pour arriver au cimetière de Montmartre, on descend du pont, puis une fois dedans, comme dans tout Montmartre, on monte, on descend, on monte…
J’ai eu de belles surprises mais sans avoir cherché à voir telle ou telle tombe, je me suis simplement promenée et j’ai pris des photos
j’ai vu plusieurs chats, une corneille, une pie
je ne savais pas que Fred Chichin était là
avec une guitare « from Nashville »
il y a une tombe décorée avec un arbre à rubans et petits mots, une autre avec des libellules
et c’est alors que j’ai vu Nijinski, mon coeurfrère
je ne savais pas qu’il était là
j’ai cherché dans mon sac quelque chose à lui donner, j’ai déposé à ses pieds une petite boule brillante kaléidoscopique, bout de bijou semblable à un cosmos
et puis la danseuse étoile Ludmila Tcherina, pour danser avec lui
et Anatole, garde-champêtre de la commune libre de Montmartre
Zola aussi est là
et cet arbre qui a poussé autour d’une pierre tombale
cet après-midi, photos Alina Reyes
d’autres photos de cimetières parisiens : mot clé cimetière
je me suis aussi baladée dans mon ancien quartier, où dans un rêve ancien je me baladais aussi en sortant de ce cimetière après ma mort
au retour j’ai eu la joie d’apprendre que j’étais admissible à l’agrégation de Lettres modernes. Reste à préparer les oraux, en travaillant autant que possible car c’est du costaud !
Certains de ces masques et oiseaux de Maurice Garnier sont abîmés et auraient besoin de restauration. Je les trouve très beaux, assez fascinants, surréalistes – je me rappelle le goût d’André Breton pour les cailloux qu’il ramassait dans la rivière. Fondus dans la muraille de part et d’autre des escaliers qui descendent au square René Le Gall, jardin des Gobelins, ils peuvent passer inaperçus, et sont d’autant plus impressionnants quand on les voit.
« Il arrive quelquefois que les rayons tombés des étoiles (pourvu qu’ils soient de la même nature) s’unissent aux métaux, aux pierres et aux minéraux, qui sont tombés de leur position la plus haute, les pénètrent entièrement et s’amalgament à eux. »
Johannis Grasset, « Physica naturalis rotunda visionis chemicae cabalisticae », in Theatrum chemicum, 1661, cité par André Breton dans « Langue des pierres », essai publié dans le numéro 3 du Surréalisme, même, automne 1957
*
Écrire une thèse c’est bâtir un palais, une aventure extraordinairement humaine, à chaque instant et pour des siècles en ce monde. Je franchis toutes choses.
Cet article paru dans The Conversation est issu de mes recherches pour ma thèse de Littérature comparée en cours.
Les stalagmites en cercles témoignent d’une vision géométrique, d’une aptitude à la mathématique, à l’abstraction. AFP, A
En 2003, lors d’un entretien télévisé avec Philippe Lefait, Jim Harrison raconte avoir donné au poète amérindien Lance Henson La poétique de l’espace de Bachelard. « C’est curieux », lui a-t-il dit après l’avoir lu, « Bachelard pense comme un Amérindien. » Et Harrison ajoute : « Je ne connais pas un auteur amérindien qui n’écrive pas pour construire une maison pour son âme. »
Les primates et d’autres animaux peuvent fabriquer des outils. Les humains, eux, impriment des traces. Traces qui sont à la fois pour eux et pour les autres (dans l’espace et dans le temps), des preuves de leur humanité, de leur capacité à dépasser l’utilitaire – même si l’écrit est aussi un outil de communication, de recension, de comptage. L’écriture ne se limite pas à servir de signifiant d’un objet extérieur : elle est identifiée par tout humain qui la rencontre même sans pouvoir la déchiffrer comme la manifestation qu’il y a, à sa source, un objet intérieur, un protosujet que, telle une matrice, elle contient et transforme de sujet en sujet. Originellement, l’écriture dépasse le signe : elle est construction, maison pour l’âme qu’elle abrite et engendre dans un même mouvement.
Les plus anciens signes gravés connus à ce jour datent d’environ 500 000 ans. Leur découverte, en 2014, fut un coup de tonnerre dans la science tempétueuse de la paléontologie. Il s’agit d’un zigzag, fort bien tracé dans l’épaisseur d’une coquille. Il nous est impossible de connaître le sens donné par nos lointains ancêtres à leurs gravures et peintures. Mais de même que nous pouvons lire Homère sans qu’il nous ait jamais confié ses intentions, nous pouvons toujours lire les traces d’eux-mêmes que nous ont laissées les hommes dits préhistoriques.
