mort et celui de la vie. Dieu sépare son peuple, et ce faisant l’unit, le fait communier par lui et avec lui dans une même aventure. Il le sépare et le libère de l’esclavage qu’est le monde. Dieu révèle où est le véritable esclavage, quelle est la véritable libération.

Les esclaves sont d’abord, en vérité, les hommes qui vivent selon le monde. Ils ne veulent pas obéir à Dieu, ils ne veulent pas Le reconnaître, mais ils veulent conserver sous leur main son peuple, et via son peuple l’asservir Lui, le Seigneur. L’envie qui s’ignore, la jalousie inavouée, le dépit de ne savoir servir Dieu ont toujours été motifs de haine envers ceux qui sont ses amis, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans. Motifs de l’antisémitisme qui continue plus que jamais à vivre, se manifester et agir secrètement derrière tant de faces bon teint, contre les « sémites » par l’esprit : quelle que soit leur religion les proches de Dieu, du Dieu Unique.

Plus Pharaon et ses serviteurs s’obstinent à Le contrarier, plus ils s’abusent sur son parler (v.3), plus les Égyptiens ont et auront à sentir (v.4) que Je Suis est le Seigneur. C’est même lui, Dieu, qui les pousse en ce sens, sur cette pente stupide qui est la leur, afin de leur ouvrir les yeux sur le caractère dérisoire de leur entêtement : la mer en les engloutissant ne fera qu’imager le fait qu’ils sont bornés et se promettent au néant.

Et voici que le peuple hébreu, lui aussi, se met à avoir peur et reculer. Ils ne comprennent plus, alors ils perdent la foi, leur regard devient borné, ils ne voient pas au-delà de leurs limites, ils oublient la valeur du temps, ils oublient que Dieu est en avance d’eux et qu’il voit, lui, ce qu’ils ne voient pas. Débâcle dans les membres. Ils préfèrent servir le monde plutôt que de mourir au désert, où les a conduits le parler de Dieu, où il les a conduits pour les faire mourir et revivre, libérés. Mais leur foi est  faible, ils ne voient pas plus loin que leur désir de se maintenir tant bien que mal dans un monde auquel il leur faut faire sans cesse allégeance.

À partir du verset 19, à partir du moment où Dieu prend complètement en main les opérations, tout se passe dans un ordre de perfection liturgique. Les mouvements sont précis. L’ange, la colonne de feu et de nuée, la ténèbre et la mer accomplissent leur office, réglé comme sur du papier à musique. Le peuple participe en avançant, « les eaux via eux formant rempart à droite et à gauche » (versets 22 et 29), comme si leur avancée ouvrait à mesure les eaux.

Finalement les Égyptiens meurent « sur la langue de la mer », la langue du mensonge. Et nous savons que c’est en chaque homme que l’ « Égyptien » doit mourir. Que s’il ne meurt pas par conversion, pour naître en Dieu et trouver la vie éternelle, il trouvera la mort éternelle (« vous ne les verrez plus jamais, de toute l’éternité ! ) (v.13) par retour de la mer sur lui : tué par son propre mensonge, l’éternelle répétition de son péché, de son entêtement, de son aveuglement.

Et nous savons aussi que l’histoire du salut nous est offerte, que nous pouvons à tout moment y entrer et en être. Que nous pouvons la reparcourir depuis ses débuts jusqu’à son accomplissement dans le Christ et dans l’attente participante de son retour en gloire. C’est pourquoi nous sommes tellement bienheureux : avant de commencer à nous laisser élever en compagnie de Moïse en enfants de Dieu, nous entonnerons avec lui son grand cantique de louange au Seigneur.

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Qu’est-ce que la Palestine ?

Pêcheurs gazaouis en train de démêler leurs filets, photo Erica Silverman/IRIN

 

Qui noie le poisson ne le mangera pas.

Qu’est-ce que « le peuple palestinien » ? C’est une question sérieuse. Il faudrait commencer par là, si l’on veut donner la Palestine au « peuple palestinien ».

Voici quels sont les peuples palestiniens, dans l’ordre de leur apparition dans l’histoire : Cananéens, Israélites, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, Chrétiens, Byzantins, Arabes, Britanniques… Et maintenant y vivent des Juifs (il y en a depuis plus de 3000 ans), des Chrétiens (il y en a depuis 2000 ans), des Musulmans (il y en a depuis plus de 1300 ans). Jamais ces terres n’ont été la propriété exclusive de l’un ou l’autre peuple. Voilà ce que sont les Palestiniens, voilà ce qu’est le peuple palestinien, même s’il est aujourd’hui divisé. Un mélange de peuples. Ceux qui veulent la terre pour eux seuls, qu’ils soient Juifs ou Musulmans, sont dans leur tort. Nul n’a à y dominer. Il faut parvenir à une cohabitation, parce que c’est la seule solution juste. La Palestine, c’est dans le combat spirituel que nous pouvons la trouver, et l’accomplir.

Je suis la musulmane immodérée
Je me lève à la source du jour
bondissant à l’appel abouchée
au point d’eau je bois plus qu’à mon tour
la joie qui doucement descend, lumière
pure au cœur des assoiffés de Dieu
Je sens dans l’univers éclore l’ère
où le peuple des astres aura les yeux
retournés vers notre unique lieu.

