ÉRECTA

j'ai ecrit avec mon sang,*

Ma tête est bleue comme une orange, me dit un jour Nelida, l’une de mes cousines, qui n’a pas le cerveau plus gros qu’un fruit. Ma foi, elle s’en sort avec ça, et pourquoi pas ? Les mâles, qu’ils soient singes ou hommes, ont-ils le sexe plus gros qu’une banane ? Non, et c’est pourtant le plus souvent avec ce bout de truc qu’ils pensent.

Moi, je suis Érecta, disons. Une « femme-debout ». Ma cousine n’est qu’une « femelle-étoile ». N’allez pas croire qu’elle parle comme vous, ni comme moi. Cela ne nous empêche pas de nous comprendre, de même que là vous pouvez m’entendre, alors qu’en fait je n’ai pas de parler, seulement de l’écriture.

Nous autres, hominidés qui vivons des millions, un million ou un demi-million d’années avant vous qui me lisez, nous n’avons pas encore de parler. Des cris, des borborygmes, des gestes, des mimiques… enfin, de quoi communiquer, ça, oui. Quelle bête n’a pas ce qu’il faut pour communiquer ? Seulement, tout ça se passe dans l’instant où ça se passe. Si moi, je peux vous dire quelque chose à des centaines de milliers d’années de distance, c’est parce que je suis en train d’inventer l’écriture.

Car oui, figurez-vous, l’écriture est venue avant le parler. Je vais vous dire comment c’est arrivé. C’était la première fois que le sang coulait entre mes jambes. J’ai senti, alors j’ai regardé. J’étais debout, j’ai regardé le fil rouge qui descendait lentement le long de ma cuisse. Et à l’intérieur de mon autre cuisse aussi, un peu plus haut. On aurait dit une bête vivante et douce qui se glissait entre mes poils.

Je me trouvais à ce moment-là un peu à l’écart du groupe. Je ne sais pourquoi, ce qui se produisait là m’a paru d’une inquiétante étrangeté. Je n’avais jamais vu ni les femelles ni les mâles du groupe paraître s’interroger sur ce phénomène, mais c’est ce que j’ai fait, moi. M’interroger. Je me suis assise, cachée dans les hautes herbes, et j’ai grand ouvert mes cuisses, pour mieux voir. Voir d’où cela venait, pour commencer. J’ai vu que ma fente était rouge, j’ai vu que cela venait de là. Du dedans, qu’on ne voit pas.

J’ai commencé à toucher, pour essayer de voir avec mes doigts ce qui était invisible pour mes yeux. Et cela s’est révélé agréable, très agréable. Décidément, j’allais d’étonnement en étonnement. J’aurais voulu continuer, explorer encore, mais les herbes et les feuilles se sont mises à faire du bruit, pour me prévenir : « attention, quelqu’un arrive ! »

Je ne me suis pas relevée, j’ai filé à quatre pattes dans la haute végétation, à l’abri des regards. Vous trouvez peut-être bizarre que je puisse décrire tout cela alors que le parler n’a pas été encore inventé. Mais ce n’est pas parce que les herbes me cachent que je n’y suis pas. Et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de parler qu’il n’y a pas de pensée. Vous autres avez tout oublié. Les animaux et nous, même si nous n’avons pas de parler, nous savons très bien distinguer ce qui nous entoure. Bien mieux que vous ne le feriez si vous reveniez dans la forêt ou ailleurs dans la nature. Là, j’emploie un langage très simplifié afin que vous puissiez suivre, mais rien ne vous interdit de faire l’effort de vous représenter la richesse des sensations que nous éprouvons dans les échanges avec notre environnement, les animaux et nous, vos ancêtres. De l’imaginer, ou pour dire plus vrai, de vous le remémorer. Car vous le savez bien, tout cela est en vous. Comment quelques petits millions d’années auraient-ils pu l’effacer ? Comme nous, vous avez bien plus ancien que cela dans votre mémoire. Des atomes nés au début de votre monde vous constituent, et vous savez, comme tout ce qui est le sait, tout ce qui s’est passé depuis des milliards d’années. Nous savons tous tout. Seulement notre mémoire a été dispersée en nous et dans le monde comme dans un labyrinthe, dont nous n’avons pas encore trouvé le plan.

