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Il y a longtemps j’avais (j’ignore ce qu’il est devenu) un coffret dans lequel je mettais les choses minuscules que je trouvais ou que je fabriquais (comme des cocottes en papier dans un carré d’un millimètre de côté). Ma mère s’en moquait comme elle moquait le goût de mon père pour les mots, pour la lecture du dictionnaire : j’y vois un indice d’un lien entre l’infiniment petit et le signe. Le signe a la subtilité de l’infiniment petit. Que l’intérêt pour l’infiniment petit ou pour les racines de la langue puisse provoquer l’ironie m’apparaît comme une peur du signe, une peur de la remise en question qu’il ordonne, une peur du vertige comparable à celle de Pascal devant l’infiniment grand. Une peur de ce qui nous dépasse, et une peur d’être dépassé quand on veut tout dominer. N’est-ce pas ce qui arrive au monde en ce moment, face au minuscule coronavirus ?
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dans l’étroite rue Mouffetard, les gens font leurs courses dans les petits commerces de qualité (et pour portefeuilles bien garnis) comme si de rien n’était
Librairie fermée ?
Une équipe de télévision ?
Aujourd’hui à Paris 13e et 5e, dans la limite d’un km de rayon et d’une heure, photos Alina Reyes
ajout du 10 juin 2020 : finalement j’ai fabriqué un tas de masques pour tout le monde autour de moi, dans des t-shirts colorés ou à motifs devenus sans usage, des leggings, des jeans (super-protection), etc. Avec un minimum de couture, ou sans couture. En voici quelques-uns (non repassés mais une fois sur le visage ils se défroissent d’eux-mêmes). En avoir suffisamment permet de ne pas toujours les laver : il suffit, s’ils ne sont pas sales, de les laisser à l’air libre deux ou trois jours pour qu’ils se désinfectent d’eux-mêmes.
Les grandes surfaces et bureaux de tabac vendent des masques souvent chers. Il reste intéressant d’en fabriquer soi-même, même si on n’a pas les moyens d’en coudre.
J’ai plié mon bandana (que m’avaient offert des Japonais), il est devenu un masque
Je l’ai réalisé selon ce style de pliage, possible aussi avec d’autres tissus :
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Au tout début de l’épidémie de sida, j’étais jeune et insouciante, j’ai mis un certain temps à réaliser qu’il ne fallait plus faire l’amour avec de nouveaux partenaires sans préservatif. L’épidémie de coronavirus nous demande aussi un temps d’adaptation à la nouvelle situation. L’une des raisons pour lesquelles les pays asiatiques s’en sont bien mieux sortis que nous tient au fait que les populations étaient déjà accoutumées au port du masque. Il est grand temps de nous y accoutumer aussi, cette pandémie n’étant pas du tout terminée, et pouvant être suivie d’autres à l’avenir.
Il va sans doute falloir sortir masqué pendant de longs mois, et plus nous serons nombreux à le faire dès tout de suite, plus nous aurons de chances d’éviter de nouveaux confinements. La macronie s’avérant incapable, depuis maintenant des mois, de fournir des masques à la population – et plus généralement, la macronie s’avérant incapable -, en attendant nous pouvons tout de même sortir couverts en nous bricolant quelque chose. On trouve des tutoriels à foison en vidéo ou autre pour réaliser soi-même différentes sortes de masques ; je m’en suis inspirée pour réaliser des masques sans couture. (Je sais coudre, on apprenait ça aux filles quand j’étais au collège, alors que les garçons apprenaient un tas de trucs de bricolage qui m’auraient beaucoup plus intéressée… bref, je n’ai pas gardé un grand goût de la couture mais il peut valoir la peine de réaliser des masques cousus, peut-être plus confortables).
