Crète : La Canée en images

J’ai élu spirituellement domicile en Crète alors que j’étais toute jeune collégienne, puis dès que j’ai pu, à l’âge de dix-sept ans, j’y suis allée. J’y suis retournée quatre ans plus tard avec homme et bébé, et depuis tout ce temps-là je n’y étais pas revenue, quoique je sois repassée en Grèce. M’y revoilà, avec O cette fois, et mon amour de jeunesse pour ce pays, pour ce continent comme dit Jacques Lacarrière, est aussi intact que l’est l’esprit crétois. Joie parfaite.

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alpes-minSamedi dernier, départ

crete heraklion 1-minLe port d’Héraklion vu de notre hôtel, la nuit sous la pleine lune et le lendemain matin crete heraklion 2-min*

Nous y reviendrons, mais tout d’abord nous partons séjourner quelque temps à La Canée, ancienne capitale de l’île, à l’ouest crete la canee 1-min

Nous logeons dans la vieille ville, tout près de l’eaucrete la canee 3-min

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La ville fut un formidable melting-pot et conserve les souvenirs de ses cultures (et occupations) vénitienne et ottomane, entre autrescrete la canee 5-minMosquée…

crete la canee 9-minCathédrale orthodoxe…

crete la canee 36-minSynagogue

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Il fait très doux et la lumière est fantastiquecrete la canee 7-min

crete la canee 8-min   crete la canee 10-min

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crete la canee 12-minLes petits restos servent l’exquise cuisine crétoise, qui rend centenaire crete la canee 13-min

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crete la canee 17-minLes anciens arsenaux crete la canee 21-min« ACAB » (All Cops Are Bastard) et ALETEIA (la Vérité)crete la canee 22-minPlusieurs tags ici et là dénoncent le tourisme de masse. L’été la ville est sans doute bondée, mais en ce mois de janvier tout est très tranquille.

crete la canee 23-min« Le Verbe s’est fait chair » : la crèche dans l’église catholique

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crete la canee 30-minAu marché, crete la canee 31-minon déjeune, toujours aussi délicieusement, sur des tables en bois dans la cuisine crete la canee 32-min

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On passe et repasse avec bonheur par le lacis des ruelles, n’oublions pas que la Crète est le pays du Labyrinthe

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crete la canee 38-minO quitte notre rue Angélou pour aller explorer les montagnes à VTT ; moi je fais toujours mon yoga au lever

crete la canee 29-minen Crète ces jours-ci, photos Alina Reyes

à suivre !

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Suite des images de Crète : mot-clé Crète

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Sur le langage

M’apprêtant à partir de nouveau sous d’autres cieux, je propose, en attendant de prochaines nouvelles, ce texte sur le langage extrait de ma thèse de Littérature comparée.

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Pour pouvoir théoriser, c’est-à-dire donner à contempler, selon l’étymologie grecque du terme, pour pouvoir dresser une poétique, c’est-à-dire dévisager, envisager le destin de la poésie tel qu’il s’est exprimé jusqu’à présent, il nous faut d’abord nous interroger sur la nature du langage. « Le langage est créé comme un flocon de neige, selon les lois de la nature », dit Noam Chomsky, qui ajoute dans la même conférence :

Le langage ne serait pas du son porteur de sens, mais plutôt du sens exprimé par une certaine forme d’externalisation – cela peut être du son mais il y a plusieurs modalités d’externalisation.1

Considérant que le trait, et par extension l’écriture, font partie de ces modalités d’externalisation, nous dirons que la nature de l’écriture, c’est d’écrire la nature – et que la nature du trait tracé par l’humain c’est d’externaliser l’humain, que la nature de l’écriture humaine, c’est d’externaliser les traits de l’esprit humain. Ces pistes du langage comme externalisation et création sont aussi celles que prend le mathématicien Alexandre Grothendieck dans son essai La Clef des songes :

On ne connaît le goût d’un aliment, tel le lait, que pour y avoir goûté, et d’aucune autre façon. Même celui qui le connaît ne saurait l’exprimer d’une autre façon que par une tautologie : “le goût du lait”. En fait, l’expérience charnelle et la connaissance charnelle qu’elle impartit précède le langage, lequel s’enracine en elles.

