Cireurs, suiveurs et singeurs

Mon humble blog a ses lectrices et lecteurs ordinaires, comme moi, et quelques autres qui, disons, ont besoin d’inspiration pour leur commerce. Si je disais qu’Emmanuel Carrère fait partie de cette légion, on ne me croirait pas et tant mieux, car il n’est pas flatteur pour moi d’être suivie par un de ces cireurs de pompes de Macron. C’est évidemment un hasard, et non quelque chose qui ferait partie d’un harcèlement à grande échelle, s’il a publié un livre sur le christianisme quand j’écrivais ici sur le christianisme et s’il publie un livre intitulé Yoga quand je parle ici du yoga. D’ailleurs, je ne crois pas que son livre parle du yoga, puisqu’il y raconte, dit-on, sa dépression, sa bipolarité, son internement. Un vrai yogi ne se met pas dans un tel état. Et la presse comme d’habitude participe au mensonge général.

Revu hier soir La vie des autres, que j’avais vu au cinéma lors de sa sortie, avec O. Surveiller, manipuler, empêcher les êtres trop libres de travailler, se placer dans le système par des abus de pouvoir et des trahisons en tous genres : la RDA comme prototype du monde d’aujourd’hui, à l’échelle planétaire, démocraties comprises évidemment. Le diable est légion, tant il lui est aisé de passer contrat explicite ou implicite avec ses semblables les corrompus, les envieux, les imbéciles, et malheureusement aussi avec des innocents qu’il berne.

De la littérature, du sport

"Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous" Franz Kafka. Un café dans mon quartier, photo Alina Reyes

« Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous » Franz Kafka. Un café dans mon quartier, photo Alina Reyes

Il y a un problème avec la littérature. Un jour, l’un de mes éditeurs m’a dit, en parlant d’un autre éditeur et de ses amis – si l’on peut parler d’amitié dans ce milieu : « tu ne sais pas de quoi les libertins sont capables ». Il avait raison : non, je ne le savais pas. Comment se fait-il que je ne le savais pas, alors que j’avais lu tant de livres, y compris de libertins ? Eh bien, c’est que la littérature fonctionne comme une religion à l’envers : on n’y croit pas. Le lecteur non-criminel ne croit pas que le mal décrit dans la littérature puisse être commis dans la réalité par des amateurs de littérature, ni a fortiori par des écrivains. La littérature tenant du sacré, on imagine que ses pratiquants sont, sinon saints, du moins sages, magnanimes et serviteurs de la vérité. C’est le constat que fait à peu près Vanessa Springora dans Le consentement. Elle était jeune adolescente à l’époque où elle a été confrontée à une réalité toute contraire, mais ce genre d’enfer peut s’ouvrir sous vos pieds à tout âge. Certaines personnes vont sans doute tomber de haut en apprenant, grâce à une enquête du New York Times (et pas des journaux français), que Christophe Girard, l’un des « amis » et soutiens de Matzneff, est maintenant accusé lui aussi, documents à l’appui, d’avoir abusé d’un adolescent. Ouvrons les yeux : la littérature est pour tout un tas de gens l’alibi de leur vie criminelle. C’est pourquoi la littérature est en si mauvais état aujourd’hui dans notre pays : à force d’être utilisée comme façade, une façade maquillée mais faite de pourriture, elle s’écroule, et les maisons qui l’ont abritée vont tomber aussi.

Pour ma part, tout en continuant à lire j’en suis à « l’autre tigre », comme dit Borges, celui qui n’est pas dans les livres. Après avoir marché quinze jours sac au dos, ce matin j’ai enfilé ma tenue de yoga, je suis sortie et je me suis mise à courir. La prochaine fois que nous voyagerons, O et moi avons décidé de le faire à vélo.

De l’aristocratie et de la médiocratie en France

Tag à Paris ces jours-ci, photo Alina Reyes

Tag à Paris ces jours-ci, photo Alina Reyes

Je suis contente d’avoir finalement fait ma thèse, comme je le souhaitais trente ans plus tôt. Mon projet avait été interrompu par le succès de mon premier roman, comme mes études avaient été interrompues en terminale par l’incapacité de mes parents à me permettre de faire des études (ils étaient pauvres) et par leur refus de laisser ma prof de lettres et de grec, qui l’avait généreusement offert, se charger de me loger et de s’occuper de moi afin que je puisse continuer mon parcours. J’avais repris mes études dès que possible, dix ans plus tard et mère de deux enfants. Et voilà qu’au niveau du DEA (Master 2) ce « succès » me tombait dessus : je l’ai fui en quittant le pays. Je n’aime pas les paillettes, j’aime la liberté, la paix, l’amour et le travail. Et j’ai enfin pu retrouver le chemin de la fac trente ans après l’avoir quittée, j’ai mené cette thèse à bien, je l’ai soutenue il y a deux ans.

J’aurais aimé pouvoir enseigner en fac, transmettre les fruits de mon travail, mais c’était apparemment impossible. En France être l’auteure d’une trentaine de livres et d’une thèse de doctorat, qui plus est admissible à l’agrégation et titulaire du CAPES, vaut moins pour enseigner que d’avoir un parcours ordinaire et surtout des copains dans la place. Cela ne concerne pas que l’université. Nous vivons dans une république de copains, où le copinage, le réseautage et les renvois d’ascenseur tiennent lieu de compétences. C’est ainsi que la médiocratie s’est installée un peu partout, à commencer par le sommet de l’État. Les gens qui désirent vraiment se consacrer à leur travail, quel que soit ce travail, n’ont pas envie de « succès », et encore moins de perdre leur temps à manœuvrer pour obtenir ce que le vulgaire appelle le succès. Alors ils quittent le pays ou bien ils s’en isolent. L’aristocratie de l’esprit en France se tient nécessairement à l’écart, tandis que le vulgaire siège dans la petite masse malodorante des élites.
N’entrez pas sans masque dans les commerces !