Après, donc, mon masque en kippa (celui-là, c’est moi qui l’ai inventé), je me suis aussi fait un masque avec mon bandana, avec en guise d’élastiques deux bandes découpées dans un vieux t-shirt, le tissu des t-shirts étant élastique aussi. Et pour O, un masque découpé dans un bas de vieux legging, selon le principe du masque en chaussette que j’ai vu présenté par Yannick Noah (deux coups de ciseaux jusqu’à mi-hauteur de chaque côté de la bande faisant office d’élastiques). Dans les deux cas zéro couture, quelques secondes de fabrication. Et on peut glisser à l’intérieur un mouchoir en papier pour plus de sécurité (sans oublier de continuer à respecter distanciation et gestes barrières, avec ou sans masque). Pour un masque en bandana, nombreux tutos sur Youtube, par exemple celui-ci ; idem pour les masques en chaussette, par exemple ici, adaptable donc en jambe de leggings ou manche longue de t-shirt. Voici aussi un masque en tissu de t-shirt sans couture et à orner :
Allez, une ville où chacun porte un masque pour protéger les autres autant que pour se protéger soi-même est une ville civilisée. Et une société qui refuse de laisser mourir les plus fragiles en n’agissant pas, mais trouve d’autres moyens que de longs confinements pour protéger tout le monde, est une société plus responsable et plus libre. Le monde d’après, c’est tout de suite qu’il faut le faire et le vivre, à tous les niveaux, selon toutes les possibilités. Ah comme j’aime la vie !
Un autre tuto pour réaliser un masque très simplement, juste avec du tissu de t-shirt et des ciseaux. Petite erreur dans la vidéo : 6 pouces = 15 cm (et en fait il faut adapter les mesures, éventuellement les augmenter).
J’ai réalisé un masque en m’inspirant de cette méthode, que j’ai juste un peu améliorée parce que je trouvais le masque un peu mince. J’ai donc ajouté à l’intérieur un autre tissu, molletonné (cousu par un point au milieu) et il y a un espace pour y passer aussi du papier, genre mouchoir. L’attache se fait seulement par le haut des oreilles et c’est suffisant mais si on veut prendre toute l’oreille il faut découper plus large qu’indiqué sur le tuto. J’ai décoré mon tissu blanc plus très beau au stylo. Le masque tient très bien et il reste léger à porter.
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Pour l’entretien des masques en tissu, beaucoup préconisent un lavage à 60° mais j’ai lu aussi des conseils de scientifiques américains préconisant tout simplement un lavage à au moins 30°. Une autre méthode consiste à passer les masques au four à 70° pendant une trentaine de minutes pour les désinfecter (mon four ne commence pas si bas, alors j’y mets les masques dès le préchauffage puis je l’éteins avant qu’il ne devienne trop chaud et j’y laisse les masques vingt autres minutes). Le passage au micro-ondes est déconseillé. Si le masque n’est pas sale, on peut aussi tout simplement, après usage, le laisser à l’air libre dans un endroit où il ne sera pas touché pendant deux ou trois jours, le temps que bactéries et virus se désactivent d’eux-mêmes (en se faisant plusieurs masques, on permet un roulement).
Il y avait longtemps que je n’étais pas sortie. Je suis allée faire des courses dans l’idée d’en profiter pour marcher un peu et faire quelques photos de la ville par temps de confinement. Mais la ville ne me plaît pas du tout, ainsi inanimée. Je trouve ça sinistre. Je n’ai pas fait de photos, à part un selfie, masquée, devant la Sorbonne Nouvelle ; et j’étais de retour moins d’une heure après. Une fois dans mon appartement sans balcon, j’ai fait encore quelques selfies, pour photographier quand même quelque chose de vivant (quoique pâlichon, par manque de grand air).
Je n’apprécie pas vraiment non plus toutes ces images d’animaux qui profitent du confinement pour se promener dans les villes. L’esthétique fin-du-monde sied mieux aux fictions qu’à la réalité, je trouve. Mais j’aime par exemple ces images d’un chevreuil profitant de la tranquillité de la plage pour se baigner longuement, courir… Nous excluons les animaux sauvages d’un territoire qui leur revient autant qu’à nous. Or ce n’est pas aux abusés de changer de comportement, mais aux abuseurs. Sinon cela se retourne contre ces derniers, comme en ce moment avec ce coronavirus.