Une coquille est le contenant, la maison d’un vivant. L’analogie est universelle. Quand une telle « maison » naturelle est transformée par l’homme, par son esprit et par sa main, elle devient maison de l’âme : Ghost in the shell, comme le dit le titre d’un célèbre manga de science-fiction. Une coquille gravée il y a 500 000 ans, bien avant que l’homme ne soit Homo Sapiens, transforme la maison d’un vivant (le mollusque) en maison d’une âme (humaine). Par-delà le sens (ou l’absence de sens) que voulait donner à ces traits l’être qui les fit, que ces traits fussent ou non des signes, le seul fait qu’ils aient été tracés est une preuve de l’humanité de celui qui les traça.
La grotte, écrin du geste et de l’œuvre
Qu’allèrent donc faire nos demi-frères néandertaliens lorsque, il y a à peu près 176 000 ans, ils descendirent et cheminèrent longuement dans l’étroit labyrinthe souterrain de la grotte de Bruniquel puis, au creux d’une salle profonde, cassèrent et disposèrent en cercles, dressées, des stalagmites ? La découverte de constructions humaines aussi anciennes provoqua lors de son annonce il y a quelques semaines un séisme chez les paléoanthropologues. Jamais personne n’avait imaginé que des humains aussi anciens, a fortiori ancêtres des Néandertaliens réputés moins culturellement développés que les Sapiens Sapiens, étaient capables de penser et bâtir un tel ouvrage. À quel usage, dans quel but ? C’est ce que nous ne saurons pas.
Mais encore une fois, cela ne signifie pas que leur geste, et le résultat de leur geste, soient illisibles. La coquille et la grotte sont toutes deux des contenants. L’un porteur d’une gravure sur sa face extérieure, l’autre d’une sculpture, d’une installation au sens moderne du terme, dans son intérieur. Une âme se cache à l’intérieur de la coquille gravée. Une âme se dresse à l’intérieur de la grotte, écrin du geste et de l’œuvre. D’un côté la conscience du contenant, de l’autre celle du contenu. Traits en zigzags et stalagmites en cercles témoignent d’une vision géométrique, d’une aptitude à la mathématique, à l’abstraction. Quels qu’aient pu être les usages de ces élaborations – que nous continuerons à ignorer malgré toutes les supputations –, elles demeurent en tant que telles, et en tant que telles continuent à parler.
Que cette première architecture ait eu ou non un usage, et quel qu’il ait pu être, ne change rien au fait qu’à un niveau plus profond, et plus élevé, l’être de cette construction souterraine de la nuit des temps fut et reste d’être une maison pour l’âme. Ce fut et c’est de dire la présence de l’âme, comme les traits sur la très ancienne coquille. « L’être qui se cache, écrit Paul Valéry dans L’Homme et la coquille, l’être qui « rentre dans sa coquille », prépare « une sortie ». Cela est vrai sur l’échelle de toutes les métaphores depuis la résurrection d’un être enseveli jusqu’à l’expression soudaine de l’homme longtemps taciturne […] Il semble qu’en se conservant dans l’immobilité de sa coquille, l’être prépare des explosions temporelles de l’être, des tourbillons d’être. »
L’homme écrit pour habiter
L’être s’extrayant du primate signe sa sortie, son être humain, sur une coquille puis dans une grotte. Il ne se singe pas lui-même, il ne singe pas le monde non plus, il le transforme en y imprimant sa marque, son point de départ. La coquille et la grotte disent l’intériorité et l’extériorité. L’être qui y apporte son sceau par ce geste affirme sa conscience et conçoit sa liberté. Il ajoute dans ces ossements du monde, dans l’os du monde, l’antériorité et la postériorité, et même la postérité. Par la gravure comme par la découpure des stalagmites, il fait une entaille dans le temps grâce à laquelle le temps cesse d’être un cercle fermé, grâce à laquelle il ne se clôt pas sur le passé et s’ouvre aux possibles.