Il semblerait par contre que toute connaissance puisse être exprimée, et qu’il n’y ait connaissance qui ne s’exprime. Mais ce n’est qu’exceptionnellement que l’expression se fait au moyen de la parole. Souvent, l’expression la plus adéquate (voire la seule) de la connaissance qui se forme et s’approfondit par un travail créateur, se trouve dans l’œuvre créée. Par exemple, pendant qu’un peintre peint un paysage, une nature morte ou un portrait, et par l’effet de son travail et en symbiose avec lui, s’approfondit et s’affine sa connaissance de ce qui est peint. Cette connaissance, ni lui ni même Dieu en personne qui y participe pleinement ne pourrait la “formuler” en paroles. Seule l’œuvre créée peut exprimer pleinement cette connaissance, sans la déformer ou la transformer. Et c’est seulement par la création de cette œuvre que celle-ci pouvait apparaître et s’approfondir et devenir ce qu’elle est, dans sa singularité totale, dans son unicité.2

En somme, le langage, verbal ou plus souvent encore non verbal, serait à la fois postérieur à l’expérience du créé et en lui-même expérience créatrice de connaissance, comme selon Humboldt « les langues sont moins des moyens de représenter la vérité déjà connue que de découvrir la vérité encore inconnue ».3 Le langage est finalement moins une représentation, une imitation ou une traduction, qu’une présentation, une externalisation, une exposition en soi de ce qui est. Selon Walter Benjamin,

le langage de la nature doit être comparé à un secret mot d’ordre que chaque sentinelle transmet dans son propre langage, mais le contenu du mot d’ordre est le langage de la sentinelle même.4

Chez les Aborigènes, « chaque ancêtre ouvrit la bouche et cria : « JE SUIS ! », rapporte Bruce Chatwin5. Jean-Marc Ferry évoque des « grammaires profondes non linguistiques » en rapport avec « la complexion du monde vécu ».6 Le terme « complexion » renvoie au champ sémantique du corps, de même que « la bouche » des ancêtres totémiques (animaux fabuleux) d’Australie, ou « l’organisme » qu’est pour Humboldt le langage7, ou encore l’engendrement, l’enfantement évoqué par Nietzsche : « De sa propre substance, la mélodie engendre le poème, et sans cesse elle recommence. »8 Nous sommes là dans l’intuition que l’art et la langue sont tout à la fois des extensions de la nature, de notre corps, et eux-mêmes nature et corps.

Comme chez les Aborigènes, la nature du langage profond (j’appellerai ainsi la fonction poétique, le langage source), langage venu des profondeurs de l’être, chez les Achuar et dans les traditions nombreuses étudiées par Philippe Descola, n’est pas séparée de l’être. Et l’être s’entend dans une très large acception, dont rendent compte des cosmologies qui, écrit-il,  

ont pour caractéristique commune de ne pas opérer de distinctions ontologiques tranchées entre les humains d’une part, et bon nombre d’espèces animales et végétales, d’autre part.9

Si cette vue de l’esprit semble très éloignée de la pensée moderne, la pensée post-moderne s’en rapproche, dans des courants comme l’antispécisme mais aussi à travers différentes recherches scientifiques qui désapproprient l’humanisme de ses « propres de l’homme » en reconnaissant à nombre d’espèces des pratiques de langage, de fabrication d’outils, de mémoire, de culture, voire même de rites, voire aussi le rire. Par ailleurs, remarque Noam Chomsky, « beaucoup de biologistes pensent qu’il n’y a qu’un seul animal dans le monde, y compris la végétation. »10 Les Contemplations de Victor Hugo présentent déjà un puissant exemple d’intuition de l’unité du vivant. Tout parle, y montre le poète, qui affirme aussi avec force la nature vivante du langage. « Ô nature, alphabet des grandes lettres d’ombre ! »11 Et : « Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant. »12

