De la sujétion et de la liberté

 

L’homme est limité tant qu’il est sujet de la Loi. « Mais en vous laissant conduire par l’Esprit, vous n’êtes plus sujets de la Loi » (Galates 5, 18) Encore une fois, un exemple concret : si vous êtes sujets de la Loi, vous serez limités dans vos lectures. Certains textes vous seront interdits, d’autres vous demeureront incompréhensibles – ce qui revient au même. Si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous pouvez lire sans limites, vous pouvez voir la vérité dans tout texte de vérité, non comme vérité dans le regard de la Loi, le regard littéral, mais comme vérité dans l’Esprit, universelle, lumineuse et salvatrice par-delà les apparences (selon le regard de la Loi). Et il en est de même dans toute lecture qu’implique le fait d’être homme : lecture du monde, lecture de l’homme, lecture de l’histoire, des événements. La lecture est l’accomplissement de la Loi, elle est le regard, et le regard peut tout changer.

Bien sûr l’homme est limité, nous sommes limités, mais ne perdons pas de vue qu’il n’en est ainsi que parce que nous ne sommes pas accomplis. Cet « être limité » n’est pas vraiment un être, il concerne notre existence. Notre être réel, lui, est sans limites, s’il est en Dieu. C’est pourquoi, plutôt que de nous préoccuper d’exister, nous devons nous défaire de notre sujétion à l’existence, qui veut l’accomplissement de l’ego, nous devons nous tenir fermes dans l’être, fermes dans l’approfondissement de l’être, qui est amour – ce pourquoi plus nous descendons dans l’approfondissement, moins notre ego existe, et plus nous sommes amour, êtres accomplis – sans limites amour, communion, joie, paix – et porteurs de tout cela. « Vraiment libres ».

 

De la chute, mortelle, et de la descente, vitale

 

Le diable, le malin, est l’ange qui est tombé du ciel par orgueil. À l’homme aussi il arrive souvent de tomber de la même façon : refuser de se soumettre à Dieu, se croire plus fort, ou bien assez fort soi-même, c’est ce qu’on appelle le péché, c’est ce qui est la source de tous les péchés du monde. Il faut voir les choses très simplement : nous tombons sur le chemin si nous faisons les malins, si nous nous croyons plus fort que le chemin, si nous voulons ignorer la pente dans un chemin de montagne, si nous voulons ignorer le courant ou la crue dans un chemin d’eau, si nous voulons ignorer la circulation dans un chemin de ville, etc. Toutes ces situations physiques ont leurs correspondances spirituelles. Il y a une autre façon de tomber, c’est quand nous sommes poussés par un méchant ou un meurtrier, ou lorsque nous butons sur un caillou (un « scandale », c’est pourquoi Jésus a averti de ne jamais scandaliser un innocent, c’est-à-dire mettre sur son chemin un caillou pour le faire chuter), ou lorsque nous sommes accablés d’un poids que le monde a mis sur nous, comme la Croix sur le dos du Christ.

Mais en aucun cas tomber n’équivaut à descendre. Descendre n’est ni un péché ni une conséquence du péché, comme l’est tomber. Descendre est un geste d’amour. Dieu descend vers l’homme par amour. L’homme descend vers autrui et vers lui-même par amour de Dieu – même s’il l’ignore. Et si j’ai bien écrit que c’est tout au bout de la nuit que se trouve la lumière, il ne s’agissait en aucun cas d’une nuit du péché, ni d’une nuit de la perte de foi, ni d’une nuit du malheur, que nous en soyons responsables ou innocents. Mais de la nuit que constitue la descente. La descente n’est pas une chute. C’est dans la nuit al-Qadr et dans la nuit de Noël que descend la révélation de ce qui était caché, que vient la lumière de la vérité. Et quand l’homme par amour descend au fond de la nuit de l’homme, c’est dans la descente que se fait la mise à nu qui permet le passage dans la lumière.

« Lis ! » C’est le premier mot adressé par Dieu à son Prophète Mohammed. Mais lire sans descendre dans la profondeur du texte, sans descendre dans la profondeur de l’être en même temps, n’est pas lire mais mal comprendre et se tromper. La lecture est une ascèse, ou elle n’est pas. Lire engage tout l’être. Sinon, croyant lire et ne lisant pas, lisant superficiellement, l’être se perd par son erreur, répand l’erreur et la sème comme autant de scandales sur le chemin des innocents. De faux penseurs, voire de faux « mystiques » (à la façon de Georges Bataille) ont pu s’imaginer que le péché était une façon de trouver la vérité, la lumière et la grâce. Ils ont peut-être cru les trouver, alors qu’il ne leur venait que ces exclamations qu’on fait devant un feu d’artifice. « Pourquoi ? » demandait tout à l’heure Mgr Fouad Twal dans sa déchirante homélie de supplication pour le Moyen Orient, la Palestine, Jérusalem. Parce que les hommes, sur toute la terre, ne sont pas assez attentifs à distinguer entre le bien et le mal, et à rejeter le mal. Et ceci tout d’abord dans l’esprit. Car donner des gages à l’esprit du mal, ou se compromettre avec lui, c’est entraver le combat que l’Esprit Saint mène avec ses anges sur la terre comme au ciel. Tournons-nous vers le Miséricordieux, au ciel et en nous, accomplissons nuit après nuit, jour après jour, cette descente miséricordieuse qui est aussi ascension pour la Vie.