Les grandes herbes faisaient sliiish ! et sluish ! et slash ! sur mon passage. La terre devenait boueuse, élastique sous la plante de mes pieds. J’ai continué à descendre vers la rivière. C’est l’heure où les fauves vont boire, mais je n’ai pas peur des fauves. C’est l’heure où les gazelles vont boire, mais les fauves eux aussi sont occupés à boire et les gazelles n’ont pas peur. C’est l’heure où les crocodiles s’approchent subrepticement des rives, la tête et le corps cachés sous l’eau, fourbes qu’ils sont, pour essayer de se saisir de ceux qui vont boire. Si le crocodile veut m’attraper, je sais ce que je ferai : je planterai un bâton dans sa gueule ouverte. Il n’a pas de mains, il ne saura pas le retirer. Le bâton verdira, poussera, se transformera en arbre qui arrachera la gueule du crocodile et le tuera à tout jamais, même pas bon à transformer en sac à main pour femme riche dans quelques centaines de milliers d’années. Ou bien je prendrai une pierre cassée, coupante, et je la lui enfoncerai dans le ventre, là où il est fragile, là où nulle carapace ne le protège. Je lui tordrai les couilles, je les lui arracherai. Si je les trouve. Et s’il en a. En tout cas, il ne me mangera pas.

Je dévale la pente, j’arrive à la rivière. Les berges sont désertes, l’heure n’est pas encore venue, ou bien elle est passée. J’écoute. La marche de l’eau. Sa course, sa danse. Son chant. L’eau parle, je le sais même si moi je n’ai pas encore de parler. J’écoute l’eau parler. Je m’accroupis, je me replie sur moi comme l’enfant dans le ventre de sa mère pour écouter l’eau parler.

L’eau parle et je pense, le visage dans l’ombre de ma chevelure je pense au monde, au ciel, à la terre, à l’eau, aux animaux, aux plantes, à ceux du groupe qui me cherchent peut-être. Pourquoi ne suis-je pas avec eux, pourquoi suis-je à l’écart ? Pour avoir voulu comprendre d’où le sang venait. Et moi ? D’où est-ce que je viens ? Je relève la tête, je regarde le ciel au-dessus des arbres, je regarde la rivière, je regarde la glaise sous mes pieds. J’éprouve le sentiment de la beauté. De la vie. J’entends battre mon cœur. Je sens que quelque chose me touche, je ne sais pas quoi. Tout mon être se soulève, de joie, de gratitude. Quelque chose pousse un cri qui déchire tout, qui m’appelle. Je tends mon doigt dans le vent qui se lève, je le baisse, je l’enfonce un peu dans la terre mouillée, je trace un trait. Je fais des points, d’autres traits. J’ai changé d’état. Je lévite. Tous les bruits de la nature se sont fondus en une seule rumeur d’amour. Je continue à écrire, dans l’immense douceur de la vie.

À l’amont de l’écriture se trouve la pensée, à l’aval, le parler. Une inquiétude me prend, je sens que là, du côté où le soleil se couche, il y a un corps. Un petit corps d’enfant. Un petit corps d’enfant mort.

Je me relève, je marche dans le sens de la rivière, dans le sens où va l’eau. Étrangement les autres ne me manquent pas, je désire prolonger ce temps de solitude, sans lequel je ne trouverais pas l’enfant. Si les autres savaient que je suis passée sans eux de l’autre côté du temps, ils ne seraient pas contents. Mais si je m’absente trop longtemps, ils risquent de ne plus vouloir de moi. Je marche jusqu’à la proche boucle de la rivière, et je remonterai vers eux. Même s’ils se sont déplacés, les traces de leur passage dans les herbes et leur odeur dans l’air me conduiront à eux.

Voilà l’enfant. Je m’approche de lui, je le touche. Il est couché sur le ventre, la tête sur le côté, les bras le long du corps, paumes tournées vers le ciel, comme souvent dorment les tout-petits. Je voudrais qu’il ne soit pas mort, mais il est froid. La chaleur l’a quitté, son sang ne court plus sous sa peau, mais moi je ne suis pas d’accord, je veux qu’il soit vivant.

Je prends le bébé dans mes bras, je le serre dans mes bras, qu’il prenne ma chaleur. Assise, je me balance avec lui d’avant en arrière, d’arrière en avant, au rythme des incantations qu’il y a dans ma tête. Au rythme des sons qui chantent les traits, les points que j’ai inscrits tout à l’heure dans la terre. Le petit corps est pressé chaque fois entre ma poitrine et mes genoux, et voilà que soudain de l’eau sort de sa bouche, d’un jet. Je continue, pousse de mon corps sur son cœur. Pousse Érecta, pousse sur le petit corps, doucement, fort et doucement, encore. L’eau s’éjecte une nouvelle fois, ses poumons se libèrent, il aspire l’air, il crie, il est vivant !

