La stratégie du choc, par Naomi Klein (13) La Russie en proie aux gloutons fébriles

00-illarion-pryanishnikov-the-french-retreat-in-1812-1874La Retraite française, une oeuvre d’Illarion Pryanishnikov

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« À peine deux semaines après que le comité Nobel eut déclaré la fin de la Guerre froide, The Economist conseillait à Gorbatchev de modeler sa conduite sur celle de l’un des meurtriers les plus infâmes de la Guerre froide. Sous le titre « Mikhail Sergeevitch Pinochet ? », l’auteur concluait que même si le fait de suivre ses conseils risquait de causer « une effusion de sang […], le moment était peut-être venu, pour l’Union Soviétique, d’entreprendre une réforme néolibérale à la Pinochet ». Le Washington Post alla encore plus loin. En août 1991, il fit paraître un commentaire coiffé du titre suivant : « Le Chili de Pinochet pourrait servir de modèle pratique à l’économie soviétique ». (…) Gorbatchev trouva bientôt sur son chemin un adversaire tout à fait disposé à jouer le rôle d’un Pinochet russe. (…) Eltsine était un glouton notoire doublé d’un gros buveur. » (pp 268-269)

« Ce que réclamait Eltsine, c’était le genre de pouvoirs exécutifs qu’exercent les dictateurs, et non les démocrates, mais le Parlement lui était toujours reconnaissant du rôle qu’il avait joué au moment de la tentative de coup d’État, et le pays avait désespérément besoin de l’aide étrangère. La réponse fut oui. » (p.270)

« Au bout d’une année seulement, la thérapie de choc avait prélevé un très lourd tribut : des millions de Russes de la classe moyenne avaient vu l’épargne de toute une vie être engloutie par la dévaluation de la monnaie ; en raison de l’élimination brusque des subventions, des millions de travailleurs n’étaient plus payés depuis des mois. En 1992, la consommation du Russe moyen avait diminué de 40 % par rapport à 1991, et le tiers de la population vivait sous le seuil de la pauvreté. Les Russes de la classe moyenne durent se résoudre à vendre des effets personnels sur des tables pliantes installées au bord de la rue – expédients désespérés qui, aux yeux des économistes de l’école de Chicago, signifiaient l’avènement de l’ « esprit d’entreprise ». » (pp 273-274)

« Eltsine, sûr du soutien de l’Occident, s’engagea de façon irréversible dans ce qu’on appelait désormais ouvertement la « solution Pinochet » (…) Comme il venait de doubler la solde des soldats, l’armée lui était pour l’essentiel favorable. Selon le Washington Post, il fit « encercler le Parlement par des milliers de militaires du ministère de l’Intérieur, des barbelés et des canons à eau, puis il interdit à quiconque de passer. (…) Une centaine de manifestants et un militaire furent tués. Ensuite, Eltsine abolit tous les conseils municipaux et régionaux du pays. La jeune démocratie russe était démantelée, pièce par pièce. » (pp 276-277)

Le Parlement finit brûlé par l’armée. « À la fin de la journée, l’attaque en règle des militaires avait coûté la vie à environ 500 personnes et fait près de 1000 blessés. Moscou n’avait pas connu une telle violence depuis 1917. (…) Kagarlitski se rappelle les propos du policier qui lui assénait des coups à la tête : « Vous voulez de la démocratie, espèce de fumier ? Nous allons vous en donner, de la démocratie ! » (pp 278-279)

« Les bénificiaires du boom ? Un club limité de Russes, dont bon nombre d’anciens apparatchiks du Parti communiste, et une poignée de gestionnaires de fonds communs de placements occidentaux qui obtinrent des rendements faramineux en investissant dans des entreprises russes nouvellement privatisées. Se forma ainsi une clique de nouveaux milliardaires, dont bon nombre, en raison de leur richesse et de leur pouvoir proprement impérial, allaient faire partie du groupe universellement connu comme celui des « oligarques » ; ces hommes s’associèrent aux Chicago Boys d’Eltsine et dépouillèrent le pays de la quasi-totalité de ses richesses. D’énormes profits furent virés dans des comptes bancaires à l’étranger, au rythme de deux milliards de dollars par mois. Avant la thérapie de choc, la Russie ne comptait aucun millionnaire ; en 2003, selon la liste du magazine Forbes, il y avait dix-sept milliardaires dans le pays. » (p. 281)

« Les effets du programme économique furent si brutaux pour le Russe moyen et l’aventure si clairement entachée par la corruption que la côte de popularité du président tomba sous les 10 %. ( …) En décembre 1994, Eltsine fit ce que de nombreux chefs d’État déterminés à s’accrocher coûte que coûte au pouvoir avaient fait avant lui : il déclencha une guerre. (…) et le ministre de la Défense prédit que son armée n’aurait besoin que de quelques heures pour vaincre les forces de la République sécessionniste de Tchétchénie. » (p.282)