L’homme écrit, ou commence par tracer des traits, pour s’inscrire dans l’espace et dans le temps : il écrit pour habiter. Cette inscription, cette écriture, qu’elle soit faite de bâtonnets régulièrement tracés dans une coquille ou de bâtons de stalagmites géométriquement dressés dans une grotte, devient habitation au sein de laquelle une autre écriture peut mûrir, qui rassemble et rassemblera toujours de nouveau le geste et la mémoire du geste, qui se rebâtira en permanence, chaque fois unique et neuve, par et pour chaque nouveau lecteur, et via chaque lecteur par chaque nouvelle lecture.
Nous ne sommes pas condamnés à tout ignorer de la langue de nos si lointains ancêtres : car c’est celle des poètes de tous les temps et de tous les univers. C’est la nôtre, aussi profond en nous que la grotte de Bruniquel. Et il nous suffit d’y descendre pour l’entendre résonner et nous inciter, encore et toujours, à nous extraire de là, puisque nous nous y sommes reconnus, comme l’enfant s’extrait de la matrice. Afin de devenir un homme, un être humain, un être toujours en redevenir – non ce qu’il fut, mais ce qu’il envisagea confusément d’être. Les stalagmites dressées de la grotte de Bruniquel se présentent à nous comme un miroir où nous ne nous reconnaissons pas clairement lorsque, abasourdis, comme dans tout chef-d’œuvre, nous n’y sommes pas encore.
Cette nuit, un rêve récurrent dans mes vingt ans, puis disparu, est revenu : je gravis une très haute et très raide dune de sable. Cette fois elle était plus que raide, carrément verticale, et je l’escaladais comme on escalade, à mains nues, une falaise de pierre. Un rêve qui pourrait paraître pénible mais est en fait exaltant. Comme chaque fois, il s’agit de sauver un peuple, vu aussi dans le rêve, errant ou jouissant inconscient sur la plage. Et toujours je suis sûre de mon escalade, ardue mais sans peur ni angoisse.
Peut-être parce qu’avant de me coucher, il m’est revenu en mémoire, en voyant une photo du sol caillouteux de la comète Tchouri, que j’ai publié mon tout premier texte littéraire, une courte nouvelle métaphysique intitulée Cailloux*, entre 1983 et 1985 (je ne sais plus très bien, ni sous quel pseudonyme) dans la revue Les cahiers du Schibboleth. Du coup je suis allée voir les acceptions du mot schibboleth dans la Bible, en français et en hébreu.
Je me suis levée une deuxième fois ce matin en pensant : la perfection est bancale. Dans un autre rêve, je revendiquais le caractère bancal de mes livres, et je prenais exemple sur la Bible et le Coran, livres au plus haut point bancals et parfaits. Je me suis rappelée avoir assisté, enfant, à l’élection d’une miss Soulac, et que de mon point de vue l’élue était sans conteste une jolie brune boiteuse (elle avait eu la polio). Mon personnage Lilith, dans mon roman éponyme, est une boiteuse. Leopold Sedar Senghor parle de symétrie asymétrique dans l’art africain. Ainsi est l’être.
* et quand nous étions de toutes-petites enfants, il y avait une petite fille très pauvre, nommée Caillou et portant le même prénom que moi, qui m’apparaissait comme mon autre, dans une relation avec elle sans paroles et que je percevais comme surnaturelle.
« Aidé de notes, de carnets de voyage, de citations de comptes rendus officiels, de lettres, je raconte ma Montagne du Destin. Par fragments, comme les pièces d’une mosaïque, notre traversée du Nanga Parbat émerge du rêve et du souvenir pour aboutir à cette image intemporelle.
