Aveugles et damnés


On m’a persécutée réellement, assassinée et violée symboliquement, et on a fait croire que c’était moi l’assassin, on a travaillé des années durant à me culpabiliser, à me faire passer aux yeux des autres et à mes propres yeux pour une meurtrière et une prostituée – d’où le rêve qui inaugure Forêt profonde, puis la partie infernale du bordel. Tous les pervers agissent ainsi, ce n’est pas nouveau. Ce qui est triste, c’est que des hommes censés disposer d’un peu de discernement ne voient rien et les croient.

Dominique Venner, tourmenté par ce qui tourmente beaucoup d’autres hommes, a au moins eu la droiture et le courage de ne s’en prendre qu’à lui-même. Sa dernière lettre mentionnait « toutes les valeurs sur lesquelles refonder notre future renaissance en rupture avec la métaphysique de l’illimité » : c’est un discours inspiré d’Heidegger, et le même qui sous-tend le paganisme nazi. Voilà où mène la peur des espaces infinis, comme dirait Pascal, et le désir morbide de limites. Désir de limites dans le désir affolé de maintenir ou retrouver « la tradition », qui n’est autre en vérité qu’un désir de mettre des limites à sa propre folie.

Il faut vraiment considérer ce que signifie ce geste, ce suicide (derrière l’autel paraît-il – à la place du prêtre, donc ?) à Notre-Dame. Cet homme n’aspirait pas à une résurrection, mais à une « renaissance ». C’est pourquoi il est allé se mettre dans le ventre de Notre-Dame. Mais la renaissance qu’il appelait, nous le voyons, c’était un raté, un avortement, un meurtre, un néant. Comme s’il avait mieux valu pour lui ne jamais naître (cf Matthieu 26, 25).

 

Sanctifier

dans le jardin des Visitandines à Paris, photo Alina Reyes

 

Je commence juste à lire Le Sceau des saints, de Michel Chodkiewicz, et déjà je sais que la lecture de ce livre sous-titré Prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn Arabî s’annonce passionnante. Je le sais, car je suis obligé de m’arrêter pour contempler ce qui est dit. Si Dieu le veut, je vais le lire lentement et je ferai compte-rendu de cette lecture au fur et à mesure.

Michel Chodkiewicz s’est converti à l’islam à l’âge de dix-sept ans. Il était le directeur général du Seuil, éditeur de tradition catholique, quand mon premier livre y a été publié. À l’époque ce n’était pas un fait spectaculaire, le fait religieux n’était pas hystérisé comme il l’est aujourd’hui.

J’ai évoqué Ibn Arabî dans Voyage. Grand mystique, grand saint, grand penseur, et toujours très controversé. Un homme de la race des libérateurs. Le voici qui me revient, à la fois direct et par les chemins du temps qu’emprunte l’Esprit.

Cette nuit (je corrige, j’avais écrit « cet été ») j’ai voyagé en rêve, encore, à pied, par des chemins, des paysages, dormant dehors, reprenant le voyage au matin, et jusqu’au sommet d’une montagne d’où m’est apparue une vague gigantesque, montant jusqu’à ce sommet où mes compagnons et moi-mêmes nous nous tenions, et d’une couleur, d’une substance, d’une beauté absolument indicibles – et qui m’ont réveillée.

Aucune conciliation ni réconciliation n’est possible avec ce qui véhicule le mal. Ce serait trahir, de la plus haute trahison, ce serait s’attaquer aux piliers qui soutiennent l’univers et lui permettent de ne pas s’effondrer. Ce qu’il faut trancher, ce sont les racines, les radicelles et les terminaisons du mal, qui étouffent comme les mauvaises herbes les possibilités de sanctification des êtres humains. « S’il y avait plus de saints dans le monde, la lutte spirituelle y serait plus intense », écrivait Henri de Lubac dans Sur les chemins de Dieu. Oui, et alors l’issue de la lutte, la victoire, serait plus proche. Qu’en chacun et par chacun elle se rapproche, vienne, se renforce et, de proche en proche, s’étende.

