Le rire de Don Juan

J’étudie bientôt Dom Juan avec mes élèves. Il faut débarrasser la lecture de cette œuvre de la moraline dans laquelle on la noie. Comment ? En trouvant Don Juan en soi. Je ne crois absolument pas à la fin de Dom Juan. Molière et les autres auteurs de ce personnage se moquent, sans doute. J’aime l’interprétation qu’en a faite le jeune metteur en scène Damiano Michieletto pour le Don Giovanni de Mozart : cela finit sur le rire de Don Juan, pas du tout avalé par l’enfer contrairement à l’armée des imbéciles, des poussifs et des impuissants que son seul regard abat. Je suis une Don Juan qui n’obéit ni aux spectres ni aux statues, qui ne prend ni les uns ni les autres pour des figures du Ciel, qui ne se rend pas aux invitations à bouffer de la pierre avec les morts-vivants, ou bien qui n’y va que pour savoir ce qu’il en est, sans manger à ce ratelier-là, auquel il fait aussi en sorte, à volonté, de ne pas être convié.

*

*

De l’implicite et de son dépliement, dans la littérature profane ou sacrée

nemoCette œuvre de Nemo est l’une des premières œuvres de street art que j’ai photographiées, il y a longtemps, avec un petit appareil jetable. Nulle végétation ne couvrait alors le mur de cette rue du 13e arrondissement de Paris (rue Le Brun). Maintenant, l’été, quand le feuillage abonde, on ne la voit quasiment plus. Je l’ai rephotographiée il y a quelques jours

*

J’ai pu contempler Vénus et Jupiter toutes proches depuis le RER, tôt ce matin. Puis, lors du premier cours de la journée, après avoir fait la synthèse de notre lecture analytique de l’incipit et de l’explicit de La petite Roque, avec le retournement qui s’opère de l’un à l’autre, j’ai fait remarquer à mes élèves de Seconde que la littérature traite les grandes questions du crime, comme les textes sacrés, et que ces derniers pouvaient et devaient être lus comme nous lisons la littérature, en dépliant leur sens. Je leur ai rappelé ce que je leur avais déjà dit de l’implicite (du sens « plié dedans », selon l’étymologie) et de l’explication (son « dépliement »), je leur ai dit les premières phrases, en hébreu, en arabe et en grec, de la Torah, du Coran et de l’évangile de Jean, en leur expliquant qu’elles commençaient toutes par un petit mot qui signifie « dans », ce même dans que nous trouvons dans le in (im) de implicite, et que cela signifiait que ces textes étaient aussi à lire non à la lettre mais par l’intelligence – en leur rappelant aussi la fois où je leur avais fait une petite démonstration de ce type de lecture à l’aide d’un éventail que j’avais apporté et montré plié, puis déplié.

Quel bonheur.

*

Du bon temps

Il pleut, il vente, il fraîchit – et il fait toujours beau. Entre deux paquets de copies à corriger ou deux cours à préparer, du bon temps de week-end pour marcher, bruncher avec son amoureux et des Américains joyeux, écouter la musique des musiciens qui jouent et saluer les jeunes passants qui vont et viennent à la maison, parler un peu, rire au moins autant, écrire rapidement sur internet avant de se glisser sous la couette et de se réveiller à l’aube de la nouvelle semaine, où l’on verra peut-être, en allant prendre les transports en commun, Jupiter et Vénus toutes proches dans leur pérégrination.

**

oeil

camion

jeu d'echecs

rideau tag

seth

metre paris

metre etalon

bateau ivre

ce week-end à Paris 13e, 5e et 6e, photos Alina Reyes

*

Le parfait amour

Depuis lundi, la rentrée, la grande joie.

Heures de cours, heures de bonheur.

Ça devient vraiment génial. Et ce n’est qu’un début.

Avec mes élèves je file le parfait amour. Je pèse mes mots.

L’amour socratique, l’agapé, sans une ombre au tableau.