Je me lève, le bébé dans les bras. Un bébé déjà grand, maintenant qu’il n’est plus inanimé je peux le caler sur ma hanche, il y tient.

Cet enfant n’est pas des nôtres, si je reviens avec lui les mâles dominants vont vouloir le tuer ou le manger. Et les autres s’écarteront de moi ou regarderont ailleurs, même celles et ceux qui voudraient bien garder l’enfant. Car les autres, quand ils ont peur, se soumettent aux dominants. Et ils ont souvent peur.

Je pense à ma cousine Nelida, peut-être devrais-je aller plutôt parmi les siens avec mon bébé. Le jour où elle m’a présentée à son groupe, aucun d’eux n’a fait preuve d’agressivité envers moi, bien que j’y fusse une étrangère. Ils forment une famille plus pacifique et douce. Peut-être nous accueilleront-ils, mon enfant et moi, nous, les grosses têtes ? Oui, c’est ce que nous ferons, mon bébé et moi. Demain, dès que le jour sera levé, nous nous mettrons en chemin, je chercherai les traces de Nelida et des siens, et nous commencerons une nouvelle vie, parmi le peuple des étoiles.

Pour l’instant le soir tombe et nous rejoignons un abri que moi seule connais. Dans l’ombre de notre chambre étroite, couchée avec Sapienza, première du nom, entre les vivants feuillages, je sens monter le lait dans mes seins de vierge, tandis qu’elle tète.

Alina Reyes (inédit)

Quelques photos et réflexions

En France, une musulmane est empêchée de chanter. Non par quelque fatwa, mais par le décret religieux de la République, qui n’admet qu’une seule façon de penser et de s’habiller. Affaire lamentable de Mennel conduite par la pression à quitter l’émission The Voice. Parce qu’elle porte un turban dans les cheveux, on fouille son compte twitter – sans s’interroger sur les opinions des autres candidats, comme l’a fait remarquer Rokhaya Diallo. Comme sur n’importe quel autre compte twitter, on y déniche une parole trop vite écrite. C’est bien connu, les chanteurs de variété sont de profonds philosophes et d’excellents politologues, ils mènent une vie irréprochable – toutes raisons pour lesquelles on les célèbre – du moment qu’ils ne sont pas musulmans. L’antisémitisme revient au galop en Europe, nous dit-on. Oui, et l’islamophobie est sa forme la plus répandue et la plus consensuelle.

En 1990, le merveilleux André Chouraqui, ancien maire de Jérusalem, disait à Apostrophes : « tous les chemins mènent à La Mecque ». Il en savait quelque chose, lui qui avait magnifiquement traduit la Bible, l’Évangile et le Coran en français. Les chiens aboient, la caravane passe.

Dansé hier – une heure et demie de joie du corps savante. Rêvé cette nuit que par une baie vitrée, à Édimbourg, je contemplais les allées et venues de grands animaux fantastiques et magnifiques sur les toits.

Ce matin, il neige de nouveau.

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immeuble

selfie

rue nuit

neige fenêtreces jours-ci à Paris, photos Alina Reyes

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Sainte neige (en texte et en images)

La météo annonçait moins 8 au vent, mais dans la neige, de ravissement, souvent le corps chauffe et ne sent pas le froid, seulement une exquise douceur. La neige rend tout à la beauté, à la pureté, à la paix, à la joie. De quoi semer la pagaille en France, où l’on n’a de dieu que l’Être suprême (le bourgeois blanc avec ses habitudes, son confort et ses mœurs que rien ne doit déranger, ni une autre façon de penser, ni une autre façon de se vêtir ou de se coiffer, ni une autre façon de parler, ni quelque changement de temps que ce soit), dieu extrêmement jaloux, autoritaire et ridicule, qui interdit qu’on prenne les dispositions raisonnables pour s’accommoder de ce qui vient. Un affolement du Citoyen Psychorigide assez réjouissant aussi, face à la supériorité tranquille de la neige. Je suis sortie la goûter ce matin :

 

neige paris 1Dans la cour de l’immeuble, O déneige son vélo

*neige paris 2Devant le collège, c’est bataille de boules de neige

*neige paris 3Le boulevard Saint-Marcel est bien calme

*neige paris 4

neige paris 5Autos et motos en manteaux blancs

*neige paris 6Le jardin des Plantes a fermé ses grilles

*neige paris 7La pub disparue sous l’amour

*neige paris 8J’aime cette montée enneigée de la mosquée

*neige paris 9Salut, toi !

