Tandis que l’Astre de Beauté C’est la Vérité qui ne voile Pas plus la femme que l’étoile, La véritable Vérité.
Germain Nouveau, La déesse
*
Aujourd’hui, toujours à vélo depuis Paris, O est allé accomplir la huitième action poélitique de Madame Terre chez Joséphine Baker, passant à l’aller puis au retour par la Défense et par des théâtres où elle a joué.
Joséphine Baker, artiste et résistante tout à la fois perle et océan de fraîcheur salvateur dans la France de Mistinguett et de Maurice Chevalier
Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur. Albert Camus, Noces
*
Cette septième action poélitique de Madame Terre a été réalisée en deux temps, par moi puis par O. Je suis d’abord allée à la Pitié-Salpêtrière, à l’Hôpital où dans le roman Manon Lescaut est enfermée un temps, à l’époque où on y enfermait les pauvres, les fous et les délinquants. J’ai photographié Madame Terre devant la cour du bâtiment de La Force, où étaient internées les femmes, soumises à un régime souvent atroce – on a enlevé des murs aujourd’hui les anneaux de fer où étaient accrochées les enchaînées. Lieu sinistre s’il en est. Ensuite je l’ai posée au centre de cette église si particulière, panoptique, construite de façon à pouvoir surveiller depuis le centre les chapelles où étaient répartis par catégories les prisonnières et prisonniers de l’hôpital, pour les messes obligatoires.
Puis O s’est rendu, faisant près de 100 km à vélo en ce dimanche d’arrivée du Tour de France à Paris, passant par champs et par forêts, parfois en dehors des sentiers, sur trois lieux successifs : celui où est mort (à Courteuil), puis où est enterré (au prieuré de Saint-Nicolas d’Acy), et enfin où a vécu (montant sur le mur de la maison, à Vineuil-Saint-Firmin ! ) l’abbé Prévost, auteur du roman dont voici un passage, situé au moment où le chevalier des Grieux s’apprête à faire évader Manon :
« Nous retournâmes le matin à l’Hôpital. J’avais avec moi, pour Manon, du linge, des bas, etc., et par-dessus mon juste-au-corps, un surtout qui ne laissait voir rien de trop enflé dans mes poches. Nous ne fûmes qu’un moment dans sa chambre. M. de T… lui laissa une de ses deux vestes ; je lui donnai mon juste-au-corps, le surtout me suffisant pour sortir. Il ne se trouva rien de manque à son ajustement, excepté la culotte que j’avais malheureusement oubliée. L’oubli de cette pièce nécessaire nous eût, sans doute, apprêtés à rire si l’embarras où il nous mettait eût été moins sérieux. J’étais au désespoir qu’une bagatelle de cette nature fût capable de nous arrêter. Cependant, je pris mon parti, qui fut de sortir moi-même sans culotte. Je laissai la mienne à Manon. Mon surtout était long, et je me mis, à l’aide de quelques épingles, en état de passer décemment la porte. »
La mélodie enfante, et à vrai dire ne cesse d’enfanter la poésie.
Nietzsche, La Naissance de la tragédie
*
Comment admettre que, comme tant d’autres artistes mondialement aimés et célébrés, Érik Satie ait vécu et soit mort dans la misère ? Qu’est-ce qu’une société qui piétine tant de ses membres les plus doux, les plus inventifs, les plus généreux de leur personne et de leur art ? Après avoir habité un réduit encore trop cher pour lui à Montmartre, rue Cortot, c’est là, à Arcueil, qu’il passa les dernières années de sa vie, en compagnie de cette misère qu’il nommait « la petite fille aux grands yeux verts ». O a photographié l’arrivée chez lui, la maison avec la plaque « Satie est un ange (bien déguisé), un ange à Arcueil se cachant » – Jean Cocteau, l’action poélitique de Madame Terre, et l’aqueduc (qui, dit-il, rappelle les notes de musique) transportant l’eau pour Paris, au bout de la rue du musicien.
dessin d’Érik Satie dans une lettre à Cocteau
« Je suis triste », comme dit Cendrars à la fin de La Prose du Transsibérien. La musique d’Érik Satie fait du bien, même quand elle est « lente et douloureuse » comme la première Gymnopédie. Celle-ci a été enregistrée par J., étudiant comme Satie à la Schola Cantorum, à la maison, rapidement apprise pour l’occasion, après l’attentat de novembre. Nous venons de subir un nouvel attentat, et malheureusement ce qui se passe dans le monde et dans notre pays, les violences de toutes sortes, le mépris des innocents ou des pauvres, peine aussi. Merci à tous ceux qui malgré tout continuent à faire quelque chose de positif, de vivant, que cela soit directement utile ou « gratuit » – car perdre le gratuit dans ce monde intéressé serait perdre notre humanité.