Réciproquement, dans l’esprit du poète, le vivant est écriture. John Berger, parlant de l’une de ses esquisses, écrit :

C’est ce que j’appelle un texte : une rose blanche du jardin (…) Est-il possible de lire les apparences naturelles comme des textes ?13 

La nature du langage profond ressortit à celle de la nature, comme processus dans lequel le locuteur, l’acte illocutoire et le discours, le sens, ne sont pas séparés mais engagés dans un même mouvement de transformation, de dépassement des formes. Dans la nature, écrit Hegel,

Le bourgeon disparaît dans l’éclosion de la floraison, et l’on pourrait dire qu’il est réfuté par celle-ci, de la même façon que le fruit dénonce la floraison comme fausse existence de la plante, et vient s’installer, au titre de la vérité de celle-ci, à la place de la fleur.14

Et : « Le vrai est le devenir de lui-même. »15

Selon Humboldt,

le langage, considéré dans sa nature réelle, est une chose en permanence et à tout moment transitoire. En lui-même ce n’est pas un produit (ergon) mais une activité (énergie).16

S’il n’y a pas de séparation ontologique entre l’être et le langage, sa vérité est moins dans le bourgeon, la fleur ou le fruit, que dans le bourgeonnement, l’éclosion, la fructification.

Et quand les éléments naturels se transposent en éléments mythiques, il se produit que comme dans l’art brut ou naïf, dans les constructions d’un Facteur Cheval ou les décors d’un Georges Méliès, dit Claude Lévi-Strauss,

dans cette incessante reconstruction à l’aide des mêmes matériaux, ce sont toujours d’anciennes fins qui sont appelées à jouer le rôle de moyens : les signifiés se changent en signifiants, et inversement.17

C’est dans ce travail, dans ce jeu, dans ce miroir qui se traverse, dans cette poétique, through the looking-glass dirait Lewis Carroll, que l’être se cherche et se trouve18.

1 Noam CHOMSKY, « Qu’est-ce que le langage, et en quoi est-ce important ? », conférence donnée le 25-7-2013 à l’Université de Genève, youtube.com

2 Alexandre GROTHENDIECK, La Clef des songes, manuscrit non publié sur papier à ce jour, http://matematicas.unex.es/~navarro/res/clefsonges.pdf, p. 179 du manuscrit (p. 185 du PDF), en note ***

3 Éliane ESCOUBAS, « La Bildung et le sens de la langue : Wilhem von Humboldt », Littérature, année 1992, volume 86n numéro 2, p. 60 ; persee.fr

4 Rédigé à Munich en novembre 1916 sous forme de lettre à Gershom Scholem, inédit du vivant de l’auteur : Walter BENJAMIN, « Sur le langage en général et sur le langage humain », in Œuvres I, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais n° 372, 2000, p. 165

5 Bruce CHATWIN, The Songlines, Londres, Jonathan Cape, 1987. Traduit de l’anglais par Jacques Chabert : Le Chant des pistes, Paris, Grasset, 1990 ; Le Livre de Poche, 2007, p. 108

6 Jean-Marc FERRY, Les grammaires de l’intelligence, Paris, Éditions du Cerf, 2004, p. 15

7 In Éliane ESCOUBAS, « La Bildung… », art.cit.

8 Friedrich NIETZSCHE, Die Geburt der Tragödie aus dem Geiste der Musik, 1872. Traduit de l’allemand par Jean Marnold et Jacques Morland : L’Origine de la Tragédie dans la musique, Paris, Mercure de France, 1906, § 6, p. 61, wikisource.org. Autre traduction, par Philippe Lacoue-Labarthe : « La mélodie enfante, et à vrai dire ne cesse d’enfanter la poésie », in La Naissance de la tragédie, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 1986, p. 48

