Bon voyage, compagnon !

AFP

 

Compagnon de toutes mes années de jeunesse, j’ai voulu chanter tes chansons en apprenant ta mort, mais je n’ai pas pu, je pleurais !

Un jour l’une de tes amies m’a dit que tu me lisais, ô mon Métèque ! ainsi tu me connus aussi ! alors emporte-moi un peu au paradis, parmi tes amis s’il te plait !

Tu m’as tant chanté la révolution permanente, que je la suis pour ainsi dire devenue, merci Georges Moustaki !

« Je voudrais sans la nommer

Vous parler d’elle

Comme d’une bien aimée,

D’une infidèle,

Une fille bien vivante

Qui se réveille

À des lendemains qui chantent

Sous le soleil.

REFRAIN :

C’est elle que l’on matraque,

Que l’on poursuit, que l’on traque,

C’est elle qui se soulève,

Qui souffre et se met en grève.

C’est elle qu’on emprisonne,

Qu’on trahit, qu’on abandonne,

Qui nous donne envie de vivre,

Qui donne envie de la suivre

Jusqu’au bout, jusqu’au bout.

Je voudrais sans la nommer

Lui rendre hommage :

Jolie fleur du mois de mai

Ou fruit sauvage,

Une plante bien plantée

Sur ses deux jambes

Et qui traîne en liberté

Où bon lui semble.

REFRAIN

Je voudrais sans la nommer

Vous parler d’elle :

Bien-aimée ou mal-aimée,

Elle est fidèle ;

Et si vous voulez

Que je vous la présente,

On l’appelle Révolution permanente.

REFRAIN »

 

Derrière nous, devant nous, le monde et les visions de Black Elk

Une vision de Black Elk, œuvre de Nelson

 

Au printemps de 1931, John Neihardt recueillit les mémoires de Black Elk, un vieux medecine man des Sioux Oglala Lakota. À l’âge de neuf ans, Black Elk, alors qu’il paraissait être comme mort, connut une grande vision, longue et comparable en bien des points à des passages de la Bible, de l’Apocalypse de l’aigle Jean, ou du Coran (textes dont il n’avait bien sûr pas connaissance). Il y évolua dans l’autre monde, c’est-à-dire le monde vrai, plus éclairci et complet que la pénombre où nous nous débattons ordinairement, le monde dont l’homme moderne n’a nulle connaissance, dévoré qu’il est par ses propres représentations. Un monde où l’Esprit pour se dire passe à travers les formes et les dépasse. Une fois revenu « sur terre », dans la tente où il était veillé comme mourant ou mort, Black Elk ne fut plus jamais le même. Sa vision l’isola, lui donna des pouvoirs de devin et de guérisseur, mais aussi lui laissa une intense empreinte, souvent nostalgique de cet autre monde, et le désir d’œuvrer pour sauver son peuple.

Pourchassés par les Blancs et par eux constamment trompés, les Sioux  virent leur territoire  toujours plus réduit, leur vie détruite, les troupeaux de bisons dont ils se nourrissaient s’amenuiser et disparaître. Black Elk partagea le sort de son peuple au plus près. En 1876, âgé de treize ans, il combattit à Little Big Horn. En 1890 il combattit encore et fut blessé lors du massacre de Wounded Knee. Trois ans plus tôt, il avait été engagé par Buffalo Bill pour la tournée en Europe de son spectacle Wild Wide West, expérience qui lui fut pénible.

Une fois consommée la défaite des Lakotas, Black Elk se consacra à la préservation de la culture de son peuple, en témoignant auprès de Neihardt et en participant à des spectacles destinés à faire connaître la spiritualité sioux au grand public. Avant cela, persécuté par les missionnaires qui l’empêchaient d’exercer son don de guérir, il finit par se convertir au catholicisme, choisissant d’en partager les valeurs compatibles avec sa propre religion plutôt que de voir les Sioux condamnés à la perte de toute spiritualité. Car les esprits « sont en fait un seul Esprit » un « Unique », et « les pensées des hommes doivent s’élever comme le font les aigles. » Vers la fin de sa vie il reviendra à sa religion originelle, estimant qu’en la perdant son peuple se perdit aussi lui-même.

Je vais donner trois passages du livre Élan Noir / Mémoires d’un Sioux de John Neihardt. Le premier est une histoire de son peuple, concernant l’origine de la pipe, médium entre l’homme et le ciel, récit traditionnel à connotation messianique. Le deuxième est un moment de sa Grande vision. Le troisième vient d’une vision connue lors d’une danse de l’Esprit, en 1890, avant Wounded Knee.