Pour cela nous devons développer notre discernement, notre vision du bien et du mal. Afin de ne plus laisser abâtardir notre âme par les compromissions, voire les complaisances bien intentionnées, avec ce qui est trouble. Savoir remonter à la racine des actes et des paroles, distinguer ce qui vient du mal et ce qui vient du bon, c’est ce à quoi appellent depuis la nuit des temps les prophètes et les saints. Le monde s’est maintenu jusqu’ici et continue de se maintenir grâce à eux, et grâce à la multitude des saints invisibles, des âmes justes, pacifiques et pacifiantes, qui œuvrent chaque jour dans l’humilité de la vie quotidienne, qui œuvrent par leurs œuvres ou tout simplement par le fait d’être ce qu’elles sont.

 

Quand les morts sortent de terre

 

« Tout n’était que mensonge, de la tête aux pieds », dit Benjamin Murmelstein à propos de la vie dans le camp de concentration de Theresienstadt, dans le dernier film de Claude Lanzmann, Le Dernier des injustes.

De la tête aux pieds, un corps « comme si », un corps sans corps, une âme sans âme, une intelligence sans intelligence. Le dernier texte de Dominique Venner, sur son blog, se terminait par une référence à Heidegger, justifiant à ses yeux le fait de se donner la mort. Tout n’est que mensonge aussi, autour de Heidegger, dans un certain milieu qui fait la loi de la pensée en France. Deux ans après que j’avais intenté un procès à l’heideggerien Haenel, publié par l’heideggerien Sollers, pour le pillage de Forêt profonde (dont toute la partie « bordel » est un décalage des camps nazis – sur lesquels j’ai travaillé dans un autre roman), Lanzmann accusait Haenel, publié par Sollers, de falsification de son œuvre pour son livre sur Ian Karski – renforcé par le jugement de la spécialiste de la Shoah Annette Wieviorka, qui parla de « détournement de témoignage ». Tout n’est que mensonge dans l’occultation de la sympathie d’Heidegger pour le nazisme, et surtout dans le déni du nihilisme de sa pensée, où l’homme n’est qu’un « être pour la mort ». Le mensonge appartient à la mort, et l’heideggerien Venner a révélé le pot-aux-roses en se révélant en effet « être pour la mort ».

Révélation qui faisait dire hier à Mgr Jacquin, recteur de Notre-Dame que « c’était une scène apocalyptique ». Or il y a du mensonge encore dans l’interprétation que cet homme voulait donner de son acte. Celui que le mariage gay scandalisait se revendiquait du suicidé Mishima comme de Montherlant, écrivains homosexuels. Celui qui dénonçait la perte des valeurs et le nihilisme de notre temps avait passé son temps à adorer les armes et la guerre – il suffit de jeter un œil sur sa bibliographie, les titres sont éloquents. La vérité c’est qu’il a fini par aller au bout de son adoration quasi-érotique des armes à feu en se fourrant un canon dans la bouche et en tirant. La vérité c’est qu’il est allé faire cela dans Notre-Dame, lui qui se revendiquait païen, quelques heures avant la veillée de prière annuelle pour la vie, où il s’agit de prier pour la protection de la vie depuis sa conception jusqu’à sa fin entière. Et que faisant cela, il s’est en quelque sorte avorté et euthanasié lui-même, à la fois fœtus et vieillard, dans le ventre de Notre-Dame. La vérité c’est qu’il a menti, et d’abord comme toujours à lui-même, en prétendant faire cela pour sauvegarder les valeurs de vie.