Mort sur pieds. Arlequin. Et « Crépuscule » d’Apollinaire

Le thème pictural de la jeune fille et la mort, dans lequel un squelette enlace une jeune fille joliment en chair, me vient à l’esprit quand je vois dans les médias de vieilles célébrités délibérément squelettiques, dans leur désir de ressembler à de minces filles prébubères. Je dis filles car je ne vois pas d’hommes s’affamer à ce point par coquetterie. Peut-être y en a-t-il, mais ce sont essentiellement des femmes qui s’affichent en cet état morbide. On peut dire que le squelette qui enlaçait les jeunes filles dans la peinture les a soumises : comme on vend son âme au diable, elles vendent leur chair à la mort – et les deux ventes, les deux marchés, vont de pair. Faust et Dorian Gray forment couple (Macron-Trogneux, BHL-Dombasle, etc.). Ils sont deux faces d’une même médaille, comme boulimie et anorexie. Tristes modèles promus par les médias, si dommageables pour la condition des femmes, et pour la condition humaine. J’en entends un écho dans le « Crépuscule » de Guillaume Apollinaire, que voici.

Crépuscule

À Mademoiselle Marie Laurencin.

Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps

Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait

Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs

Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales

L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913
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J'avais trouvé ce bout de bois peint jeté dans la rue, je l'ai récupéré, repeint

J’avais trouvé ce bout de bois peint jeté dans la rue, je l’ai récupéré, repeint


Le bout de bois (56x28 cm) trouvé dans la rue, une fois repeint à l'acrylique, est devenu "Arlequin"

Le bout de bois (56×28 cm) trouvé dans la rue, une fois repeint à l’acrylique, est devenu « Arlequin »


arlequin 2-min

Sainte-Sophie, Notre-Dame de Paris, Darmanin, Toni Morrison, etc.

Aujourd'hui à la bibliothèque Marina Tsvetaïeva à Paris

Aujourd’hui à la bibliothèque Marina Tsvetaïeva à Paris


Sainte-Sophie va redevenir une mosquée. Réaction lamentablement raciste des Grecs qui parlent d’une « provocation envers le monde civilisé ». Alors qu’eux-mêmes sont gouvernés par leur toute-puissante église, qui régente toute leur existence, que l’État paie, et qui a tellement contribué à leur ruine en leur barrant l’accès, intellectuel et concret, à une citoyenneté moderne. Tout le monde pourra continuer à visiter Sainte-Sophie, comme tout le monde visite la Mosquée bleue ou la Süleymaniye. Comme tout le monde visitait, et revisitera inch’Allah, Notre-Dame de Paris.

C’est décidé, la flèche de Notre-Dame de Paris va être reconstruite comme elle était avant de brûler. Au XIXe siècle, on n’hésita pas à confier à un architecte de l’époque d’inventer et ajouter une flèche à sa façon sur le vieux bâtiment. Aujourd’hui, au XXIe siècle, nous voilà coincés deux siècles en arrière, réduits à répéter Viollet-le-Duc. Tel est le souhait des Français, paraît-il. C’est vraisemblable, tant ce pays a perdu toute imagination, tout élan créateur, toute lumière. On a beau jeu de parler de retour en arrière à propos de Sainte-Sophie. Quand on nomme ministres des Darmanin et des Dupond-Moretti (il y a dans l’histoire personnelle de Macron quelque chose qui l’aveugle et l’empêche de respecter les gens, les électeurs, les électrices. Le problème des violences sexuelles, on n’en voit que l’immonde partie émergée – les violences physiques et verbales – mais il s’étend et nuit encore bien plus profondément, bien plus largement). Bachelot au ministère de la culture parce que, nous dit-on, elle aime Verdi, est aussi symptomatique du retour aux XXe et XIXe siècles que constituent tout le gouvernement, son chef et le président.

poesie 1-minJ’ai commencé à lire Toni Morrison, que je n’avais jamais lue et dont on tresse tant les lauriers. Dès les premières pages, quel choc, quelle déception d’y trouver une sorte de copie de Faulkner. Je n’ose dire du sous-Faulkner car ce n’est pas mauvais. Mais ce n’est pas la grande auteure que j’attendais. Je suis allée chercher un autre livre d’elle à la bibliothèque, son chef-d’œuvre dit-on, voir si c’est la même chose. J’en reparlerai peut-être. Je dois reconnaître aussi que ces histoires de mères qui tuent leur enfant, si elles correspondent à la carrure physique voulue « toute-puissante » de l’auteure, me rebutent. Il n’y a pas de mauvais sujets, mais jusque là je trouve ses personnages caricaturaux, ça n’aide pas à trouver de l’humanité là-dedans. J’en arrive à me demander si elle ne bénéficie pas d’un racisme masqué : parce qu’elle est noire, on la jugerait avec un a priori favorable ? Mais elle n’est pas la seule à être mise sur un piédestal qui me semble bien trop haut – je pense à Philip Roth, par exemple, très bon auteur mais loin d’être aussi génial qu’on le dit, à mon sens. Les gens voient-ils ce qui est ?

poesie 3-minLe matin je peins en écoutant de la musique. L’après-midi je sors et j’écris. La nuit mon cerveau redistribue la sève dans mon arbre fruitier.

cette nuit et aujourd’hui, photos Alina Reyes