« Dans le nouveau contexte de terreur, le fait que Poutine [Premier ministre] eut passé dix-sept ans au KGB (…) semblait soudain rassurer de nombreux Russes. Comme Eltsine sombrait de plus en plus dans l’alcoolisme, Poutine, le protecteur, était idéalement placé pour lui succéder à la présidence. Le 31 décembre 1999, au moment où la guerre en Tchétchénie interdisait tout débat sérieux, quelques oligarques organisèrent une discrète passation des pouvoirs d’Eltsine à Poutine, sans élections à la clé. » (p.288)

Multiplication énorme du nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté (2 millions en 1989, 74 millions dix ans plus tard), 3,5 millions d’enfants russes sans abri selon l’UNICEF, deux fois plus de consommation d’alcool, neuf fois plus de toxicomanes (soit 4 millions), deux fois plus de suicides, quatre fois plus de crimes violents, décroissance démographique spectaculaire… tels sont quelques-uns de maux recensés ensuite par l’auteur.

« La misère planifiée est d’autant plus grotesque que l’élite étale sa fortune à Moscou plus que partout ailleurs, sauf peut-être dans une poignée d’émirats pétroliers. (…) Le pillage d’un pays riche comme la Russie a exigé des actes de terreur extrêmes – de l’incendie du Parlement à l’invasion de la Tchétchénie. (…) Eltsine avait beau bafouer tout ce qui ressemblait de près ou de loin à la démocratie, l’Occident qualifiait son règne de « transition vers la démocratie », fiction qui ne se fissura que lorsque Poutine s’en prit à quelques-unes des activités illégales des oligarques. » (pp 290-291)

« Comme Adam Smith l’avait parfaitement compris, l’anarchie qui règne dans les territoires nouveaux n’a rien de problématique. Au contraire, elle fait partie du jeu, au même titre que la contrition et la promesse solennelle de faire mieux la prochaine fois. » (p. 297)

à suivre

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La vie adorable

Il pleut, j’aime la pluie. Il vente, j’aime le vent. J’ai marché dans la pluie et le vent, et sur des tapis de feuilles rousses. J’ai regardé des plantes pousser dans la fente d’un mur. J’ai le cœur plein d’amour et de rêve, j’ai le cœur en joie. Je pense à ceux qui sont sans abri, je pense à ceux qui souffrent, la compassion n’abolit pas la grâce. Je pense à ceux que j’aime, qui sont loin et que je ne peux pas aller voir, mais le jour viendra où nous nous retrouverons et la pensée des êtres aimés c’est encore du rêve et de l’amour. La grâce qui habite le cœur, qui se promène dans le corps, est physique et palpable comme le vent, la pluie, la terre sur laquelle je ne me lasse jamais de marcher. Toutes les saisons sont belles, et tant de personnes aussi. La vie, son baume jamais épuisé sur notre cœur. Il ne faut jamais oublier que le moment peut resurgir à tout instant d’adorer la vie, que la vie adorable est toujours là, prête, pour nous.

La stratégie du choc, par Naomi Klein (12) La libération entravée de l’Afrique du Sud

Greg Marinovichphoto Greg Marinovich

Chapitre 10. Naomi Klein y montre comment s’est refermé sur l’ANC le piège d’un pouvoir donné aux Noirs mais non sans avoir été enchaîné par les puissances de l’argent : s’ils bénéficient désormais des mêmes droits civiques que les Blancs, le « choc économique » imposé par des manipulations et une persuasion malhonnête, loin de les faire accéder à un mieux-être, les a davantage enfoncés dans les inégalités et la misère.

« En janvier 1990, Nelson Mandela, âgé de 71 ans, s’assit dans sa cellule pour écrire un message à l’intention de ses partisans. La missive avait pour but de clore le débat entourant la question de savoir si 27 années d’emprisonnement (…) avaient émoussé la volonté du chef de transformer l’économie de l’apartheid. Le message, qui ne comportait que deux phrases, trancha la question une fois pour toutes : « Nationaliser les mines, les banques et les industries en situation de monopole fait partie du programme de l’ANC, et tout changement ou toute modification à cet égard apparaît inconcevable. Nous soutenons et encourageons l’habilitation économique des Noirs, et celle-ci passe inévitablement par l’appropriation de certains secteurs de l’économie par l’État. » (pp 238-239)

« Malgré leurs divergences, toutes les factions du mouvement de libération s’entendaient pour dire que l’apartheid n’était pas uniquement un système politique régissant le droit de vote et la liberté de mouvement. C’était aussi un système économique qui se servait du racisme pour imposer un ordre extrêmement lucratif en vertu duquel une petite élite blanche tirait d’énormes profits des mines, des exploitations agricoles et des usines de l’Afrique du Sud parce que les membres de la vaste majorité noire n’avaient pas le droit de posséder la terre et devaient fournir leur travail à une fraction seulement de sa valeur – en cas de rébellion, ils étaient battus et emprisonnés. » (pp 240-241)

