Santé du poète : René Char, Héraclite (actualisé)

Nicolas de Stael, "Agrigente"

Nicolas de Stael, « Agrigente »

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Je republie cette note d’hier avec quelques ajouts, notamment une citation de René Char « oiseau » et « fruit »,  et une citation de Marc Seguin sur « la Connaissance », principe héraclitéen, chez René Char.

« La connaissance eut tôt fait de grandir entre nous. Ceci n’est plus, avais-je coutume de dire. Ceci n’est pas, corrigeait-il. Pas et plus étaient disjoints. Il m’offrait, à la gueule d’un serpent qui souriait, mon impossible que je pénétrais sans souffrir. »

René Char, « Suzerain », « Le poème pulvérisé » in Fureur et mystère

Ces phrases de René Char, qui se trouvent juste avant le texte « À la santé du serpent » et que j’ai citées lors d’un oral de l’agrégation pour conforter la lecture que je venais d’en faire, n’ont pas suffi à convaincre le président du jury que les mots « connaissance », « fruit » et « serpent » qu’il avait vus dans le texte n’étaient surtout pas nécessairement bibliques. C’est avoir une vision bien erronée du poète héraclitéen et quoique ce ne soit pas au candidat de noter les jurés et de les sanctionner pour contresens, ayant été sanctionnée à tort (de même que pour ma lecture de Montaigne et Socrate, où là aussi un président du jury a voulu ramener le texte à la Bible) il me reste du moins la possibilité de rétablir le vrai par écrit.

Pour Héraclite, tout est en devenir et en redevenir – ce qui ne signifie pas en éternelle répétition mais en perpétuelle mutation : d’où le serpent, comme je l’avais expliqué. Rien là de biblique, rien là de mauvais – au contraire. Le fruit n’est pas cause de chute de l’homme, mais image de la saine puissance de transformation de la vie, comme il est image du mouvement et de la mutation de la vie de l’esprit chez Hegel (« Le bourgeon disparaît dans l’éclosion de la floraison, et l’on pourrait dire qu’il est réfuté par celle-ci, de la même façon que le fruit dénonce la floraison comme fausse existence de la plante, et vient s’installer, au titre de la vérité de celle-ci, à la place de la fleur », dit-il dans Phénoménologie de l’esprit). Il est très regrettable que même parmi les élites l’esprit grec soit à ce point méconnu, et que prévale l’accablante moraline judéochrétienne, prétexte à trop d’erreurs, voire de « bassesse », pour reprendre le mot de Char dans L’âge cassant.

« Pouvoir marcher, sans tromper l’oiseau, du cœur
de l’arbre à l’extase du fruit »
René Char, Fureur et mystère, « Le Poème pulvérisé » XVIII

« Ma toute terre, comme un oiseau changé en fruit dans un arbre éternel, je suis à toi »
René Char, La parole en archipel

Monsieur le président du jury, remballez votre catéchisme, ne trompez pas l’oiseau-fruit en faisant mentir sa parole.

« Entre innocence et connaissance, amour et néant, le poète étend sa santé chaque jour. »
René Char, Fureur et mystère, « Seuls demeurent », « Partage formel »

L’harmonie selon Héraclite est harmonie des contraires. Et l’harmonie est la santé du poète, à la fois foudroyant et serpent, peintre et harmonie des couleurs, mesure et musique.

« Son vocabulaire porte la marque indélébile de la Parole héraclitéenne (…) et couvrant le tout…, ce principe de la Connaissance » Marc Seguin

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Meillassoux, Mallarmé, et cette si reine !

Une élucidation géniale. Je vais lire le livre. Là tout de suite je vois que COMME SI compte 7 lettres, qu’entre les deux COMME SI il y a 4 + 12 segments = 16, que 16 (1+6 =7) c’est deux fois 8, que le 8 couché est le symbole de l’infini… que entre et avec les deux COMME SI il y a 14 O (2×7 lettres o = zéro) -> 707

Si vous voulez jouer aussi après l’avoir écouté, le texte de Mallarmé est ici.

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Anges et tropes

« Les manuels croient à l’existence de poèmes dépourvus d’images, mais en fait la pauvreté en tropes lexicaux est contrebalancée par de somptueux tropes et figures grammaticaux. Les ressources poétiques dissimulées dans la structure morphologique et syntaxique du langage, bref la poésie de la grammaire, et son produit littéraire, la grammaire de la poésie, ont été rarement reconnues par les critiques, et presque totalement négligées par les linguistes ; en revanche, les écrivains créateurs ont souvent su en tirer un magistral parti. » Roman Jakobson, Essais de linguistique générale 1. Les fondations du langage

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oeil

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anges

hier et aujourd’hui à Paris 5e et 13e, photos Alina Reyes

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Être au travail de tout cœur dès cinq heures du matin trois ou quatre fois par semaine, découvrir des merveilles comme le sens, resté obscur pendant des millénaires, d’une brève phrase d’Héraclite, faire une descente à la friperie, en rapporter jupes, pantalons, hauts et vestes de bonnes marques et en bon état pour un total de 28,50 euros afin d’être bien habillée pour ses élèves à la rentrée, être aux anges.

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Joie du jour : mon illumination à propos du fragment 11 d’Héraclite – et ma traduction toute nouvelle

Poursuivant mon étude du texte héraclitéen de René Char « À la santé du serpent » (voir ici le commentaire que j’en ai fait à l’oral pour l’agreg), j’ai été conduite à m’intéresser au fragment 11 du penseur grec :

héracliteπᾶν γὰρ ἑρπετὸν (θεοῦ) πληγῇ νέμεται

Il en existe deux traductions principales. La plus fidèle dit ceci ou à peu près :

« Toute bête est poussée au pâturage par des coups » (traduction Burnet et Reymond)

L’autre est davantage une interprétation, car elle oublie un mot, celui que la précédente traduit par « des coups » bien que le mot soit au datif singulier :

« Tout reptile se nourrit de terre » (traduction Tannery)

Alors ?