*

« Il y a très longtemps, deux éclaireurs cherchaient des bisons. Quand ils furent arrivés au sommet d’une haute colline, en regardant au nord, ils virent quelque chose venir de fort loin, et quand cela se fut rapproché ils s’écrièrent : « C’est une femme ! », et c’en était une. Alors un des éclaireurs, un peu sot, a eu de mauvaises pensées et il les a dites tout haut. Mais l’autre a dit : « Cette femme est sacrée. Jette au loin tes mauvaises pensées. » Quand elle se fut rapprochée davantage, ils virent qu’elle était vêtue d’une fine robe de peau de daim blanche, que sa chevelure était longue, qu’elle était jeune et très belle. Elle devina leurs pensées et leur dit, et sa voix était comme un chant : « Vous ne me connaissez pas, mais si vous voulez faire selon votre idée, vous pouvez venir. » Et l’insensé s’approcha d’elle. Mais comme il se trouvait devant elle, un nuage blanc s’est formé et les a couverts. Et la belle jeune femme est sortie du nuage, et quand il s’est dissipé, l’homme insensé était un squelette couvert de vers.

Alors la femme a parlé à celui qui n’était pas insensé : « Tu vas rentrer chez toi et dire à ton peuple que j’arrive, et qu’une grande tente doit être dressée pour moi au centre de la nation. » Et l’homme, très effrayé, s’en est allé rapidement rapporter cela au peuple, lequel a fait ce qu’on lui avait demandé. Et réunis là autour de la grande tente, ils ont attendu l’arrivée de la femme sacrée. Après un moment elle est arrivée, et elle chantait en marchant, très belle, et tandis qu’elle entrait dans la tente, voici ce qu’elle chantait :

Je m’avance et mon souffle est visible.

Je marche en projetant une voix.

Ma démarche est sacrée.

Je marche en laissant des traces.

Ma démarche est sacrée.

Et pendant qu’elle chantait, un nuage blanc est sorti de sa bouche et l’odeur en était agréable. Elle a donné quelque chose au chef, et c’était une pipe avec un jeune bison gravé sur le côté pour signifier la terre qui nous porte et qui nous nourrit, et avec douze plumes d’aigle attachées au tuyau pour signifier le ciel et les douze lunes, et elles étaient liées avec une herbe qui ne casse jamais. « Écoutez ! dit-elle. Avec cela vous multiplierez et deviendrez une bonne nation. Il ne peut en arriver que du bon. Seules les mains des bons doivent en prendre soin. Les méchants, eux, ne devraient même pas la voir. » Puis elle a encore chanté et est sortie de la tente, et tandis que le peuple la regardait partir, tout à coup c’était un bison blanc qui galopait et s’ébrouait, et il a disparu rapidement. »

*

« L’univers entier est devenu silencieux, se tenant à l’écoute. Alors le grand étalon noir a élevé sa voix et a chanté. Son chant disait :

Mes chevaux viennent en caracolant.

Mes chevaux viennent en hennissant.

Ils viennent caracolant.

Ils viennent par tout l’univers.

Ils danseront, puissiez-vous les voir.

Ils danseront, puissiez-vous les voir.

Ils danseront, puissiez-vous les voir.

Ils danseront, puissiez-vous les voir.

Ils danseront, une nation de chevaux dansera.

Puissiez-vous les voir.

Puissiez-vous les voir.

Puissiez-vous les voir.

Sa voix n’était pas forte, mais elle se répandait par tout l’univers et l’a rempli. Il n’y a rien qui ne l’ait entendu, et elle était plus belle que rien ne saurait être. C’était si beau que rien nulle part n’a pu se retenir de danser. Les vierges ont dansé, et de même tous les chevaux en cercle. Les feuilles sur les arbres, les herbes sur les collines et dans les vallées, les eaux des ruisseaux, des rivières et des lacs, les quadrupèdes et le bipèdes et les ailes qui sont dans les airs : tous ont dansé sur la musique du chant de l’étalon.

Et quand j’ai regardé en bas vers mon peuple, les nuages ont passé par-dessus, les bénissant d’une pluie amicale, et se sont arrêtés à l’est, surmontés d’un arc-en-ciel flamboyant.

Puis tous les chevaux sont revenus à leur place en chantant, au-delà du sommet de la quatrième montée, et toutes choses chantaient avec eux tandis qu’ils marchaient.

