Premiers cours. La prose du transilien

Le flot de vie qu’apporte la lecture des fiches de mes 70 élèves, auxquels j’ai demandé, pour tout renseignement, de me donner leur nom et de dire ce qu’ils aimaient dans la vie, vaut plus que tous les romans du monde. Il y a parmi eux des sportifs de haut niveau, des musiciens, des artistes, des littéraires, mais tous, que leur talent ait trouvé à se développer ou non, sont magnifiques de vitalité, de fraîcheur, de potentialités. Classes multicolores où se mêlent toutes origines sociales et ethniques, chaque fois le monde entier dans une salle, c’est magnifique.

J’ai commencé avec les seconde générale. 35 élèves dans une classe, ça fait vraiment beaucoup, il faut sans cesse se déplacer parmi eux pour n’en perdre aucun. Après une première heure consacrée aux présentations, fiche, annonce du travail de l’année, etc., j’ai fait cours pendant la deuxième heure. Quand j’ai vu qu’ils commençaient à bavarder, sans réfléchir, sans leur demander de se taire ni rien, je me suis lancée dans un discours improvisé sur la littérature, le sens de la littérature, l’humanité… Et pendant tout le temps où j’ai parlé, ce fut un silence royal, dense. Et quand je me suis arrêtée, une salve nourrie d’applaudissements. J’ai repris le cours normal, un peu après ils ont recommencé à bavarder et jusqu’à la fin j’ai dû leur demander plusieurs fois de se taire, mais ce n’était pas du tout un chahut, simplement ils bavardent un peu avec leur voisin et comme ils sont très nombreux cela fait un brouhaha. Cependant ils ont toujours été très réactifs, très participants, dès que je posais une question de nombreuses mains se levaient pour répondre, je devais distribuer la parole, les remarques sur le texte de Flaubert que j’avais distribué fusaient, et toujours en circulant dans la classe j’ai veillé à ce que personne ne décroche, c’est resté très vivant.

Ensuite j’ai eu les première ST2S (sciences et technologies de la santé et du social), en deux groupes, très multicolores et majoritairement féminins, d’une heure chacun. Des élèves dans l’ensemble très calmes, pleins de bonne volonté. Nous avons consacré chaque heure aux présentations, juste terminées par ma lecture du texte que je leur ai distribué et demandé de rapporter la prochaine fois. J’ai hâte de travailler avec eux.

Absolument heureuse de ce départ et des perspectives, consciente du travail à fournir pour faire du bon travail, je suis repartie à 17h30 sous une pluie battante, en même temps que des flots d’élèves dont certains prenaient le même bus que moi. À cause d’un problème technique sur la voie à Paris il n’y avait plus de RER, seulement un transilien qui s’arrêtait à Saint-Lazare. J’ai fait des photos depuis le train, puis j’ai marché longuement dans la gare pour prendre le métro, et je suis arrivée chez moi plus de deux heures après. N’empêche, j’ai raison quand je dis à l’Espé qu’ils ont tort de ne pas chercher à enseigner le sens de la littérature.

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transilien 7photos Alina Reyes

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Pré-rentrée, déjà béatitude

pontoiseaujourd’hui vers 19 heures en attendant mon bus à la sortie de mon lycée

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J’ai découvert mon lycée aujourd’hui, en faisant la pré-rentrée. J’y ai passé toute la journée et j’en suis ressortie dans un état de joie extatique. C’est un lycée plein de gens merveilleux, et c’est mon premier lycée, le premier lycée de ma nouvelle vie, de ma nouvelle naissance, remplaçant le lycée de ma vie précédente, de mon adolescence précédente, comme l’enfant qu’on vient de mettre au monde remplace l’enfant qu’on fut et renouvelle en soi l’enfance. Peu à peu il se rapproche, le moment où je vais rencontrer mes élèves, mes pèlerins d’amour. Dans le bus de banlieue où je me trouvais ce matin sont entrés de nombreux musulmans en vêtements de fête, en ce jour d’Aïd qui était pour moi jour d’engagement (que j’ai signé !) et ils en sont descendus aussi en même temps que moi. J’ai demandé mon chemin à un jeune parmi eux, son visage s’est éclairé quand j’ai dit le nom du lycée, j’ai vu qu’il l’aimait ce lycée, il m’a renseignée avec joie et en partant je lui ai dit bonne fête, il marchait avec sa petite sœur et sa famille d’origine africaine, c’était si beau, si calme, c’était l’ange qui m’indiquait le chemin. Puis ce soir quand je suis sortie, un autre Noir avec son enfant, me voyant sortir du lycée avec mon cartable m’a demandé : « c’est la pré-rentrée, c’est ça ? », et il en était tout content. Les gens, le monde entier, y compris les couloirs du métro et le RER, sont éclatants de beauté, je suis toute amour et joie, même la longueur des trajets, trois à quatre heures aller-retour, ne me dérange pas, au contraire j’en suis ravie, et j’adore me retrouver en banlieue, j’adore tout.