Nous oublions que les animaux dans la nature sont pleins de joie, et d’autres émotions, comme nous. Comme nous ils aiment la tranquillité, la liberté, et prendre du bon temps. Quand je vivais seule dans ma grange à la montagne, je passais des heures dehors sans faire aucun bruit et alors les animaux sauvages apparaissaient. Parfois ceux qui sont petits circulaient tout près de moi sans s’apercevoir de ma présence immobile. C’était un bonheur indicible. Je contemplais les grands, le cœur battant aussi, quand ils s’approchaient ou quand je les rencontrais sur mes chemins, les mêmes que les leurs (les animaux empruntent les chemins, comme nous). Puis il finissaient par me voir, me regardaient fixement, avant de partir en bondissant.
Je me suis fait un masque antivirus avec une espèce de petit chapeau joliment brodé, que j’avais de je ne sais où et qui m’a l’air d’être une kippa pour petite tête (la mienne est trop grosse pour qu’il y tienne). Je l’ai plié en deux, j’y ai épinglé deux bouts de ruban pour l’attacher à mes oreilles (puis finalement j’ai plutôt fait deux petits trous à la perforeuse dans le tissu et j’y ai enfilé les rubans) et je peux glisser du papier dedans pour une meilleure protection.
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Enfin une lueur dans cette crise du coronavirus. Anne Hidalgo, contrairement à Macron, prend des mesures. D’ici un mois, des masques pour tous les habitants de sa ville, des tests ciblés, des hôtels pour la mise en quatorzaine des contaminés. Que d’autres villes, d’autres régions prennent aussi les dispositions que l’État est incapable de prendre ! C’est difficile car Macron dans son délire jupitérien les a privés de beaucoup de moyens, mais il ne semble pas y avoir d’autres voies de salut que de passer outre son pouvoir et régler ce qui doit être réglé selon les endroits, pas tous touchés de la même façon par la pandémie.
J’évoquais l’autre jour l’article de Forbes montrant que bien des cheffes d’État dans le monde (Angela Merkel, Jacinda Ardern, etc.) avaient beaucoup, beaucoup mieux géré la crise que beaucoup de leurs homologues masculins. Il ne s’agit pas d’estimer que les femmes sont meilleures par essence. Nous avons assez d’exemples contraires en France, de certaines femmes politiques aussi nulles ou nuisibles que certains de leurs confrères – et Dieu sait si en macronie la stupidité sert de norme-, pour savoir la fausseté d’une telle théorie. Seulement, là où le patriarcat baisse un peu la garde, là où les gens sont assez éclairés pour élire des femmes, et des femmes qui ne soient pas de ces caricatures créées par le patriarcat ou son déchet l’illusionnisme, eh bien le sens des réalités se retrouve aussi bien chez les responsables politiques que chez les citoyens qui les ont élu·e·s.
Vivement la fin du jacobinisme, de la Ve République et de l’imposture macroniste. Espérons que cela attendra 2022, afin de donner du temps à la préparation de la suite et afin que cela puisse se dérouler au mieux. La vie nous attend, ne la décevons pas.
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« Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat ; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers Sa lumière qui Il veut. Allah propose aux hommes des paraboles et Allah est Omniscient. » Coran 24-35, verset dit de la Lumière, traduit par Muhammad Hamidullah
Au bout d’un mois ou deux, le milieu de l’édition s’alarme des lourdes conséquences de la pandémie pour les auteurs, les éditeurs, les libraires. Qu’on imagine les conséquences pour un auteur empêché de publier depuis plus de dix ans, après avoir vécu de ses droits d’auteur pendant vingt ans. C’est mon cas, pour avoir, notamment en arrachant son masque à l’un de ses parrains, déplu à ce même « milieu » qui pleure maintenant. J’ai vécu dans la plus grande pauvreté jusqu’à mes 33 ans, au point d’avoir souvent faim malgré mes 43 ou 44 kilos qui ne demandaient pas beaucoup de nourriture ; puis je m’en suis sortie par mon travail mais en refusant de me soumettre au système, raison pour laquelle il a fini par m’éliminer – tant pis pour lui, il a perdu une littérature hors normes et qui pourtant se vendait bien, en France et dans le monde.
