D’un cancer et de la grâce

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Pas dans le couloir

Des bataillons d’infirmières

Réveillent le jour

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Néons et savons

Combattant nuit et microbes.

Un jeu vidéo ?

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Télécommande

De mon lit ajustable

Jeu de positions

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À part le cancer, j’étais en pleine santé. Le cancer a été retiré, je suis en pleine santé.

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Cancer et Santé sont dans un bateau. Cancer saute à l’eau. Adieu, petit crabe ! Santé continue son voyage.

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Je n’ai jamais eu d’inimitié envers mon cancer. Mon corps l’a accueilli, il devait bien avoir ses raisons pour cela, et je ne les ignore pas. Puis mon corps a minci, et la tumeur s’est tenue sage, sans plus grossir. Je l’ai trouvée, il était temps de l’enlever. Adieu, petit crabe ! Un jour je quitterai le temps, moi aussi, pour l’océan.

J’ai été opérée à la Pitié-Salpêtrière, dans le service du Pr Lefranc. Voilà, c’est exactement ce qu’il fallait : le franc contre le faux, le franc des justes contre le faux des égarés. En chemin par les souterrains de l’hôpital, j’ai récité sur mon brancard la Fatiha, et la prière du cœur en russe. La nuit d’avant, j’avais contemplé, émerveillée, le plafond blanc. Dans un état de paix et de joie extraordinaires. Des idées me sont venues pour ma pièce, je me suis levée et pour ne pas déranger ma voisine de chambre, je suis allée les noter à la salle de bains. Adieu, petit crabe ! Re-bonjour, santé !

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Que n’embrassent les hommes le vaste océan,
Au lieu de former corde à laquelle ils s’accrochent,
N’ayant jamais porté le ciel ni les enfants
Et le regard hanté par leur mort plus que proche.

Plus que leur jugulaire, la mort est de leur âme,
De leur cœur, de leur corps, leur esprit, toute proche,
Prompte à nourrir la feinte et la manœuvre infâme.
Malheureux tout remplis de peur de ce qui cloche,

La vie ! Et de besoin de s’en venger. Allons !
Laissons sourdre et couler l’eau vive de la roche,
Sonnante, chantante, en joie comme pinson !

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Draps jaunes, drap bleu.

Bruit des chariots et des pas

Servant la santé.

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Vitres et couloirs,

Seringues et pansements,

Mon corps est en paix.

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Pluie sur le palmier,

Jour d’hiver à l’hôpital,

C’est bientôt Noël.

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Mon sein est rouge comme une tomate mûre.
Ouvert, il a livré, grenade, la tumeur
Qu’il avait abritée. La guérison est sûre,
Mes proches sont aimants, et j’ai la joie au cœur.

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Sous la pluie qui mouillait le palmier, O et moi sommes rentrés
à la maison.

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Rencontres

Soudain cette nuit ma pièce s’est présentée à moi, de façon saisissante. J’avais commencé à l’écrire sans savoir qui elle était, et voici, tout s’est passé comme si l’un de ces inconnus qu’on croise dans la rue s’était arrêté pour me tendre la main et me dire son nom.

J’entendais dire hier d’Hokusai : il était un peu bouddhiste, et surtout shintoïste. Comme Gandhi se disait hindouiste, et de toutes les religions. L’Occident souffre de sa rigidité. Ici les esprits sont cloisonnés, voire emmurés. Cette maladie a atteint aussi le Moyen Orient, où pourtant l’islam est né dans la plus grande libéralité, assumant et reconnaissant les monothéismes qui le précédaient, se tournant vers Jérusalem puis vers La Mecque sans pour autant se détacher de Jérusalem. Tout est possible, telle semble être la devise de l’Orient, tandis que la mentalité moderne semble proclamer : tout ce qui n’est pas contenu dans mes limites est hors de moi. L’homme moderne est borné, l’homme oriental est en voie et sait que tout peut se rencontrer en chemin.

Les prairies de la terre et du ciel sont pleines de fleurs variées, là est l’enchantement, là est la joie. Les baies empoisonnées je les laisse, les autres je les goûte, chacune selon leur goût. Le présent est omniprésent, fleurissant et fructifiant chaque jour de plus belle. Rien de ce qui est vivant ne m’est étranger. Cité de la terre et du ciel, je suis à jamais ton habitante et je te porte sur mon dos, baluchon et enfant, pain et habit de rechange.

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Sauvage

Longs chapelets de rêves splendides, sauvages, hier et cette nuit. Dormant sous une tente tout au bout de la Fin des Terres avec O, à côté de la grande tente ronde des oiseaux, leur campement. Par l’ouverture de la nôtre, je les contemplais, par l’ouverture de la leur. Le matin venu, dans sa lumière vivante, déchirante, arrivée d’une grande manifestation, là, jusqu’au bord de l’eau, de l’océan. Je prenais mon appareil photo dans notre voiture et je la photographiais. Je photographiais notamment l’un des manifestants, qui portait un panneau aussi grand que lui, tout écrit ; puis il me demandait si j’accepterais d’écrire un livre retraçant son engagement politique. La route nous attendait, O et moi, mais il n’était pas impossible de tout faire, cela restait à voir. Hier mes rêves se terminaient sur des noms de personnes et de lieux, que j’inventais, qui me venaient, nus, étranges et beaux comme du début du monde.

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