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Tralala Splatch. Autour du Clos aux zoiseaux, à Nanterre

Passant la journée à la fac de Nanterre pour la préparation à la rentrée des nouveaux jeunes profs, dont j’ai le plaisir d’être, à midi après avoir mangé sur l’herbe le sandwich crudités qu’on nous avait distribué, je suis allée me balader sur le campus, et j’ai trouvé, tout au fond, cette merveille : un campement, des chapiteaux, un portail ouvert et une clôture magnifiquement peinte, en dessins et en écritures, que j’ai bien sûr photographiée. Il s’agit d’une compagnie théâtrale en résidence là, où ils font plein de choses. Pour en savoir plus, c’est ici : Tralala Splatch, le Clos aux zoiseaux. Et voici les images.

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tralala splatch 18aujourd’hui à Nanterre (à 2 mn du RER Nanterre Université), photos Alina Reyes

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Ma thèse en chiffres, ossature de mon corps amoureux

these en couleurs 2*

Ma thèse compte à cette heure près de 500 000 signes – sans compter l’important volume des annexes, environ 100 000 signes, en majeure partie de mes propres travaux. Elle devrait en compter, une fois terminée, quelques dizaines de milliers de plus. C’est assez peu pour une thèse de littérature, cela parce que l’expression en est très concentrée, de façon poétique. Voici son plan dans l’état actuel, sans les titres des chapitres et sous-chapitres mais avec leurs chiffres, dont l’ordonnancement a quelque chose à dire sur le processus de la pensée – comme ses couleurs.

TITRE
Sous-titre

Dédicace
Remerciements

Présentation

Introduction
1.
2.
3.

Premier mouvement
I.
1.
2.
3.

II.
1.
2.
3.
4.

III.
1.
2.
2.1.
2.2.
2.3.
2.4.
3.
3.1.
3.2.
3.2.1.
3.2.2.
3.2.3.
3.2.4.
4.

IV.
1.
2.
2.1.
2.2.
3.

Deuxième mouvement

I.
1.
2.
3.
4.
4.1.
4.2.

II.
1.
2.
3.
4.
5.

Troisième mouvement
I.
II.
III.
IV.
V.

Conclusion

Annexes

Index

Sommaire

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Le troisième mouvement est en cours d’écriture (l’un des chapitres quasi fini, d’autres commencés – car l’écriture ne se fait pas de façon nécessairement linéaire, chapitre après chapitre), la fin du deuxième est à arranger. Bien entendu l’ensemble reste à revoir (mon directeur de thèse n’a encore rien lu) et susceptible d’évoluer. Edgar Poe dit quelque part que rien n’est plus beau que la self-cognizance (si je me souviens bien, tel est son néologisme – je viendrai corriger ou préciser si je retrouve la référence exacte) de sa propre pensée. J’ai aimé voir son processus à l’œuvre d’abord dans ses parties manuscrites, l’écriture au stylo, avec ses numérotations de pages que la pensée obligeait à faire dériver. Par exemple, entre les pages manuscrites 4 et 5, j’ai dû introduire, ma pensée partant en arborescence depuis un détail de la page 4, les pages 4a, 4b, etc., jusqu’à arriver à la fin de l’alphabet et devoir continuer avec un deuxième alphabet. L’insertion d’images dans le classeur de la thèse manuscrite, de dessins et autres collages, a contribué puissamment à ouvrir également l’espace de la pensée, même si dans leur grande majorité ces images ne sont pas mentionnées dans le texte de la thèse, de même que les actions poélitiques de Madame Terre, réalisées avec O. Nous ne voyons pas ce qui est à l’intérieur de notre corps, mais c’est ce qui le fait vivre. La chair dépasse la chair, le plan en chiffres est l’ossature où pousse, comme dit Rimbaud, notre nouveau corps amoureux.