9 Philippe DESCOLA, Par delà nature…, op.cit., p. 27

10 Noam CHOMSKY, « Qu’est-ce que le langage… », conférence citée

11 Victor HUGO, « À propos d’Horace », Les Contemplations, Livre premier, XIII, Paris, Pagnerre et Michel Lévy, 1856 ; Paris, Nelson Éditeur, 1911, p. 52, wikisource.org

12 Ibid., « Suite », Livre premier, VIII, p. 36

13 John BERGER, lettre à son fils, lue dans le documentaire de Cordelia Dvorák John Berger ou la mémoire du regard, Arte, 2016

14 Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, System der Wissenschaft. Erster Theil : Die Phänomenologie des Geistes, Bamberg/Würzburg, Goebhardt, 1807 ; trad. de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre : Phénoménologie de l’esprit, Paris, Flammarion, coll. Bibliothèque philosophique (Aubier), 1991, p. 28

15 Ibid., p. 38

16 In Éliane ESCOUBAS, « La Bildung… », art.cit.

17 Claude LÉVI-STRAUSS, La Pensée sauvage, Paris, Librairie Plon, 1962 ; in Œuvres, éd. de Vincent Debaene, Frédéric Keck, Marie Mauzé et Martin Rueff, préf. de Vincent Debaene, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, n°543, 2008, p. 577

18 Lewis CARROLL, Through the Looking-Glass, Londres, Macmilan,1871

Qu’est-ce qu’un livre ?

mon sac

mon sac, rapporté d’Edimbourg

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Sur les rivages battus par l’océan, certaines pierres demeurent pierres à travers siècles, d’autres s’effritent, voire se dissolvent. Bibliothèque de sable construite par des enfants qui jouent aux dés, et que l’Esprit, de temps en temps, réarrange.

Des livres disparaissent des étals ? Les étals sont éphémères. Les livres sont des objets, qui ne sont pas plus sacrés que n’importe quoi d’autre. Seul importe ce qui est vivant : l’esprit. Qu’est-ce qu’un livre à l’heure d’Internet ? Internet rend à la littérature la part de liberté qu’elle a perdue depuis qu’elle n’est plus orale mais figée sur du papier. Je peux mettre certains de mes textes en ligne sous forme de livres, puis les retirer, les réécrire, les remettre en ligne, etc., à l’infini. Et qui lit ce journal peut le survoler ou l’explorer tout aussi librement. Cela n’enlève rien à l’intérêt des livres « officiellement » publiés ; au contraire, cela devrait ouvrir les lectures qu’on en fait ; conduire à réestimer leur prix, leur sens ; faire sortir de cette sacralisation ordinaire de l’objet, comme du texte, qui asphyxie les textes en les mettant tous dans le même panier de crabes ramassés sur la grève. Avant de les manger, ayons soin de rejeter ceux qui puent : ils nous rendent malades.

Je n’appelle pas à la censure, j’appelle au discernement. Du reste, qu’est-ce que la censure ? Les éditeurs publient qui ils veulent publier, refusent de publier qui ils ne veulent pas publier. N’est-ce pas là la première censure ? Il n’est pourtant pas possible de distribuer tout texte sous forme de livre papier. Un choix s’opère, et donc une exclusion, dont les raisons sont souvent autres que littéraires. Une très grande partie des livres qui sont publiés n’ont pas vocation à durer plus de quelques années, ils seront dissous par la vague du temps avant même d’avoir eu le temps de s’inscrire dans la mémoire de l’humanité. D’autres livres restent invisibles au moment où ils naissent et apparaîtront au moment où le monde commencera à rattraper l’avance qu’ils avaient sur lui. Tout change, et dans ce changement perpétuel ce que les hommes veulent fixer est balayé, éliminé dans le mouvement de la vie, où ne peut se mouvoir que ce qui est vivant, détaché des mortels. Ecce liber.