Maintenant prêt à reconstruire mon propre moi comme somme de l’extérieur et de l’intérieur, comme réunion du corps et de l’esprit, je suis enfin capable d’écrire le récit des jours les plus difficiles de ma vie, qui furent une tranche de l’Histoire de la Montagne Nue. » (p.28)
« Vendredi 15 mai 1970. Le jour se lève, sans nuage, splendide. Pour la première fois, je vois le Nanga et le Changra Peak du côté sud. Une impression d’écrasement. Glaciers suspendus géants, précipices ravinés par les avalanches. Tout à gauche, le sommet du Nanga ! Qui peut dire ce que nous réserve l’avenir ? (…) Malheureusement le Nanga est dans un nuage qui ne se déchire que fugitivement. On entrevoit alors les flancs de rocs et de glaces de la plus haute paroi du monde. Traversée d’un énorme torrent glaciaire. » (pp 128-129)
« J’avais cru comprendre, avant le départ d’Europe, que Karl Herrligkoffer ne tenait pas à diriger les opérations en haute altitude. Mais voici ce plan, qu’on me demande d’approuver. (…) Günther lit. (…) Je constate, irrité : « Ce grand, là en bas, se comporte comme un général avant la bataille, non ? » – Comme le général est malade, son plan n’est pas viable ! » (pp 167-168)
« Nous sommes ensemble dans la petite brèche. Dans la pluralité des mondes. Nous savons maintenant que nous irons au sommet. Entre la raison et l’émotion, il n’y a plus de place pour le doute. En-dessous de nous, toute la paroi de Rupal. Le sommet, à cent mètres plus haut à peine. Notre sortie de la face sud, c’est pour moi l’instant le plus fort de toute l’expédition. Il n’y a plus d’angoisse, plus d’hier ni de demain. Tout paraît tellement irréel. Ce calme ! Et Günther, près de moi ! » (p. 242)
« Pour moi, seule importe encore la volonté d’aller plus loin. Je ne me permets aucune diversion. Je vois la cime ultime, devant moi, au bout de l’arête. Au-dessus, il n’y a plus que le ciel. Encore quelques minutes, je pense ; en fait, une bonne demi-heure. Mais ici il n’y a plus de notion de temps ni d’espace. Les lois que nous connaissons ne sont plus valables. Nous planons au-dessus des vallées. Au-delà de la terre et au-delà de nous-mêmes. » (p. 244)
« Au moment de partir, j’essaye d’enfiler mes gros gants norvégiens. Mais ils sont gelés dur. Je n’arrive pas à les mettre au-dessus des autres. J’en ai une paire en réserve, donc je laisse les deux gants devenus inutiles, des boules de feutre, de glace et de neige, sur les premiers rochers à l’ouest du sommet. Je les cale en glissant quelques pierres dessus. Rien de plus. Et pourtant c’est un signe de notre passage. Ce cairn au sommet du Nanga est comme un symbole. De quoi ? Nous ne le savons pas. Günther sourit à cette idée de cairn. L’orage aura tôt fait de l’emporter ! » (p. 248)
« Après une demi-heure de repos, l’Autre [lui-même, Reinhold Messner] marche d’un pas lourd sur le glacier mort. Rien que des pierres, des éboulis, aussi loin que le regard porte. Il avance, heure après heure, de cuvette en cuvette, s’appuyant sur les pierres les plus grosses, se laissant glisser, remontant à quatre pattes. Tombé cent fois, il se relève cent fois, reprend son paquetage et se relève plus loin.
Il fallait que je trouve des hommes au plus vite, mais je ne savais pas de quel côté du glacier ils seraient. Arriver à un village, mais en même temps ne pas manquer une éventuelle colonne de secours. Sans abri, sans manger, je ne tarderais pas à mourir. Je l’acceptais. Je ne ressentais ni peur, ni révolte. Mais je n’étais pas encore tout à fait résigné. » (p. 332)
« Nous le savons : prendre les responsabilités en commun, souffrir ensemble de la faim et du froid, c’est ce qui soude une équipe. Mais ne peuvent en faire partie ceux qui, comme Herrligkoffer, s’introduisent dans notre paradis pour s’emparer de ce qui n’appartient à personne.
En dépit du savoir-faire et des progrès techniques, personne jusqu’à ce jour n’a réussi à répéter notre itinéraire du versant de Rupal. Malgré une douzaine de tentatives, et de nouvelles tragédies.
Mais il est absurde de parler de « malédiction ». Si cette montagne est devenue celle du Destin, ce n’est pas parce qu’un démon l’habite. Non, c’est seulement parce qu’elle est sans commune mesure avec nous autres hommes. » (p. 416, fin).
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Témoignage magnifique du plus grand alpiniste du XXe siècle, reconstitué dans ce beau film :
(choix des sous-titres : bouton CC en haut du lecteur)
(cliquer sur « translate » dans la petite roue dentée pour la traduction automatique des sous-titres, approximatifs mais ça passe – en fait, au début, le compagnon de Messner raconte qu’il travaillait à la ferme, à tous les travaux de la ferme)
Je viens de voir ces deux films repris au cinéma en un seul film, « Les ascensions de Werner Herzog ». Splendide, et leur association est judicieuse. Voir l’excellente critique de Camille Pollas sur critikat.com.