Et la Voix a dit : « Ils ont accompli un jour de bonheur par tout l’univers. » Et regardant en bas j’ai vu que le vaste cercle du jour était tout entier beau et vert, que tous les fruits mûrissaient et que toutes choses étaient aimables et heureuses.

Puis une Voix a dit : « Regarde ce jour, car c’est à toi de le faire. Maintenant que tu te tiendras au centre de la terre afin que tu voies, car c’est là qu’ils vont t’emmener. »

J’étais toujours sur mon cheval bai, et une fois encore j’ai senti que les cavaliers de l’ouest, du nord, de l’est et du sud étaient derrière moi en formation, comme précédemment, et nous allions à l’est. J’ai regardé devant moi et j’ai vu les montagnes au loin, couvertes de rochers et de forêts, et venant des montagnes toutes les couleurs jaillissaient vers les cieux. Puis je me suis trouvé sur la montagne la plus haute de toutes, et tout autour en dessous de moi était le cercle complet du monde. Et durant le temps que je me trouvais là, j’ai vu plus que je n’en puis dire, et j’ai compris plus que je n’ai vu. Car je voyais les formes de toutes choses en esprit, d’une manière sacrée, et la forme de toutes les formes telles qu’elles doivent vivre ensemble comme étant un seul être. Et j’ai vu que le cercle sacré de mon peuple était l’un des nombreux cercles qui faisaient un seul cercle, vaste comme la lumière du jour et la lumière des étoiles, et au centre croissait un puissant arbre en fleur qui abritait tous les enfants d’une seule mère et d’un seul père. Et j’ai vu que cela était sacré.

Puis, tandis que je me tenais là, ces hommes sont venus de l’est, tête en avant comme des flèches en vol, et entre eux deux s’est levée l’étoile de l’aube. Ils sont venus à moi et m’ont donné une plante en me disant : « Avec cela tu pourras tout entreprendre et tout accomplir sur la terre. » C’était la plante de l’étoile de l’aube, la plante de la compréhension, et ils m’ont dit de la laisser tomber sur la terre. Je l’ai vue tomber très loin, et quand elle s’est fichée dans la terre, elle a pris racine, a poussé et fleuri, quatre fleurs sur une tige, une bleue, une blanche, une écarlate et une jaune, et les rayons qui en sortaient se sont élancés vers les cieux afin que toutes les créatures les voient et qu’il n’y ait d’obscurité nulle part. »

*

« Puis ils m’ont conduit au centre du cercle où, une fois de plus, j’ai vu l’arbre sacré tout plein de feuilles et de fleurs.

Mais je n’ai pas vu que cela. Contre l’arbre, un homme se tenait debout, les bras largement ouverts devant lui. Je l’ai regardé attentivement, mais je ne pouvais pas dire à quel peuple il appartenait. Il n’était pas un Wasichou [un Blanc], et il n’était pas un Indien. Ses cheveux étaient longs et pendaient librement, et sur le côté gauche de la tête il portait une plume d’aigle. Son corps était fort et beau à voir, et il était peint en rouge. J’essayais de le reconnaître, mais je n’y arrivais pas. Il était vraiment un très bel homme. Pendant que je le regardais fixement, son corps s’est mis à changer et est devenu extrêmement beau, ayant toutes les couleurs de la lumière, et la lumière rayonnait autour de lui. Il parla, comme chantant : « Ma vie est telle que tous les êtres de la terre et toutes les choses qui poussent m’appartiennent. Ton père, le Grand Esprit, l’a dit. Et toi aussi, tu dois le dire. »

Puis il s’en est allé, comme une lumière dans le vent. »

*

 

Oliver twists in London (4). Par Olivier Létoile

une oeuvre de C215 à Londres

 

Toutes les routes mènent à Stratford. La nouvelle Rome. Athènes by Thames. L’antique au goût du jour. Le nouvel Olympe. Le stade olympique quoi !

Frétillant comme un gardon, je prends l’over ground d’Hampstead. 35 mns à ciel ouvert jusqu’au temple, l’église, la mosquée du muscle et de la foulée … je ne veux léser personne. Universel jusqu’au bout des doigts !

A peine ai-je pénétré dans la rame, qu’un groupe de supporters français m’accueille avec leurs costumes tricolores. Un couple peinturluré jusqu’aux lèvres et un célibataire déguisé en super Dupont. Je m’explique.

Sébastien est enroulé dans un drapeau en guise de cape tricolore sur un costume patriotique. C’est un peu le héros du 14 juillet, le super sans-culotte, la réincarnation de Gavroche version soldat inconnu, imberbe mais poilu jusqu’à la plante des pieds !