Hier soir le cardinal Vingt-Trois, lors de cette veillée de prière, a rappelé une très belle chose – je le cite de mémoire : « nous n’aimons pas la vie comme une espèce de divinité étrange, mais parce qu’aimer la vie est le signe de l’amour entre les êtres ». Oui, il ne s’agit pas de vénérer la vie pour la vie, dans son caractère biologique, mais de savoir que lorsqu’on aime, on respecte et on protège la vie. L’homme n’est pas un « être pour la mort », un être pour le mensonge. L’homme est un être pour la vie, la vérité, l’amour. Nul ne peut servir deux maîtres. Une pensée mène au gouffre, une autre au salut. Et il en est ainsi de tout ce qui découle de l’une et de l’autre, et se répand invisiblement dans les âmes. Il faut choisir son camp, l’enjeu est crucial.

 

Un nouveau livre numérique : Forêt profonde

Forêt Profonde est ICI

 

« Il y eut aussi dans toutes les banlieues du pays ces trois semaines d’incendies de voitures qui mirent le feu aux médias, tous aussi avides d’ événements et de prémices de fin du monde, blogueurs et journalistes également excités par la possibilité d’une auto-destruction qu’ils n’osent accomplir eux-mêmes, pas plus que les racailles  des cités, les uns et les autres se tendant confusément le miroir sans oser se regarder face à face, espérant la sentence de leur dieu quel qu’il soit, quelque figure qu’il prenne, mais n’appelant par leurs actes ou leurs écrits que les misérables sanctions de la police à bottes ou de la police à parole, l’une et l’autre comme toujours, comme sempiternellement, dédiées au retour de l’ordre bien-pensant.

Que se passa-t-il ? Le bon Français ronflait et râlait sur ses lauriers fanés. Des barbares sans parole commencèrent à pulluler et à incendier, et des petits blancs morts-nés dans leur bouillon de culture se mirent à puruler, pousser des cris de chouette effraie sur le péril bronzé. Alors qu’ils sont eux-mêmes la décadence incarnée, confits de lettres aussitôt mortes qu’ingérées par leur organisme malade, et tout aussi embourbés que les barbares dans leur impuissance, leur sexe honteux, leur besoin d’argent, leur dépendance à une quelconque drogue, leurs dérapages violents, leur mal-être chronique, leurs appels dérisoires à des valeurs traditionnelles, leur manichéisme stupide, leur réflexe primaire d’en découdre, leur fantasme de se sentir enculé et d’enculer en retour, leur foi mauvaise, leur haine de la vie, de la joie, de l’amour, leurs pulsions de meurtre, leur désir d’en finir avec eux-mêmes, avec l’ennemi… »

Le geste de Dominique Venner, suicidé cet après-midi derrière l’autel à Notre-Dame de Paris, résonne comme un écho de ce désir dénoncé dans Forêt profonde, ce désir d’en finir avec soi-même et avec l’ennemi, résonne en écho tragique de tout Forêt profonde. Ce roman où la narratrice habite dans Notre-Dame à la fin du « temps des Ruines », d’où elle voit se construire les minarets autour du Sacré-Cœur. Ce roman qui est tout entier une charge et une peinture de l’état de la France et des causes qui l’ont conduite à cet état, la trahison et la débâcle des intellectuels et des politiques, figurés par le personnage de Sad Tod – et la perte du peuple, figuré par la narratrice. Il semble que Dominique Venner avait le même souci de la chute en train de s’accomplir. Son livre à paraître en juin porte en couverture une œuvre de Dürer que j’avais insérée à la page 19 de l’édition papier de mon livre : Le Chevalier, le Diable et la Mort. Pour la couverture, j’avais choisi La chasse dans la forêt, de Paolo Uccello, et D. Venner est l’auteur d’un Dictionnaire amoureux de la chasse. Tout cela compte, comme compte le fait que Forêt profonde ait été publié par Pierre-Guillaume de Roux, l’éditeur de D. Venner. Mais la réaction de D. Venner au constat de décadence était tout à fait différente de la mienne. Était même à l’opposé de la mienne, du moment qu’il était existentialiste et heideggerien, alors que je n’ai cessé, dans Forêt profonde puis dans Voyage (qui paraîtra dans quelques jours) de dénoncer les conséquences de l’existentialisme et du nihilisme fondamental de la philosophie d’Heidegger, si intéressants soient ses écrits.