*
4 juin 2020 : O est retourné à Arcueil avec Madame Terre, cette fois sur la tombe de Satie où il a trouvé de jolies surprises : à voir ici
Pour Gaston Paris, la clef de la légende du Petit Poucet – comme de tant de légendes ! – est dans le ciel : c’est le Poucet qui conduit la constellation du Grand Chariot. En effet, Gaston Paris a noté que dans de nombreux pays, on désigne une petite étoile qui se trouve au-dessus du chariot, du nom de Poucet. »
Paul Valéry, L’homme et la coquille
Le nom de Cendrars porte la mémoire du feu, et c’est par cette après-midi de feu (38°) que O a parcouru à vélo 90 km aller-retour, pour aller accomplir la cinquième action poélitique de Madame Terre, au Tremblay-sur-Mauldre. Où le poète passa beaucoup de temps entre les deux guerres, avec sa machine à écrire, dans la « petite maison rose à côté du menuisier du pays », comme il disait, qui appartenait à sa femme Raymone Duchâteau (maison privée aujourd’hui située au bout de la sente Blaise Cendrars). Il repose aussi au cimetière du village, où son corps a été rapatrié en 1994.
O voyant les champs de blé a songé à L’Or, puis passant au cimetière a penché Madame Terre contre la Main coupée du poète.
*
Je dois à Blaise Cendrars deux des titres de mes romans, extraits de ses poèmes : Quand tu aimes, il faut partir, et Il n’y a plus que la Patagonie – ce dernier vers se trouvant dans la fantastique Prose du Transsibérien, que j’eus le bonheur de dire un jour à la Maison de la Poésie à Paris. Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? À écouter, magistralement dite par Vicky Messica :
https://youtu.be/OvUjqy3EOqU
La Prose du Transsibérien illustrée par Sonia Delaunay
Il nous semble simplement [en lisant] que nous continuons à vivre mais dans une autre maison, ou un autre pays peut-être.
Virginia Woolf, L’art du roman
*
En revenant de chez Alfred Jarry à vélo (note précédente), avec Madame Terre sur le dos, O a vu par hasard la maison d’Alphonse Daudet, qui était justement ouverte. Ni une ni deux, il s’est arrêté, est entré. La propriétaire, Isabelle Guignard, lui a aimablement fait visiter les lieux, qu’elle fait vivre notamment en recevant des conteurs et des artistes de théâtre. Et bien sûr il a accompli le protocole des actions poélitiques de Madame Terre.
*
Les œuvres d’Alphonse Daudet peuvent être lues gratuitement en ligne : ici
*
La dernière classe, l’un de ses Contes du lundi, ici admirablement dit par Fernandel, a aujourd’hui une actualité touchante… en Chine, où il passionne les Ouïgours, comme expliqué là.
Montrez-moi l’insertion de la terre Antonin Artaud, L’Art et la mort
*
Alfred Jarry allait et venait entre Corbeil et Paris à vélo (35 km, 70 aller-retour). O a fait de même pour accomplir l’action poélitique Madame Terre chez Jarry, troisième de sa catégorie, passant le bras à travers un trou dans le portail pour faire entrer Madame Terre dans la propriété. Le poète vivait dans cette maison à l’abandon accolée aux grands moulins, au bord de la Seine, pauvre à se nourrir des poissons qu’il pouvait pêcher dans la rivière et des oiseaux qu’il pouvait tirer dans son jardin.
*
On peut lire gratuitement les œuvres numérisées d’Alfred Jarry (comprenant ses dessins) ici.
Et regarder cette mise en scène télévisée d’Ubu Roi par Jean-Christophe Averty, libre d’y voir les allusions qu’on voudra, comme disait Jarry.
La leçon tous les ans renouvelée et qui manifeste que la France est vivante, est que le Tour est bien le Tour de France.
Louis Aragon dans le journal Ce Soir, dont il était directeur, le 24 juin 1947, à la veille de la reprise du Tour après la guerre.
Aujourd’hui, en chemin vers chez Alfred Jarry (ce sera la prochaine étape de Madame Terre), O, toujours à vélo depuis Paris, a réalisé notre action poélitique (voir la procédure à l’action précédente au château de Monte Cristo) au joliment nommé Réveil Matin, le café de Montgeron d’où est parti le premier Tour de France, en 1903.
Une occasion de relire son récit du Tour comme on le célèbre sur les bords des routes aux Pyrénées : ici
et de revoir, ah, ces vélocipédistes drôlement moustachus !
Le vainqueur fut Maurice Garin, né italien en 1871, et dont le métier et la petite taille lui vaudront plus tard le surnom de « Petit ramoneur«
Et ce fut le début d’une longue, grande épopée, pleine d’étoiles :
*
« Comme dans l’Odyssée, la course est ici à la fois périple d’épreuves et exploration totale des limites terrestres. Ulysse avait atteint plusieurs fois les portes de la Terre. Le Tour, lui aussi, frôle en plusieurs points le monde inhumain : sur le Ventoux, on a déjà quitté la planète Terre, on voisine là avec des astres inconnus. » Roland Barthes, Mythologies
Eh oui, comme dirait Galilée, « si muove » ! Comme la Terre, comme les roues des vélos, avec ses stars et ses étoiles inconnues, le Tour tourne !