Sourates 18 et 19, Al-Kahf et Maryam, La Caverne et Marie (2). Le sens du hidjab

 

104 Ceux-là dont l’élan se fourvoya dans la vie d’ici-bas, et qui s’imaginaient que c’était là pour eux bel artifice,

105 ceux-là qui dénièrent les signes de leur Seigneur et Sa rencontre : leurs actions ont crevé d’enflure. Je ne leur attribuerai nul poids au Jour de la résurrection

106 telle sera leur rétribution : la Géhenne, pour avoir dénié, pour avoir tourné en dérision Mes signes et Mes envoyés

107 tandis que ceux qui croient, effectuent les œuvres salutaires auront en prémices les jardins du Paradis

108 où ils seront éternels, sans nulle envie d’y rien substituer.

La Caverne, traduction de Jacques Berque

 

Le Coran tourne autour de son centre, qui est partout. Partout reviennent les avertissements aux mécréants, la promesse à ceux qui croient à l’Unique source, créateur et vérité, révélée par le Prophète et ses autres messagers, la révélation eschatologique du sens de la vie, du temps, de l’univers. Nous avons reconnu (Al-Khaf, 1) l’un de ses centres en son centre phonologique, Al-Kahf, cette Caverne, ce trou noir de la mort qui ne retient la lumière que pour la libérer, splendide, dans l’éternité de la résurrection. Et nous allons lire le Livre en tournant autour de ce centre.

Nous l’avons dit, la sourate suivante, Marie, est comme une émanation de La Caverne.  Marie vient de la Caverne. Marie, mère de Jésus, l’un et l’autre intimement liés, témoignant de la Résurrection issue du temps de la Caverne, de la mort en Dieu, qui dépasse la mort. Nous sommes ici au plein cœur du seul thème qui compte : le voile et le déchirement du voile. La Caverne et Marie sont l’habitation de l’homme en ce monde, une habitation que Dieu voile afin d’y préserver la vie et lui donner, en la dévoilant, sa révélation, celle de la résurrection.

Marie, nous dit le Coran, s’isola des siens dans un lieu oriental (à la source donc) et mit « entre elle et eux un voile ». Un hidjab. Le verbe arabe contient aussi le sens d’élever un mur de séparation. De voiler, de garder l’entrée. Le nom désigne tout ce qui peut s’interposer entre l’objet et l’œil, aussi bien : un voile, la nuit, ou l’éclat du soleil. Le Coran lui-même est considéré comme hidjab, au sens de moyen le plus puissant pour détourner le mal. Le verbe signifie aussi le fait d’entrer dans le neuvième mois de sa grossesse.

Rappelons-nous la dernière histoire de La Caverne, la plus mystérieuse, avec ce mur de séparation qu’élève l’envoyé de Dieu pour protéger jusqu’au jour du Jugement le peuple primitif qui vit au bord d’une source en plein sous le soleil.

Rappelons-nous la Kaaba voilée, autour de laquelle tournent les fidèles.

Rappelons-nous la légende de la toile d’araignée et du nid de la colombe sauvant la vie du Prophète et de son compagnon de voyage, lorsqu’ils quittèrent La Mecque pour Médine, pourchassés par les ennemis. Quand ces derniers arrivèrent devant la grotte où ils s’étaient cachés, ils virent qu’une araignée avait tendu sa toile devant, et qu’une colombe y avait fait son nid, où elle couvait ses œufs. Ils en déduisirent que personne ne venait d’y pénétrer, et passèrent leur chemin. L’anecdote est légendaire mais la nuit dans la caverne est réelle et évoquée dans le Coran : c’est à partir d’elle que commence le temps de l’islam, le nouveau calendrier. Et il est clair que cette toile et que cette colombe signifient à la fois la virginité de Marie, sa grossesse miraculeuse et son prochain enfantement.

Voici aussi où nous voulons en venir. Quand dans l’adhan, l’appel à la prière, le muezzin dit : venez à la prière, venez à la félicité, le mot arabe pour dire félicité signifie aussi : lèvre fendue. La prière consiste à réciter la révélation venue de Dieu. À parler la parole de Dieu. À ouvrir la bouche, le voile qu’elle est, ouvrir la parole, pour en faire jaillir la vie, la lumière, la vérité. À en reconnaître et faire le centre autour duquel, cosmique, notre être tourne jusqu’en son accomplissement, éternelle et indestructible félicité.

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à suivre

Pierre, feuilles, six eaux

tout à l'heure au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

 

Je ne connais pas encore par cœur les trois prières indispensables, je laisse donc se déployer le temps du désir avant d’aller à la mosquée. Au sortir du jardin je me suis mêlée aux foules qui sortaient de la grande prière du vendredi, en récitant à voix basse, de mon mieux, Al-Fatiha. Lumière sur lumière.

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Cavernes, matière noire et livres sacrés

aujourd'hui à ma fenêtre, au Jardin des Plantes, et la mosquée ; photos Alina Reyes

 

À l’improviste et au dernier moment, j’ai été invitée à la première d’un film sur la matière noire, dans le cadre du Festival international du film scientifique, au Jardin des Plantes. Ce sont des choses qui m’intéressent vivement. Et après avoir passé la journée à méditer sur la structure du Coran, et sur ma prochaine note que je veux consacrer aux deux sourates La Caverne et Marie, j’ai eu l’oreille particulièrement sensible à certaines expressions employées dans ce documentaire : la « caverne » où des scientifiques cherchent à repérer une particule de « matière noire » (la matière invisible qui forme l’essentiel de l’univers, celle que nous connaissons n’en étant que 5%) ; un outil de détection souterrain « grand comme Notre-Dame de Paris » ; le fait que « nous naviguons sur l’écume du monde »… Comment se fait-il que la plupart des hommes s’étonnent peu des prodiges de l’univers ? Et que parmi ceux qui s’en étonnent, si peu puissent se figurer que de semblables prodiges peuvent aussi se produire dans la langue, du moment qu’elle vient de Dieu, l’immense Inconnu dans lequel nous vivons ? Entendu plusieurs fois, dans le film puis au cours du débat qui suivit, des scientifiques dire : « Quand la lumière fut,… » Comment la langue de la Bible a-t-elle su ?  Je sais qu’il y a une continuité de la Genèse au Coran en passant par le Christ, chaque étape et réalisation représentant un bond dans la Révélation, et que nous avons à étudier ce qui passe là par la langue, au moins aussi sérieusement que nous avons à étudier le cosmos. C’est un commandement, il le faut. Et c’est vraiment génial.

Chahada


aujourd’hui à la Grande Mosquée de Paris, photos Alina Reyes

 

Je suis allée à la mosquée, j’ai fait mon attestation de foi.

Ce fut très rapide, très simple, complètement beau et bouleversant.

Juste avant j’avais écouté de l’extérieur la prière. Bientôt je la ferai à l’intérieur.

J’y suis restée près de deux heures, dans un bonheur intense. À flaner dans les cours, les jardins, la bibliothèque. Le ciel était d’un bleu ! Je me suis demandé pourquoi j’avais tant de chance.

J’ai entendu un guide expliquer à des visiteurs que rien de ce qu’ils voyaient ici n’était sacré, que nous seuls le sommes. Plus tard il a dit qu’il fallait un sixième œil pour comprendre le Coran. Nous en avons donc cinq ? Oui, si nous savons voir ce qui est. Alors le sixième vient, comme dans la tapisserie de la Dame à la licorne. À mon seul désir, dit-elle enfin.