Aucune religion, du moins tant qu’elle n’est pas récupérée ni défigurée, ne peut être la religion des riches et des puissants. Dieu aime les pauvres, les humbles, ceux qui sont en mesure de Le chercher, Lui le bonheur, la justice et la paix qui s’obtiennent autrement que par la guerre, l’argent ou le pouvoir, lesquels ne donnent rien de vrai, ceux qui sont en mesure de Le trouver, de trouver tout cela que d’autres ne peuvent même pas voir. Dans l’islam c’est si direct, la mosquée est le paradis, et la mosquée est partout, visible ou invisible.

À la mosquée je suis à la maison. Dans l’univers entier, et en tout point de l’univers, je suis à la mosquée.

L’amour est bon comme une petite maison
dans le corps.

Si on veut te rendre présentable, rends-toi impossible.

Un arbre (ou un penseur) tordu ne deviendra pas un arbre (ou un penseur) droit. Le travail du jardinier est de donner aux jeunes pousses les meilleures chances pour se développer harmonieusement, chacune selon son espèce.

Et un jardinier tordu ne peut tordre un arbre droit.

Armée des ombres, armées de l’ombre, leur guerre contre la vérité.

Ceux qui prennent dans l’idée de la guerre leur pied, qu’ils voient :

La mort est une barrière. Vivre derrière une barrière ce n’est pas être libre. Partez à la quête de l’ange !

La quête est le combat qui donne des ailes pour franchir les barrières.

Le contraire de la guerre qui tue est le combat de l’ange.

Le remède à la guerre n’est pas la paix, mais la grâce.

Au petit jour de la résurrection, vous mangerez le poisson de vos eaux,
ô mon petit peuple

ô gens des Livres que Dieu attend pour vous le partager.

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Djihad

 

Obama est très mal à l’aise avec la question palestinienne. Sa priorité maintenant est de se tourner vers la Chine et vers l’Asie. C’est là-bas désormais que se trouvent les plus grands enjeux pour la sauvegarde d’un avenir aux Etats-Unis. Il se borne à réitérer son soutien à Israël en rappelant que n’importe quel pays qui se ferait bombarder répliquerait. Pour stopper la violence il espère en la médiation de Morsi et d’Erdogan avec qui il a parlé. Sans doute il aimerait bien qu’ils s’occupent de la patate chaude, et au fond ce serait bien qu’ils s’en occupent en effet, plutôt que les Américains et les Français. Il faut aider Gaza sur place, pas seulement en montrant ses muscles mais avec le cœur et l’intelligence. Que les pays de la région qui le peuvent soient auprès d’eux, ne les abandonnent pas à leur désespoir et à la brutalité de Netanyahou. Gaza tout seul ne peut pas négocier correctement avec Israël, il faut les soutenir, il faut vouloir vraiment aller vers la possibilité de paix et de liberté, sans s’attendre non plus à un miracle, avec détermination et patience.

Pour ne pas combattre par idolâtrie de la guerre, il est bon de savoir d’abord quel est le combat exactement, quel est son but et comment le mener pour qu’il atteigne son but. Ainsi faisait le Prophète. Il a ramené son peuple à La Mecque avec intelligence plutôt qu’en obéissant à ses pulsions, avec patience et sans violence. Les Palestiniens se défendent comme ils peuvent. Mais après des décennies d’échec il est clair que ce n’est pas en les encourageant à poursuivre dans une voie sans issue qu’on pourra les aider. Parce que cette voie sans issue, beaucoup de gens ont intérêt à ce qu’ils y restent encore aussi longtemps que possible. Pendant ce temps, les affaires continuent. L’action armée est sans issue pour la Palestine. Même avec beaucoup de courage, ils ne pourront jamais vaincre la puissance armée israélienne, surtout tant qu’Israël a le soutien des États-Unis et de l’Europe. On ne fera que piétiner, avec toujours plus de victimes et de malheur. C’est une situation dangereuse et morbide pour la Palestine et pour Israël aussi. Et c’est parce que des gens le savent que finalement on arrivera à en sortir. Autrement. Comme on est arrivé à sortir de soixante-quinze ans de guerres entre la France et l’Allemagne, et de siècles de guerres au sein de l’Europe, en finissant par s’unir tant bien que mal dans l’Union européenne. Ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique, mais avec beaucoup d’efforts de toute sorte, un très grand djihad.

Spirituel d’abord. Une action qui ne serait pas initiée et soutenue par le combat spirituel ne saurait être féconde. Même quand la guerre par les armes confère une victoire, si celle-ci ne s’accompagne pas d’un combat spirituel elle se change rapidement en désenchantement. On ne se trouve libéré d’un ennemi que pour tomber sous la coupe d’une autre tyrannie, parfois pire. Tout reste à faire alors. Et cet effort qui va s’étaler sur des décennies, il aurait mieux valu le fournir pour vaincre l’ennemi plus intelligemment que par la seule force brute. Comme le dit Muhammad Asad, « Juifs et Arabes se sont retranchés dans une haine aveugle qui les empêche d’avancer. » Il faut sortir de cette fosse avant qu’elle ne nous engloutisse, chercher la lumière, vouloir arriver à l’accomplissement. Le monde a une fausse idée de l’islam ? Prouvons-le lui. Croire en l’islam n’est rien d’autre que croire en la paix, c’est ce qu’il faut démontrer.

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