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Vanessa Springora, l’effet avalanche sur Saint-Germain-des-Prés

 

Plus fort qu’Héraklès, l’acte littéraire de Vanessa Springora nettoie les écuries germanopratines, plus crasseuses que celles d’Augias. Bienheureuse, amusée, satisfaite pleinement, je regarde tomber les masques, j’entends bafouiller les parleurs et les parleuses, je vois grimacer les amertumes, les jalousies, les dépits. Autant en emporte la neige ! La vie est de toute beauté.

En 2013, après que j’ai dû quitter, par la faute des porcs des écuries germanopratines, ma grange dans la montagne, la montagne a réagi, le village et la vallée ont subi avalanches puis crues exceptionnelles. Extrait de mon journal, tenu depuis Paris :

Là-haut, le village a dû être évacué. Tant de neige est tombée, il est menacé par les avalanches. Les journaux en parlent, les télévisions aussi. Patrick, un commerçant, répond à un journaliste qui lui demande en substance à quoi il s’attend, cette phrase merveilleuse :

« C’est ce qui est là-haut, tu sais, celle qui vient du Bon Dieu, celle dont nous avons tous besoin, la neige ! »

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toutes mes notes sur l’affaire Matzneff : ici

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Affaire Matzneff, suite

 

Je continue ma série de notes sur cette affaire.

Pauvre Antoine Gallimard, contraint de renoncer à la commercialisation des journaux intimes de Matzneff, publiés pendant des décennies et jusqu’à il y a trois mois par Sollers dans cette maison, après avoir dû renoncer aussi, sous la pression, à rééditer les pamphlets antisémites de Céline. Le communiqué de presse prétend prendre en compte la souffrance exprimée par Vanessa Springora dans son livre Le Consentement mais le fait est que les flammes sont en train de lécher la baraque : je le disais, Gallimard et Sollers devraient être tenus pour complices des crimes de Matzneff, non seulement parce qu’il en faisait l’apologie, donc incitait au crime, mais aussi parce que l’encourager à publier toute sa vie ce journal c’était l’encourager aussi à réitérer indéfiniment ses crimes, afin de pouvoir ensuite les écrire – depuis, j’ai lu un article dans lequel une juriste disant que les éditeurs pourraient aussi être poursuivis dans cette affaire.

La caste mauvaise, hypocrite, méchante, qui se nourrit dans la mare littéraire germanopratine, ne s’est évidemment pas nettoyée de sa merde en quelques jours. On a lu nombre d’articles fourbes de Libé et d’autres journaux, entendu les réactions éhontées et /ou opportunistes des Giesbert et autres Durand, Beigbeder et compagnie. Savigneau se gratte en vain sur son compte twitter, Christine Angot, admiratrice de l’œuvre de Matzneff (dont je ne veux pas citer les témoignages immondes et détaillés de ses viols, rappelons seulement qu’il écrit qu’« Un enfant c’est merveilleux. On y entre comme dans du beurre »), Angot donc, déclare sur France Inter que lui et les autres pédocriminels sont « de grands naïfs, de grands sentimentaux ». Maïa Mazaurette, la désastreuse chroniqueuse sexe du Monde, attire l’attention sur le fait que les enfants peuvent participer à leur viol, affirme que beaucoup s’en remettent très bien, et estime qu’il ne faut pas qualifier de prédateurs les pédocriminels, dont certains d’ailleurs ne violent les enfants qu’occasionnellement. Il y a quelques années, Sollers en mode vieil oncle incestueux déclarait à la télévision, d’un air entendu, qu’il avait des nièces très charmantes – confortant ainsi l’intérêt qu’il disait avoir, ailleurs, pour l’inceste. (Et éclairant sa sentence sur Macron :« Sexuellement, il a tout compris »). Gallimard n’a pas suspendu la commercialisation des livres de Sollers et de Haenel parce que mon livre Forêt profonde et ma parole ont été soigneusement occultés par tout le milieu depuis 2007 mais tout vient à son heure et l’histoire n’est pas finie.