*neige paris 10La cour intérieure de la mosquée est plus belle que jamaisneige paris 11

neige paris 12

neige paris 13Intérieur, extérieur, la mosquée est belle de partout

*neige paris 14Et toujours les enfants jouent avec la neige

*neige paris 15Tout a un air de fête

*neige paris 16Encore la mosquée, dans tout son déploiement, face au jardin des Plantes (le bâtiment à l’arrière-plan à droite de l’image, c’est la bibliothèque où souvent je travaille)

*neige paris 17À la Sorbonne nouvelle (où je travaille aussi parfois), on fait aussi des bonhommes de neige

*neige paris 19Jour de noces pour la végétation aussi

*neige paris 20Le square Scipion est hortus conclususneige paris 21tout aussi enféérisé

*neige paris 22en face, dans la cour de l’hôtel Scipion, un selfie en reflet et encore une aire de jeuxneige paris 23Ce matin à Paris 5e, photos Alina Reyes

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Ce que la nuit déchire

neige 2

neige

neige 3

neige 4

neige 5

neige 7

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Les étoiles sont parties au pacage

la mer étale ses bras, la forêt dresse ses cous

Ni les plantes ne fléchissent

ni le poisson ne répond

ni le moineau ne s’effarouche

Le jour porte une chemise que va déchirer la nuit.

 

Adonis, L’odeur du temps (extrait, traduit de l’arabe par Anne Wade Minkowski et Jacques Berque)

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La semaine dernière, une nuit, j’ai rêvé que j’entrais dans un film en train d’être tourné par Bunuel, avec Dali en acteur raide et assez ridicule dans un lit, et que je transformais tout cela en réalité.

Après avoir dormi une quinzaine d’heures par jour pendant quelques jours sans mettre le nez dehors, c’était bon de ressortir aujourd’hui pour la première fois dans la petite neige.

Aujourd’hui au Jardin des Plantes, photos Alina Reyes

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Sous Sarkozy, sous Hollande, sous Macron : la France, toutou de l’Amérique plouc

Whatshisname-jeff-koons-chien-cacaparodie du chien de Jeff Koons par l’artiste anglais Whatshisname

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Jeff Koons pète et fait caca partout. Il décide de fourguer à Paris ses habituelles tripes boudinées pleines de cash dématérialisé, pleines de néant puant ? Macron et Hidalgo ouvrent les bras comme s’ils étaient des cuvettes de chiottes pour les recevoir, et s’en disent honorés. Jeff Koons offre l’idée (un bouquet de tulipes en acier de 33 tonnes) mais pas les moyens pour la réaliser, paiera qui pourra – des mécènes, nous dit-on, mais peut-être bien que l’argent public devra être de la partie, d’une façon ou d’une autre. On va donc défigurer un bel espace parisien avec cet énorme machin, emblème de la soumission de nos dirigeants aux États-Unis dans ce qu’ils ont de plus moche ou de plus con. Tout ça pour honorer les morts des attentats. Faites gaffe, Macron, Hidalgo & co, ils pourraient bien se retourner dans leur tombe et venir vous tirer par les pieds.

 

macron obey

 

Piketty l’a dit, « Trump, Macron : même combat ». Une Marianne d’Obey trône dans le bureau de Macron et s’impose au regard des Français quand il leur parle, notamment lors de la présentation des vœux. Là aussi il s’agit d’un cadeau de cet artiste américain à l’occasion des attentats. Macron obéissant l’a aussitôt affiché à la place royale. Certes c’est ce même Obey qui avait réalisé un portrait fameux d’Obama, mais est-ce une raison pour manger ses restes ? Puisque le président français est censé représenter les Français, ne pouvait-il garder son Obey dans sa collection privée et offrir à ses concitoyens la vue d’une œuvre d’un artiste français ? Il n’est pas difficile d’en trouver de bien plus grands et intéressants que le lisse Obey. Pour ne pas faire de jaloux parmi les vivants, et pour rester dans l’esprit street art contemporain, pourquoi pas le génial Bilal Berreni, alias Zoo Project, Français mort en 2014 à vingt-trois ans d’une balle dans la tête aux États-Unis, à Detroit où il était allé pour témoigner par son art de sa solidarité avec les habitants de cette ville tombée dans la faillite, la misère, le crime – après avoir, toujours par son art, accompagné la révolution tunisienne puis la crise des réfugiés en Libye. Voilà qui aurait du sens, du vrai sens.

