Ces femmes – et ces hommes – qui refusent haut et fort la célébration médiatique des violeurs, des pédophiles, des assassins, sont l’honneur de la société comme Zola le fut avec son J’accuse. Le patriarcat, le sexisme, la culture du viol sont d’autant plus ancrés que beaucoup en sont les collabos, devant tout au système. Ils ne voient pas combien ils sont vieux et dépassés, dépassées. Netflix l’a compris en déprogrammant la série House of Cards où jouait Kevin Spacey, après des révélations sur des attouchement qu’il a infligés jadis à un jeune adolescent – et il faut lire ce témoignage du frère de l’acteur, sur leur père violenteur et violeur, pour voir l’enchaînement du mal dans le système patriarcal. D’autres comme Woody Allen restent sur le devant de la scène mais dégoûtent. Nous n’acceptons plus de voir célébrée la tête des tortionnaires. La Cinémathèque française et des médias et journalistes collabos ne démordent pas de leur volonté de fermer les yeux sur cette question, sur le dégoût que provoque la vision de violeurs ou violenteurs d’enfants ou de femmes. Ils ne font que prouver ainsi leur mépris des enfants et des femmes, réduits à l’état de viande pour cannibales sexuels, avec la complicité de la vieille société. Dont les fondements patriarcaux sont en train, enfin et heureusement, de s’écrouler.
Toute révolution déclenche sa contre-révolution, y compris au sein des révolutionnaires. Soudain la peur que les choses changent vraiment. Comme dirait l’autre, restons prudents, faisons semblant que ça change, pour que surtout rien ne change. Sans le vieux système qui a permis de réussir, comme on dit, à Caroline Fourest, que devient-elle ? C’est sans doute une question qui la perturbe, au fond, mais qui voit le fond des choses ?
Voilà que cette féministe en vue signe un édito dans Marianne pour dire que « depuis la nuit des temps, les femmes se sentent sales, fragiles et en danger ». Ben mon cochon ! En voilà du rot qui sent sa remontée de Beauvoir, vieille jeune fille rangée qui continue à nuire avec son épouvante du corps des femmes, sa haine plus forte que celle d’un curé du corps des femmes. Les femmes prennent la parole ? Il faut qu’on la leur salisse avec des esthétiques à la « ni putes ni soumises », à la Femen barbouillée, à la Fourest rappelant les femmes à leur prétendu sentiment de saleté « depuis la nuit des temps ». Et bien sûr ça bénéficie de la couverture (pesons le mot) médiatique. Salissons, rabaissons, fragilisons, au prétexte de libérer !
Cesse de dire, comme certains hommes, « les femmes », Fourest. Je ne suis pas de ces femmes dont tu parles, nous sommes très nombreuses à ne pas en être, l’Histoire est pleine de femmes qui ne se sont jamais senties ni sales, ni fragiles, ni en danger (sauf, comme tout le monde, quand il y avait un réel danger). Nous ne sommes pas des poules mouillées, des masos souillées, des poupées en sucre, et nous ne nous sentons pas telles. Je suis libre, debout, propre, sereine, forte, sans peur et sans reproche. Prends-en de la graine, c’est gratuit.
Le monde est en train de changer, sous les yeux effarés des vieux singes dominants, c’est-à-dire télévisuels : les Brückner, Enthoven, Finkielkraut, BHL etc., et dans l’inquiétude de quelques-unes de leurs moitiés de l’autre sexe, Deneuve et autres, habituées à courber plus ou moins l’échine leur vie durant devant les mâles détenteurs du pognon et de l’influence, et craignant de découvrir cette face soumise d’elles-mêmes, femmes qui se croyaient libres, au miroir d’une génération décidée à ne plus accepter du tout ce qu’elles ont enduré en silence parce qu’elles étaient femelles. Écriture inclusive, hashtag balancetonporc, pétitions contre la célébration d’artistes violeurs d’enfants ou assassins de femmes… Ces messieurs sont en train de perdre leur domination et leur impunité et cela les terrifie, car que sont-ils, sans cette impunité qui leur a permis de se hisser en marchant sur leurs victimes accumulées ? Si peu de chose, contrairement à ceux qui font leur vie sans chercher à piétiner quiconque. La décolonisation est en route, et qu’ils nous sachent gré de la mener si pacifiquement, sans comme eux verser le sang, avec des mots, avec notre intelligence et notre liberté seulement. Et que les cochons, les singes et autres animaux nous pardonnent l’insulte qui leur est faite en appelant certains hommes de leur nom – mais les animaux s’en moquent, car leur nom n’est leur nom que pour nous. Le monde est en train de changer, il change d’en bas comme toujours, de là où est la vraie puissance, celle de la vérité nue, toujours fière contrairement à ceux qu’elle défroque.