Mes élèves ont du génie.

*

du RER, de jour

du RER, de jour

du RER, de nuit

du RER, de nuit

rer nuit

Aujourd’hui à l’aller et au retour du lycée, photos Alina Reyes

*

Roger Grenier, un homme rare

roger grenierJ’ai choisi cette photo de lui car c’est exactement le Roger Grenier que j’ai connu. J’apprends ce matin qu’il est mort hier à l’âge de 98 ans. Il fut mon éditeur chez Gallimard, après que j’eus quitté Sollers (qui voulait que je raconte ma vie, mes amours, et c’est tout – plus tard je l’ai fait chez un autre éditeur et là ça ne lui a pas plus du tout, d’où vengeance, déchaînement de la petitesse).  Roger Grenier était une grande âme humble et toujours émerveillée. Tout était sourire avec lui. Il y a plusieurs années que je ne l’ai pas vu, mais j’ai souvent pensé à lui, c’était mon rayon de soleil dans cette maison d’édition devenue mon ennemie. Lui m’a toujours reçue et m’a toujours écrit avec bienveillance, même quand j’ai été en procès avec Gallimard. Je jette ces phrases comme elles me viennent, sous le coup de l’émotion, pour lui dire en quelque sorte merci.

Cela a duré longtemps, toutes ces belles années où de temps en temps j’allais le voir dans son minuscule bureau, montant par le petit escalier en colimaçon sous les combles (hier matin j’ignorais sa mort mais j’ai posté une image du Philosophe en méditation de Rembrandt, avec son escalier en colimaçon, sur le blog que j’ai créé pour mes élèves – voilà comment l’esprit circule et agit, dépasse la mort). Il ouvrait la porte, son chien Ulysse était là (ou bien c’était un autre, qu’il gardait). Roger était un merveilleux conteur. Je prenais un plaisir fou à l’entendre raconter des épisodes de son enfance, de sa vie passée ou présente. Tout ce qu’il disait, il le disait en souriant. Enfant, il lui était interdit par ses parents de lire trop, comme aujourd’hui on interdirait à un enfant de trop jouer aux jeux vidéo (un art sans doute bien plus créatif que la littérature telle qu’elle se vend aujourd’hui sur les étals des librairies). Et bien sûr il lisait quand même, la littérature était en lui aussi naturellement qu’elle est en moi, nous avions cet oxygène en partage qui rend inutile de parler de littérature – il suffit de la respirer. J’avoue ne pas avoir lu ses livres, je ne peux donc pas en parler, mais c’est lui que j’ai lu, sa personne, directement, et c’était une personne hautement littéraire. Cela compte encore plus, je trouve. Nul chiqué en lui. Quand il a lu mon roman Lilith il m’a dit « c’est votre Zarathoustra ». Je ne lui avais pourtant pas parlé de mon amour d’adolescente pour Nietzsche. Il lisait en moi, aussi.

Ce type de relations purement littéraires, humbles, douces par-dessus la violence inévitable – c’est violent, la beauté, la littérature – est si rare.

*

Un bel article sur lui, sur sa vie si riche : ICI

*

capture d'écran de mon blog pour les élèves

capture d’écran de mon blog pour les élèves, hier matin

L’image était accompagnée de ces phrases de Bachelard faisant mention d’un grenier :

« Les mots – je l’imagine souvent – sont de petites maisons, avec cave et grenier. Le sens commun séjourne au rez-de-chaussée, toujours prêt au « commerce extérieur », de plain-pied avec autrui, ce passant qui n’est jamais un rêveur. Monter l’escalier dans la maison du mot c’est, de degré en degré, abstraire. Descendre à la cave, c’est rêver, c’est se perdre dans les lointains couloirs d’une étymologie incertaine, c’est chercher dans les mots des trésors introuvables. Monter et descendre, dans les mots mêmes, c’est la vie du poète. Monter trop haut, descendre trop bas est permis au poète qui joint le terrestre à l’aérien

*