 

Au vrai chic parisien

Passant au milieu de la brocante, un couple très stylé !

J’y ai acheté une ravissante petite robe blanche à fleurs (5 euros mais du 36, il ne faut vraiment pas que je prenne un kilo !) et un foulard très joli, un peu style russe, pour aller en tout lieu où il est bon de se couvrir les cheveux.

Ensuite je suis allée respirer les roses à la Roseraie du Jardin des Plantes, chaque style de rose a son parfum propre, aller de l’une à l’autre comme une abeille c’est exquis, et puis la somme de leurs parfums monte et bouge à la plus petite brise.

Je me suis assise un moment, et voyant ma main sur ma jupe rose avec le micro-chapelet que j’ai presque toujours avec moi, j’ai eu envie de le photographier aussi.

 

Justesse


à Paris cet après-midi, Schola Cantorum, hôpital du Val de Grâce, monastère de l’Adoration, photos Alina Reyes

 

Le professeur de piano appelle la partition « le texte ». Assisté à la dernière partie du cours, exigeant, complexe, précis, joie parfaite d’entendre se mettre en place, se réaliser le texte par les doigts du pianiste. Ensuite à la chapelle long silence rayonnant, étendant ses ramures dans le cosmos. Al-Fatiha sortant sans bruit du cœur, ses derniers versets semblables aux paroles d’un professeur de musique, chez elle partout comme l’Hostie exposée, cercle blanc vivant, son cœur battant doucement, lumière, son cœur étant sa bouche, souriant et parlant doucement.

 

Onzième lecture

 

Qu’est-ce qu’on peut entendre comme bêtises. Des gens qui confondent tomber et descendre. Non, ce n’est pas du tout la même chose, c’est même tout le contraire. Dieu descend, le diable tombe. Des gens qui disent « on retombe tout le temps, c’est ça qui est merveilleux ». Non on ne retombe pas tout le temps, on peut tomber, se relever et ne plus retomber. On peut aussi ne jamais tomber, même si le pied trébuche souvent sur les chemins. Et pour ceux qui retombent tout le temps, cela n’a rien de merveilleux, c’est terrible, pour eux-mêmes et pour ceux qui sont autour d’eux. Des gens qui disent que Lazare est le symbole du « mourir à soi-même ». C’est complètement faux. Mourir à soi-même est bon et ne pue pas. Mourir à soi-même exhale un parfum de roses innombrables. Ce qui est arrivé à Lazare, c’est de se laisser gagner par la mort. C’est tout autre chose.

Tout cela dit en quelques minutes à la télévision. Par des auteurs de livres sans doute tout aussi pleins de faussetés. Et personne pour entendre combien c’est faux, combien on assomme les hommes de parole fausse. Partout, tout le temps. Le mal que cela fait, le mal que cela propage, le mal dont cela couvre la terre comme une énorme pollution dont on peut se demander s’il est encore possible de la sauver. Après le dernier enfant, « les hommes seront pareils à des bêtes », dit Ibn Arabî. Voilà où mènent les bêtises. Et Michel Chodkiewicz, à la toute fin de son livre Le Sceau des saints, ajoute :

« Alors aussi le Coran, qui est le « frère » de l’Homme Parfait, sera en l’espace d’une nuit effacé des cœurs et des livres. Vide de tout ce qui reliait le ciel à la terre, un univers glacial et dément s’enfoncera dans la mort : la fin des saints n’est qu’un autre nom de la fin du monde. »

Lisez bien cela, avant de dire n’importe quoi. Ignorants qui paradez dans le monde. Abrutis qui ne comprenez rien à rien. Vicieux qui vous trompez tout le temps. Pourris qui paradez dans les maisons de Dieu. Maniganceurs, fourbes et rusés qui vous posez en vrais. Inclinez-vous donc vraiment devant Ce qui est tellement plus grand que vous, inclinez-vous devant l’enfant dont la bouche dit la vérité, et servez-le plutôt que d’en faire le dernier.