Les pédocriminels comme les violeurs en tout genre sont bien des prédateurs, et de la pire espèce : des cannibales, la honte absolue de l’humanité. Ils dévorent des corps et/ou des âmes, c’est ce qu’on appelle l’emprise. Comment s’en sortir lorsqu’on est déjà plongé dans le chaudron, avec un malade mental qui vous tape sur la tête pour vous y enfoncer, bientôt rejoint par une bande d’autres cannibales et de lobotomisés qui lui viennent en aide, même quand vous répétez pendant des années votre non-consentement ? Comment réagir autrement que de manière suicidaire, en plongeant plus profond dans le chaudron pour en finir, ou de manière agressive, en gesticulant et criant pour protester et alerter ? Vanessa Springora raconte qu’un jour où elle devait faire une rédaction (elle était en quatrième lorsqu’il venait l’attendre à la sortie du collège), Matzneff l’obligea à écrire sous sa dictée l’une de ses expériences à lui, au lieu de la sienne. La dépossédant ainsi de sa propre parole, faisant fi de ses protestations, de son désir d’écrire elle-même (elle aimait cela et avait de très bonnes notes en rédaction). Il fallait qu’il lui mange le cerveau, voilà le fin mot de l’histoire. L’édition est tenue par des bourgeois qui exploitent les auteurs financièrement (auxquels ils laissent à peine 10 % en moyenne du prix du livre qu’ils ont écrit) et qui, dans leur vie privée, vampirisent, exploitent psychiquement les femmes et/ou les enfants.

« Trop beau, trop libre, trop heureux, trop insolent, trop de lycéennes dans son lit, ça indispose les honnêtes gens ». Voilà comment Gallimard présentait Matzneff sur son site, avant de découvrir soudainement que leur chéri, qui leur livrait au moins par procuration, par fantasme (voire réellement, comme peut-être à ses mécènes privés, qui sait ?), des garçonnets et des collégiennes à violer, n’était en fait pas si beau que ça. Matzneff est malade mentalement, c’est entendu. Mais sont malades et au moins aussi dangereux ceux qui l’ont poussé à s’enfoncer dans sa maladie – comme sont dangereux ceux qui (souvent les mêmes) poussèrent les dessinateurs de Charlie Hebdo à gâcher leur talent en s’enfonçant dans un délire raciste sexuel, dans les années à partir de Val, les conduisant eux aussi à la catastrophe. Il y a cinq ans aujourd’hui, les frères Kouachi, victimes d’un pédophile de leur quartier pendant leur enfance, ajoutant la haine à la haine, assassinaient abjectement ces dessinateurs que nous continuons à pleurer, blessant tout un pays avant de trouver la mort dans une imprimerie. Aujourd’hui c’est tout un pays qui est blessé aussi par la déflagration du livre de Vanessa Springora. Contrairement aux terroristes qui n’en avaient pas les moyens, elle a trouvé la bonne arme, celle de la parole, celle qui libère et sauve.

Après l’avoir cherché en vain en librairie (il était en rupture de stock), j’ai trouvé par hasard le livre de Springora dans la Maison de la Presse qui distribue dans les commerces de mon quartier de gros nounours en peluche. Voilà qui parle, pour un livre dénonçant la pédophilie. Voilà qui, dans cette démultiplication envahissante, fait image également sur le harcèlement (dont témoigne Springora mais aussi ce journaliste qui a connu une autre victime de Matzneff, devenue stérile après avoir dû avorter, adolescente), le viol psychique dont se rendent aussi coupables ces prédateurs. Des prédateurs qui n’ont pas un caractère de fauves, mais de sangsues, voire de moules accrochées à leur rocher. La presse européenne parle de l’affaire Epstein, la presse américaine parle maintenant de l’affaire Matzneff. Il faut toute la force de la vox populi pour constituer la grande vague capable d’arracher les vampires à celles et ceux dont ils se nourrissent, à celles et ceux dont ils sucent la vie, n’ayant pas assez de vie en eux pour exister par eux-mêmes. Nous ignorons presque tout de la vie de l’esprit manifestée à travers le monde. Eppur, il agit.