La polémique autour du festival afroféministe Nyansapo non-mixte accueilli cette année par le collectif Mwasi est un triste symptôme d’une tendance grandissante à la ghettoïsation de notre société. Directement inspirée du modèle américain, la lutte communautaire opère toujours plus de division et de séparation dans la population. Les problèmes de racisme et de sexisme, pour plus d’efficacité dit-on, sont traités en non-mixité. S’il est vrai que des espaces et des temps dédiés uniquement à telle ou telle catégorie de personnes peuvent aider à libérer la parole, le recours rigide à une telle solution finit par s’avérer dangereux et contre-productif. Le danger est celui du repli sur soi et d’une culture de l’apartheid réactivée. Pourquoi ce festival non-mixte, dont l’essentiel est réservé aux femmes « noires » compte-t-il parmi ses organisatrices une femme non noire, Sihame Assbague, l’une des piliers de Mwasi et organisatrice du « camp d’été décolonial », également non-mixte, de l’année dernière ? Pourquoi Houria Bouteldja, du PIR, non-Noire dont elle est proche, conseille-t-elle, toujours au nom de l’antiracisme, aux Noirs de se marier entre eux, aux Noires de ne pas épouser des non-Noirs ? Pourquoi la sociologue Nacira Guénif, non-Noire elle aussi, est-elle une proche du collectif Mwasi ? Que font ces non-Noires à conseiller aux Noirs et aux Noires de rester entre eux ? Il y a dans cette pratique quelque chose d’enfoui qui n’est pas dit, qui sans doute reste inconscient, quelque chose de dévastateur qui est au fondement de l’Amérique et qui a compromis l’Europe : le trafic d’esclaves et l’esclavage. Autrement dit, il y a un moment où le combat contre le racisme replonge dans l’histoire créée par le racisme de façon très dangereusement ambiguë.
Cette affaire me rappelle celle de la Grande mosquée de Paris, où j’allais prier avant 2013, année où les femmes furent reléguées dans une salle à l’entresol parce que certaines personnes avaient protesté du fait que des femmes étaient trop bruyantes dans la grande salle de prière. En fait ce sont surtout certaines Sub-sahariennes qui étaient pointées du doigt, beaucoup d’entre elles étant peu rigides dans la pratique de la religion, mais très vivantes et animées, vêtues de magnifiques couleurs… et le plus souvent à part des croyantes d’origine maghrébine, peu enclines à se mélanger. J’ai observé et connu à la mosquée une culture de la séparation. Séparation des hommes et des femmes, d’abord manifestée par un rideau tendu entre les uns et les autres dans la grande salle de prière, puis par l’expulsion des femmes de cette salle et leur relégation à l’entresol (alors que du temps du Prophète, hommes et femmes priaient dans un même espace). Et culture d’une certaine séparation ethnique (voire nationale) – en contradiction totale avec l’enseignement de l’islam.
Comme toujours, pour décoincer les esprits engagés sur des voies de garage, il faut faire appel aux poètes. Voici un texte du grand poète syrien Nizar Kabbani, texte que j’ai trouvé sur la page facebook d’une militante afroféministe, Ndella Paye :
Ne vous en déplaise,
J’entends éduquer mes enfants à ma manière; sans égard pour vos lubies ou vos états d’âme…
Ne vous en déplaise
J’apprendrai à mes enfants que la religion appartient à Dieu et non aux théologiens, aux Cheikhs ou aux êtres humains.
Ne vous en déplaise
J’apprendrai à ma petite que la religion c’est l’éthique, l’éducation et le respect d’autrui, la courtoisie, la responsabilité et la sincérité, avant de lui dire de quel pied rentrer aux toilettes ou avec quelle main manger.
Sauf votre respect,
J’apprendrai à ma fille que Dieu est amour, qu’elle peut s’adresser à lui sans intermédiaire, le questionner à satiété, lui demander ce qu’elle souhaite, loin de toute directive ou contrainte.
