Son souffle de vie


Photos Alina Reyes

 

Jean 10

9. Moi je suis la porte. Si quelqu’un entre via moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira, et il trouvera un partage.

10. Le voleur ne vient que pour voler, sacrifier et perdre. Moi je suis venue pour que vous portiez la vie, et que vous la portiez au-delà de toute mesure.

11. Moi je suis le bon berger. Le bon berger expose son souffle de vie pour ses brebis.

12. Le mercenaire, qui n’est pas un berger, et qui n’a pas avec les brebis un lien particulier, voit-il venir le loup, il laisse les brebis et s’enfuit – et le loup s’empare d’elles et les éparpille.

13. Car il est mercenaire, et il ne se fait pas de souci, lui, pour ses brebis.

14. Moi je suis le bon berger, je connais les miens et les miens me connaissent,

15. comme me connaît le Père et comme je connais le Père ; et mon souffle de vie, je l’expose pour mes brebis.

16. Et je porte d’autres brebis qui ne sont pas dans cet enclos. Celles-ci aussi, il me faut les mener, elles écouteront ma voix, et finalement il y aura un seul troupeau, un seul berger.

17. Le Père m’aime via cela : j’expose mon souffle de vie, pour le reprendre en priant.

18. Personne ne le capture, venant de moi, mais c’est moi qui l’expose, à partir de moi-même. Je porte le pouvoir de l’exposer, et je porte le pouvoir de le reprendre. Telle est l’instruction qu’en priant j’ai reçue de mon Père.

 

Je continue, comme précédemment, par traduire le verbe lambano (prendre, recevoir) en tenant compte de son sens premier, qui exprime le fait de saisir les genoux en geste de supplication : j’y ajoute donc chaque fois une mention de la prière, car c’est une profonde vérité du texte et des faits.

Je traduis psychè (âme, vie) par son sens premier aussi : souffle de vie. Ainsi nous pouvons voir Jésus rendant l’esprit sur la Croix, son Esprit par essence qu’on ne peut saisir ni prendre, qu’il expose par tout son corps au-dessus de nous, là-haut sur la Croix, son souffle de vie qu’il reprendra comme on reprend son souffle, sa vie qu’il donne et reprend ainsi qu’il en a reçu le pouvoir dans la prière.

Et nous sentons son cœur qui bat pour nous tandis qu’il nous dit tout cela.

 

lecture de ce dimanche ; traduction et commentaire extraits de Voyage

 

proches

Tout à l'heure, Paris 5e. Photo Alina Reyes

 

« Tout homme a ses amis. Pourquoi le poète ne pourrait-il s’adresser aux siens, à ceux qui lui sont naturellement proches ? Lorsque survient l’instant décisif, le navigateur jette à l’océan la bouteille cachetée qui renferme son nom et le récit de son aventure. Bien des années après, vagabondant parmi les dunes, je la découvre sous le sable et, à la lecture de la lettre, j’apprends la date des événements et les dernières volontés du défunt. J’étais en droit de la lire. Je n’ai pas ouvert une lettre adressée à autrui : la lettre cachetée dans la bouteille est adressée à celui qui la trouve. Je l’ai trouvée. J’en suis donc le destinataire secret. »

Ossip Mandelstam, De la poésie, chapitre De l’interlocuteur

 

Le onzième livre est fini, il sera publié dans quelques jours sur ce site. Au milieu de ce monde où le mensonge se multiplie plus vite que les pains et les poissons, je mets en ce lieu de longs voyages et festins de vérité en bouteille. Aux amis inconnus qui la trouveront ! Grâce.