« Comme le résuma plus tard Mandela, « le Parti national essayait de préserver la suprématie des Blancs avec notre consentement ». (…) Pendant que se déroulaient ces négociation tendues entre rivaux, l’ANC préparait fébrilement ses membres à l’accession au pouvoir. Des équipes d’économistes et d’avocats du parti formèrent des groupes de travail chargés de définir les modalités précises de la transformation des promesses de la Charte de la Liberté, notamment dans les secteurs du logement et de la santé, en politiques concrètes. (…) Ce qu’ignoraient les militants, c’est que, pendant qu’ils planchaient sur leurs plans audacieux, l’équipe chargée des négociations économiques faisait des concessions qui rendraient leur mise en application strictement impossible. » (pp 244-245)

« Mbeki réussit à convaincre Mandela qu’il devait rompre définitivement avec son passé. L’ANC devait se doter d’un tout nouveau programme économique – un plan audacieux, percutant et spectaculaire qui indiquerait, en des termes que les marchés sauraient décoder, que l’ANC était prêt à adhérer au consensus de Washington. Comme en Bolivie, où la thérapie du choc fut concoctée en secret, à la manière d’une opération militaire clandestine, seuls les plus proches collaborateurs de Mbeki savaient qu’un nouveau programme économique était en chantier et que celui-ci était très différent des promesses faites aux élections de 1994. » (p.255)

« La thérapie de choc est toujours un pari risqué. Dans le cas de l’Afrique du Sud, ce fut un échec. » (p.256)

« Sooka, qui préside aujourd’hui la Fondation pour les droits de l’homme d’Afrique du Sud, dit que les audiences de la Commission, si elles ont permis de traiter ce qu’elle appelle « les manifestations extérieures de l’apartheid, comme la torture, les sévices extrêmes et les disparitions », ont laissé « totalement dans l’ombre » le système économique qui a profité de ces abus (…). Si elle pouvait tout reprendre depuis le début, dit Sooka, « je ferais les choses autrement. Je m’intéresserais aux systèmes de l’apartheid, dont la question agraire, et j’examinerais de très près le rôle des multinationales et du secteur minier, parce que, à mon avis, c’est là que se trouve la véritable source des maux de l’Afrique du Sud. […] Je me pencherais sur les effets systématiques des politiques de l’apartheid, et je ne consacrerais qu’une seule séance à la torture. Quand on se concentre sur la torture, me semble-t-il, on perd de vue les intérêts qu’elle sert, et c’est là que commence le révisionnisme. » (p.258)

« En fin de compte, l’Afrique du Sud a fait les frais d’une forme particulièrement retorse de réparations à l’envers : les entreprises appartenant à des Blancs qui ont réalisé d’énormes profits en exploitant le travail des Noirs pendant l’apartheid n’ont pas versé un sou en dédommagement, tandis que les victimes de l’apartheid continuent d’envoyer de généreux chèques de paie à leurs persécuteurs » (pour rembourser la dette et payer de confortables pensions à vie aux anciens fonctionnaires de l’apartheid qui ont préféré partir après la passation des pouvoirs). (p. 260)

« Plus de dix ans après que l’Afrique du Sud eut décidé d’opter pour le thatchérisme comme moyen d’assurer la justice par voie de percolation (…), le nombre de personnes qui vivent avec moins d’un dollar par jour a doublé (…) le nombre de personnes qui vivent dans des cabanes de fortune a augmenté de 50 %. En 2006, plus d’un Sud-Africain sur quatre vivait dans des cabanes situées dans des bidonvilles officieux, souvent sans eau courante et sans électricité. » (p. 263)

à suivre

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Peintres du jour

jean-serolle-tdu-c

Je suis allée voir dans son atelier un peintre, Jean Serolle, auteur de nombreux TDU, comme il les appelle – pour traits d’union. J’ai beaucoup aimé son travail. Il m’a dit qu’il s’inspirait des palissades qu’il y avait partout à Paris autrefois, autour des terrains vagues par exemple, et qui ont été remplacées par des grilles. Il cherche la couleur et la décline sur ses toiles qui finissent par ressembler à du bois, je trouve. J’aime le bois. Ensuite j’ai fait quelques photos en marchant.

12 34 5aujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes

Manifestants à Paris en 2014

12 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 42 43 44 45 46 47 48 495051Personnels hospitaliers, Marche pour la vie, Agents de nettoyage de la gare d’Austerlitz, Rassemblement des femmes avec ou sans foulard, Rassemblement contre les « chemtrails », Jour de colère, Manif pour tous, Manifestation pour l’Ukraine, Manifestations pour Gaza (juillet et août), Rassemblement pour Hervé Gourdel devant la Grande mosquée,

photos Alina Reyes