« Toute la beauté avec toute la vérité ». « Le Monde est plein »

Tout à l'heure au jardin. Photo Alina Reyes

 

« Ce qui nous touche dans le monde antique, c’est son attente du Dieu inconnu. C’est Cicéron invoquant à l’heure de sa mort la cause des causes, causa causarum. C’est Platon décrivant le juste qui viendra : « Fouetté, torturé, mis aux fers, on lui brûlera les yeux ; enfin, après lui avoir fait souffrir tous les maux, on le mettra en croix… » Et, parlant encore de la pureté de l’âme et du corps, c’est Sénèque disant : « Notre Dieu et notre Père. » Et : « Que la volonté de Dieu soit faite. » C’est Virgile annonçant le siècle qui va venir : « Adspice, venturo laetantur ut omnia saeclo. » C’est Properce parlant le premier dans le monde latin de la pitié. Ce qui nous touche dans l’islam, c’est la part de vérité éternelle qu’il maintient. C’est la part qui lui est revenue du grand héritage judaïque. Et c’est qu’il est, comme le dit Nicole, une secte chrétienne, vue profonde dont on est bien assuré, lorsque l’on vient de lire le coran dans les terres mêmes des musulmans. Ainsi tout nous presse, tout nous donne de l’espoir, de l’assurance. De tous côtés nous sommes fortifiés. Mille reconnaissances lointaines nous mettent en sécurité et nous permettent d’attendre, dans l’amour, la conjonction fatale de toute la beauté avec toute la vérité. »

Ernest Psichari, Les voix qui crient dans le désert

 

Au jardin tout à l'heure. Photo Alina Reyes

 

LA JOIE (…) Plus que personne, le mystique souffre de la pulvérulence des êtres. (…) Partout, l’émiettement, signe du corruptible et du précaire. (…) Il faut avoir profondément senti la peine d’être plongé dans le multiple, qui tourbillonne et fuit sous les doigts, pour mériter de goûter l’enthousiasme dont l’âme est soulevée, quand, sous l’action de la Présence universelle, elle voit que le Réel est devenu, non seulement transparent, mais solide. Le principe incorruptible du Cosmos est désormais trouvé, et il est répandu partout. Le Monde est plein, et il est plein d’Absolu. Quelle libération !

Pierre Teilhard de Chardin, L’Humanité en marche

 

Tout vient

Photo Alina Reyes

 

La joie monte avec le temps sorti du temps
comme sort de la femme l’enfant.

La joie monte avec la paix, si grande,

longue et donnée comme une offrande.
Nuée du ciel, la joie avance,

beaucoup de chevelures dansent

sous la lumière qui leur pleut
et nous rimons avec heureux,

valsant tous dans la salle de bal.

 

Pure flamme pure

Photo Alina Reyes

 

Les sourds, les aveugles, les boiteux,
comment les feras-tu bondir au-dessus d’eux,
pure flamme pure, si d’abord tu ne leur éveilles
la jambe, l’oeil, l’oreille ?
Crois-tu qu’ils se laisseront faire ?
Leur corps opaque a peur et se terre.

J’irai avec mes petits dans les prés,
tendre la clé à ceux qui sont emmurés.
J’irai dire à mes père et mère au revoir
puis je dépasserai le soir.

Que dans mon long ruban d’or j’emporte
leur âme avec les autres à la dernière porte.

 

Marilyn Monroe, Celle qui buvait la lumière


portrait réalisé par Ben Heine

*

 

Marilyn Monroe. La vivante que les hommes voulurent capturer, et qui les captiva.

De toute son âme assoiffée, de tout son cœur d’enfant battant dans son corps de rêve, elle aima.

Son visage, sa chair buvaient littéralement la lumière.

Elle était éternelle, déjà. Les studios lui prirent son temps, pour en faire de l’argent.

Ils en eurent pour leur argent et au-delà. Toutes les puissances mauvaises, les mafias qui cancérisent le monde, tiennent l’industrie du spectacle et les hommes de pouvoir, les vampires qui se nourrissent du sang des vivants, la jetèrent, nue qu’elle était, nue qu’elle fut toujours, sur les chemins de ronces de leurs désirs malsains.

Pour sauver leurs apparences essayant de la prostituer aux peuples, qu’ils en fassent leur chose comme ils auraient aimé en faire la leur. Mais malgré les faiblesses du peuple, grâce à ses faiblesses aussi, l’esprit de l’amour reconnaît en son sein les apparitions de l’amour.

Contrairement à ceux qui la tuèrent, Marilyn n’est pas une apparence, mais une apparition. Elle a tout donné, elle donne tout d’elle, du plus humble, du plus misérable de l’humain en elle, au plus sublime.