 

« Toute la beauté avec toute la vérité ». « Le Monde est plein »

Tout à l'heure au jardin. Photo Alina Reyes

 

« Ce qui nous touche dans le monde antique, c’est son attente du Dieu inconnu. C’est Cicéron invoquant à l’heure de sa mort la cause des causes, causa causarum. C’est Platon décrivant le juste qui viendra : « Fouetté, torturé, mis aux fers, on lui brûlera les yeux ; enfin, après lui avoir fait souffrir tous les maux, on le mettra en croix… » Et, parlant encore de la pureté de l’âme et du corps, c’est Sénèque disant : « Notre Dieu et notre Père. » Et : « Que la volonté de Dieu soit faite. » C’est Virgile annonçant le siècle qui va venir : « Adspice, venturo laetantur ut omnia saeclo. » C’est Properce parlant le premier dans le monde latin de la pitié. Ce qui nous touche dans l’islam, c’est la part de vérité éternelle qu’il maintient. C’est la part qui lui est revenue du grand héritage judaïque. Et c’est qu’il est, comme le dit Nicole, une secte chrétienne, vue profonde dont on est bien assuré, lorsque l’on vient de lire le coran dans les terres mêmes des musulmans. Ainsi tout nous presse, tout nous donne de l’espoir, de l’assurance. De tous côtés nous sommes fortifiés. Mille reconnaissances lointaines nous mettent en sécurité et nous permettent d’attendre, dans l’amour, la conjonction fatale de toute la beauté avec toute la vérité. »

Ernest Psichari, Les voix qui crient dans le désert

 

Au jardin tout à l'heure. Photo Alina Reyes

 

LA JOIE (…) Plus que personne, le mystique souffre de la pulvérulence des êtres. (…) Partout, l’émiettement, signe du corruptible et du précaire. (…) Il faut avoir profondément senti la peine d’être plongé dans le multiple, qui tourbillonne et fuit sous les doigts, pour mériter de goûter l’enthousiasme dont l’âme est soulevée, quand, sous l’action de la Présence universelle, elle voit que le Réel est devenu, non seulement transparent, mais solide. Le principe incorruptible du Cosmos est désormais trouvé, et il est répandu partout. Le Monde est plein, et il est plein d’Absolu. Quelle libération !

Pierre Teilhard de Chardin, L’Humanité en marche

 

Marilyn Monroe, Celle qui buvait la lumière


portrait réalisé par Ben Heine

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Marilyn Monroe. La vivante que les hommes voulurent capturer, et qui les captiva.

De toute son âme assoiffée, de tout son cœur d’enfant battant dans son corps de rêve, elle aima.

Son visage, sa chair buvaient littéralement la lumière.

Elle était éternelle, déjà. Les studios lui prirent son temps, pour en faire de l’argent.

Ils en eurent pour leur argent et au-delà. Toutes les puissances mauvaises, les mafias qui cancérisent le monde, tiennent l’industrie du spectacle et les hommes de pouvoir, les vampires qui se nourrissent du sang des vivants, la jetèrent, nue qu’elle était, nue qu’elle fut toujours, sur les chemins de ronces de leurs désirs malsains.

Pour sauver leurs apparences essayant de la prostituer aux peuples, qu’ils en fassent leur chose comme ils auraient aimé en faire la leur. Mais malgré les faiblesses du peuple, grâce à ses faiblesses aussi, l’esprit de l’amour reconnaît en son sein les apparitions de l’amour.

Contrairement à ceux qui la tuèrent, Marilyn n’est pas une apparence, mais une apparition. Elle a tout donné, elle donne tout d’elle, du plus humble, du plus misérable de l’humain en elle, au plus sublime.

Jetée aux enfers, loin de s’en trouver vaincue par la mort, elle y déclenchait un tremblement de terre et en ramenait la grâce, toujours plus de grâce, démultipliée pour nourrir des millions d’âmes dans des salles obscures.

Présentée en idole, casquée d’or, elle abat l’idolâtrie par la puissance de sa présence humaine, de son cœur de chair offert en toute libéralité.

Et maintenant elle réjouit les anges, ceux du ciel et encore nous autres, pauvres terriens qui voulons boire aussi la lumière et qu’elle transporte, un moment au moins, au ciel.