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Haïkus de l’Épiphanie

25. Quant à celui à qui on aura remis le Livre en sa main gauche, il dira: « Hélas pour moi ! J’aurais souhaité qu’on ne m’ait pas remis mon livre,
26. et ne pas avoir connu mon compte »
Coran, sourate 69,  Al-Haqq, « Celle qui montre la vérité »

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Table de janvier
les rayons de la galette
les enfants autour

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La fève jaillit
d’entre les dents de la reine.
Elle crie de joie

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À nouvelle année,
nouvelles reines et rois.
La lumière augmente.

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Qu’est-ce que la littérature ? À propos du livre de Vanessa Springora

 

Qu’indique la critique du livre de Vanessa Springora, Le Consentement, dans le JDD d’aujourd’hui ?

1) Que la journaliste qui l’a rédigée ignore ce qu’est la littérature ;

2) Qu’elle ne sait pas lire ;

3) Que les soutiens du pédocriminel Matzneff bougent encore dans leur bourbier.

Je commencerai par le troisième point. Je constate que tous les médias épargnent singulièrement Antoine Gallimard, patron de l’entreprise Gallimard (dont il a hérité) et Philippe Sollers, éditeur chez Gallimard depuis des décennies des pires textes de Matzneff, ceux où il détaille ses crimes sur des dizaines d’enfants. Ces deux sinistres types ont soutenu Matzneff, l’ont aidé par tous les moyens puissants dont ils disposent, y compris financiers en le mensualisant pendant des années.

En 1990 ou 91, quand j’ai envoyé un manuscrit chez Gallimard, c’est Sollers qui s’en est emparé, alors que je m’étais bien gardée de le lui adresser. Une façon de me ferrer peut-être inspirée par les méthodes de celui qu’il qualifiait de héros, Matzneff – sauf que je n’avais pas treize ans et que je n’ai jamais consenti à ses manipulations intellectuelles, mais c’est une autre histoire que j’ai racontée déjà dans mon roman Forêt profonde, je n’y reviendrai pas maintenant. Si j’en parle c’est pour mentionner que Sollers me poussa aussitôt à raconter ma vie dans mes romans ; je découvre seulement ces jours-ci qu’il était l’éditeur de Matzneff, et il me paraît vraisemblable qu’il a dû encourager aussi ce dernier sur cette pente. Même quand cette pente était celle du crime, le besoin de faire des livres en racontant sa vie induisant le besoin chez Matzneff de recommencer sans cesse ses exploits de pédocriminel, de se vanter de sodomiser des garçons de huit à treize ans et des filles de treize à quinze ans, filles à qui il faisait subir, en plus – et c’est sans doute le pire – une intense entreprise de destruction psychique, ainsi que le révèle le livre de Vanessa Springora. Il y a eu là, il y a là, de la part de Sollers et de son patron Gallimard, non seulement non-assistance à personnes en danger, mais aussi complicité de crime, et incitation au crime.