Jetée aux enfers, loin de s’en trouver vaincue par la mort, elle y déclenchait un tremblement de terre et en ramenait la grâce, toujours plus de grâce, démultipliée pour nourrir des millions d’âmes dans des salles obscures.

Présentée en idole, casquée d’or, elle abat l’idolâtrie par la puissance de sa présence humaine, de son cœur de chair offert en toute libéralité.

Et maintenant elle réjouit les anges, ceux du ciel et encore nous autres, pauvres terriens qui voulons boire aussi la lumière et qu’elle transporte, un moment au moins, au ciel.

*

(petite introduction écrite sur la demande de l’éditrice stanbouliote de ma nouvelle Une nuit avec Marilyn en traduction turque)

 *

Action et contemplation vs puissances cyniques et séculières

Photo Alina Reyes

 

« Il n’y a pas contradiction entre action et contemplation, quand l’activité apostolique chrétienne s’élève au niveau de la pure charité. À ce niveau, l’amour de Dieu et l’amour de notre frère dans le Christ font qu’action et contemplation ne sont plus qu’une seule et même réalité. Mais le problème est que, si la prière elle-même n’est pas profonde, forte, pure, et pleine à tout moment de l’esprit de contemplation, l’activité chrétienne ne peut jamais parvenir effectivement à ce haut niveau.

Si notre culte tout entier n’est pas pénétré de l’esprit de contemplation – c’est-à-dire d’adoration et d’amour de Dieu par-dessus tout pour lui-même parce qu’il est Dieu – la liturgie ne nourrira pas un apostolat réellement chrétien fondé sur l’amour du Christ et exercé dans la puissance du Pneuma.

Le besoin le plus grand du monde chrétien d’aujourd’hui est celui de cette vérité intérieure, nourrie par un tel Esprit de contemplation : la louange et l’amour de Dieu, l’attente fervente de la venue du Christ, la soif de la manifestation de la gloire de Dieu, de sa vérité, de sa justice, de son Royaume dans le monde. Ce sont là toutes les aspirations typiquement « contemplatives » et eschatologiques du coeur chrétien et elles constituent l’essence même de la prière monastique. Sans elles notre apostolat est bien plus au service de notre gloire personnelle qu’au service de la gloire de Dieu.

Sans cette orientation contemplative, les églises que nous construisons ne sont pas pour louer Dieu, mais pour consolider les structures sociales, les valeurs et les avantages dont nous jouissons actuellement. Sans cette base contemplative à notre prédication, notre apostolat n’est pas du tout un apostolat ; il n’est qu’un pur prosélytisme en vue d’amener l’univers entier à se conformer à notre façon de vivre nationale.

Sans contemplation ni prière intérieure, l’Église ne peut pas accomplir sa mission de transformer et de sauver l’humanité. Sans contemplation, elle sera réduite à n’être que la servante de puissances cyniques et séculières, alors même que ses fidèles proclameront très haut qu’ils combattent pour le Royaume de Dieu.

Sans aspirations vraiment et profondément contemplatives, sans amour total de Dieu et sans une soif intransigeante de sa vérité, la religion risque de n’être, en fin de compte, qu’un narcotique. »

Thomas Merton, Les voies de la vraie prière, éditions du Cerf, pp 145-147

 

« Et ce monde n’est pas malpropre parce qu’il vit seulement mal en façade, mais parce que souterrainement et occultement il cultive et maintient le mal.
Le mauvais esprit est une goule aussi matérielle et aussi sûre que les méduses de la mer. »

Antonin Artaud, Textes écrits en 1947, in Oeuvres, Quarto Gallimard, p.1541

« Car ce n’est pas à force de chercher l’infini que Van Gogh est mort,
qu’il s’est vu contraint d’étouffer de misère et d’asphyxie,
c’est à force de se le voir refuser par la tourbe de tous ceux qui, de son vivant même, croyaient détenir l’infini contre lui ;
et Van Gogh aurait pu trouver assez d’infini pour vivre pendant toute sa vie si la conscience bestiale de la masse n’avait voulu se l’approprier pour nourrir ses partouses à elle, qui n’ont jamais rien eu à voir avec la peinture ou avec la poésie. »

Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, in Oeuvres, Quarto Gallimard, p. 1462

 

« Un beau geste m’a touché, profondément touché. Écoute. J’avais dit à mon modèle de ne pas venir aujourd’hui – sans lui avouer pourquoi. La pauvre femme s’est amenée quand même et, comme j’ai protesté : « Oui mais », m’a-t-elle répondu, « je ne viens pas poser, je viens voir si vous avez quelque chose à manger. » Elle m’avait apporté une portion de haricots verts et de pommes de terre. Il y a tout de même des choses admirables dans la vie. »

Vincent Van Gogh, lettre non datée in Lettres à son frère Théo, L’Imaginaire Gallimard, pp 169-170