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(petite introduction écrite sur la demande de l’éditrice stanbouliote de ma nouvelle Une nuit avec Marilyn en traduction turque)

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Action et contemplation vs puissances cyniques et séculières

Photo Alina Reyes

 

« Il n’y a pas contradiction entre action et contemplation, quand l’activité apostolique chrétienne s’élève au niveau de la pure charité. À ce niveau, l’amour de Dieu et l’amour de notre frère dans le Christ font qu’action et contemplation ne sont plus qu’une seule et même réalité. Mais le problème est que, si la prière elle-même n’est pas profonde, forte, pure, et pleine à tout moment de l’esprit de contemplation, l’activité chrétienne ne peut jamais parvenir effectivement à ce haut niveau.

Si notre culte tout entier n’est pas pénétré de l’esprit de contemplation – c’est-à-dire d’adoration et d’amour de Dieu par-dessus tout pour lui-même parce qu’il est Dieu – la liturgie ne nourrira pas un apostolat réellement chrétien fondé sur l’amour du Christ et exercé dans la puissance du Pneuma.

Le besoin le plus grand du monde chrétien d’aujourd’hui est celui de cette vérité intérieure, nourrie par un tel Esprit de contemplation : la louange et l’amour de Dieu, l’attente fervente de la venue du Christ, la soif de la manifestation de la gloire de Dieu, de sa vérité, de sa justice, de son Royaume dans le monde. Ce sont là toutes les aspirations typiquement « contemplatives » et eschatologiques du coeur chrétien et elles constituent l’essence même de la prière monastique. Sans elles notre apostolat est bien plus au service de notre gloire personnelle qu’au service de la gloire de Dieu.

Sans cette orientation contemplative, les églises que nous construisons ne sont pas pour louer Dieu, mais pour consolider les structures sociales, les valeurs et les avantages dont nous jouissons actuellement. Sans cette base contemplative à notre prédication, notre apostolat n’est pas du tout un apostolat ; il n’est qu’un pur prosélytisme en vue d’amener l’univers entier à se conformer à notre façon de vivre nationale.

Sans contemplation ni prière intérieure, l’Église ne peut pas accomplir sa mission de transformer et de sauver l’humanité. Sans contemplation, elle sera réduite à n’être que la servante de puissances cyniques et séculières, alors même que ses fidèles proclameront très haut qu’ils combattent pour le Royaume de Dieu.

Sans aspirations vraiment et profondément contemplatives, sans amour total de Dieu et sans une soif intransigeante de sa vérité, la religion risque de n’être, en fin de compte, qu’un narcotique. »

Thomas Merton, Les voies de la vraie prière, éditions du Cerf, pp 145-147

 

« Et ce monde n’est pas malpropre parce qu’il vit seulement mal en façade, mais parce que souterrainement et occultement il cultive et maintient le mal.
Le mauvais esprit est une goule aussi matérielle et aussi sûre que les méduses de la mer. »

Antonin Artaud, Textes écrits en 1947, in Oeuvres, Quarto Gallimard, p.1541

« Car ce n’est pas à force de chercher l’infini que Van Gogh est mort,
qu’il s’est vu contraint d’étouffer de misère et d’asphyxie,
c’est à force de se le voir refuser par la tourbe de tous ceux qui, de son vivant même, croyaient détenir l’infini contre lui ;
et Van Gogh aurait pu trouver assez d’infini pour vivre pendant toute sa vie si la conscience bestiale de la masse n’avait voulu se l’approprier pour nourrir ses partouses à elle, qui n’ont jamais rien eu à voir avec la peinture ou avec la poésie. »

Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, in Oeuvres, Quarto Gallimard, p. 1462

 

« Un beau geste m’a touché, profondément touché. Écoute. J’avais dit à mon modèle de ne pas venir aujourd’hui – sans lui avouer pourquoi. La pauvre femme s’est amenée quand même et, comme j’ai protesté : « Oui mais », m’a-t-elle répondu, « je ne viens pas poser, je viens voir si vous avez quelque chose à manger. » Elle m’avait apporté une portion de haricots verts et de pommes de terre. Il y a tout de même des choses admirables dans la vie. »

Vincent Van Gogh, lettre non datée in Lettres à son frère Théo, L’Imaginaire Gallimard, pp 169-170