À force de postures sur les mains, j’ai un léger cal sur la partie charnue de la paume. Plus d’un mois de confinement, et je vois ce qui m’est le plus vital : non pas d’abord l’intellectuel, mais le physique et le spirituel : ce qui me permet de tenir dans cette privation de sortie ce n’est pas la lecture ni la culture, même si elles y ont leur place, très importante, mais le yoga (ou d’autres gymnastiques) et la méditation ou la contemplation, que je pratique de plus en plus assidûment à mesure que le temps passe. Et je ne dois pas être la seule à ressentir ces priorités : les exercices physiques et les exercices spirituels sont bien ce qui fonde l’humain. Là où ils manquent, manque l’humain. Dans beaucoup de sphères de notre monde, manque l’humain. Voilà ce qui est à corriger, si l’on veut bâtir un monde vivable – affirmation dangereuse parce qu’elle attire tous les charlatans et abuseurs, d’où la nécessité de faire soi-même un vrai travail sur le corps et l’esprit.
Mon cinéma du jour sera ce film de Marcel Schüpbach, B comme Béjart. On y suit son travail de création d’un spectacle dansé sur la Lumière, accompagné par Brel, Barbara, le Boléro de Ravel et la Messe en si de Bach, une œuvre que j’adore, ainsi que son Magnificat, que j’ai chanté dans des chœurs, adolescente et plus tard. Béjart était un amoureux de l’islam comme moi, d’où la référence implicite, dans la dernière image du spectacle, au verset coranique de la Lumière ; et peut-être ce B fait-il référence à la première lettre de la Genèse, qu’il cite aussi ? Bereshit, « Au commencement… Dieu dit : que la lumière soit ». Il n’est pas anodin non plus qu’au tout début du film il indique à une danseuse comment faire correctement la posture de la chandelle (posture que je tiens aussi tous les matins pendant plusieurs minutes). « Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe… »
J’ai trouvé le film sur la plateforme du cinéma MK2 mise en place pour présenter des films pendant le confinement, « Trois couleurs ». On ne peut pas le partager et je suppose qu’il ne restera pas en ligne longtemps, c’est donc LÀ qu’il faut aller le voir. Un moment plein de joie, de grâce et de beauté.
O avait pris cette photo du Robin des Bois, café-restaurant où paraît-il Christophe écrivit Aline, il y a trois ans à Jouy-en-Josas, lors de l’une de ses pérégrinations à vélo avec Madame Terre. En 2013 il m’avait aussi rapporté de son voyage chez les Massaï en Tanzanie un petit film où Salim, vendeur d’épices au marché de Dar es Salam, chantait cette même chanson – preuve qu’elle était connue loin. Quand nous habitions rue Saint-Jacques à Paris, il nous arrivait de croiser de temps en temps Christophe dans la rue, même dandy à la ville qu’à la scène. Sans être vraiment fans de sa musique, nous étions allés un soir avec grand plaisir à l’un de ses concerts, au Bataclan si je me souviens bien (avant l’attentat). Voilà pour mes souvenirs en guise d’hommage à ce chanteur dont on m’a seriné si souvent et si longtemps le refrain, « Et j’ai crié, crié Aline… » depuis mes neuf ans, quand elle est sortie. Bon voyage à lui parmi les anges, ses sœurs et frères en chant !
Il est possible que, après le confinement, Madame Terre reprenne ses escapades. O et moi parlons des changements de vie et de politiques que l’humanité devrait adopter, et aussi de nos prochains voyages, que nous ferons en train plutôt qu’en avion, autant que possible. D’ici là, je lutte contre le poids du confinement par des séances de yoga suivies de séances de méditation. Le résultat est proche de celui de courses en montagne. Le yoga peut être doux mais il peut aussi faire beaucoup transpirer. Dans tous les cas, il fait travailler les muscles profonds, fait travailler excellemment le souffle, travaille aussi sur les organes, la circulation lymphatique, la circulation sanguine. Il irrigue le cerveau, confère équilibre, force et souplesse. Il nettoie. Physiologiquement et psychiquement. Les séances de méditation complètent son œuvre, mais le yoga est en lui-même une méditation. Le yoga fut une méditation à l’origine et il le reste. Il a été aussi une discipline de guerriers et il garde ses vertus pour le combat, surtout physiologique et psychique. Je sens mon cerveau allégé, plein d’espace et de lumière, plein de paix.