Voyons dans quel contexte cette parole est rapportée. Il s’agit de la fin du chapitre 6 de la Lettre d’Aristote à Alexandre sur le monde :

« Tous les animaux qui naissent, qui croissent, qui dépérissent, tout obéit aux lois de Dieu. Tout être qui rampe sur la terre tire d’elle sa nourriture, comme dit Héraclite. » – selon la traduction Batteux et Hoefer (texte entier ici)

Bon. Je suis loin d’égaler ces éminents hellénistes, mais j’ai bien vu qu’ils n’avaient pas cherché suffisamment la vérité, comme je peux le faire en me focalisant sur une question. Car de toute évidence, leurs traductions sont bancales. Traduire que toute bête est poussée au pâturage par des coups, c’est plus fidèle au texte grec que de passer plègè, « le coup », à la trappe, mais ce n’est pas logique par rapport au contexte dans lequel Aristote cite cette phrase d’Héraclite. Parler de reptile est plus fidèle au texte grec que de parler de bétail, mais alors il faut oublier le coup, parce qu’on n’a jamais vu des reptiles être amenés au pâturage à coups de bâton.

J’ai donc épluché le dictionnaire. Erpeton, c’est bien le reptile, le serpent – ou la bête (sauvage, plutôt rampante). Et plègè, rien à faire, c’est le coup. Mais parmi les nombreux exemples que donne le Bailly, il en est un qui fait référence au vers 857 de la Théogonie d’Hésiode, et celui-ci m’a tout de suite illuminée (à vrai dire, c’était ce que je cherchais). Je suis allée au texte (sur Internet, c’est génial, on trouve presque tout, il est ici) pour vérifier. Quoi ? Que plègè peut être employé pour « coup de foudre » envoyé par Zeus.

Or Aristote n’est-il pas en train de parler de Dieu, c’est-à-dire de Zeus, quand il cite Héraclite ? Juste après d’ailleurs, il rappelle qu’on appelle Dieu du nom de Zeus, le Foudroyant. N’est-ce pas clair ? Tous les animaux, tout obéit aux lois de Dieu, dit Aristote. Et il ajoute :

Le serpent est gouverné par le coup de foudre, comme dit Héraclite.

On pourrait traduire aussi : « Le serpent a en partage le coup de foudre » – il y a de cette idée-là, de la proximité du serpent et de l’éclair. (Et nemetai signifie tout autant être gouverné, que partager, être conduit au pâturage ou même paître ou même habiter – si vous voulez apprécier tout le déploiement sémantique possible)

Héraclite, qui dans un autre fameux fragment (le 64), dit : « La foudre gouverne tout. »

Même si Char ne disposait pas de ma traduction, son intuition, sa logique de poète y a suffi. Et le reste de son poème est truffé d’intentions héraclitéennes volontaires. N’avais-je pas commencé mon exposé (mal reçu par le jury, hélas) par cet aphorisme du texte de Char À la santé du serpent :

« Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel ».

Habitons l’éclair.

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Substance du jour : couleurs du jour, avec Gilbert Durand et Paris

« Le rêve devant la palette ou devant l’encrier est un rêve de substance, et Bachelard note des rêveries dans lesquelles les substances communes : vin, pain, lait, se transforment directement en couleurs. (…) [à propos des manteaux colorés de diverses déesses] : Dans tous ces cas l’archétype de la couleur apparaît comme étroitement associé à la technologie du tissage, dont nous retrouverons également l’euphémisation à propos du rouet qui valorise positivement la fileuse. Constatons pour l’instant que la couleur apparaît dans sa diversité et sa richesse, comme l’image des richesses substantielles, et dans ses nuances infinies comme promesse d’inépuisables ressources. » Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire

En allant chercher à la bibliothèque Jean-Pierre Melville, à Tolbiac, cet ouvrage précieux qui fut longtemps l’un de ceux qui étaient constamment sur ma table (et qui en est à sa onzième édition bien que ce qui fut sa thèse avant d’être un livre soit peu appréciée de beaucoup d’universitaires – sans doute trop originale), j’ai pris quelques images de la ville en couleurs – sans rephotographier les fresques que j’ai déjà photographiées dans ce quartier du 13e.

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rue 1 tigre

rue 2 camion

rue 3 mort

rue 4 colonne dronne

rue 5 boucherie

rue 6 camion

rue 7 fresque

rue 8 maison blanche

rue 9 yeux

rue 10 mur

rue 11 vert bleu

rue 12 vegetalisation

Aujourd’hui à Paris 13e, photos Alina Reyes. La dernière est celle d’un espace végétalisé par les gens dans la rue, comme on en voit de plus en plus, celui-ci ayant la particularité d’être très décoré et coloré

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Roses, lotus, graines de lotus, autres fleurs, et un dessinateur

trois roses,Après être passée par la roseraie,

je suis allée

fleurs

dessinateur

voir les lotus, en fleurs, en boutons et en graines

Dans le creux se tenait un jeune homme asiatique, en train de dessiner, très bien, le champ de lotus

lotus

graines de lotus

lotus bouton

De retour à la maison, je me suis photographiée dans le miroir, puis j’ai demandé au jeune homme présent de me photographier pour changer ma photo de profil sur ce site : de portrait de fleurs en portrait de soi, c’est une action en forme de haïku, une action poélitique

journal,hier au jardin des Plantes et à Paris, photos Alina Reyes

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