ce matin à Paris, photos Alina Reyes
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ce matin à Paris, photos Alina Reyes
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Juste avant que l’alarme de mon téléphone ne se déclenche, mon esprit a élaboré tout un rêve pour m’annoncer ce fait, en inventant un enchaînement de causes pour cela. Cela arrive tout le temps, presque tout le monde a cette expérience. Et très certainement le rêve survient non pas avant, comme il en donne l’impression, mais au tout premier instant où se fait entendre l’alarme. En une fraction de seconde, nous avons le temps de faire tout un rêve complexe et riche. Le temps, tout comme l’espace, est en vérité sans mesures, au sens où il dépasse toutes les mesures que nous en faisons. Un milliard d’années peut être aussi bref qu’une fraction de seconde, de même qu’un espace peut être tout à la fois extrêmement grand et extrêmement petit. C’est l’existence qui borne l’homme, et l’homme aime être borné, rassuré par des bornes. L’être est vivant, dans l’éternité. Celui qui voit la mort face à lui, au bout du chemin (ou celui qui refuse de la regarder parce que comme les autres c’est le terme qu’il s’est donné), vit dans une angoisse qui l’entraîne dans le faux, la dépendance intellectuelle, la compétition, le désir de meurtre symbolique ou réel. Ce qu’il nous faut, c’est apprendre aux hommes à dépasser la mort, non par la croyance dans une vie après la mort, qui implique encore la croyance en la mort, mais par la connaissance de la vie qui se vit éternellement. Il faut enseigner aux hommes qu’ils sont des êtres pour la vie. Il faut leur ré-enseigner à ne pas s’engager dans la voie qui voit la mort au bout, la voie nihiliste qui mène au malheur. La vraie vie n’a pas de bout. Elle n’est pas éparpillée non plus, elle n’est pas chaotique, elle est enclose en plénitude en elle-même, la vie. Elle n’a d’autres termes que la vie.
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Netanyahu continue à appeler les juifs d’Europe à aller s’installer en Israël. Comme si la situation était plus sûre là-bas, dans un pays dont il a largement contribué et dont il contribue largement à faire une bombe à retardement. S’il veut la sécurité pour les juifs, qu’il commence par s’en occuper chez lui. Cela ira mieux ensuite pour les juifs d’ailleurs aussi.
Inna Shevchenko faisait partie des intervenants de la rencontre sur la liberté d’expression à Copenhague. Tiens donc. La présence de la Femen issue des mouvements néo-nazis ukrainiens, et le fait qu’elle soit interviewée pour témoigner sur la fusillade par Elle, le magazine qui fit scandale il y a quelques semaines en promouvant l’image et la parole d’une autre Ukrainienne, ouvertement néo-nazie, ne gâchent-ils pas un peu le tableau de la réunion ?
Comme toujours, certains morts comptent moins que d’autres pour les médias et pour l’opinion publique. Les actes antisémites et les actes islamophobes ne trouvent pas le même écho, y compris quand ils font des morts – et des morts musulmans, il y en a eu plusieurs ces dernières semaines, en Allemagne, en France, aux États-Unis. Mais les morts qui comptent encore moins, ce sont les mortes. Pas un jour ne passe sans apercevoir au détour de la rubrique faits divers l’assassinat ou le viol d’une femme. Dans la quasi-indifférence générale. Tant la doxa de ces temps est que les êtres humains sont faits pour la mort, et pour la mort sans raison.
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« La rose est sans pourquoi », dit Angelus Silesius. La rose est « sans pourquoi » parce qu’elle est tout être. Le pourquoi appartient à l’existence, pas à l’être. « Hier kein warum », dit le tortionnaire à Primo Levi à Auschwitz. « Ici pas de pourquoi ». Il s’agit d’une inversion. D’une inversion de la vérité. Ce qui est vrai, c’est que tout Auschwitz est pourquoi. Est calcul, fabrication pour quelque chose, pour-quoi. Fabrication existentielle devant laquelle l’homme est écrasé par le pourquoi qu’il ne peut que poser. La vérité est : ici pas de « sans pourquoi ». Donc : pas de rose. Auschwitz appartient à la pensée heideggerienne d’un pour-quoi défini comme « pour-la-mort », de l’homme pour-la-mort. C’est pourquoi, écrit Primo Levi : « Si c’est un homme ». Et c’est une question, sans point d’interrogation.
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aujourd’hui à Paris 5e, photos Alina Reyes
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