Sauf votre respect,
Je ne parlerai pas du châtiment de la tombe à mes enfants qui ne savent pas encore ce qu’est la mort.
Sauf votre respect,
J’enseignerai à ma fille les fondements de la religion, sa morale, son éthique et ses règles de bonne conduite avant de lui imposer un quelconque voile.
Ne vous en déplaise,
J’enseignerai à mon jeune fils que faire du mal à autrui ou le mépriser pour sa nationalité, sa couleur de peau ou sa religion est un grand pêché honni de Dieu.
Ne vous en déplaise,
Je dirai à ma fille que réviser ses leçons et s’investir dans son éducation est plus utile et plus important aux yeux d’Allah que d’apprendre par cœur des versets du Coran sans en comprendre le sens.
Ne vous en déplaise,
j’apprendrai à mon fils que prendre le prophète comme modèle commence par adopter son sens de l’honnêteté, de la droiture et de l’équité, avant d’imiter la coupe de sa barbe ou la taille de ses vêtements.
Sauf votre respect,
je rassurerai ma fille que son amie chrétienne n’est pas une mécréante, et qu’elle cesse de pleurer de crainte que celle-ci n’aille en enfer.
Sauf votre respect, je dirai qu’Allah a interdit de tuer un être humain, et que celui qui tue injustement une personne, par son acte, tue l’humanité toute entière.
Sauf votre respect,
J’apprendrai à mes enfants qu’Allah est plus grand, plus juste et plus miséricordieux que tous les théologiens de la terre réunis, que ses critères de jugement diffèrent de ceux des marchands de la foi, que ses verdicts sont autrement plus cléments et miséricordieux.
Sauf votre respect …
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Ainsi donc Mehdi Meklat a déversé des tombereaux de merde sur twitter pendant des années, et ne les a jamais regrettés puisqu’avant de se faire pincer, il y a quelques jours, et de supprimer à la hâte quelque 50 000 tweets, il les y a gardés comme témoins de sa pensée hideuse. Tel un flic ultra-brutal surpris en train de torturer un citoyen au coin d’un mur ou un curé dénoncé par les enfants qu’il a violés, il s’est donc vite rajusté pour essayer de garder bonne figure et bonne place au sein de la société, et il a mêlé explications foireuses, apitoiements sur soi et arrogance secrète de qui se croit tout permis et se voit bientôt « pardonné » pour des actes qui après tout lui paraissent assez naturels.
Et de même que la police et l’église cherchent avant tout à préserver leur institution respective, de même les médias qui avaient porté ce sadique qu’ils avaient décidé bankable ont aussitôt… gardé le silence, puis, quand il leur est devenu trop difficile de continuer à se taire, ont déployé maint tour de passe-passe afin de faire apparaître la chose pour ainsi dire comme une aventure littéraire, faisant référence à des personnages de roman, relativisant les faits en les comparant avec d’autres sans commune mesure et présentant un jeune homme joueur et inconscient des risques qu’il prenait – pour un peu, le présentant comme la victime des réseaux sociaux scandalisés par ses incitations aux crimes racistes, antisémites, sexistes, homophobes, par meurtre, viol, violences. Le garçon n’était-il pas sympathique devant les caméras ? Ah, si on avait pu s’en tenir là, au lieu d’aller lui chercher des noises, tout ceci pour faire monter le Front National. Voilà où en est la presse de gauche.
Mise à part cette ignominie, je me demande : mais pourquoi donc se sont-ils entichés de ces deux jeunes hommes, Mehdi Meklat et son compère Badroudine Saïd Abdallah, dit Badrou, au point de les inviter et de les faire travailler partout, dans tous les médias et même dans l’édition et à la fondation Cartier ? Ont-ils vraiment quelque chose de si spécial ? Après avoir lu quelques-uns de leurs textes et visionné quelques-unes de leurs vidéos, ma réponse est clairement : non. J’ai aussi trouvé et lu en ligne quelques pages de leurs deux romans : néant. Il faut dire que c’est l’éditeur, Le Seuil, qui leur en a passé commande – et leur a donné les moyens d’aller écrire le premier à Istanbul, le deuxième à Los Angeles. Ce qui est juste hallucinant. Ce qui veut dire que ces deux jeunes hommes ont été récupérés comme des produits. Le produit « banlieusard des cités » (comme il existe pour les entrepreneurs à qui l’on passe commande d’abris pour les migrants, le produit « migrant »). L’être humain, en même temps que l’art et la littérature, transformé en produit. Voilà où en est la culture.