Mais ce qui m’intrigue le plus c’est le sombrero tricolore qu’il porte sur la tête. Peut-être a-t-il une mère mexicaine …? Peut-être est-il un lointain descendant de Maximilien, membre de la famille impériale d’Autriche qui se confond avec la maison de Lorraine -celle-là vous ne l’aurez pas- et qui fut mis sur le trône du Mexique avec l’appui de Napoléon III ? Peut-être a t-il juste passé ses dernières vacances à se griller la couenne sur les plages d’Acapulco ? Mais bon … étant un peu béarnais et non basque sur les bords … je dis Halte … Carton rouge …! Un béret de Nay sied mieux aux frenchies en goguette … non ?

Bref après avoir réfréné une furieuse envie de buritos, je sors de l’anonymat … j’adore jouer les locaux où que je sois … mais je dois avouer que dans certaines contrées du monde c’est un peu impossible ! Mais dans l’over ground qui me mène à Stratford … fastoche !

Au moment où je vais parler à Sébastien, il me tourne le dos et me présente une bosse digne de Quasimodo. Le drapeau-cape qu’il revêt sur son costume national flotte mollement sur un sac à dos qu’il porte sur son dos. Et je lui lance …

– Hé Blaise … sommes-nous bien loin de notre-Dame ?

Ça m’est venu d’un coup. Pas de réponse. Il s’appelle Sébastien mais quand même … J’insiste et précise …

– Avec ton sac qui te fait une bosse dans le dos t’es au moins le sonneur de Notre-Dame ?

Le four ! Total. Il m’a regardé avec les yeux du regretté Marty Feldman. Revisionnez Frankenstein Junior … un bijou ! Le reste n’est que littérature de gare d’over ground. Il s’appelle Sébastien. Il est informaticien et vit à Chatou, chez ses parents.

On approche de Stratford. Je ne savais pas encore que je ne verrai jamais aussi bien les infrastructures -c’est le mot n’est-ce pas ?- du parc olympique que de la rame qui m’emportait. De votre divan, en France, ou d’ailleurs, vous avez une meilleure vue de la foire … Et je pèse mes mots !

À peine le pied posé sur le macadam du quai, un teenageur ébouriffé vous hurle dans un porte-voix électrique que vous n’avez pas le choix. Direction la bouche d’ombre devant vous qui vous engloutit d’un coup … on a l’impression d’être le spermatozoïde d’un moine abstinent qui s’est enfin décidé …

Et l’on débouche sur la plateforme cruciale.

T’as un ticket tu passes, t’en as pas tu vas voir ailleurs si j’y suis ! Mais je veux juste voir le site … Forbiden ! Passe ton chemin petit homme … Où suis-je …? Help Alice … Lewis … Carroll … where am i ?

Je suis au pays du « t’achètes ou tu dégages ! » Westfield … un champ commercial grand comme la Beauce avec des boutiques éparpillées comme des épis de blé. En plastique. Ne me dis pas qui tu es … je t’habille de pied en cap… et ça va te plaire !

Crois-tu ? Je ne connais pas cette ville. Cette contrée … ce lieu … où l’on vous hurle la direction à prendre … franchement on se sent comme des prisonniers de guerre … Naïf … sûr … je pensais pouvoir au moins approcher les sites et voir les cathédrales du sport olympique. Au lieu de ça j’aurais pu m’acheter un container de polaires et de ballerines. On sait jamais, ça peut servir.

En fait, tout ce que j’ai vu ce sont des fauves VIP assoiffés, parqués derrière de jolies barrières en bois en plein milieu de la voie que le quidam moyen, voire un peu en dessous comme moi, emprunte pour aller où … je me le demande encore.

Je revois aussi le Droopy en costume quémandant des billets sur une feuille A4 griffonnée au stylo, ça m’a rappelé le métro parisien … et ses tickets restaurants. J’ai vu encore un Indien des Indes qui immortalisait un moment d’éternité tout sourire « cheese » avec une immense moufle en mousse, dont l’index proéminent était dirigé vers un panneau qui indiquait … la sortie … Stratford railways station ! Tout le monde finit par s’y rendre … pour fuir … pas sûr … c’est la magie des jeux !

Oh Pierre … sommes-nous bien loin de tes rêves ?

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à suivre, ici ou ailleurs ; les précédents étaient ici, ICI et

voir les oeuvres de C215 à Londres ici ; l’artiste expose aussi à la Pitié-Salpêtrière, mais ce n’est pas son meilleur

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