 

zoo_project_bilal berreniautres œuvres de Bilal Berreni : à voir ICI

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Roms, migrants, immigrés, pauvres : stop aux faux procès à l' »étranger »

solitudes 3,*

L’autre jour, un peu avant sept heures du matin, entre la Comédie française et l’Opéra, j’ai vu depuis le bus toute une famille se lever dans le froid et la nuit. Les parents pliant les sacs de couchage, les enfants rajustant leurs vêtements propres et soignés, peut-être s’apprêtant à partir à l’école après avoir mangé quelque chose – du moins est-ce ce que j’ai espéré. Cette semaine il va faire vraiment très froid pour tous ceux qui dorment dehors. Des familles roms, des réfugiés, d’autres personnes sans abri. Il y a un autre monde dans le monde, une autre ville dans les villes : un monde sans toit, une ville sans pitié.

Toutes ces personnes à la rue forment un Dreyfus géant. Le Dreyfus de ce début de XXIe siècle, tel l’apatride, le juif errant, est puni par les assis, comme dit Rimbaud, pour une faute inconnue, comme dit Kafka, ou pour une faute qu’il n’a pas commise, comme dit Zola. « Sortir du piège », préconise courageusement Anne Sinclair, demandant à Macron de cesser de persécuter les migrants et d’inventer plutôt une véritable politique, en accord avec l’Europe. Souvenons-nous des conséquences gigantesques de l’affaire Dreyfus, des dizaines de millions de morts qui s’ensuivirent, et cessons de fabriquer de faux procès pour stigmatiser l’étranger, intérieur ou extérieur.

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Tariq de Sade, marquis de Ramadan

Sade par Man Ray

Sade par Man Ray

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Tels les marquis enfarinés et emperruqués d’antan, les privilégiés de ce monde en pleine révolution (contre-patriarcale) attirent par leur brillant de surface et plus profondément, par la compassion que leur misère suscite. Car derrière la poudre aux yeux jetée, ce sont des trous, des corps sans être, sans vérité, sans vie. Une jeune écrivaine raconta il y a quelques années comment son amant, célèbre présentateur télé, lui pissa dessus dans la baignoire. Elle ne dit pas qu’il y eut viol, mais comme dans l’un des viols dont est accusé Tariq Ramadan, le geste est emblématique de ce genre de personnages dont toute l’existence consiste à faire d’eux-mêmes des idoles, des choses mortes, pour lesquelles les vivants seront aussi des choses – qu’ils marqueront comme des chiens, animaux domestiques par excellence. Comme l’a très bien vu Man Ray, Sade est emmuré en lui-même. Faire du mal et souiller est leur satisfaction, qu’ils exercent en quelque sorte poliment, derrière des murs, à l’abri des regards et en prenant garde à ne pas saccager la pièce, contrairement à certains rockers peu soucieux de leur bonne réputation et peu respectueux du ménage.

La théologie dans le boudoir. L’enjeu autour de Tariq Ramadan est trop politique pour que les articles et les accusations soient tout à fait nettes. De sa victime que les médias ont affublée d’un prénom grossièrement chrétien, Christelle, bien qu’elle soit musulmane (serait-elle également victime d’une guerre idéologique via les médias ?), « À 14 ans », nous dit-on dans Vanity Fair, « elle est marquée par sa lecture du Prince de Machiavel, «  pour sa lucidité froide et mathématique sur le fonctionnement des êtres humains  ». À 15 ans, par Le Discours de la méthode de Descartes et L’Art de la guerre de Sun Tzu.» Ah. OK. C’est un article de journalisme, ou une fiction plagiant notamment la scène de roman évoquée plus haut et présentée comme un article ? Les initiales de Fake News sont FN, tiens.

Quoi qu’il en soit, un fait au moins est tout à fait certain : il y a plusieurs années j’ai vu sur Facebook une photo de Ramadan en caleçon assis sur un lit, prise par l’une de ses conquêtes de passage (c’était peut-être déjà Henda Ayari) : Ramadan est un Tartuffe, c’est-à-dire si l’on suit bien Molière non seulement un hypocrite mais aussi un manipulateur et abuseur qui opère en se faisant aduler.

J’ai décrit ce genre de marquis mort-vivant dans un livre, Forêt profonde. Ceux qui sont condamnés, pour une raison ou une autre, à ne déchaîner leur violence que mentalement sont aussi légion, et au moins aussi malfaisants. La révolution des femmes et des hommes avec les femmes se charge de les faire tomber, les uns aujourd’hui, les autres un autre jour.

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