Dès lors il ne faut pas s’étonner qu’une rage antisémite, raciste, homophobe, misogyne, puisse être chiée par le produit et que ceux qui vivent du produit s’empressent tant bien que mal d’essuyer les dégâts et d’assurer que ce n’est rien. Rien qu’un dommage collatéral de la guerre contre la vérité menée à tout moment par ce que nous appelons la civilisation.
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Pour répondre à ce clip de promotion, Paris sans âme
Ils ont filmé ça, Paris sans femme
Une ville avec des vendeurs, des coureurs, des pêcheurs, des basketteurs, des gars dans le métro, des restaurateurs, des surfeurs, des serveurs, des musiciens, des bouchers, des poissonniers, des danseurs, des ping-pongueurs, un artiste peintre, des voix d’hommes, des pétanqueurs, et au milieu de tous ces hommes une boulangère, une fleuriste et quelques femmes photographiées vite fait. La presse se fait l’écho de cette initiative, et personne ne remarque rien, ne remarque qu’on n’y voit aucune femme qui fasse quelque chose à part vendre du pain et des fleurs. Incroyable vision de la capitale française, d’une ville du XXIème siècle.
« Le Sacrifice d’Abraham », Charles Le Brun, vers 1650-1655 (détail). Louvre Lens, exposition « Charles Le Brun, peintre du Roi Soleil ». Gregory Lejeune/Flickr
Les religions abrahamiques reposent sur le sacrifice consenti par Abraham de son fils. La fin heureuse rapportée au chapitre 22 de la _Genèse _, avec le remplacement in extremis de l’enfant par un bélier (objet de remplacement qui évoque davantage un mâle mûr, un père tyrannique, qu’un enfant), ne suffit pas à apaiser les consciences.
Le christianisme viendra apporter une justification supplémentaire à celles déjà données par la Torah en réaffirmant avec force que le sacrifice du fils, bel et bien « agneau » et non bélier, est la volonté de Dieu lui-même, identifié au père. L’islam reprend l’histoire biblique (Coran 37, 102-111) et tout en refusant vigoureusement son développement chrétien, la crucifixion de Jésus, trouve un autre moyen de racheter le geste d’Abraham, hautement loué dans le Coran comme acte de soumission à Dieu mais continuant à travailler souterrainement les consciences.
Abraham sacrifiant son fils est l’anti-Oedipe. Ces deux pôles du psychisme et de la pensée permettent de mesurer l’écart entre l’esprit sémitique et l’esprit grec. On ne peut considérer le meurtre involontaire de son père par Oedipe en faisant abstraction du sacrifice délibéré de sa fille par Agamemnon.
La tragédie grecque, telle une Dikè, équilibre les mythes et les fautes des hommes, égarements dont elle les purifie en leur enjoignant d’en assumer les conséquences, tout en les dédouanant de l’énormité de la culpabilité par la mise en avant du rôle des dieux dont ils sont les jouets – autrement dit le poids de la condition humaine, où l’horreur se compense par la grandeur, et où l’insoumission ou la soumission au destin se dépassent par l’affirmation de l’humain, de sa pensée, de sa volonté, de son aspiration à la lumière par-delà ses aveuglements.
Freud et le meurtre du père originaire
Freud a développé sa version du péché originel dans _Totem et Tabou _ :
« Un jour, les frères qui avaient été chassés se coalisèrent, tuèrent et mangèrent le père, mettant ainsi fin à la horde paternelle. […] Le père originaire tyrannique avait certainement été le modèle envié et redouté de chacun des membres de la troupe des frères. Dès lors, dans l’acte de le manger, ils parvenaient à réaliser l’identification avec lui, s’appropriaient chacun une partie de sa force. Le repas totémique, peut-être la première fête de l’humanité, serait la répétition et la commémoration de ce geste criminel mémorable qui a été au commencement de tant de choses, organisations sociales, restrictions morales et religion. »
Ce tableau saisissant, digne d’un Goya, tel un repentir de son Saturne dévorant un de ses enfants, n’est étayé par aucune étude anthropologique à ce jour, et plus que jamais largement contesté par la communauté scientifique. Il s’agit en fait d’une profession de foi.