Forêt profonde est un texte rude, qui débusque le mal dans ses retranchements, mais c’est un texte qui terrasse le mal, le désespoir, la mort. Et finalement, comme l’écrivit Pierre-Guillaume de Roux : « une montée, une élévation ; mieux, une assomption ».

Forêt profonde

 

Foi

 

Je reçois à l’instant un livre de mes photos, que j’ai fait faire via Apple, pour voir ce que cela pouvait donner. Eh bien, malgré le fait que toutes mes photos sont faites avec un modeste petit appareil, cela rend pas mal du tout. À suivre, donc.

« Je n’ai jamais vu des êtres humains aussi accomplis, aussi équilibrés, aussi bons, joyeux, intelligents et modestes », me dit-il l’autre soir, parlant de ses frères aînés. « Oui, répondis-je, je suis fière de mes fils ». « Tu peux ! », dit-il, sans songer un instant qu’il y était inclus.

Le vieux monde va mal, mais nos enfants nous donnent la foi, et nous font aller de l’avant.

 

Mes lectures du jour

 

« Toutes les adversités, accepte-les ; dans les revers de ta vie pauvre, sois patient ;
car l’or est vérifié par le feu, et les hommes agréables à Dieu, par le creuset de la pauvreté. »

Siracide 2, 4-5

 

 » [29] Dis-leur : «Mon Seigneur ordonne l’équité, comme Il vous ordonne de vous adresser exclusivement à Lui dans chaque prière, et de L’invoquer toujours d’une foi pure et sincère, car, de même qu’Il vous a créés pour la première fois, Il vous ressuscitera pour vous ramener tous à Lui, [30] aussi bien ceux qu’Il a mis sur la bonne voie que ceux qui ont mérité d’être égarés, pour avoir pris, en dehors de Dieu, les démons pour maîtres et alliés, pensant qu’ils étaient bien guidés.»
[31] Ô fils d’Adam ! Mettez vos plus beaux habits à chaque prière ! Mangez et buvez en évitant tout excès ! Dieu n’aime pas les outranciers.
[32] Dis : «Qui a déclaré illicites les parures et les mets succulents dont Dieu a gratifié Ses serviteurs?» Réponds : «Ils sont destinés en cette vie aux croyants et ils seront leur apanage dans la vie future.» C’est ainsi que Nous exposons clairement Nos signes à des gens qui comprennent. [33] Dis encore : «Mon Seigneur a interdit seulement les turpitudes apparentes ou occultes, le mal et toute violence injustifiée ; de même qu’Il a interdit de Lui prêter des associés qu’Il n’a jamais accrédités et de dire de Lui des choses dont vous n’avez aucune connaissance.»
[34] À chaque communauté humaine un terme est fixé ; et quand ce terme échoit, nul ne peut, ne serait-ce que d’une heure, ni le retarder ni l’avancer. »

Sourate Al-A’raf, Les Murailles (nouvelle traduction Tawhid).

Chouraqui traduit « Les hauteurs ». Al-A’raf, intraduisible correctement, désigne, d’après lire le Coran, un endroit surélevé entre le Paradis et l’Enfer, sur lequel vont se trouver des gens qui auront une vue sur les deux. (C’est là que Dante a dû aller ! – cela me rappelle le rêve que je fis dans ma grande jeunesse, où il m’était demandé de traduire La Divine Comédie).

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Bonne journée ! S’il pleut chez vous comme ici à Paris, que la pluie vous soit comme à moi béatitude ! S’il fait soleil, que le soleil vous soit béatitude ! Allez dans la grâce.