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Eurisko. Le rire de Poe

David_Plunkert__Edgar_Allan_Poe« Edgar Poe (…) de qui l’analyse s’achève parfois, comme celle de Léonard, en sourires mystérieux », écrit Paul Valéry dans son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci. C’est sans doute qu’il ne l’a pas suivi assez loin, qu’il ne l’a pas suivi jusqu’au bout. Car chacune des histoires de Poe vise une décharge. C’est de la littérature érotique masquée. D’où son succès, sa formidable vitalité malgré les apparences morbides. Qui ne sont que celles de petites morts. Le lire va au soulagement et à la satisfaction. Si l’on y va assez fort, assez profond, si on le comprend en plénitude, si on le réfléchit assez, ce qui vient ensuite ce ne sont pas des sourires mystérieux, c’est le rire, le rire clair et absolument joyeux, le rire de tout le corps et l’esprit.

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Élucidation d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe

Place Clichy, dimanche 13 août à 8 h du matin, photo Alina Reyes

Place Clichy, dimanche 13 août à 8 h du matin, photo Alina Reyes

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J’ai la joie d’annoncer, alors que j’entends les cloches de l’église sonner, me rappelant que nous sommes le 15 août, fête de l’Assomption, que ce matin à 8 h 57 j’ai élucidé, dans une soudaine illumination, les énigmes du roman The Narrative of Arthur Gordon Pym, sens cherché avant moi, avec beaucoup de talent, successivement par Marie Bonaparte, Gaston Bachelard, Jean Ricardou, l’une et les autres ayant émis diverses hypothèses non inintéressantes mais non concluantes. Or la chose est d’une simplicité adorable, géniale ! Borges non plus ne l’a pas comprise. J’y ai beaucoup songé ces derniers jours en lisant Poe, entre autres, et même ces dernières nuits en rêvant, et comme mes prédécesseurs je voyais des pistes intéressantes, mais pas l’arrivée, le sommet. Or ça y est, j’y suis ! Je ne peux le dire ici tout de suite, car il faut que j’accompagne ma démonstration de beaucoup d’éléments, pour montrer sa beauté et la rendre plus savoureuse, il me faut maintenant prendre le temps de faire cela – et je vais continuer à collecter d’autres éléments avant de le faire. Simplement je l’annonce comme, enceinte, on annonce le bébé à naître, même s’il reste encore invisible. Et une telle annonce, dans les âmes bien nées, apporte toujours une grande joie.

Mes autres notes sur ce roman, à suivre : En lisant Arthur Gordon Pym

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L’aventure en soi

"Écoute", œuvre de Henri de Miller, à Paris 1er

« Écoute », œuvre de Henri de Miller, à Paris 1er

Si tout le monde n’a pas toujours les moyens de partir en vacances, tout le monde a les moyens de s’offrir une « aventure en soi » – c’est le titre de l’autobiographie de Sarane Alexandrian, qui a su  vivre sa vie comme une perpétuelle aventure.  Tout le monde peut employer ses vacances, et même toute sa vie, à l’aventure intérieure, qui toujours, est aussi concrétisation : que ce soit de grandes lectures ou un grand chantier, dans n’importe quel domaine au service de la beauté, de la vie, de la joie. J’emploie mon été à travailler assidûment à ma thèse, et la voir avancer dans sa splendeur, celle des poètes qu’elle convoque, avec son cortège de révélations, est une aventure exquise et exaltante. Et je n’oublie pas de marcher aussi avec mes jambes.

 

écoute,

péniches seine

nuages

quartier latinhier à Paris 1er et 5e, photos Alina Reyes

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