Ce fantasme spectaculaire est l’aveu d’une croyance en la culpabilité de l’homme, indépassable car inscrite à jamais dans sa chair à travers les générations (rien à faire, le père a été mangé, la victime de ses fils, nous, habite dans notre chair, un peu comme, dirait Hugo, « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn »), doublée d’un assentiment au crime qui a été commis : puisqu’il a permis le développement de la culture.
La faute liée à la connaissance
Comme dans la Bible, la faute est liée à la science et au progrès. Adam pèche en goûtant, après Ève, le fruit défendu de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Le premier meurtre de l’histoire sera commis par l’un de leurs enfants. L’assassinat d’Abel par le cultivateur Caïn est un fratricide. La civilisation est désormais en marche, comme Caïn condamnée à courir le monde.
En déplaçant la culpabilité sur tous les fils alliés, Freud perpétue en sous-main le rejet de la faute originelle sur la femme (les frères agissant selon lui pour la possession des femelles, nous pouvons en conclure que le crime est la faute des femmes… comme le viol est la faute des minijupes), et élimine la possibilité du juste, de l’innocent (Abel) ou même, comme le figurent les Évangiles, du bon larron – le pécheur que son bon cœur rachète.
Alors que sa dernière fille était adolescente, Freud s’est-il résolu à inventer ce mythe originel jusque-là tenu caché sous son complexe d’Oedipe pour échapper à sa culpabilité de père ? A-t-il préféré s’investir dans la posture du père (de la psychanalyse) « mangé » par ses disciples ? Et plus largement, se reconnaître coupable, et avec lui toute l’humanité, d’un crime justifiable, commis en tant que fils envers un père tyrannique, plutôt que d’assumer les erreurs commises par tout parent envers ses enfants faibles et innocents, erreurs qui sont parfois des fautes, voire des crimes ?
Au cœur de la sourate de La Caverne
Le Coran, troisième ensemble d’écrits découlant du mythe abrahamique fondateur, a perçu ce risque fatal, cette chute de l’homme dans le nihilisme intégral, cette vision de l’homme comme indépassablement marqué par et pour la mort – nihilisme dans lequel, au nom de ces mêmes écrits, des hommes n’ont cessé ou ne cessent de tomber, en contradiction avec les solutions de guérison apportées par leurs textes.
Au centre phonologique du Coran, le verset 74 de la sourate La Caverne raconte le meurtre, par le guide de Moïse, sans raison apparente, d’un jeune homme rencontré en chemin. La situation est a priori l’inverse de celle présentée par Freud. Ici c’est un idéal de père, le « guide », l’esprit du patriarche, qui tue un jeune homme.
L’heureux dénouement du sacrifice abrahamique n’ayant pas suffi à libérer l’homme de sa culpabilité, au lieu d’essayer de l’en délivrer comme Freud en inversant le sens du sacrifice et en diffusant la faute dans toute l’humanité, ce qui revient à la fois à la condamner spirituellement et à lui éviter d’en assumer la responsabilité, comme dans les systèmes de délégation totalitaires, le Coran soudain la regarde en face et laisse au lecteur, via Moïse, le temps de la stupeur puis de la révolte devant une si monstrueuse iniquité.
Avant de dérouler une explication laborieuse, dont Voltaire se moquera de façon détournée : la mise à mort du jeune homme était destinée à l’empêcher de commettre les crimes qu’il aurait commis s’il avait vécu.
Le désir du meurtre (de qui ?)
D’un point de vue psychanalytique, nous retombons parfaitement sur nos pieds : le désir originel de meurtre ne vient pas du fils, mais du père. C’est lui qui, par conviction paranoïaque que l’enfant est habité par ses propres pensées criminelles, et par désir de les cacher au monde et à lui-même, tend à vouloir l’éliminer.
Voilà une leçon politique pour tous les âges : pris dans les rets du mensonge originel, qu’il soit religieux ou athée, des hommes réagissent en décidant de vouer l’humanité à la mort. De jardin et pour la vie, le monde est changé en cimetière. Aux jardiniers de débroussailler l’affaire, afin de la rendre vivable en neutralisant ses effets dévastateurs, pour les hommes et plus encore pour les femmes, éternelles suspectes à mettre sous voile ou tutelle.