De mes rêves, de Matzneff et du sadisme, de la traduction…

Ces dernières nuits, j’ai fait deux très bons rêves de réunion de mon être, qui a été brisé – c’est pourquoi mon écriture l’a été aussi, mais en traduisant Homère je suis en train de la réunir – la preuve notamment par ce texte écrit l’autre jour, Rapport d’une guerrière, et aussi du fait que j’ai commencé à retourner à mon roman. Quand je pense que l’avocat de Gallimard a osé dire au tribunal, devant moi, entre autres mensonges, que mon livre Forêt profonde était mauvais, alors que je les attaquais pour plagiat, plus exactement pillage. Quelle défense minable et saloparde.

Je fais de très bons rêves, mais j’ai fait aussi, ces derniers jours, un cauchemar. Un chien, un de ces molosses dégénérés faits pour tuer, me poursuivait, visiblement « amoureux » de moi. Chaque fois que, épuisée, je m’arrêtais pour souffler, il s’accrochait à moi, et je sentais sa gueule baveuse (rien d’autre de son corps, heureusement). C’était extrêmement immonde, mais il y avait quelques gens qui voyaient ça, et même s’ils ne faisaient rien pour l’empêcher, je me disais qu’au moins cela me protégeait un peu de la mort. Finalement j’ai réussi à appeler un vétérinaire pour qu’il le pique. Il est arrivé et l’a fait, en lui injectant le produit directement dans la gueule. Un instant j’ai été étonnée que le chien se laisse ainsi faire, mais l’instant d’après j’ai pensé qu’en effet il était habitué à la soumission, c’était une bête dressée, et bête. J’ai éprouvé un immense soulagement. C’était donc un très bon rêve aussi, en fait.

Avec la sortie d’un livre de Francesca Gee, victime de Matzneff comme Vanessa Springora, on revoit des photos de ce dernier dans ces années-là. Le gars a des allures et des poses de fille, dirait-on en langage ancien. Faux langage, car les filles n’ont ni ces allures ni ces poses. En fait il ne s’agit pas de féminité ni de masculinité, mais de préciosité. Je suis sûre que Sade avait aussi de ces allures. Des gens qui ont de ces allures, le milieu littéraire en regorge. Elles s’expriment plus ou moins physiquement, mais dans la tête, la façon de parler et de penser, elles sont omniprésentes, chez les hommes et chez les femmes. C’est pourquoi je souffrais quand je me retrouvais au milieu de ces gens, c’est pourquoi je les fuyais. Cette préciosité est le signe d’un détraquement de la vie en eux, d’un détraquement de la sexualité, d’un détraquement de la pensée. Matzneff est pédophile, mais pédophile n’est pas un diagnostic suffisant. Cette pédophilie vient de ce détraquement d’esprits et de corps incapables de vivre des vies d’hommes et de femmes, des vies d’humains vivants, de les vivre pleinement. La pédophilie n’est qu’une des dérives possibles de ce détraquement, qui crée avant tout du sadisme. Matzneff est sadique avant d’être pédophile, sa pédophilie n’est qu’une des expressions possibles du sadisme. Voilà ce qu’il ne faut pas perdre de vue.

Il m’est arrivé par le passé de rire en lisant Sade, comme en lisant Kafka. Rire, contre les systèmes morbides qu’ils décrivent. Le rire est salvateur parce qu’il arrache au mal, il en détache au moins une partie de l’être, mais il est plus facile de rire à la lecture ou à la vision du mal que de rire à l’épreuve du mal. C’est là qu’il faut sérieusement apprendre à rire, les juifs en savent quelque chose.

J’ai lu quelques vers de ma traduction de l’Iliade à O. Il a dit « c’est très beau, vraiment très beau ; on dirait du Reyes, mâtiné d’Homère ». J’ai ri. En fait il ne lit pas le grec donc il ne peut pas vraiment comparer, mais bien sûr il a raison, toute traduction est l’œuvre de l’auteur·e de la traduction, et le miroir n’y est pour rien si c’est notre visage qui s’y reflète. C’est donc à l’auteur·e de passer à travers, et de là, de s’unir à l’auteur·e du texte d’origine. Un texte traduit ne sera jamais le texte d’origine, mais du moins il peut témoigner d’une union plus ou moins heureuse avec lui. Traduire Homère m’apprend aussi à me réunir.

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