Or la presse continue à ménager de son mieux ces parrains du milieu littéraire. Antoine Gallimard n’est jamais mis en cause. Le nom de Sollers apparaît, mais souvent il est oublié parmi les signataires des pétitions pro-pédophilie, et s’il est mentionné comme éditeur de Matzneff c’est sans y insister, comme si la chose était anecdotique, ainsi que ses insultes publiques à l’encontre de Denise Bombardier. Libération s’est fendu d’un texte pour tenter d’absoudre Sollers en disant qu’il avait regretté d’avoir signé ces fameuses pétitions (qu’il prétend avoir oubliées, signées quasiment sans les avoir lues) mais sans mentionner qu’après elles et jusqu’à cet automne 2019 il a continué à publier les carnets de Matzneff, où il vante constamment ses hauts-faits sexuels et son train de vie dispendieux, entre voyages et grands restaurants au quotidien (alors que par ailleurs il crie misère et implore la charité des pouvoirs publics). Je vois dans le JDD d’aujourd’hui, qui consacre un dossier à Matzneff, la critique mauvaise du livre de Vanessa Springora par Marie-Laure Delorme comme une énième défense des complices de Matzneff, qui s’échinent à clamer son prétendu talent littéraire, et une énième attaque contre l’une de ses victimes, dont il leur faut au moins salir le travail (tout en vantant le dernier livre de Moix au passage, mafia oblige).

Selon Mme Delorme donc, le livre de Vanessa Springora ne serait pas de la littérature. Mme Delorme ne parle pas, à propos de la manie de Matzneff, de pédocriminalité ni même de pédophilie, mais de « goût pour les mineurs ». Et elle reproche à Vanessa Springora d’avoir écrit un livre vertueux, un livre qui n’aurait donc rien à voir avec la littérature. Mme Delorme croit sans doute que la littérature consiste soit à phraser, soit à pédanter. Or il ne suffit pas d’aligner des phrases jolies ou pompeuses ou précieuses, avec imparfaits du subjonctif plus ou moins bien maîtrisés, pour faire de la littérature. Ni de construire une histoire, un cadre, des personnages, selon les vieilles recettes de cantine des écrivaillons. Je le dis encore une fois avec Kafka : un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. Le reste n’est que littérature, au sens péjoratif ou minoratif du terme. La Littérature majuscule brise la mer gelée en nous. Ce livre terrasse le lecteur, a écrit quelqu’un que je ne connais pas à propos de mon roman Forêt profonde, occulté par toute la presse parisienne parce que Sollers s’y estimait offensé, bien que son nom n’y apparût pas. Mon premier roman fut aussi un choc, et quelques autres de mes livres aussi je l’espère ; en tout cas ce fut le cas pour Poupée, anale nationale, que Sollers refusa de publier et qui, bien avant Forêt profonde, face au choc causé par la publication de ce livre, se livra à une entreprise de vengeance contre moi dont je ne m’aperçus que plus tard (en fait tout avait commencé avant encore, à partir du moment où je ne m’étais pas rendue quelque part où il devait être et où il m’avait fait inviter juste après s’être saisi de mon premier manuscrit envoyé chez Gallimard). Le livre de Vanessa Springora brise puissamment la mer gelée en nous. Et il le fait avec une très grande intelligence littéraire, dans une simplicité remarquable, sans effets. En qui le lit sans œillères, il brise la mer gelée comme il la brise en toute notre société – en témoigne son succès. L’écriture de Springora, avec sa mise à plat calme et déterminée des faits, est infiniment plus puissante que les préciosités et les alignements de citations latines de Matzneff. Springora ne s’embarrasse pas de construire une histoire, des personnages, ni de faire des phrases et des effets. Elle va au but, chacune de ses pages, chacun de ses mots est le but. La vérité nue. Son écriture est virile, au sens de la virtus que j’évoquais dans ma note précédente : courageuse, dynamique, forte. Elle met le terrain à plat, comme dans Isaïe, pour ouvrir la voie à la vérité. Elle ne joue pas petit jeu, elle ne se fait pas plaisir, elle plante chaque coup d’épée droit où il faut la planter. Elle est efficace, elle est performative. Elle ne cherche pas les effets, elle fait effet. Voilà la Littérature : non pas une entreprise de divertissement, criminel ou non, mais une action. Une action capable de sauver des vies, de sauver la vie.

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